lundi 19 février 2024

Température de cuisson des financiers et des gâteaux

Une question : 

Lors d'un de mes cours en pâtisserie nous devions réaliser des financiers et autres cakes lorsqu'un de mes apprentis me posa une "colle" : quelle est la température à laquelle le cake est il cuit ? Je lui demandais pourquoi il cherchait une température précise, il me répondit que c'était pour limiter l'évaporation de l'eau et donc d'optimiser le moelleux. D'où mes questions : quelle est la température idéale pour la cuisson à coeur d'un cake, peut on cuire un cake façon "basse température" ? Est il préférable de cuire un cake : 40 minutes à 175 ° ou à 140 pendant 1 heures par exemple ? Après cuisson quel est l'attitude la mieux adaptée: mettre le cake sur grille (sorte de ressuage) mais perte d'eau, ou mettre directement les cake en cellule de refroidissement afin de limiter l'évaporation ?

 

 Je propose la réponse suivante : 

 

Un cake, c'est : 

- de l'oeuf 

- de la farine 

- du beurre 

- du sucre. 

Le sucre, tout d'abord, reste stable environ jusqu'à 140 degrés, après quoi il caramélise. 

Le beurre, ensuite, finit de fondre vers 55 degrés, et, ensuite, ses protéines peuvent se dégrader, quand la température augmente considérablement (pensons au beurre noisette). 

La farine est faite de grains d'amidon, qui évoluent quand ils sont chauffés en présence d'eau. D'abord, de l'eau est absorbée entre les espaces amorphes des grains, ce qui conduit à un gonflement. Puis l'eau entre dans les zones où l'amylopectine est concentrée. Les molécules d'amylose passent alors en solution ; la fraction cristalline diminue jusqu'à ce que les grains perdent leur biréfringence en lumière polarisée. Enfin les molécules d'amylose sont relâchées dans l'eau environnante. Au total, selon la nature des amidons, la température de gélatinisation est comprise entre 55 et 85 degrés, ce qui signifie, en pratique, que la température de 85 degrés est la température maximale à considérer, du point de vue qui nous intéresse. 

Pour l'oeuf, enfin, il y a des températures de coagulation différentes, entre 61 et 100 degrés : plus la température est élevée, plus la coagulation est "ferme" (parce que le nombre de protéines qui ont coagulé est alors maximum). 

De ce fait, on pourrait considérer qu'une température de 85 degrés serait parfaite pour conserver du moelleux... mais la petite croûte de surface ? Et puis, si l'on veut limiter l'évaporation de l'eau, pourquoi ne pas ajouter de l'eau avant la cuisson, pour que l'évaporation en laisse autant que l'on veut ? En tout cas, il faut effectivement considérer les temps : dans ce qui précède, j'ai considéré que les températures indiquées étaient les températures à coeur... et l'on pourrait imaginer de cuire plusieurs heures à 85 degrés (par exemple), avec un coup de chalumeau (pas de flamme qui dépose des benzopyrènes cancérogènes : privilégiez un pistolet décape peinture) pour faire la croûte brune (quelques réactions de Maillard, mais surtout de la pyrolyse et de la caramélisation, sans compter les diverses oxydations, déshydratation intramoléculaires, hydrolyses...) et croustillante.

A propos de cuisine note à note : je ne suis pas nutritionniste ni toxicologue... mais il y a des faits simples !


Ce matin, je reçois le message suivant : 

"Quelques question qui me travaillent depuis votre présentation "note à note", il y a deux semaines". 

Suivent les questions, auxquelles je propose de répondre ici : 

"Si tout peut être fait à partir de poudres, la notion d'aliment "frais" n'apporte rien de plus à l'humain ?" 

Le frais est quelque chose de bien difficile... et nous avons même eu une thèse sur ce sujet au laboratoire. Il y a le pain frais, par exemple, et c'est un fait qu'une baguette qui sort du four n'a rien de comparable avec la même baguette qui a attendu. Dans ce cas, on comprend parfaitement le mécanisme. Pour le poisson, le frais... se sent immédiatement, surtout pour la raie ! 

