dimanche 8 décembre 2024

Il faut répéter, répéter, instruire, s'instruire, aider les autres

 Dans un article que je prépare, un rapporteur me propose d'évoquer les causes pour lesquelles certains scientifiques se laissent aller à l'emploi d'épithètes grandiloquents, qui n'ont rien à faire dans ces textes. 

Je modifie mon manuscrit en ajoutant une référence vers l'article que j'avais déjà écrit, à propos des adjectifs et des adverbes, mais la question de la pression qu'exercerait le milieu sur les scientifiques m'intéresse bien parce que je ne crois pouvoir ajouter une phrase à ce propos que si je trouve des références précises et quantitatives pour le dire. 

Surtout, ayant fait ce travail, je ne peux m'empêcher d'observer qu'il y a lieu de pilonner pour parvenir à changer les choses. Il faut faire de l'instruction initiale et de l'instruction continuée, il faut répéter et répéter encore, car ce serait de la plus grande naïveté que de croire que quelque chose dit une fois est entendu à jamais. 

Chaque jeune scientifique qui commence à écrire a besoin d'informations claires pour le faire, et la connaissance de la vie en général, et de l'imperfection des individus, ces derniers fussent-ils des professeurs avec des P très majuscules, doit conduire à penser que, statistiquement, les apprenants ne seront pas toujours entre des mains excellentes et qu'il y a donc lieu de trouver des moyens pour pallier les insuffisances des enseignants individuels qu'il rencontreront. 

C'est d'ailleurs la raison exacte pour laquelle je produis ces textes, cherchant à dire des choses anciennes sous un angle nouveau. Je suis bien convaincu que, dans les cours, les éditoriaux, nous nous répétons un peu, nous disons des choses déjà dites, mais l'effort de produire un texte nouveau, évalué afin de bien montrer l'exemple, permet aussi de remettre sur le devant de la scène des idées utiles qui pourraient  être oubliées. 

Oui, les institutions exercent une pression sur les individus, avec notamment ce mot d'excellence qui devient risible quand les tutelles scientifiques en abusent. Oui les institutions poussent les chercheurs à publier trop puisque des calculs comptables du nombre de publications interviennent dans les carrières, sans considération réelle de l'importance des travaux effectués. Oui les médias contribuent à faire dire aux scientifiques plus que ne disent exactement  leurs travaux... 

Mais il y a aussi l'égo de certains, la négligence d'autres, l'ignorance aussi et tout cela contribue à des textes parfois médiocres qui, ensuite, font une sorte de jurisprudence médiocre. Il y a donc lieu de dénoncer les articles de mauvaise qualité non pas individuellement mais plutôt en soulignant les imperfections communes que l'on rencontre trop souvent.
 

samedi 7 décembre 2024

A propos d'un nouveau diplôme

Si j'évoque ce diplôme de Paludier d'Honneur que viennent de m'envoyer les paludiers de Guérande, c'est parce que cela me permet de montrer que les agissements de certains agriculteurs, la semaine dernière, étaient déplacés, et leur discours faux. 

Que s'est-il passé ? Des agriculteurs sont venus rue de l'Université, pour murer le sièce de l'Inrae, au motif (faux, donc) que  l'Inrae aurait été une institution qui ne se préoccupe pas d'eux.

Bien sûr je sais interpréter, et je sais que ces personnes ne sont pas représentatives du monde agricole, malgré leur prétention à l'être, et  malgré leurs vociférations. Je sais aussi qu'ils agissaient de façon idéologique, se moquant parfaitement de la réalité des choses, et acceptant les mensonges pour des raisons politiques (injustifiables). Je ne me ferai jamais à la malhonnêteté.

En étant charitable, en supposant que certains aient été honnêtes, on pourrait imaginer que ces personnes étaient mal informés, mais alors n'avait-elle pas le devoir de s'informer mieux ? 

J'ai expliqué largement, sur les réseaux sociaux, combien notre Colloque "vigne et vin demain" avait été précisément fait à l'intention du monde viticole, qui ne s'y est pas trompé (ily avait des viticulteurs très intéressés dans la salle), et je n'y reviens pas, mais je profite de la réception de ce diplôme de Paludier d'Honneur pour signaler qu'une fois de plus, mon institution est mise à l'honneur par le monde professionnel qu'elle  aide. 

En effet, j'ai pris sur mon temps de recherche un grand moment pour recevoir au laboratoire mes amis paludiers, pour discuter avec eux de leurs techniques, de possibilités technologiques, d'innovations, etc. Ces personnes avaient eu la courtoisie de me demander combien je voulais être payé et j'ai répondu que, au service des citoyens, je ne voulais pas recevoir d'argent. 

