mercredi 26 mars 2025

Des dents qui rayent le parquet

Un phénomène amusant : alors que je crée une liste d'articles de gastronomie moléculaire et physique, j'envoie un message circulaire pour proposer aux collègues qui ont fait de tels articles de m'en donner les références afin que je les ajoute à la liste. 

Et presque aussitôt, je reçois toute une liste de textes qui n'ont pas grand-chose à voir avec notre discipline. Beaucoup sont des textes de technologie alimentaire assez classique, plutôt à vocation industrielle. 

Comme je ne sais pas me tenir, décidément, j'écris à mon interlocuteur que certains de ces textes n'ont rien à faire dans cette liste, et je vais jusqu'à lui demander pourquoi il les y a mis :  je suis bien intéressé par la réponse qui va m'arriver.

L'albumine ? Si vous entendez cela au singulier, c'est que votre interlocuteur est en retard d'un siècle !

J'entends à la fois un collègue et un cuisinier parler de "l'albumine", et autant je suis indulgent pour le cuisinier, autant je considère que mon collègue a tort, gravement, parce que s'il dit quelque chose de faux, il y a l'autorité qui accompagne sa profession qui vient enteriner une erreur. 
 
Expliquons cela en commençant par rappeler que le mot albumine a été introduit en français par François Quesnay, au 18e siècle. 
On désignait à l'époque la matière coagulante du blanc d'oeuf, par exemple, et il est vrai que si on laisse un blanc d'œuf sécher, l'eau du blanc d'oeuf s'évapore et il reste une feuille jaune et craquante qui est faite de ce qu'on nommait initialement (il y a plus d'un siècle) de l'albumine. 
 
Cette matière, quand elle est chauffée avec de l'eau est responsable de la coagulation. Et, à l'époque, les chimistes la caractérisaient en observant qu'elle putréfiait en formant de l'ammoniac : on sait aujourd'hui que, effectivement, cette matière contient de l'azote. 
Les chimistes, également, observaient que cette matière conduisait à un changement de couleur du sirop de violette, cette infusion de fleurs de violette dans l'eau qui a une couleur bleu violet et qui change de couleur en présence d'un composé basique : le sirop de violette est l'ancêtre de nos indicateurs colorés de laboratoire. 
 
Mais c'est là de l'histoire ancienne  : plus d'un siècle. Progressivement, on a découvert de l' "albumine" dans les végétaux, notamment les légumineuses : ce fut un tsunami intellectuel parce que l'on retrouvait la même matière dans le végétal et l'animal, qui semblaient être des règnes séparés. 
 
Puis on a découvert que ces albumines étaient en réalité des mélanges de nombreux composés distincts et c'est pour cette raison qu'en 1910, soit plus d'un siècle dans le passé, on a décidé que l'on nommerait ces composés des protéines. Et on en connaît de nombreuses sortes. Certaines protéines sont solubles dans l'eau et leurs molécules sont globulaires, comme un fil replié en pelote : ce sont les albumines. 
 
Oui, aujourd'hui le mot albumine désigne une catégorie de protéines et non plus ni une matière particulière, ni une protéine particulière. 
 
Certes il existe de l'ovalbumine,  pour une des albumines qui se trouve dans le blanc d'oeuf, ou de la sérum albumine pour des protéines de la catégorie des albumines qui se trouvent dans le sang. 
 
Mais il y a bien d'autres albumines, et je n'ai pas épuisé avec ces deux exemples la totalité d'entre elles. 
 
Parler aujourd'hui de l'albumine au singulier, c'est donc retarder de plus d'un siècle. 
 
Cela me semble grave que les cuisiniers utilisent des notions ainsi périmées parce que pensant mal ils ne pourront pas faire bien,  mais ce me semble encore plus grave qu'un collègue propage de telles erreurs. 
 
Disons-le pour terminer de façon positive :  la chimie a fini par découvrir qu'il existe de très nombreuses protéines différentes et certaines, certaines seulement, sont des albumines. La catégorie des albumines est une catégorie particulière de protéines. 

Est-ce clair ? Pour me faire des commentaires : icmg@agroparistech.fr

mardi 25 mars 2025

La vertu est sa propre récompense

 

Alors que je fais un travail pour une institution académique, le responsable du groupe m'envoie des remerciements publics. Et, aussitôt, je lui réponds en le remerciant pour cela, mais je   fais de même à son égard, puisque, au fond, lui aussi se dévoue pour notre institution académique. 

Mais passées de civilités, les témoignages d'amitié, je m'interroge... car faut-il me remercier de faire des choses que j'ai envie de faire ? 

