jeudi 19 octobre 2023

Les Hautes Etudes de la Gastronomie : elles continuent de recevoir des auditeurs, année après année

Je m'en veux un peu de ne pas avoir fait plus souvent état, ici, de l'Institut des Hautes Etudes de la Gastronomie, que j'ai contribué à créer en 2004. 

L'idée est simple : s'il y a des intellectuels français qui attirent des auditeurs étrangers, nous gagnons tous, intellectuels ou auditeurs, à ce que les "enseignements" soient regroupés, car un bouquet peut être plus beau qu'une fleur isolée. 

Contrairement à d'autres institutions d'enseignement gastronomique, nous ne voulons pas "remplir des cases d'un programme", avec des matières à traiter, fut-ce par des moins bons, mais seulement livrer la quintessence de la réflexion en matière gastronomique... dont je rappelle la définition : la gastronomie est la connaissance de tout ce qui se rapporte à l'être humain qui se nourrit. 

Et à ce titre, sont convoquées les sciences de la nature, les sciences de l'humain et de la société, la technologie, la technique, l'art... 

De fait, c'est un extraordinaire bouquet que nous ne cessons de perfectionner, année après année. En pratique : les auditeurs s'inscrivent (petites promotions d'une trentaine de personne maximum) et ils viennent deux semaines en France (une semaine à Paris, une semaine à Reims), pour une série de cours à la pédagogie modernisée, mêlant du pratique au théorique. 

Cela coûte de l'argent, bien sûr, mais les auditeurs sont nourris, logés, et surtout, ils sont exposés à des esprits parmi les plus beaux. 

Pour avoir une idée du programme, mis en oeuvre par l'Université de Reims Champagne Ardennes et le Cordon bleu, voir : [http://www.heg-gastronomy.com/en/->http://www.heg-gastronomy.com/en/] 

Mais ces Hautes Etudes de la Gastronomie ont évidemment une relation avec le Centre International de Gastronomie moléculaire, puisque je suis le président du Comité pédagogique de l'Institut... et que vous pouvez compter sur moi pour que je me préoccupe très précisément de tout ce qui s'y passe !

mercredi 18 octobre 2023

Quelle est la question à laquelle je ne pense pas ?

 
Quand on effectue des travaux scientifiques, la question posée en titre s'impose à nous à chaque instant. 

Un exemple récent : un étudiant en stage au laboratoire devait utiliser de l'acétaldéhyde pour une expérience. Il avait prévu de peser une certaine quantité d'acétaldéhyde, de la mêler à une certaine quantité d'eau en vue d'une expérience ultérieure. Tout cela semble bien anodin, mais quand on manipule des quantités aussi petites que des milligrammes, ce qui est à peine pesable sur des balances de grande précision, tout se complique. 

En particulier, notre ami ignorait que l'acétaldéhyde peut s'évaporer, de sorte que la quantité finalement présente au cours de l'expérience pouvait différer notablement de celle qu'il voulait utiliser. 

Je lui ai donc conseillé de faire une expérience préalable, qui consistait à poser un verre de montre sur une balance de précision, à déposer une goutte d'acétaldéhyde, et à peser à intervalles réguliers. 

A ce stade, on voit déjà qu'une certaine culture s'impose, pour faire l'expérience : qui ignore que l'acétaldéhyde s'évapore rapidement, surtout en été, quand il fait chaud dans le laboratoire, n'aurait pas eu l'idée d'aller faire cette expérience préliminaire. Bien sûr, une bonne méthodologie peut nous aider. 

Par exemple l'emploi de l'acétaldéhyde doit être précédé de la lecture des fiches de sécurité lesquelles ne montrent pas de toxicité particulière, mais signalent les inflammabilités, des pressions de vapeur saturante, etc. 

Une lecture critique de ces données aurait pu faire penser que l'acétaldéhyde s'évaporait, et qu'il valait donc mieux en suivre l'évaporation, afin, ultérieurement , de connaître les phénomènes pouvant survenir lors de l'expérience. L'étudiant fit donc l'expérience, et, consciencieusement, il releva les masses au cours du temps. Pourtant, tout était faux, encore une fois par ignorance (j'insiste : ce n'est pas une faute, seulement une caractéristique universelle que nous pouvons nous efforcer de combattre) : voulant bien faire, il utilisa une balance placée sous une hotte aspirante, afin d'éviter la toxicité de ce composé organique. 

