Je m'aperçois que j'ai souvent cité Rabelais en ne respectant pas la lettre. Frère Jean des Entommeures répond à Gargantua :
comment pourroy je gouverner aultruy, qui moy mesmes gouverner ne sçaurois ?
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
Je m'aperçois que j'ai souvent cité Rabelais en ne respectant pas la lettre. Frère Jean des Entommeures répond à Gargantua :
comment pourroy je gouverner aultruy, qui moy mesmes gouverner ne sçaurois ?
J'ai eu une idée, alors que je préparais un billet sur les "dorures" : et pourquoi ne pas changer l'apparence des saucissons ? Au lieu d'avoir une apparence grise et poudreuse, pourquoi ne pas faire une surface... dorée (par exemple) ?
Je viens de terminer la préparation de ma conférence du 12 février : j'évoque la question de l'alimentation, au cours des siècles, avec l'oeil d'un chimiste.
Le principal message, c'est que l'espèce humaine n'a eu de cesse, n'a de cesse et et n'aura de cesse de se nourrir. Par le passé, elle a agi de façon très empirique, introduisant l'élevage, l'agriculture, cuisant, mettant au point des méthodes de conservation.
Puis, avec la naissance des sciences modernes, principalement, les mécanismes des phénomènes ont été explorés, souvent avec le souci de perfectionner les techniques. Les résultats ont été spectaculaires mais force est de constater que, aujourd'hui encore, nous sommes extrêmement ignorants de beaucoup de phénomènes : c'est là un message encourageant pour les jeunes que nous recevrons à la Maison de la chimie, qu'il y a de la place pour toutes celles et tous ceux qui voudront se lancer dans la technologie et dans la science de l'aliment .
Mais au-delà des perfectionnements légers, il faut considérer des questions de système alimentaire, et de filières, car la question de la sécurité alimentaire va s'imposer bientôt. La "sécurité alimentaire, cela signifie de produire à suffisance, et on la distingue de la sécurité sanitaire des aliments, qui consiste à produire des aliments sains.
Dans les décennies qui viennent, c'est bien la question de la sécurité alimentaire qui va se poser car la population du globe dépassera probablement 10 milliards d'individus alors qu'on en nourrit à peine 6 ou 7 aujourd'hui.
Pour passer ce cap, il y a lieu d'être extraordinairement rationnel, de ne pas se disperser à suivre des modes parfois idiotes, de ne pas se soumettre aux craintes des plus timorés ; il faut surtout chercher activement à fonder des filières alimentaires durables, sur une Terre qui restera quoi qu'il arrive la Terre, que que notre espèce devra conserver dans un état habitable elle.
Dans la rubrique "En débat", de l'Académie d'Alsace, je viens de publier un hommage à Emile et Monique Jung, en relation avec le livre "Une école de vie".
Emile Jung ? Un merveilleux cuisinier alsacien, sensible et talentueux. Le voici vers la fin de sa vie :
On trouvera le texte sur : http://www.academie-alsace.fr/en-d%C3%A9bat/une-%C3%A9cole-de-vie/
Et il faut ajouter que le livre a été composé par le trop modeste Maurice Roeckel.
Un ami me fait remarquer que cela fait 200 ans que fut publiée la Physiologie du goût par le merveilleux Jean-Anthelme Brillat-Savarin et que, comme si c'était pour célébrer cet anniversaire, l'Université de Copenhague me remet le prix Sonning ( https://via.ritzau.dk/pressemeddelelse/14235742/gastronomic-artist-is-awarded-the-sonning-prize-2025?publisherId=13561237&lang=da).
Je me suis déjà exprimé clairement dans la préface d'une réédition de la Physiologie du goût : Brillat-Savarin fut un extraordinaire écrivain. Il ne faut pas se tromper à la lecture du titre : son livre n'est pas un traité de physiologie, de science, et bien plutôt l'acte quasi fondateur de la gastronomie, qu'il définissait comme "la connaissance raisonnée de tout ce qu'elle se rapporte à l'être humain en tant qu'il se nourrit".
Je mets ici des guillemets, mais j'ai un peu tort car Brillat-Savarin parlait de "l'homme" plutôt que de "l'humain", ce qui était de son temps.
Mais, surtout, je rappelle qu'il faut lire rien savoir avec des pincettes, comme je l'explique plus loin. En tout cas, retenons sa définition de la gastronomie, et observons que cette dernière ne se confond pas avec cuisine d'apparat, par exemple. Et c'est ainsi que je rigole doucement quand, passant devant des restaurants asiatiques, je vois inscrit "gastronomie chinoise" : il n'y a aucune connaissance dans l'affaire mais seulement les éternels rouleaux de printemps, porc caramel, riz cantonais et boule coco.
