mardi 18 avril 2023

On enseigne "les sciences" ?

  Dans  les collèges, dans les lycées, dans les universités et les grandes écoles,  on enseigne « les sciences », ou, plus exactement, on prétend enseigner les sciences. 

Les sciences ? Vraiment ? 

Considérons la physique : par exemple  les résultats d'électromagnétisme. L'activité scientifique consiste à chercher des mécanismes des phénomènes. De ce fait, un enseignement scientifique, véritablement scientifique, consiste  à enseigner aux étudiants à chercher les mécanismes, et non à gober les résultats obtenus précédemment. 

 

Un  enseignement de la science doit donc se focaliser sur les méthodes qui conduisent aux mécanismes, et non seulement aux résultats obtenus dans le passé. 

On comprend donc qu'une approche historique, avec sa composante analytique, est essentielle dans un enseignement des sciences. 

Supposons maintenant  que pour des raisons variées -contraintes de temps,  par exemple- on  soit conduit à n'enseigner que les résultats. Pourquoi ferait-on cela ? Parce que l'on souhaiterait,  évidemment,  que les étudiants aient la connaissance de ces résultats, sans quoi il serait bien utile de l'enseigner, vu la masse des connaissances qui méritent de l'être utilement. 

Si les étudiants  doivent donc  connaître des lois, des mécanismes, c'est pour en faire usage. Non pas un usage scientifique, car là, ces résultats sont un peu inutiles, vu que, ce qui compte, c'est d'obtenir des résultats, non pas les connaître. 

Il faut donc conclure que, dans ce second cas, l'enseignement vise à donner une connaissance de lois qui seront appliquées, utilisées. Là,  on arrive dans la technologie. On conclut donc que, dans ce second cas, on effectue un enseignement technologique et non scientifique. 

Faudrait-il donc parler de « physique pour la technologie », par exemple, ou simplement de technologie ? 

 

Évidemment, le monde réel est plus complexe que le monde idéal, et l'on trouve dans la même classe des élèves qui se destinent à la science quantitative  et d'autres qui se destinent à la technologie, par exemple, ou à la technique, etc. Les enseignements sont donc nécessairement hybrides, mais vu le nombre de futurs scientifiques et le nombre de futurs ingénieurs, technologues, techniciens, il serait sans doute bon de ne pas être trop prétentieux, et de dire clairement que  les enseignement  que nous nommons actuellement scientifiques sont en réalité des enseignements technologiques. 

 

Mais il y a la question politique  ! 

 

La, on tient compte de faits externes, à savoir qu'il faut renouveler les populations des scientifiques, ingénieurs, techniciens. Il y a  aussi le fait que  les étudiants aspirent à « faire carrière », à avoir des emplois auquel tous ne pourront accéder,  vu leurs « capacités ». 

Que l'on me comprenne bien :  je ne dis pas qu'un individu ne puisse, à force de travail, parvenir à des résultats, bien au contraire (labor improbus omnia vincit) ! Je dis seulement  que, dans la vraie vie, il y a des étudiants qui ont un véritable amour de la connaissance, d'autres qui se cultivent en vue d'obtenir une situation qui leur fera gagner beaucoup d'argent, et, donc, qui se moquent des résultats scientifiques ; il y a ceux qui, en raison de leur environnement familial, culturel, social, ont plus de facilités à se concentrer, travailler, étudier, et il y a les autres, qui ont plus de mal (je me souviens d'étudiants d'étudiants qui, devant travailler -pour payer leurs études et pour vivre- pendant la nuit, avaient du mal à ouvrir les yeux dans la journée). 

Je dis donc que  la vie est bien difficile, et que nos  systèmes d'enseignement, recevant des étudiants en très grand nombre, n'ont pas le temps ni les moyens  de se consacrer autant qu'ils le pourraient à l'élévation de chacun. 

Inversement, je n'oublie pas non plus une certaine veulerie dont nous sommes tous plus ou moins affligés, qui consiste à regarder la télévision alors que l'on pourrait se plonger dans un livre de calcul différentiel et intégral ; je sais que, le soir, certains trouvent plus facile de lire un roman minable que d'explorer les mécanismes des réactions chimiques (et je ne suis pas blanc !). 