Toutefois les balances de précision sont très sensibles aux courants d'air, et celle-ci étant placée dans un courant d'air constant, elle marquait une valeur constamment fausse. Notre ami aurait été alerté si la balance avait divagué... mis elle divaguait de façon invisible. Il fallait arrêter l'aspiration pendant la mesure, et la réarmer juste après. Toutes précautions prises, notre ami observa une diminution rapide de la masse, dans un premier temps, avant une diminution plus lente. Il se mit à imaginer mille phénomènes compliqués... omettant la possibilité que le petit volume enclos dans la balance (il y a des portes en verre que l'on ferme pour éviter les courants d'air) pouvait se saturer de vapeur d'acétaldéhyde. Une fois la pression de vapeur saturante établie, l'évaporation devait ralentir, le liquide étant en équilibre avec la vapeur. Autrement dit, notre ami ne mesurait pas l'évaporation libre de l'acétaldéhyde, mais plutôt l’établissement de l'équilibre entre le liquide et la vapeur. Il aurait fallu garder la balance ouverte, afin que les vapeurs soient éliminées, et, mieux, utiliser un léger courant d'air pour entraîner les vapeurs afin qu'elles ne modifient pas l'évaporation. Cette fois, notre ami aurait-il pu dénicher le diable caché dans les détails expérimentaux ? Là encore, il fallait connaître la pression de vapeur saturante, et analyser le système. L'analyse n'est pas le plus difficile pour un esprit clair, mais la connaissance de pression de vapeur saturante s'invente difficilement, et, surtout, elle aurait imposé de retracer le chemin de nombreux grands scientifiques du passé. L’enseignement scientifique sert précisément à cela : nous mettre, nains, sur les épaules de géants. Finalement, la question « quelle est la question à la quelle je ne pense pas », est une question terrible, puisqu'elle nous renvoie à notre culture scientifique, puisqu'elle nous dit que nous ferions bien de ne rien ignorer des travaux de ceux qui nous ont précédés. Nous pouvons avoir confiance dans notre esprit analytique, mais cela est insuffisant, et nous serions bien avisés de compter sur les forces de la collectivité, celle de notre temps comme celle du passé, celle des différents laboratoires du monde, pour parvenir à des expérimentations fiables. Dans les publications scientifiques, le rôle des rapporteurs est essentiel, puisqu'il permet parfois de pointer ainsi les taches aveugles que nous avions. Bien sûr, nous avons intérêt à grandir, mais pourquoi nous priver du bonheur de collaborer avec des collègues remarquables ?

lundi 16 octobre 2023

Pour une tarte à l'oignon, quelle recette ?

 Continuons de combattre la notion de recette, au moins pour la partie technique, avec la question de la confection d'une tarte à l'oignon, Zewelkuacha en alsacien. Le projet : montrer qu'une recette ne sert à rien quand on a quelque chose entre les deux oreilles, et que l'on décide de s'en servir. 

Une tarte à l'oignon ? Comme pour la quiche, déjà évoquée, il y a la pâte, d'une part, et la garniture, d'autre part. Pour la pâte, il est si simple de mêler de la farine, du beurre, de l'eau, que nous considérerons ici la garniture. On sait qu'elle doit contenir des oignons... et j'ai vu des tartes à l'oignons qui se limitaient à des oignons émincés posés sur la pâte, et qui cuisaient pendant la cuisson de la pâte, soit environ 30 minutes à la température de 180°C. Toutefois la tarte à l'oignon alsacienne est bien plus « gourmande » : sa garniture contient aussi de l'oeuf, du lard fumé et de la crème. Combien de chaque ? Avec de l'oeuf entier, la garniture est bien dure ; mais avec trop de crème, elle ne se tient plus, et s'écoule quand on coupe les parts. 

C'est donc cela qu'il faut régler : la proportion de crème et d'oeuf. On observera que, dans ce raisonnement, je ne considère pas la quantité d'oignons : c'est que ces objets solides sont... solides. Si quelque chose coule, c'est le liquide (initial) qui est entre les morceaux d'oignons. 

Analysons donc : l'oeuf, c'est, au premier ordre, de l'eau et des protéines (10 pour cent pour le blanc, 15 pour cent pour le jaune) ; la crème, c'est de la matière grasse liquide dispersée dans de l'eau (pensons un tiers de matière grasse pour deux tiers d'eau). 

Enfin, pour simplifier, il faut entre un et cinq pour cent de protéines au minimum pour assurer la gélification d'un liquide. Autrement dit, on peut allonger l'oeuf de une à cinq fois, avec la crème, pour conserver un liquide qui prendra en masse à la cuisson. Plus exactement, j'ai fait l'expérience, il y a plus de quinze ans, d'explorer la gélification éventuelle de liquide avec de l'oeuf battu, en concentrations décroissantes, et j'ai alors montré qu'un œuf permettait d'obtenir la gélification de 0,7 litres de liquide, au maximum. 