Pour situer Brillat-Savarin, il faut évoquer Alexandre Balthazar Grimod de la Reynière, qui, quelques années plus tôt, publia de merveilleux textes de "gastronomie" avant que le nom ne soit donné. Grimod de la Reynière était un écrivain, mais un de ces écrivains qui se vouèrent à la bonne chère, tout comme Joseph Berchoux qui introduisit le mot "gastronomie" dans un de ses poèmes. Et parurent ainsi l'Almanach des gourmands, ou le Manuel des amphitryons à côté de réflexions sur le plaisir.
Brillat-Savarin, lui, colligea toute une série de connaissances, et fit un merveilleux bouquet de mille fleurs. L'apparence -je dis bien apparence seulement- scientifique du livre de Brillat-Savarin ne doit pas nous aveugler : il s'agit d'une œuvre de littérature et non pas une œuvre de physiologie, et non pas d'une œuvre de physique ou de chimie, et non pas une œuvre d'histoire ou de géographie...
Brillat-Savarin a voulu mêler tout cela pour faire un tout solide, une fondation de la gastronomie. Il parle de tout : de l'obésité, de la maigreur, de l'histoire ancienne de la cuisine, de repas célèbres, de recettes... Et son oeuvre s'apparente plutôt au mythe : les mythes fondateurs de la gastronomie au sens que j'ai évoqué précédemment : la connaissance raisonnée...
Mais n'oublions pas qu'un mythe, c'est un mythe, une légende... Certainement pas le récit d'histoires véridiques, et c'est ainsi qu'il faut prendre le texte de Brillat-Savarin. Il faut l'interpréter comme on doit interpréter les mythes.
L'attribution de la royauté d'Athènes à Thésée, qui aurait tué le Minotaure, doit s'interpréter : il faut chercher quelles relations Athènes voulait entretenir avec la Crète, par exemple. Ses exploits mythologiques de Thésée ne sont que mythologiques et il faut être bien enfant pour croire qu'il a tué le Minotaure.
De même, les rois de France avaient beau se faire oindre à la basilique Saint-Rémy de Reims, il faut être un esprit bien faible pour croire que leur pouvoir est véritablement d'origine divine...
Les mythes ? Ils expriment des idées dont nous devons nous méfier, et que nous aurons toujours intérêt à interpréter.
Même les passionnés de gastronomie, j'allais parler d'amoureux de gastronomie, même les passionnés de bonnes chère doivent prendre garde à leur aveuglement, à leur éblouissement selon les cas.
Mais ne boudons pas notre plaisir et relisons régulièrement la Physiologie du goût comme on vient humer une fleur d'un bouquet, puis une autre ; reculons-nous pour admirer la composition, rapprochons-nous pour mieux voir ; relisons d'une traite si nous avons une grande compulsion, feuilletons si nous avons l'âme plus vagabonde...
Mais relisons Brillat-Savarin pour célébrer le 200e anniversaire de sa publication de la Physiologie du goût.
Qu'est-ce qu'une perte ? un gaspillage ? La question doit considérer la comestibilité des ingrédients et il y a là une question bien difficile parce que, par exemple, certains mangent la peau des pommes et d'autres pas.
Pour cette peau, il ne faut pas oublier qu'il y a dedans des pesticides naturels, pas forcément très dangereux mais quand même présents : la peau de pomme est-elle comestible ?
Ce qui se pose comme question anodine pour la pomme se pose de façon plus importante pour la pomme de terre, car les trois premiers millimètres sous la surface contiennent des glycoalcaloïdes toxiques et, même si la mode est à manger les peaux de pommes de terre avec les pommes de terre, sans éplucher (par paresse, ou parce que certains ont intérêt à vendre une masse supplémentaire), il ne faut pas oublier que ces composés toxiques ne sont pas détruits par la cuisson. Les peaux de pommes de terre sont-elles donc comestibles ?
Il y a bien d'autres cas tel l'écorce de l'ananas qui, si l'on veut éliminer les yeux durs, impose de perdre un peu de cette délicieuse chair jaune. Ou encore le coeur dur des tomates, comestible sans doute mais qui manque vraiment de "charme gustatif".
Et puis il y a d'autres cas tel le marc du
café : avec un café filtre ou un expresso, les grands consommateurs de
café perdent une quantité de matière considérable, presque égale à la
quantité utilisée puisque seule une fraction part en solution dans l'eau.
Inversement, les amateurs de café grec ou turc consommeront beaucoup
plus de cette matière.
Bref la comestibilité et denrées avec une
chose bien compliquée et si l'on voulait aller jusqu'à une économie
complète, alors on mangerait jusqu'au cuir de nos chaussures en période
de disettes (cela s'est fait) puisque, après tout, il y a des protéines à l'intérieur. Ou bien,
comme certaines populations jadis en période de famine, on ferait des
galettes de glands en ajoutant de l'argile pour complexer les tanins et autres composés antinutritionnels (cela n'était pas su ; on faisait empiriquement). Nécessité fait loi mais je ne
suis pas sûr que nous ayons intérêt de considérer une définition trop
large de la comestibilité.