Pour les viandes, c'est bien compliqué, parce que la tendreté de la viande évolue avec la temps qui s'est écoulé depuis que l'animal a été abattu. Une viande d'un animal jeune est tendre, juste après l'abattage. Puis la viande durcit (c'est la "rigidité cadavérique", ou rigor mortis), parce que les muscles qui ne reçoivent plus d'impulsions électriques cohérentes du cerveau se contractent et accumulent de l'acide lactique, ce qui fait comme des crampes. Puis, progressivement, l'acidité de l'intérieur des fibres musculaires vient dissocier des agrégats de protéines, et c'est l'attendrissage que savent bien orchestrer les bons bouchers : on dit que la viande rassit... et elle coûte alors plus cher, bien sûr, parce qu'il faut stocker la viande, ce qui immobilise des fonds. 

Pour les légumes et fruits, enfin, on ne dira jamais assez combien il y a des qualités différentes en fonction de la fraîcheur : les premiers haricots sont merveilleux, mais la troisième repousse est plus coriace ; et des légumes sortis du jardin sont bien différents des mêmes légumes qui auraient attendu sur un étal, fut-il d'épicerie bio. Qu'apportent ces légumes et fruits ? De l'eau, des fibres, des sucres (carottes ou oignons apportent principalement glucose, fructose, saccharose, mais les pommes de terre apportent aussi de l'amidon), des acides aminés et des protéines, des polyphénols (pas tous bons), des vitamines, et de nombreux autres composés. Par exemple, des poireaux apportent des composés bêta bloquants, ou encore l'estragon et le basilic sont des sources de ce composé qui fait leur goût et qui a pour nom "estragole", composé cancérogène et tératogène. Le frais aurait-il quelque chose de plus que le moins frais n'aurait pas ? Très honnêtement, je ne sais pas... mais je sais que les légumes et fruits, frais ou non, ne sont plus frais quand ils sont cuits, ou coupés. Par exemple, on sait qu'une pomme brunit quand elle est coupée (parce que la lame du couteau libère alors des polyphénols et des enzymes). Mais on sait aussi qu'un fruit chauffé fortement fait une compote, parce que les pectines qui font le ciment entre les cellules sont dégradées par la chaleur. Les vitamines ? On a dit que la vitamine C, par exemple, était dégradée par la cuisson, mais elle l'est en réalité bien peu, avec la cuisson d'une compote. Le carotène bêta, qui contribue fortement à la couleur orange des carottes et qui est la "provitamine A" (elle est transformée en vitamine A), est davantage assimilable à partir de la purée de carottes qu'à partir d'une salade de carottes. 

La question est donc bien difficile... car nous sommes bien ignorants, encore, de la nutrition, mais, inversement : (1) pour des effets petits (pas encore découverts, car petits), il y a mille faits avérés... dont nous ne tenons pas compte : par exemple, on sait que le tabac, l'alcool, le fumage, le barbecue, et ainsi de suite sont mauvais pour la santé... et cela n'empêche personnes de se laisser aller (2) derrière la question du frais, il y a souvent (je n'ai pas dit que c'était le cas de ma correspondante) du "vitalisme", la croyance que le vivant n'est pas réductible aux lois physico-chimiques ; il y aurait une force vitale qui s'ajouterait à la physico-chimie. Là, aucune discussion possible, parce que le vitalisme de relève de la foi... mais je ferais observer que le vitalisme ne cesse de perdre du terrain, depuis que les chimistes travaillent. Au 18e siècle, il y eut la synthèse de l'urée, molécule organique, du domaine vivant donc, à partir d'une matière minérale. Puis il y eut la chimie de synthèse, qui sait reproduire à peu près n'importe quelle molécule de l'organisme. Puis il y eut la découverte de l'ADN, et l'on sait aujourd'hui faire des molécules d'ADN qui se multiplient toutes seules. Plus récemment, il y eut la construction de "vésicules", de petits sacs moléculaires analogues à des cellules vivantes, et, mieux encore, la construction de vésicules capables de se diviser, comme des cellules vivantes. Il y eut la synthèse de virus, entièrement artificiels, mais en tous points semblables à des virus classiques (la grippe...). On attend pour (j'espère) bientôt la construction d'une cellule vivante, avec un ADN synthétique, dans une vésicule synthétique, des enzymes synthétiques... 