Puisque il n'y a ni argent, ni pouvoir, ni réputation, ni rien à gagner, si je fais un travail, c'est parce que je considère moi-même qui doit être fait, que ce travail m'intéresse, m'importe et non pas parce que j'attends des remerciements ou des félicitations.
D'ailleurs, si la personne avec qui je correspondait fait le travail qu'elle fait, alors, là encore, il n'y a pas lieu d'envoyer des félicitations ni des remerciements. Mais pourquoi pas des témoignages d'amitié, bien sûr ? 

Autrement dit, j'y reviens, nous faisons échange civilités et d'amitiés, et cela est bien agréable mais jamais plus qu'à cette occasion je n'ai compris le sens de cette phrase merveilleuse selon laquelle la vertu est sa propre récompense. 

J'ajoute aussitôt que, en l'occurrence, le mot vertu est très usurpé,  puisqu'il s'agit simplement, très égoïstement, de faire un travail que j'ai envie de faire, que je juge utile et important. Si d'autres le reconnaissent comme utile, tant mieux, mais croyez-moi : je suis épouvantablement égoïste, en quelque sorte.

lundi 24 mars 2025

Des conseils à mes jeunes amis qui font des présentations orales

Sortant d'une soutenance orale, j'ai vu de nouveau les erreurs les plus classiques qui sont faites et qui révèlent un manque de méthode, lequel conduit à la fois à des erreurs et à une énergie gaspillée, beaucoup de temps perdu pour rien.

Commençons par dire qu'il ne faut absolument pas utiliser des masques, car ces derniers prennent du temps à faire, alors qu'ils introduisent des éléments insignifiants. Dans une présentation scientifique, c'est le sens qui compte et il n'y a pas lieu de faire des images comme cela se ferait dans un cadre artistique ; ne confondons pas les genres. 

D'autre part, simplifions la mise en page en ne conservant qu'une seule police de caractère et, surtout, en évitant d'écrire sur les diapositives des textes que personne n'aura le temps de lire et qui vont considérablement allonger la présentation... et faire dépasser le temps imparti. 

Surtout réduisons toutes les diapositives à un titre et à une image.
Pour le titre je n'ai pas besoin d'insister et pour l'image cela peut-être une photo, un graphe, un spectre, etc. Il peut y avoir quelques indications techniques, par exemple des conditions expérimentales, à côté de l'image, mais il ne doit pas y avoir de texte : le commentaire se limitera à expliquer l'image.

Les diapositives doivent tout être numérotées car c'est ainsi que l'on pourra ensuite organiser la discussion. 

Il doit y avoir des références, si possible en petits caractères et en pied de page. Et évidemment, le diaporama doit terminer par une liste de références. 

Ainsi, une présentation de 10 minutes se fait en 10 diapositives, une présentation de 20 minutes en 20 diapositives et cela ne prendra guère plus qu'une heure à produire. 

Je n'ai jamais vu, depuis que je suis dans la position de professeur,  de présentation orale d'étudiants qui puisse échapper aux quelques règles que je viens de donner et je m'étonne que nos amis  n'utilisent pas le document que j'ai donné ici : https://seafile.agroparistech.fr/f/279bd7998243480694b0/?dl=1

Qu'est-ce qu'une tarte à la Bourdaloue ?

 Aujourd'hui, de nombreux pâtissiers croient que la "tarte à la Bourdaloue" est une tarte aux poires... mais c'est une erreur. 

Pour bien comprendre il faut savoir que Bourdaloue était un prédicateur célèbre, dont les sermons faisaient courir le Tout-Paris. Il avait un chapeau avec un cordon tout autour et c'est donc le cordon qui a imposé la dénomination culinaire "à la Bourdaloue" : il faut un ruban de pâte. 

Or c'est ce qu'ont toutes nos tartes actuelles : toutes sont à la Bourdaloue ! 

Là, il faut aller doucement, et d'abord pour signaler que, jadis, on ne parlait pas de "tartes", mais de  tartelettes : le mot "tarte" est un anglicisme qui s'est introduit plus tard. 

Ces  tartelettes étaient faites d'un disque de pâte sur lequel il y avait la garniture, par exemple des fruits, et notamment des poires.
On devrait donc parler de tartelette aux poires pour un disque - quel que soit sa taille - sur lequel il y a des poires. 

Mais s'il y a un rebord en pâte, alors c'est une tartelette à la Bourdaloue,  et il n'est pas nécessaire d'avoir un cordon pâte par-dessus. Et ce n'est pas nécessairement aux poires (sauf pour les tartes aux poires, bien sûr).

Bref, nous ne savons pas très bien ce que nous disons quand nous parlons et tout cela mérite une révision pour bien comprendre. Il n'est pas nécessaire d'avoir des bords sur les tartelettes, les tartes sont des anglicismes, et la Bourdaloue n'est que la présence du cordon de pâte.

dimanche 23 mars 2025

Du sel ou du jus de citron dans les blancs en neige ?

C'est amusant de voir comment, bien souvent, nous nous focalisons sur des détails, au lieu de considérer le "premier ordre", le plus important. 