Finalement, combien d'oeuf et de crème ? Comme vous le voudrez, mais dans la limite qui est ainsi donnée. Et puis, tant que nous y sommes, on peut faire mieux : par exemple, faites revenir les oignons à feu très doux et à couvert, dans du beurre et un peu d'eau, pendant très longtemps (par exemple une heure), par avance : les oignons vont « fondre », disons plus justement qu'ils s'amollissent, parce que le ciment intercellulaire, des « parois végétales », sera dégradé par l'élimination bêta des pectines par exemple, faites revenir le lard, pour augmenter son goût par exemple, n'oubliez pas une pincée de noix muscade Bref, une recette : pourquoi faire ?


dimanche 15 octobre 2023

Dans les billets à destination de ceux qui n'ont jamais cuisiné de leur vie, voici maintenant comment faire du poulet rôti.

 


Faire un poulet rôti ? Il s'agit donc d'abord d'avoir un poulet.

Pour le choix de ce derniers, il faudrait un document tout entier, mais soyons simple : achetons un poulet et apportons-le chez nous.

La question, c'est de rôtir et, là, les gourmands s'étripent pour savoir s'il faut le faire à la rôtissoire ou s'il est légitime de nommer "rôti" un poulet qui est cuit dans un four.
En effet, dans un cas, ce sont les rayonnements infrarouges qui cuisent la viande, mais, dans l'autre cas, c'est l'air chaud du four.
Pour commencer, nous rôtirons avec de l'air chaud même, si le terme de rôtissage est alors un peu usurpé.

On fera l'hypothèse que le poulet a été plumé, qu'il ne reste plus de reste de plume dessus, auquel cas il faudrait les flamber (la flamme d'un briquet suffit), et on se limitera à le mettre dans un plat qui va au four. On aura salé le poulet à l'intérieur, et si l'on a du romarin, par exemple, on en fera un lit sur lequel le poulet reposera.
Si l'on a du thym, on pourra en mettre à l'intérieur du poulet. Et l'on peut ajouter  une tête d'ail dans le plat qui ira au four (sans éplucher).

L'ensemble sera enfourné, et l'on cuira  par exemple à 200 degrés,  jusqu'à ce que l'on voit la surface du poulet brunir.

Pour faire un peu mieux, on pourra commencer en mettant le poulet sur le dos jusqu'à ce que l'on voit cette partie brunir  ; puis on retournera le poulet pour que la peau au-dessus des deux suprêmes et des cuisses soient également brunie.

Au total, on pourra compter environ 40 minutes, à raison de 20 minutes de chaque côté.
Et si  le brunissement n'apparaît pas, on peut très bien terminer la cuisson en allumant le grill et en mettant le poulet dessous jusqu'à ce qu'il soit bruni de la couleur que l'on souhaite.

À la sortie de la cuisson, il y a certainement du jus dans le plat. On le dégraisse ou pas selon ce que l'on souhaite.

Avec quoi servir ce poulet rôti ? Je vous propose, pendant la cuisson, de peler des pommes de terre, de les couper en très petit dés, disons un tout petit peu moins d'un centimètre de côté, et de les étaler sur une plaque à four avec de l'oignon et de l'ail émincé. On verse un peu du gras du poulet dessus et l'on met juste sous le grill, que l'on allume alors.
On a donc, dans le four,  le poulet qui repose au chaud, qui se détend, et la plaque avec des pommes de terre juste sous le grill. Il suffira alors de quelques minutes pour que les pommes de terre brunissent  : elles seront alors cuites car elles sont très petites et l'on servira alors le poulet avec les pommes de terre


samedi 14 octobre 2023

Ne cherchons pas les causes de faits qui n'existent pas.

 
Un ami m'envoie une précision culinaire à propos d’aïoli : les aïolis monteraient mieux quand on utilise de l'huile d'olive de l'année précédente. 

Pourquoi cette pratique, m'interroge-t-il ? On sait qu'un torchon rouge agité devant un taureau conduit ce dernier à charge, mais, cette fois, résistons. Résistons, car les précisions culinaires sont loin d'être toutes justes, et des décennies de travail m'ont montré qu'il vaut mieux être prudent. 