 

"Existe-t-il une liste de nutriments journaliers de référence qui apporterait tout ce dont l'humain a besoin pour vivre ? " 

Je ne sais pas, mais puisque la cuisine note à note est l'objet de la discussion, je vais reprendre les choses différemment. Une précision, pour commencer : les composés de la cuisine note à note ne sont pas nécessairement des "poudres" ; il peut y avoir des liquides... car l'huile, par exemple, est un mélange de triglycérides ; l'eau est un composé, également, liquide aussi, et indispensable pour la cuisine note à note ; et ainsi de suite. D'où viendront ces composés ? Et pourquoi pas des végétaux ? Après tout, l'huile vient des végétaux, comme l'amidon, ou encore les pectines (même celles qui sont vendues en sachets), ou encore le sucre, qui provient des betteraves. Imaginons que nous cultivions des plantes, et que nous divisions ces dernières, récupérant l'eau, les sucres, les protéines et les acides aminés, les polyphénols, les vitamines... sans rien jeter au cours du "fractionnement" : tous les composés des plantes seront conservés, de sorte que si l'espèce humaine se nourrit depuis toujours avec des plantes, il n'y a pas de raison pour laquelle elle ne pourrait pas se nourrir... avec les plantes, sous une forme de composés isolés. 

Evidemment (on voit que je réponds honnêtement), on pourrait synthétiser des composés des plantes : par exemple, il est bien moins coûteux de produire de la vanilline (principal composé de l'odeur de vanille) à partir de pâte à papier que d'en faire un extrait à partir de gousses de vanille, mais la molécule est la même, synthétisée ou extraite... et puis, la vanilline n'est pas utile pour vivre, sauf à considérer que le bonheur du goût est essentiel à la survie (et je suis de ceux qui pensent que le bonheur du goût est effectivement essentiel). 

 

"On parle beaucoup de la nécessité de se créer une flore intestinale "vitale" pour notre immunité. Si toute cette alimentation est composée d'aliments connus, comment former cette flore . " 

Une alimentation composée d'aliments connus ? Je ne suis pas certain de bien comprendre la question, alors je réponds comme je peux. Oui, nous en sommes à un moment très merveilleux de la science de la nutrition, qui découvre l'importante de la flore intestinale. On découvre notamment que cette flore s'établit dès la naissance, et qu'il y a des associations remarquables entre la flore et l'organisme. On découvre aussi que si l'on mange des algues, lesquelles contiennent des sucres non assimilables, alors en une semaine, les micro-organismes qui vivent sur les algues et qui, eux, savent "manger" les sucres, transfèrent leurs gènes à notre flore, laquelle devient capable d'assimiler les sucres des algues. Et ainsi de suite. Surtout, "aliments connus" ou composés, nous sommes entourés de micro-organismes, et ils viendront tout aussi bien nous coloniser (ou ne pas nous coloniser, car il a été montré que notre flore indigène résiste assez bien aux "envahisseurs", ce qui, d'ailleurs, sape un peu la possibilité de modifier durablement notre flore. Cela dit, mon interlocutrice m'entraîne sur un terrain qui est la nutrition, qui est passionnant, mais dont je ne suis pas spécialiste. J'appelle donc mes collègues nutritionnistes à explorer ces nouvelles questions... en rappelant à tous que nos comportements alimentaires, cuisine note à note ou cuisine traditionnelle, sont parfaitement incohérents : je rappelle le tabac, l'alcool, le barbecue, et tout le reste : thé, café, chocolat, huile d'olive ou non, herbes aromatiques. Deux cerises sur le gâteau pour terminer : - hier, j'ai rencontré des amis de la nature qui mangeaient les baies de l'if (sans croquer la graine toxique, certe) : qu'avons-nous besoin d'avoir des comportements à risque ? - et la mode est aux pommes de terre que l'on ne pèle plus (oui, c'est du travail en moins)... mais qui, jeunes ou vertes, bio ou pas, contiennent des glycoalcaloïdes toxiques, qui résistent à la cuisson : je m'étonne que l'on procède ainsi quand, au même moment, on me dit que l'on veut "manger sainement".

dimanche 18 février 2024

Comment être un bon convive ?

Jean-Anthelme Brillat-Savarin préconisait de parler sans prétention et d'écouter avec complaisance. Est-ce suffisant pour être un bon convive ? La question est difficile, et cela vaut la peine d'analyser la question. 