D'ailleurs, les raisons de ces comportements sont à analyser. Tout comme l'état d'esprit à propos des « vacances » : quand j'entends « je vais me vider la tête », j'ai toujours tendance à me demander s'il ne voudrait pas d'abord la remplir, et à la remplir de choses belles, de connaissances qui font grandir au lieu d'avilir. Panem et circenses, du pain et des jeux : l'idée n'est pas nouvelle, et l'on peut sans doute considérer qu'elle perdurera. Pour autant, on peut aussi espérer que beaucoup d'enthousiasme public, manifeste, pour la connaissance permettra à un nombre croissant  d'entre nous de nous améliorer l'esprit, régulièrement. Nous améliorer l'esprit ? 

 

Terminons ce billet en évoquant Michael Faraday, orphelin de père à 11 ans, enfant d'une famille extrêmement pauvre, qui, en plus de son travail, allait une fois par semaine dans un club d' « amélioration de l'esprit ». Cela est possible, et les exemples de ce type doivent absolument être montrés à tous. Ne laissons pas la poussière du monde nous ensevelir ! Vive la connaissance produite et partagée ! 

 

PS. Evidemment, comme on ne doit pas être insensé au point d'être assuré de ses propres certitudes, je continue à m'interroger : enseignons nous vraiment les "sciences", notamment dans le Second Degré ? Faut-il continuer à nommer les enseignement : physique, chimie, biologie ?

lundi 17 avril 2023

Pas de religion, pas de politique, pas d'armée à table

Pardon, mais aujourd'hui, je touche à un sujet terrible : la religion (dans les dîners bourgeois des siècles passés, il était exclu de parler de religion, de politique et d'armée à table). Je sais que je suis souvent incorrect, de sorte que je vais faire de mon mieux. 

 

Il est souvent déclaré que science et religion ne peuvent s'accorder. Certes, les mesures de l'âge de la Terre par les géophysiciens réfutent les indications de la Bible, par exemple, et  d'autres résultats scientifiques réfuteront le Coran, le Talmud, les légendes bouddhiques,  les Védas... 

 

Doit-on donc considérer que science et religion sont très opposés ? Posons la question plus crûment  : peut-on  être croyant et  faire de la recherche scientifique ? 

 

La question n'a pas grand sens, puisque je connais des scientifiques croyants ;  la réponse est donnée, en pratique ; le noeud gordien est tranché.

Toutefois, la question de la nature de la réconciliation demeure : comment concilier  les deux champs alors qu'ils semblent bien inconciliables ? Doit-on refuser les résultats des sciences qui s'opposent aux textes religieux? Ou, au contraire, refuser les textes religieux qui sont réfutés par les sciences ? Ou encore se détacher de la littéralité des textes pour se mettre à les interpréter ? 

L'abbé Lemaître, qui fut un excellent cosmologiste, avait dû considérer cette question, et, notamment la position de l'église chrétienne vis-à-vis de Galilée, dont un pape, infaillible donc, avait déclaré que les idées étaient hérétiques. Alors que faire ?  L'abbé Lemaître avait agité cette question en tous sens, et il avait finalement considéré qu'il y avait la religion d'un côté, la science de l'autre, et que la science ne pouvait rien dire de la religion ni la religion de la science. 

C'était une façon de botter en touche. Je crois plus utile de rappeler  que Michael Faraday,  un des plus grands physico-chimistes de tous les temps, était profondément croyant, mais, plus encore, il était sandemanien : cette secte considérait que la Bible est juste  dans sa littéralité. 

Là, les contorsions du style de celle de l'abbé Lemaître ne valent plus rien. Comment faire ? La réponse est donnée dans une position vis-à-vis du monde :  Dieu (qu'il s'agisse de celui des Juifs, de celui des Chrétiens, de celui des Musulmans, etc.) aurait donné  deux messages à l'humanité  : la Bible (le Coran, le Talmud, etc.) et la nature. Pour comprendre la parole de Dieu, les hommes et les femmes ne pourraient faire mieux que de lire la Bible (le <em>Coran</em>, le Talmud, etc.) et d'aller explorer la nature, c'est-à-dire se lancer dans la recherche scientifique. 

Faraday considérait-il que la littéralité du message de Dieu qu'il fallait accepter était celle de la nature ?

dimanche 16 avril 2023

Vous avez dit "recherche"

 

 En  sciences, en technologie, en technique, et ailleurs, il y a ce mot « recherche ». 