Ce serait naïf que d'aller chercher la cause d'un effet qui n'existe pas. L'aïoli ? C'est une sauce qui se compose exclusivement d'ail et d'huile d'olive. Pas de moutarde, sans quoi on produit une rémoulade ; pas de jaune d'oeuf, sans quoi on produit une mayonnaise à l'ail. Pour faire un aïoli, on prenait jadis un mortier, des gousses d'ail, et l'on produisait d'abord une pâte à l'aide d'un pilon actionné répétitivement. Puis, toujours en pilant, on ajoutait de l'huile goutte à goutte et l'on s'arrêtait en quand la sauce avait pris une consistance de pommade. Pourquoi cette transformation ? Parce que les gousses d'ail contiennent de l'eau pour plus de moitié, mais aussi des composés variés tels que les phospholipides des membranes, des protéines... Quand on ajoute de l'huile d'olive en pilant, le pilon divise les gouttes d'huile en microgouttelettes qui sont dispersées dans l'eau, les composés tensioactifs favorisant l'émulsion. 

Finalement on obtient une émulsion très concentrée en huile, comme le serait une mayonnaise, par exemple, et le fait que les gouttes d'huile soient tassées les unes contre les autres prévient leur mouvement, et donc l'écoulement de la sauce. 

La qualité de l'huile, dans cette affaire ? On peut bien sûr imaginer que le vieillissement de l'huile d'olive conduise à l'apparition de composés tensioactifs ou de composés qui stabiliseraient les émulsions par divers phénomènes. Toutefois il y a tous les tensioactifs qu'il faut dans l'ail utilisé, à condition que l'on ait bien désagrégé les gousses, et les cellules qui composent ces dernières. On pourrait avoir le même phénomène que pour la tapenade, avec les mixers modernes : si l'on se contente de séparer les cellules, et non pas de les désagréger, ce qui libère leurs composés, alors on peut avoir des problèmes. Toutefois, si l'on a bien fait une pâte avec l'ail, le risque est faible. Surtout, je propose d'interpréter. Je propose d'interpréter en observant que, comme pour la tapenade d'ailleurs, quand le travail de l'ail est insuffisant, la sauce peut rater. 

Or mes études m'ont montré que les préparations qui ratent suscitent généralement plus de précisions culinaires que les autres. Le praticien se met alors à imaginer toutes les causes possibles : les règles féminines, la température, l'influence de la lune... ou la qualité de l'huile ! Il en va là de la pensée magique (voir <em>Les précisions culinaires</em>, Editions Quae/Belin), et la gastronomie moléculaire vient fort heureusement nous aider à mieux comprendre, au lieu de nous laisser en compagnie des démons. Pour l’aïoli, ne prenons pas nécessairement une huile ancienne, peut-être rancie, et privilégions des huiles dont nous choisirons d'abord le goût.

vendredi 13 octobre 2023

Cuisons des cannelés

 
Les cannelés ? Rien de plus simple, et il serait d'ailleurs erroné de croire que ces produits sont l'apanage du Bordelais, car ils existent en Angleterre sous le nom Durham popover. 

Ils s'apparentent aux soufflés, puisque c'est une préparation qui gonfle, mais, contrairement aux soufflés, ils restent gonflés après la cuisson, de sorte qu'ils s'apparentent également aux gâteaux... dont certains gonflent également. 

 

Ils gonflent ? Oui, ils gonflent, car ils contiennent beaucoup d'eau, et que les conditions de cuisson font évaporer une partie de cette dernière, ce qui engendre un grand volume de vapeur. 

 

Mais commençons par une recette, puisque c'est tout simple. Dans un cul de poule, plaçons du lait (c'est de l'eau qui est du goût, description qui conduit immédiatement à imaginer des dérivés de la préparation, si l'on remplace le lait par du jus de fruits, du thé, du café, etc.) avec de la farine et de l'oeuf. La farine apporte des grains d'amidon, qui empèseront durant la cuisson et feront une architecture molle, qui stabilisera la préparation. L'oeuf apporte également de l'eau, et aussi des protéines qui coaguleront, rigidifiant la préparation. On mélange les trois ingrédients afin d'obtenir une pâte mollette, puis on dépose quelques dizaines de grammes de cette préparation dans un moule, et l'on cuit à une température supérieure à 100 degrés. 

Ainsi le moule, surtout s'il est de métal et conduit bien la chaleur, provoque l'évaporation de l'eau, si bien que la préparation gonfle jusqu'à ce que les protéines coagulent et figent le volume. Finalement on récupère une préparation molle, coagulée, alvéolée, avec un bon goût d’œuf, et de tous les ingrédients que l'on utilisés, tels la vanilline, le sucre, le rhum, etc. 

