jeudi 7 septembre 2023

Cuisine de synthèse ("note à note"à contre cuisine traditionnelle : qui gagne ?

Samedi, à des amis qui venaient dîner, j'ai servi (notamment) deux plats qui contenaient les sauces d'apparence voisine : dans les deux cas, une couleur sombre, d'un rouge puissant, tirant fortement vers le violet... 

La première était une sauce wöhler, une sauce de cuisine note à note obtenue par mélange d 'eau, de glucose, de polyphénols de syrah, d'acide tartrique, de sel, de gélatine le tout émulsionné avec de l'huile neutre ; un arômatisant artificiel était ajouté en fin cuisson. Cette sauce était servie avec quelques crevettes rapidement revenues et des lamelles d'oignon cru. 

La deuxième sauce était faite d'un roux léger, cuit dans les règles de l'art, auquel j'avais additionné un fond de volaille et une bouteille de vin (cépage syrah) ; après une cuisson d'une journée, la sauce avait été dépouillée et montée au beurre. Le jugement fut sans appel : tous les convives ont préféré la sauce note à note ! 

 

J'enregistre, je me réjouis, mais je dois quand même avouer que la comparaison n'était pas fair play : en effet, dans la sauce note à note, j'avais ajouté des arômes artificiels de truffe. Artificiels, certes, mais si bien faits que des cuisiniers professionnels s'y trompent. D'autre part, il y avait la question de l'ordre de présentation des deux sauces, et la première était si puissante que la deuxième a dû en souffrir. Il y avait aussi le plat que les sauces accompagnait : des crevettes et des oignons frais dans le premier cas, un boudin blanc brioché dans le second. 

La comparaison était donc injuste... à cela près qu'il est facile de dire la chose a posteriori, car je peux témoigner que, avant l'essai, sans avoir goûté les deux sauces, je craignais vivement que la seconde sauce ne soit préférée à la première. Finalement, il reste les faits: tous les convives ont préféré la sauce note à note, qui m'a pris quelques dizaines de secondes à préparer.

Des "pâtes de protéines" ?



On m'interroge à propos d'une "pâte de protéines" et, là encore, la question est beaucoup trop floue pour que je sache quoi répondre.

Commençons donc simplement par évoquer la poudre de blanc d'oeuf. Cela s'achète au kilo et l'on a une espèce de poudre analogue et de la farine sauf qu'il ne s'agit pas de polysaccharides mais de protéines.

La poudre de blanc d'œuf ? Pour la produire, il suffit d'évaporer l'eau d'un blanc d'oeuf, puisqu'un blanc d'oeuf est fait de 90 % d'eau et de 10 % de protéines.

Soit donc un récipient contenant cette poudre,  ces protéines. Si on prend une cuillerée de protéines et une cuillerée d'eau, alors on obtient une pâte très épaisse.
Si on prend une proportion d'eau supérieure, alors la pâte devient moins épaisse, exactement comme avec de la farine : tout cela s'apparente donc à la confection d'une pâte à crêpes à partir de farine et d'eau, ou bien de farine et de lait, ce qui revient au même un peu de choses près.

On peut donc faire des pâtes de protéines sans aucune difficulté à condition d'avoir de l'eau et des protéines.

Jusque-là, je n'ai évoqué que les protéines d'œuf mais il y a des protéines dans bien d'autres produits,  animaux ou végétaux.
Et c'est ainsi que les légumineuses sur le soja, le poids, la féverole, cetera sont des végétaux qui précisément, produisent des protéines. Des protéines végétales, dans ce cas, mais qui  sont sous la forme d'une poudre comme la poudre de blanc d'oeuf.

Et on les utilise exactement comme je viens de le décrire. On peut donc partir d'un paquet de protéines végétales et faire une pâte de protéine.

Evidemment, dans l'expérience que je décrite, j'ai proposé de prendre de l'eau mais on peut prendre de l'eau qui a du goût  : thé, café, jus d'orange, jus de tomate, vin, bouillon, et cetera.

Que faire d'une telle pâte ? Si l'on veut on peut faire des spaghettis, on peut faire des feuilles comme pour des lasagnes, on peut faire des crêpes, on peut faire des galettes, on peut faire exactement ce que l'on veut.

Et si les protéines ont été choisies de telle façon qu'elles puissent coaguler, alors on pourra faire l'équivalent d'une viande (un "dirac"), au moins du point de vue de la consistance.