Je ne suis pas exemplaire : je crois que beaucoup de mes collègues de l'Inrae et sont comme moi, au service des citoyens et j'ai une très haute idée de mon institution : elle mêle la recherche scientifique et l'accompagnement des professionnels jusqu'aux gestes techniques, dans les champs de l'alimentation, de l'agriculture, de l'environnement. 

Aux gesticulations, aux vociférations, il faut opposer un discours vigoureux et juste, il y a lieu de montrer que nous sommes très actifs, mais nous ne devons pas oublier de faire savoir cette activité. 

En l'occurrence, avec ce diplôme, il me suffit d'être très actif puisque les amis professionnels du sel ont pris le relais de la communication, et je les en remercie vivement parce que leur geste dépasse la relation qu'ils ont avec moi et rejaillit sur mon institut de recherche et les rapports que cette dernière entretient avec tous les citoyens français. 





Leibniz ?

 Relisant un article un numéro spécial d'histoire des sciences consacrées à Gottfried Wilhelm Leibniz, je suis bien déçu d'apprendre qu'il publia un long mémoire invitant à voter pour l'Electeur de Hanovre sans le signer et en l'anti-datant de 10 ans. 

Quand ensuite j'en arrive à la querelle de priorité concernant la découverte du calcul différentiel, j'apprends aussi qu'il a publié un texte anonyme pour contribuer à la controverse avec Isaac Newton, et cela ne  le grandit pas dans mon estime. 

Il semble d'ailleurs que son travail soit né de documents qu'il aurait vus à la Royal Society et que les idées glanées là l'auraient ensuite conduit au développement mathématique que l'on connaît. 

Pour ce dernier point,  on  peut difficilement lui en faire reproche, car la science se nourrit de tout ce que nous voyons régulièrement publié. Et nous nous échelons les uns les autres comme disait les Grecs. 

Mais en l'occurrence, j'ai du mal à oublier les deux premiers épisodes et surtout, je sais que les personnes un peu malhonnêtes le sont durablement, et qui perd ma confiance de ce point de vue la perd durablement aussi. 

Bien sûr, dans les querelles de priorité à propos du calcul différentiel, il y a eu cette opposition de l'Angleterre et de ce qui n'était pas encore en Allemagne mais quand même,  ce que j'apprends de Leibniz me déçoit, et comme je suis d'assez mauvaise foi, je me range facilement du côté de Voltaire qui se moquait de lui avec le Pangloss de Candide.

jeudi 5 décembre 2024

La "rédaction scientifique"

La rédaction scientifique ? On voit si souvent l'adjectif "scientifique" malmené que cela vaut la peine de s'interroger. 

D'autant que l'on sait que les adjectifs sont souvent à l'origine de confusion : pour parler du cortège du président, par exemple, il faut parler... du "cortège du président", ce qui n'est pas la même chose que le "cortège présidentiel", car un cortège n'est "présidentiel" que s'il est lui-même un président. 

Autre faute courante : "sciences appliquées". Bien des grands anciens, à commencer par Louis Pasteur, ont bien expliqué que cela n'existe pas, ne peut pas exister. Il y a des applications des sciences, mais pas de sciences appliquées, parce que, si c'est une application de la science, alors c'est... une application de la science, mais pas de la science. 

Alors, rédaction... scientifique : de quoi s'agit-il ? 

Si une rédaction traite de travaux scientifiques, si elle relate des travaux scientifiques, ce n'est pas une "rédaction scientifique". Et  une rédaction n'est scientifique que si elle est un travail scientifique.

D'ailleurs, certaines équipes de recherche scientifique font appel à des rédacteurs pour rédiger leurs articles scientifiques : la rédaction par ces personnes, par ces rédacteurs, n'est pas un travail scientifique. C'est de la rédaction. 

Nous en revenons à cette discussion d'il y a quelques jours où j'évoquais l'intérêt de faire des projets d'une façon véritablement scientifique, de ne pas perdre son temps à faire des projets bâclés, mais, au contraire, à profiter de l'occasion pour faire de la science. 

De même, la rédaction d'un article scientifique doit être une rédaction scientifique, c'est-à-dire la possibilité passionnante de poursuivre le travail expérimental par un travail théorique. 

C'est au moment de la rédaction notamment (mais pas seulement bien sûr) que l'on doit insister sur la partie conceptuelle, abstraite du travail. C'est à ce moment que les données peuvent prendre une importance qui dépasse la simple mesure, le simple travail technique de caractérisation quantitative. 

La rédaction scientifique ne consiste donc pas à aligner des mots plus ou moins bien, mais bien à faire un travail scientifique... ce qui me conduit à rappeler les étapes de la méthode scientifique :
- identification d'un phénomène,
- caractérisation quantitative du phénomène,
- regroupement des résultats de mesure en équations,
- regroupement des équations et introduction de concept pour former des théories,
- recherche de conséquences testables des théories
- test expérimentaux de ces conséquences. 