Si la cuisson s'est bien passée (elle dure jusqu'à une heure), le produit a une légère croûte croustillante, et si la préparation était sucrée, alors, mieux, le cannelé est légèrement caramélisé, donc coloré et de haut goût. Dans cette préparation, l'important est sans doute le rapport de la partie de croûte et de la partie moelleuse du cœur. Je vous invite, si vous n'avez pas déjà fait, à visionner le film où l'on voit le cuisinier français Michel Bras régler au millimètre la taille du noyau de chocolat de ses célèbres coulants. Ils ont été souvent copiés, mais le savoir-faire du grand artiste dépasse largement l'idée de mettre un noyau qui fond dans un biscuit au chocolat : il y a d'abord la question du goût, et, aussi, le soin infini que le grand artiste a mis dans tous les détails, à commencer par celui de la taille exacte des diverses parties de son gâteau. Pour les cannelés, et pour bien des préparations analogues, la question de la taille, la question du rapport croûte-coeur, la question du moelleux, fixé à la fois par la quantité d'eau et par la cuisson, la question du goût... Tout compte !

jeudi 12 octobre 2023

Pourquoi je ne veux plus mesurer de volumes

 
Il y a environ 15 ans, j'ai voulu un jour faire l'expérience de ma vie, une expérience parfaitement réalisée en vue d'obtenir des résultats aussi précis que possible, en l'occurrence pour des analyses par spectrofluorimétrie, méthode merveilleuse parce qu'elle permet de doser de très petites quantités de composés fluorescents. Pour mes expériences, je devais préparer des solutions dans l'éthanol, et j'avais donc tout planifié pour une expérience qui devait durer environ une journée. 

A l'époque, j'étais, comme le sont la majorité des étudiants, influencé par l'emploi de ce paramètre qu'est la concentration des solutions : la concentration est le plus souvent une quantité qui s'exprime en moles par litre. De ce fait, j'avais le sentiment qu'il me fallait des masses de soluté bien connues, ce qui s'obtient avec une balance de précision, et des volumes de solution aussi précisément connus que possible. J'avais donc pris une fiole jaugée, dont j'avais contrôlé le certificat, et j'avais placé de l'éthanol dans la fiole avec un soin tout particulier. La solution étant préparée, il me restait maintenant à l'analyser par fluorimétrie, de sorte que je quittais la pièce de préparation des échantillons pour gagner la pièce où était installée le fluorimètre. 

Là, il y eut un appel téléphonique, de sortes que je laissai ma fiole sur la paillasse. Il n'y avait pas de risque : elle était convenablement fermé. Le coup de téléphone terminé, je me retournai donc pour prendre la fiole et... le niveau de liquide était descendu d'environ 1 centimètre ! La solution s'était elle évaporée ? Je vérifiais l'étanchéité, mais, surtout, je décidais de recommencer la solution, clé de mon expérience. Je repartais donc pour la pièce de préparation de ma solution, et réunissais à nouveau les ingrédients nécessaires. Coup de chance : le téléphone se remit à sonner. Je répondis, et, quand je me retournais, avant que j'ai touché à ma solution initiale en aucune manière, le niveau était revenu à la valeur correcte ! Cette fois, il n'était pas difficile de comprendre ces phénomènes : j'avais fait la préparation de la solution à température ambiante (on était en été), tandis que la fluorimétrie se faisait dans une pièce thermostatée, à 18° C. Ce que j'avais observé, c'était la dilatation du verre et du solvant. Un centimètre de différence dans le col de la fiole ! 

Manifestement la mesure d'un volume était une mauvaise pratique ! Quelle solution trouver à ce problème ? Il y en a plusieurs, à commencer par préparer les solutions à la même température que les mesures, mais puisque la masse volumique dépend de la température, ces solutions sont alors imprécisément connues, qu'elles soient ou non les mêmes entre le moment de la préparation et le moment de la mesure. Faire les préparations dans une pièce dont on mesure la température, et faire ensuite des corrections ? C'est possible, mais il faut alors se reposer sur des données expérimentales (pour les corrections) dont on n'a pas la certitude absolue qu'elles soient très bonnes. 

Allons, il vaut mieux éviter de mesurer des volumes, et utiliser des balances, qui de toute façon, nous donneront des précisions bien supérieures à celle des fioles jaugées. A titre indicatif, j'ai calculé la précision dans les deux cas : tout peser, contre peser le soluté et mesurer le volume du solvant. La précision de la méthode qui pèse tout est dix fois supérieure à la précision de la méthode qui utilise des volumes. Et encore, mon calcul est charitable !