Mais on peut faire bien mieux et par exemple étaler la pâte de protéine, la strier à la fourchette, la cuire, la rouler sur elle-même en feuille et obtenir comme un surimi.

On peut donc faire exactement ce que l'on veut à condition de comprendre.

Au fait ? Le goût ? On se souvient que le goût, c'est la couleur, la consistance, la température, les saveurs, les odeurs, et les piquants et les frais, et cetera.
On oubliera donc pas, avant cuisson ou avant l'utilisation d'ajouter à la pâte de protéines des composés qui donnent de la couleur, de la de la saveur, de l'odeur, et cetera.

La saveur ? Evidemment le sucre, le sel, l'acide tartrique... Bref tout ce que vous voulez.
L'odeur ? Là encore, grâce à la cuisine de synthèse que j'avais surnommé cuisine note à note, nous avons maintenant des composés qui donnent de l'odeur sur mesure, et le cuisinier, comme un parfumeur, peut construire le goût du plat qu'il produit.

L'huile de pavot ?

 De l'huile de pavot ?
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On m'interroge à propos d'huile de pavot, et je ne comprends pas la question qui m'est posée : l'huile de pavot, et alors ?

Ne comprenant pas la question, je préfère répondre en interprétant, et surtout, répondre en observant que les huiles sont souvent faites par pressage de graines qui contiennent de l'huile.
Les graines des végétaux, ce sont des semences, c'est-à-dire des objets qui ont été façonnés par l'évolution biologique pour aboutir à la reproduction des plantes. A cette fin, il faut que les semences contiennent des composés qui permettront aux jeunes plantules de se développer avant que la photosynthèse ne puisse prendre le relais.

 C'est ainsi qu'il y a des graisses dans les graines et que le pressage de ces graines produit de l'huile.

Par exemple le colza :  le pressage des graines de colza produit de l'huile de colza.
Par exemple le tournesol : le pressage des graines de tournesol produit de l'huile de tournesol.
Mais on connais aussi l'huile de pépins de raisin, l'huile de  noix, l'huile de noisette, l'huile de pistache, et ainsi de suite.

D'à peu près n'importe quelle graine, on peut extraire une huile qui aura un goût particulier.

Et pour terminer concluons donc avec le pavot : il contient des graines, de sorte que l'on pourra faire une huile de pavot. Je n'en connais pas le goût.

À propos de purée d'ail.



L'ail est une matière tout à fait extraordinaire :  on sait que la consommation des gousses crues emporte la bouche durablement, mais on ignore souvent que cela résulte de la libération de composés soufrés, très réactifs.
L'ail fait partie de la famille des Alliacés avec l'oignon, l'échalote, et cetera,  tous végétaux qui contiennent des composés soufrés divers.

Ce qui est intéressant avec l'ail, c'est qu'une toute petite quantité bien broyée réveille une salade. Mais comment éviter son indigestibilité à plus forte dose ? Comment éviter d'être incommodé ? Blanchissons !

Et c'est ainsi qu'il y a la purée d'ail, qui, contrairement à ce que l'on peut penser, est d'une suavité merveilleuse. En pratique on part de gousses d'ail non épluchées,  que l'on met dans une casserole d'eau, que l'on porte à ébullition. Après quelques bouillons, on jette l'eau et on refroidit : la peau de la gousse s'enlève alors facilement, et l'on peut alors mettre à nouveau les gousses dans de l'eau froide que l'on porte à nouveau  à ébullition ;  on jette l'eau et on recommence ainsi trois, quatre, cinq fois de suite. On obtient des gousses tendres que l'on peut écraser par exemple avec du lait et éventuellement avec de la pomme de terre : on obtient une purée d'ail qui ne rebute plus les palais les plus sensibles et qui a une espèce de goût domestiqué, tout à fait remarquable. Personnellement, j'aime beaucoup la purée d'ail que je produis pour celles et ceux qui me font la confiance de manger ce que je cuisine pour eux.

Ah, j'oubliais : je blanchis aussi l'ail que j'utilise pour mes aïolis ou mes rouilles.

mercredi 6 septembre 2023

A propos de gomme xanthane

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On m'interroge à propos de "xanthane" : qu'est-ce? comment l'utilise-t-on ?

Au fond, pourquoi répondre sachant qu'il y a des cours, des vidéos, des documents innombrables sur internet ? Et que j'ai déjà expliqué tout cela dans mon livre "Mon histoire de cuisine".