Au fond, tout cela peut se faire en quelque sorte lors d'une véritable rédaction scientifique. Par exemple, l'identification du phénomène, qui bien sûr aura été faite avant le travail expérimental, pourra être reprise en introduction de l'article que l'on prépare : il y a lieu de bien définir le phénomène, et la rédaction permet, quand nous exposons cela à nos lecteur, de vérifier une fois de plus que nous avons bien cerné la chose. 

Puis, la caractérisation quantitative sera évidemment déjà faite, mais la rédaction sera la possibilité de prendre du recul sur cette caractérisation et de l'évaluer en quelque sorte. Pour les parties de "Matériels et méthodes", notamment, a rédaction scientifique n'est pas l'énoncé d'une liste sans intérêt mais au contraire une présentation raisonnée, que nous pouvons à nouveau discuter intelligemment. 

Puis, pour le regroupement des données en équations, c'est aussi, sans doute, un travail qu'on aura fait avant la rédaction scientifique, mais cette dernière  sera une occasion de le reprendre, de l'évaluer. 

Puis, le regroupement des équations et d'introduction de nouveaux concepts feront  le véritable grand moment scientifique, essentiel, puisque  les données expérimentales servent précisément à cela. 

Les conséquences testables de la théorie ? Soit elles auront été testées dans le travail expérimental, soit la rédaction scientifique sera l'occasion de les énoncer, de les rechercher, et de conduire à une conclusion plus enthousiasmante qu'un simple rappel des résultats présentés dans la partie "Résultats" de l'article.  

Bef, la rédaction scientifique est un moment passionnant de l'activité scientifique parce que c'est un moment de science, de cette sens qui nous passionne tant.

A propos de farines

 Il y a des types de farine différents, mais les plus courantes sont celles de type 45 et de type 55, et nombre d'auteurs de livres de cuisine recommandent très expressément d'utiliser parfois les unes et parfois les autres selon les préparations. 

Toutefois, le type n'est pas une notion très utile parce qu'il s'agit en réalité du taux de cendres et non pas nécessairement de la quantité de protéines susceptible de faire ce réseau viscoélastique que l'on nomme le gluten. 

Mais ce qui est dit est-il juste ? J'aime beaucoup les tests expérimentaux bien faits. Or aujourd'hui, dans notre séminaire de gastronomie moléculaire, nous avons fait des pâtes à foncer avec les mêmes quantités d'ingrédients à savoir 200 g de farine pour 100 g de beurre et 70 g d'eau, soit avec une farine de type 45,  soit avec une farine de type 55 :  les préparations étaient faites de la même manière, et les échantillons étaient cuit tous ensemble, dans le même four avec une répartition des échantillons qui permettait de juger d'irrégularités éventuelles de cuisson, au centre du four ou sur les bords. 

Puis nous avons fait des tests triangulaires pour savoir si des personnes pouvaient ou non distinguer des différences de consistance des différentes pâtes. 

Le résultat est clair : nous n'avons pas perçu de différence entre des pâtes à foncer faites à partir de farine de type 45 et des pâtes à foncer identiques mais à partir de farine de type 55. 

Nous avons profité de l'occasion pour tester deux manières de préparer les pâtes  : soit par un sablage préalable de la farine avec le beurre puis l'ajout d'eau, soit par le travail de la farine avec de l'eau et ensuite l'ajout de beurre. 

Visuellement, les pâtes avant cuisson était différentes et les secondes étaient notamment plus collantes que les premières... mais après cuisson, les tests sensoriels n'ont montré aucune différence et l'apparence d'ailleurs elle-même n'était pas différente non plus. 

Bref il y a lieu de réviser nos certitudes à propos des pâtes à foncer  : quand je vous disais que rien ne vaut l'expérience  !

mercredi 4 décembre 2024

À la réflexion, je suis étonné que tant de discours théorique soit donné avec tant d'aplomb... mais si peu de bases solides.

À la réflexion, je suis étonné que tant de discours théorique soit donné avec tant d'aplomb... mais si peu de bases solides. 

Je considère par exemple l'amollissement des légumes lors d'une cuisson. La théorie stipule que les échauffement (la "cuisson") dégradent les molécules de pectine, qui seraient comme des cordages entre les fibrilles de cellulose. 

Pourquoi pas, mais cherchons qui a établi cela ? On découvre alors qu'il existe des travaux sur la réaction de "bêta élimination" des pectines, mais cela a été fait en milieu basique et, et non pas en milieu acide, ce qui est le cas général des aliments. 

Cela étant, les pectines sont des polysaccharides avec une liaison O-glycosidique, dont on sait qu'elle peut se faire en milieu acide. Bref, il y a des hydrolyses par des mécanismes différents, et, à ma connaissance, on n'a pas regardé ce qui se passait vraiment, mécanistiquement, dans les carottes que l'on cuit. 