Pensons que, dans les dîners, il y a notre personne, et nous dans la collectivité. Pour être heureux, nous devons être heureux personnellement, et nous devons être heureux ensemble. 

Etre heureux personnellement ? Il y a cette phrase merveilleuse, terrible mais juste, selon laquelle un égoïste est quelqu'un qui ne pense pas à moi. Oui, celui qui prend le sot-l'y-laisse de la volaille sans me l'offrir, celui qui prend la cerise sur le gâteau au mépris des autres, dont moi-même, n'est pas un bon convive... 

A contrario, il faut donc que je comprenne que, si je tiens à un repas réussi, où les autres soient aussi heureux que moi, je ne dois pas prendre le sot-l'y-laisse, ni la cerise sur le gâteau. D'ailleurs, si chacun est comme moi, on offrira les belles parties à chacun, qui le refusera, tour à tour, de sorte que chacun aura été "honoré", en sera heureux individuellement. Mieux, ainsi, on aura donné au groupe l'occasion de choisir, pour une raison particulière qui pourra être discutée, et mettra en valeur un membre du groupe, qui en aura reconnaissance à tout le groupe, donc à chacun. 

Ce qui vaut pour la nourriture vaut pour la conversation, et l'on sait combien les autres sont heureux que l'on s'intéresse à eux, qu'on les questionne sur eux, sur leur santé, leur bien-être... ce qui conduit à penser que, comme pour le sot-l'y-laisse, on en arrive à une situation où chacun renvoie vers l'autre la question de parler de lui. Si d'aventure un convive ne la renvoyait pas, il nous serait reconnaissant de nous être enquis de lui, et nous aurions le bonheur de l'avoir rendu heureux. Et si nous sommes en mesure ou en devoir de répondre, ne pourrions-nous penser que se plaindre, être négatif, c'est poser du repoussant sur la table ? A contrario, proposer un sujet positif, c'est illuminer le coeur des autres. 

Oui, l'optimisme n'est pas une tournure d'esprit, mais une politesse, et le pessimisme est une impolitesse. Et si tous repoussent la possibilité de parler d'eux ? Alors on parlera d'autre chose que de soi, et ce sera encore mieux. Ne pourrait-on parler de ce qui est beau, de ce qui est émouvant, de ce qui est bon, de ce qui contribue à la bonne marche du monde ? Ne gagnerions-nous pas à partager avec nos commensaux nos émerveillements ? 

Ce qui est clair, c'est que la commensalité est une attention de toutes les secondes. Elle se prépare, elle se déguste, elle se savoure. Récemment, j'ai croisé dans la rue un de mes amis, Etienne Guyon, qui marchait en lisant. Que lisait-il ? Un poème. Pourquoi ? Parce qu'il prévoyait une marche avec des amis, et qu'il voulait apporter à la discussion un objet précieux, tout comme on apporte un mets quand on va retrouver des amis pour un pique-nique. Quelle belle idée !

Le parallèle entre le règne animal et le règne végétal peut-il nous aider à cuisiner ?



 Les ressemblances -et les différences- physico-chimiques des règnes animal et végétal sont fascinantes, surtout quand on se souvient qu'elles résultent de la longue évolution qui a conduit à ces deux règnes du vivant. 

Les ressemblances ? Dans le sang, par exemple, nous avons des pigments nommés hémoglobine, dont le centre est un groupe « hème ».
Pour les végétaux, de même, les chlorophylles sont des pigments dont le coeur est un noyau tétrapyrrolique, tout à fait apparenté au groupe hème. 

La ressemblance étant établie, les différences peuvent s'étudier, et notamment le fait que l'atome de fer des animaux corresponde à l'atome de magnésium des végétaux. Pourquoi l'un ? Pourquoi l'autre ? En tout cas, ils conduisent tous les deux à l'apparition d'une couleur brune, quand les tissus des deux sortes sont cuits ! 