La gomme xanthane ? Un produit fabriqué par une fermentation, et qui est un excellent épaississant. Mais je préfère renvoyer à : https://www.academie-agriculture.fr/mots-clefs-encyclopedie/colloide

Prenons donc un peu de recul : il y a donc des gélifiants et des épaississants, qui sont des additifs acceptés par la réglementation en raison de leur innocuité.
Parmi les épaississants et les gélifiants, il y en a donc qui sont épaississants, et qui épaississent les liquides, et d'autres qui sont gélifiants, et qui font gélifier les liquides, ce qui n'est pas la même chose.
Par exemple, avec de la farine que l'on chauffe dans de l'eau on obtient un épaississement. En revanche avec de la gélatine, on obtient un gel.
Dans un cas il y a une possibilité d'écoulement et dans l'autre cas l'écoulement ne se fait que s'il y a rupture du gel, de cette sorte d'échafaudage où l'eau est piégée.

Epaissir et gélifier sont donc deux choses bien différentes et, selon les utilisations, on pourra vouloir un épaississement ou une gélification.

Pour compliquer un peu les choses, il faut savoir que si l'on a gélifié de l'eau ou un autre liquide, avec un agent gélifiant, alors si l'on mixe cette préparation, dans un liquide, on obtient ce que j'ai nommé un "debye", et qui est une solution épaissie, une "suspension" : le gel a été brisé en de très fines particules de gel,  ce qui épaissit le liquide où ces particules sont dispersées. Et l'on peut faire des debyes à l'huile ou à l'eau (en broyant dans de l'huile, ou dans de l'eau) : on obtient des sortes de pommades très différentes selon les cas.

Pour les épaississants, les grammages sont... ce que l'on veut : avec peu d'épaississant, on a peu d'épaississement, mais avec plus d'épaississant, on a plus de viscosité. Comme avec de la farine dans de l'eau.

Pour les gels, l'ordre de grandeur à conserver (pour la gélatine, pour l'agar-agar, etc.), c'est  5 % en masse : en gros, voilà la limite à partir de laquelle se fait la gélification. Bien sûr c'est un ordre de grandeur et dans les détails, c'est beaucoup plus compliqué que cela, mais on peut commencer ainsi avec cette idée des 5 %.

Les épaississants et les gélifiants acceptés par la réglementation  ? Je vous renvoie à la liste des additifs, donnée dans le Glossaire des métiers du goût : https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/glossaire/glossaire-des-metiers-du-gout.
Dans cette liste, on trouve  bien sûr la gélatine, des pectines, des amidons qu'il soient de  de pommes de terre, de maïs, de riz, avec des comportements tous différents. Il  y a aussi des gommes  de caroube, gomme arabique, gomme de guar et cetera, et on trouvera plus de détails à ce propos dans mon livre. Et il y a des produits moins classiquement utilisés en Occident :  des gélifiants tels que l'agar-agar, l'alginate de sodium, certains caraghenanes...

Dans la plupart des cas, ces produits sont issus de produits naturels. Par exemple, les gélatines sont extraites des tissus animaux, viande, tendon, et cetera, et  les pectines sont extraites de tissu végétaux : fruits, légumes, et cetera.
Certains gélifiants sont extraits des algues tel l'agar-agar, par exemple. Et il y a des épaississants  qui sont produits par des micro-organismes... telle la la gomme xanthane.

Tous ces produits sont-ils naturels ? La réponse est NON : ils sont d'origine naturelle, mais ils ont été extraits, de sorte qu'ils sont stricto sensu artificiels, l'extraction ayant été faite par un être humain.

D'ailleurs, quand je dis l'extraction, j'ai tort et je devrais dire les extractions, car selon la manière dont, à partir d'une même matière première, on extrait ces composés, on obtient des ingrédients très différents. Par exemple, les pectines sont dégradées quand on les chauffe trop, et si quelqu'un a extrait des pectine en chauffant beaucoup, il produira des pectines dont les qualités gélifiantes diffèrent de pectine qui auraient été préparées plus précautionneusement. Il en est de même pour les gélatines : l'origine de ces produits est très différente, et les gélatines de poisson ne gélifient pas aux mêmes températures que les gélatine de d'animaux terrestres ; des gélatine de bœuf âgé de gélifient pas de la nmême façon que de  la gélatine de veau.
Et ainsi de suite   : de sorte que l'utilisateur doit prendre garde à la qualité des produits qu'il utilise.