Ainsi, à propos de blanc que l'on bat en neige. Un ami me demande si le sel ou le jus de citron sont utiles "pour le blanc en neige". Pour le blanc en neige : que veut-il dire ? Pour la bonne réalisation d'un blanc en neige ? Pour l'obtention de plus de mousse ? Pour la tenue ? Pour éviter le grainage ? 

Renseignement pris, je m'aperçois qu'il n'avait guère d'idée claire, à ce propos, et il me répond "pour le volume". 

Là, je suis en mesure de lui dire que nos expériences n'ont pas montré de différence de volume, ni avec le sel ni avec le jus de citron... et pour cause : au premier ordre, la question de faire un blanc en neige revient à celle d'accumuler des bulles d'air dans un liquide. Le volume final est limité par la quantité d'eau présente... et c'est cette analyse qui m'a permis de battre le record du monde du plus gros volume de blanc en neige à partir d'un seul blanc, soit plus de 40 litres, parce que j'ajoutais de l'eau chaque fois que le blanc était bien ferme. 

Avec le sel, la quantité d'eau ne change pas. Avec le jus de citron, elle ne change notablement que si l'on ajoute beaucoup de jus de citron. Dans les deux cas, on se moque en réalité un peu de l'état des protéines, car ce n'est pas le facteur limitant. 

Mon ami, à cette réponse, change de questionnement, et m'interroge sur la tenue des blancs en neige. Et je lui demande pourquoi, sachant que la tenue est en réalité assez bonne. Il me cite alors la confection de meringues... mais il ignore alors l'expérience qui consiste à diviser un blanc en neige en deux moitiés, à ajouter du sucre dans une seule des moitiés, et à battre autant, à nouveau, les deux moitiés : on voit que les bulles du blanc sucré sont bien plus petites que les bulles de l'autre moitié, non sucrée, et donc la tenue est bien supérieure avec du sucre, sans qu'il soit besoin d'invoquer l'effet du sel, ou du jus de citron, ou du cuivre. A nouveau, la leçon est : regardons les choses au premier ordre !

samedi 22 mars 2025

De l'éthique ? Ou simplement de l'honnêteté ?

Un mauvais article que je lis montre merveilleusement une faute courante dans les rapports bibliographiques ou dans les articles scientifiques : la citation d'auteurs qui ne sont pas les premiers à avoir proposé une idée ou établi un fait. 

Commençons par donner la règle : quand on cite une idée ou quand on rapporte un résultat, il faut faire référence à la personne qui a proposé cette idée ou établi ce résultat pour la première fois. 

Et c'est une faute (pas seulement une erreur) que de faire référence, non pas à ces personnes "primaires", mais à des personnes qui ont cité les personnes primaires, ou à des personnes qui citaient des personnes qui citaient les personnes primaires, etc. 

Notamment, prendre n'importe qu'elle référence où apparaissent l'idée ou le résultat sont un travail paresseux et malhonnête. 

Les institutions scientifiques disent que cela n'est pas "éthique", et elles justifient cela en expliquant que l'on prive  le découvreur de la paternité de sa découverte, qu'on ne le fait pas profiter de son travail, qui, bien cité, conduirait à le faire progresser dans sa carrière, mais j'y voir plus une question d'honnêteté que d'étique. 

De même,  quand on reprend une figure dans un document, il s'agit d'honnêteté au sens légal du terme que d'avoir le droit de reproduire cette figure et de citer évidemment celle où celui à qui elle appartient : cela relève de la loi sur la propriété intellectuelle. 

 

Et là, je sors de la relecture d'un article par une personne qui avait pourtant reçu de ma part le cours où  j'avais expliqué  que chaque phrase devait être assorti d'une référence ( https://www.academie-agriculture.fr/publications/notes-academiques/comment-faire-des-syntheses-de-recherche-bibliographique-how ) . Et notre auteur de citer le même article (assez récent, secondaire) 4 fois de suite pour 4 phrases qui s'enchaînent ! Il a contrevenu aux règles de l'honnêteté. 

Et je ne parle là que du tout début du texte car le reste est exactement à l'avenant. 

La référence qui est donnée quatre fois, d'ailleurs, est une référence secondaire et notre auteur n'a pas pris la peine d'aller chercher les références primaires :  c'est le signe manifeste d'un travail bâclé, et qui contrevient aux règles que j'ai donné dans le cours rédigé entièrement que je lui avais transmis. 

D'ailleurs, ce même auteur renvoie toujours à ce même article à propos d'une figure qui pourtant était correctement référencée dans l'article (secondaire) qu'il cite. 

Il y a bien pire dans ce rapport (scientifiquement très faible), mais en tout cas ce document a le mérite de bien montrer comment doivent être les références dans un texte scientifique. De le montrer en négatif bien sûr !