Autre exemple : celui du matériau qui entoure les cellules vivantes. Pour les animaux, c'est le tissu collagénique qui, comme son nom l'indique, est fait d'une protéine nommée collagène. Pour les végétaux, la membrane est entourée par la paroi cellulaire, laquelle est faite de molécules de celluloses et de pectines. Quoi de commun ? La cuisine rapproche les deux tissus, de ce point de vue, car la cuisson des végétaux, tout comme celle des viandes, conduit à un attendrissage.
Dans le premier cas, les pectines sont dégradées par une réaction nommée « bêta élimination », qui n'est en réalité qu'une hydrolyse, et, dans le second cas, ce sont les protéines qui sont dissociées, également par une hydrolyse. D'ailleurs, cette cuisson conduit à des gels dans les deux cas… quand on s'y prend bien. Lors de la cuisson d'une confiture, si l'on extrait les pectines sans trop les dégrader, elles forment ensuite les gelées ou les confitures.
Pour la cuisson des viandes, aussi, on obtient des protéines (qui prennent alors le nom de gélatines), qui, si l'on s'y prend bien, forment un gel, au refroidissement. Dans les deux cas, la cuisson prolongée ne permet plus la formation du gel, parce que la dégradation des « polymères » que sont les pectines ou la gélatine a été excessive. La cuisine peut-elle gagner à poursuivre le parallèle ?

samedi 17 février 2024

Les bases : quelles bases ?

La cuisine n'est pas épargnée par les débats sur sa pratique, son évolution, son enseignement. 

Evidemment, il y a un lien important entre les trois champs. L'enseignement, notamment, doit former des jeunes cuisiniers qui ne soient pas "à la traîne" des établissements où ils vont travailler. Et l'ensemble doit évoluer, parce que la "nouveauté" est toujours un avantage concurrentiel. 

Autrement dit, l'enseignement doit être constamment réformé, parce que la technique évolue. Et comme l'éventail des possibilités est immenses, on ne peut pas tout enseigner, et il faut choisir. Que choisir ? 

Souvent, on me parle des « bases » de la cuisine, et l'on me dit qu'il faut que les jeunes aient des « bases ». Pourquoi pas, mais quelles sont ces bases ? Le rôtissage, sur le feu (ou, plus exactement, à côté) est-il une base ? Le fait que ce mode de cuisson ait quasiment disparu des cuisines a conduit à en supprimer l'enseignement, pour le remplacer, judicieusement je crois, par un enseignement de la "cuisson", en général. On est passé à la technologie, plutôt qu'à la technique. 

Cela dit, j'observe que certains cuisiniers rôtissent. La proportion de ces cuisiniers est minime, de sorte que nous sommes conduits à conclure que le "référentiel" (ce qui est exigible à l'examen) se fonde sur la fréquence des opérations. Et c'est notamment ce type de raisonnement qui a conduit à supprimer l'enseignement des opérations non pas périmées (le fait qu'elles existent montre que l’obsolescence n'est qu'en termes de fréquence, pas en terme de technique proprement dite). 

Autrement dit, c'est en termes de fréquences, d'une part, mais aussi de volonté de conserver un patrimoine, d'autre part, que nous devons réformer l'enseignement de la cuisine. De sorte que, selon cette ligne de raisonnement, nous devrions panacher un enseignement des techniques modernes et des techniques anciennes. 

La confection de quenelles est ancienne et patrimoniale : gardons-en l'enseignement... surtout qu'elles peuvent être faites par un robot. L'utilisation des siphons est moderne (et fréquente) : introduisons-la. Certains professionnels font observer que le siphon est une fioriture, et qu'un bon fouet à l'ancienne permet de s'en tirer, en toutes circonstances. Oui, mais on pourrait également dire que quatre fourchettes permettent de remplacer un fouet. Ou encore, on me dit que l'emploi de l'alginate de sodium est secondaire, et que la confection de gels de gélatine à partir du pied de veau permet de s'en tirer... à quoi je réponds qu'il est plus facile de trouver dans les commerce de la gélatine et de l'alginate de sodium que du pied de veau. Et que l'alginate se trouve, avec l'agar-agar, dans toutes les cuisines. On me dit que les appareils pour cuire à basse température ne sont pas partout... à quoi je réponds qu'il suffit d'une cocotte et d'un four bien réglable pour cuire à basse température. De toute façon, ce type d'argument ne tient pas : oui, de même, on pourrait dire que l'ordinateur ne s'impose pas à l'école, puisque, en cas de panne d'électricité, un crayon fait l'affaire. Certes, mais l'expérience prouve que nous avons tous des ordinateurs. 