Je considérerai un seul exemple à savoir les protéines de blanc d'oeuf. Quand elles sont bien extraites, ces protéines de blanc d'oeuf  forment une poudre blanche que l'on peut mettre dans l'eau et qui, quand on chauffe l'eau ou l'on a mis les protéines, forment comme un blanc d'œuf cuit.
Pour autant, je me souviens d'une conférence où j'avais demandé des protéines de blanc d'oeuf aux organisateurs pour faire les expériences que je présentais, et il n'y a jamais eu cette coagulation parce qu'en réalité le producteur de ces protéines avait déjà cuit les protéines avant de les broyer, de sorte qu'il n'y avait plus ensuite la possibilité de cuire.
On fera donc très attention à la qualité des produits... et j'ajoute que l'on n'a pas de règle  pour déterminer les quantités qui nous conviennent. D'autant que nous sommes bien en peine de dire quelle est la consistance que nous souhaitons, et même s'il avait une force gélifiante affichée et fiable sur le paquet, il nous reviendrait de faire  des essais pour déterminer la quantité de produits gélifiants ou épaississants que nous devons utiliser.

Espuma ? Ne soyons ni snob ni ignorant : parlons de mousse !

 

On m'interroge à propos d'une "espuma", et évidemment je hurle de rage car le mot espuma en espagnol signifie écume : or l'écume est une mousse faite à partir d'impuretés !

 Il y a une sorte de snobisme à parler d'espuma au lieu de parler de mousse, et une faiblesse intellectuelle puisque on laisse penser qu'il y a donc des impuretés.
D'autant que ce ne sont pas les Espagnols qui ont introduits cela, mais que la proposition est venue de la gastronomie moléculaire. Je rappelle que le restaurant El Bulli a été mis dans un  programme de transfert technologique nommé "Innicon", et que la science leur a transmis des idées techniques.

Parlons donc de mousse. On veut une mousse chaude ? Au fond, rien de plus simple. Une meringue italienne, c'est bien une mousse chaude.
Plus généralement,  si l'on part d'un liquide - quel qu'il soit - avec de l'eau et des protéines, si l'on fouette, on obtiendra une mousse à grosses bulles, et cette mousse sera chaude si le liquide initial est chaud.

Autre possibilité : mettre un liquide dans un siphon avec des agents foisonnants, par exemple des protéines : si l'on maintient ce liquide au chaud et que l'on fait foisonner, on obtiendra une mousse chaude.

Plus généralement, on peut souvent foisonner les sauces classiques.

Au fond,  la commande est mal passée : quelle taille de bulles veut-on : très petites au point d'être invisibles, ou très grosses au point d'être visiblement transparentes ? Il y a d'innombrables possibilités à condition de comprendre ce que l'on fait, à condition d'avoir décidé ce que l'on veut point commençons donc par définir correctement l'objectif avant de nous lancer dans des réalisations qui ne présentent aucune difficulté.

Une poudre de citron ?

 

On m'interroge à propos d'une « poudre de citron ». Comment obtenir une telle chose ?

En réalité, il y a bien des façons de produire des produits qui n'usurpent pas cette dénomination.

Par exemple, supposons que nous partions d'un aromatisant citron (il en existe d'innombrables dans les sociétés de parfums et aromatisants) et que nous le déposions sur un support pulvérulent, par exemple de l'amidon : nous obtiendrions une "poudre citron".

Mais imaginons aussi que nous partions de citron et que nous fassions une opération de lyophilisation, c'est-à-dire d'évaporation de l'eau du citron sous vide. Nous récupérerions une "poudre de citron".

Et puis on peut aussi considérer que le citron est principalement fait d'eau et d'acide citrique, auquel cas on peut considérer que de l'acide citrique, qui se présente sous forme de poudre, est une "poudre de citron".

Et ainsi de suite : la dénomination "poudre de citron" n'étant pas réglementaire, elle ouvre vers bien des solutions, avec des résultats gustatifs bien différents.

Notamment, parce qu'un "aromatisant citron" (ce qui est parfois fautivement nommé "arômes"), qu'il soit d'origine naturelle ou entièrement composé, peut être formulé de bien des manières, sans compter que ce produit peut exister sous des formes très différentes.

Ce n'est pas du citron mais je me souviens avoir visité une de ces belles entreprises d'aromatisants et avoir vu, sur l'orgue du parfumeur, des mètres d'aromatisants "fraise" différents : certains donnaient le goût de fraise cuite, d'autres des goûts de fraises des bois, des fraises très mûres, et cetera.

Bref, le terme "poudre au citron" n'est guère défini, et cela donne beaucoup de latitude pour produire de tels produits.