Sans compter que je réclame des études quantitatives, et non pas seulement de vagues descriptions : de combien les pectines sont-elles hydrolysées, en pratique culinaire ? Ces polymères que sont les pectines  sont composés de centaines ou des milliers de résidus, et il faut savoir après combien de temps on obtient des monomères.  

Bref, ce tableau que l'on avait brossé rapidement et négligemment est bien plus passionnant qu'il n'y paraissait, et il faut être honnête, et reconnaître que  l'état de que nos connaissances est bien plus embryonnaire que les publications ne le laissaient penser.
 

Il y a lieu de consacrer de nombreux travaux à cette question. Et il faut ajouter que ce n'est pas un cas isolé et que par exemple, je répète depuis des années voire des décennies qu'il est paradoxal que nous ayons des milliers d'articles consacrés au thé, à ses différents goûts selon les variétés, l'environnement, etc., mais je ne connais aucun article  consacré au mécanisme par lesquels les composés qui forment le goût du thé sont libérés dans l'eau à partir des feuilles. 

Je cite deux cas, mais il y en a  une infinité : toutes nos connaissances sont dans cet état très rudimentaire et c'est pour cette raison que la gastronomie moléculaire et physique s'impose absolument, urgemment : à un moment où l'on ne cesse de nous parler d'innovation, il y a vraiment lieu de comprendre ce que l'on fait pour faire différemment, et mieux. 

Je prends sur mon temps de recherche scientifique pour publier des cours. Ai-je raison ?

L'été dernier, j'avais publié un cours sur la synthèse de recherches bibliographiques. C'est initialement une réponse à des questions d'étudiants de master, une question d' "enseignement", mais la rédaction de  ce cours m'a conduit à faire progresser ma pratique initiale. Le document est maintenant complet, rigoureux, évalué par les pairs et public : il peut être communiqué à tous les étudiants qui ont à faire un tel travail. Ai-je eu raison d'y passer tant de temps ? 

À minima, j'ai beaucoup progressé personnellement lors de la rédaction de ce document, notamment parce qu'il m'a conduit à mieux explorer les intérêts et les inconvénients de l'intelligence artificielle appliquée à la recherche bibliographique, et aussi à la recherche scientifique. 

Actuellement, c'est un autre cours que je prépare, à propos de la méthode d'analyse descendante des phénomènes :  j'explique en substance que l'on a toujours intérêt à ne pas sauter d'étape lors de l'interprétation des phénomènes et à passer successivement, étape après étape, de l'analyse macroscopique des phénomènes à l'analyse microscopique, puis à l'analyse supra moléculaire et, enfin, à l'analyse moléculaire, chimique. 

Lors de la préparation de ce cours, j'ai été conduit à observer à calculer une proportion de modification moléculaire pour les différentes préparations culinaires. Mais ce type de calcul peut être fait pour tout procédé technique, en réalité. 

Dans mon texte, je fais une apologie de la chimie, que je vois comme l'étape ultime de l'analyse, et non seulement je me vois conforté dans mes idées et mes motifs personnel à propos de la chimie (qui me passionne !), mais je vois mieux le raisonnement qui conduit à ces idées et motifs, au lieu d'être mu seulement par un vague sentiment. 

Surtout, devant expliquer tout cela à mes jeunes amis (les "étudiants"), je suis conduit à prendre des exemples et, pour ces derniers, je suis non seulement amené à bien dérouler la théorie, sans faille, mais aussi à justifier ce que j'avance  par des recherches bibliographiques serrées. 

J'apprends beaucoup lors de la préparation de ce texte et je suis bien sûr qu'il rendra grand service aux étudiants qui en disposeront, mais il me faut revenir à la question initiale : ai-je raison de prendre sur mon temps pour faire ce document ? 

A minima, je vois que je suis conduit à "serrer les boulons" à propos de mes propres connaissances, à chercher des publications récentes sur les thèmes que j'aborde et à améliorer les théories dont je dispose, et que j'expose. 

Je vois aussi que je suis amené à apprendre moi-même,  notamment à propos de certaines réactions que j'utilise dans les exemples que je donne.
Je vois que je renforce mes réflexes scientifiques à la fois dans les interrogations que je fais, les questions que je me pose, mais aussi à propos de l'état des connaissances générales de la communauté scientifique dans les sujets que j'ai choisis comme exemple. Je vois mieux des insuffisances de ces dernières et cela me conduit à penser que, les questions étant bien posées, les travaux scientifiques peuvent ensuite se faire mieux. 

Bref, je vois beaucoup d'intérêt à la rédaction de ses cours, mais, si je n'ai pas de mauvaise foi, il faut que je m'interroge sur cette question de "lever un grand voile", le véritable travail scientifique : la rédaction de ses cours contribue-t-elle vraiment à cela ?