Enfin, pensons à la cuisine en terme de ces fameuses "bases". Si l'on met de côté la cuisine note à note, qui reste très novatrice, il est exact que nous mangeons surtout des tissus animaux et végétaux traités thermiquement. C'est une base. D'autre part, il y a des sauces (salées ou sucrées : le sucre est l'élément différenciant essentiel), qui sont toutes fondées sur les mousses, les émulsions, les gels, les suspensions... Ce sont donc des bases. Plus exactement, les diverses sauces ne sont pas des bases, et ce sont les systèmes physico-chimiques que sont mousses, émulsions, gels, suspensions... qui sont des bases. Ne devrions-nous pas les enseigner en priorité ?

vendredi 16 février 2024

Affaires de bobos ?

 
Depuis quelque temps, une certaine presse fait frémir le bourgeois à l'idée qu'il puisse manger des insectes. Rarement un sujet aussi anecdotique n'a attiré tant de presse... avec aussi peu de raison. 

La consommation d’insectes connaît un certain engouement (encore très modeste…) dans les régions du monde où on découvre cette source alimentaire. Mais si les insectes sont vantés pour leur richesse en protéines et en vitamines, l’Agence nationale française de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses) a émis son premier avis sur le sujet : elle appelle à la vigilance, après avoir dressé un état de lieux des connaissances scientifiques sur les risques sanitaires liés à l’entomophagie (consommation d’insectes), ainsi que sur l’élevage et la production de ces animaux pour l’alimentation. 

L’Anses souligne notamment les dangers associés aux substances chimiques (comme les venins), physiques (les dards, les rostres), aux allergènes, parasites, virus et autres, peu explorés mais possiblement présents dans ces aliments. 

En attendant la mise en place de normes spécifiques et d’un encadrement adapté, l’Anses recommande la prudence aux consommateurs, en particulier ceux présentant des prédispositions aux allergies. Elle rappelle ainsi que certains insectes partagent avec les mollusques, les crustacés et les acariens, des substances allergisantes auxquelles de nombreuses personnes sont sensibles. 

Bref, il est quand même étonnant qu'un certain public soit si chatouilleux à propos de composés phytosanitaires, et si audacieux à propos de bestioles que je ne trouve pas spécifiquement ragoûtantes. Les derniers grillons que j'ai consommés, en provenance du Mexique, étaient... salés, parce que, frits, on y avait ajouté du sel.

mercredi 14 février 2024

Pour enseigner, pensons stratégie didactique

Hier, j'ai été invité à rapporter un manuscrit soumis à une revue scientifique, et plus exactement un texte didactique, présentant une méthode générale statistique. 

Au-delà de toutes les imperfections du manuscrit, qui étaient d'ailleurs nombreuses puisque j'en ai relevé presque une par ligne du texte, il y avait une faute didactique essentielle à savoir que l'auteur donnait d'abord une idée générale incompréhensible, puisqu'elle était à la fois générale, abstraite, et que l'on ignorait tout de son application particulière, et ensuite seulement, il prenait un exemple seulement à moitié pratique, à moitié concret, de sorte que l'on n'avait pas vraiment idée de ce dont il s'agissait.


Mais supposons que les exemples donnés aient été  mieux explicités, je crois de toute façon que les auteurs faisaient une erreur en les donnant après la loi générale,  parce que l'idée générale incompréhensible mettait les lecteurs dans la désagrable position de ne pas comprendre. Bien sûr, si l'exemple avait été bon, les lecteurs auraient pu ensuite éventuellement se raccrocher aux branches mais pourquoi au fond les mettre dans un état de déséquilibre et d'incompréhension ?
 

À l'inverse, si l'auteur avait commencé par un exemple pratique, simple et concret, alors les lecteurs auraient bien compris ce dont il s'agissait. Et s'il avait ensuite donné l'idée générale, les lecteurs ayant bien compris auraient interprété correctement l'idée générale donnée,  de sorte que je conclus que la seconde méthode est certainement meilleure que la méthode utilisée par les auteurs. 

 

Je m'étonne que des enseignants en soient encore à devoir découvrir ce genre de phénomènes, et je plains leurs élèves de tout mon cœur.