C'est un mot merveilleux, bien sûr :  au lieu de se contenter passivement de ce que l'on a, on fait l'effort de l'activité, et l'on cherche, plutôt d'ailleurs qu'on ne recherche, autre chose, sous-entendu quelque chose « de mieux ». 

De nombreux métiers sont l'occasion de faire de la recherche, mais, je ne sais pourquoi, les sciences de la nature se sont un peu accaparé ce mot, au point que l'on ne spécifie même plus  "recherche scientifique ». 

 

La recherche serait-elle l'apanage de la science,  et de la science quantitative en particulier ? Non ! 

 

Il y a de la recherche presque partout. La technologie, d'ailleurs, est par définition de la recherche : observons le mot  grec logos qui fait le suffixe. 

La technologie est la recherche  d'améliorations de la technique. Autrement dit,  quand les étudiants en sciences de la nature et en technologie déclarent vouloir se diriger vers de la recherche, cela semble bien naturel. 

Les techniciens peuvent-ils  faire la recherche ? Si le technicien cherche à améliorer la technique, il fait de la technologie, de sorte que la technique semble être condamnée à être exclue du domaine de la recherche.

 Pourtant,  les techniciens ont parfaitement le droit d'être intelligents, bien évidemment, d'être actifs, de ne pas être des machines. Confucius disait d'ailleurs que l'homme n'est pas un ustensile ; contrairement à une cruche, il n'a pas une seule fonction, mais plusieurs. 

Autrement dit,  la technique n'a pas d'intersection avec la recherche,  mais les techniciens peuvent faire autant de recherche qu'ils veulent (d'ailleurs, ne peut-on être technicien ET musicien, scientifique ET potier, etc.) 

 

Pour les sciences de la nature, le problème est inverse, d'ailleurs pour la technologie aussi. 

Cette fois, c'est une sorte de pléonasme que de parler de recherche scientifique ou de recherche technologique, puisque les sciences quantitatives sont par définition une recherche, la technologie aussi. 

A ce sujet, il me faut répéter ici qu'un pléonasme n'est pas une faute, ou une erreur ; c'est une  répétition voulue, contrairement à la périssologie, qui, elle, est un pléonasme fautif. Descendre en bas, monter en haut,  une obscurité bien sombre... Il y a là du pléonasme, qui, si l'on est négligent en parlant ou en écrivant devient une périssologie, mais le poète peut en faire des éléments de la beauté. 

 

 Vive  la recherche !

samedi 15 avril 2023

La première semaine de septembre prochain, nous accueillerons à nouveau des étudiants, venus du monde entier, pour le Master Erasmus Mundus Food Innovation and Product Design... en même temps que nous remettrons les diplômes à la  promotion sortante. 

Cette semaine sera bien pleine. Il y aura notamment un "FIPDes Day", avec des conférences, des présentations d'étudiants... 

Et je peux difficilement faire mieux que vous donner ici l'introduction d'un livret réalisé il y a quelque temps : 

 

Welcome to the  FIPDes Day!

This wonderful adventures of FIPDES began some years ago. Let me tell you the story. Once upon a time, there were students from all over the world who wanted to study in the field of food, cooking, science, innovation... At that time, the link between sciences and culinary creativity had been more broadly recognized, and  it was clearer that this link was important for the food industry; within the food industry, and in the public, it was felt that food engineers really needed some understanding of the three components of food : technique, art, social link. 

 

Students wanting to learn? Wonderful!  Students ready to cross the world to get a first class education in food engineering?  

Obviously an answer was needed. And this is how the four core partners of FIPDes met. All of them  were facing the same question, and it was felt that each of the four partners could contribute with specific, and complementary forces to a first class educational programme. It is quite remarkable that within two proposals only, the European Community accepted our common programme. This could even be considered as a sign for something important. 

By the way, building this programme was (and still is) really enthousiastic, because it's an answer to the French writer Antoine de Saint-Exupery, who said once : « If you want to create harmony between men, make them do something together ». In order to create this Erasmus Mundus Master Programme, we had to overcome our idiosyncrasies, our cultural particularities, our individuals tastes for science, or for technology, or for technique... 

We have to be open to an « international culture », and this is clearly a big advantage for FIPDes  students : instead of being trapped in one particular food culture, they are now exposed to very different ideas. It is not a scoop to say that the food in the north of Europe is not the same as in the south, not only in terms of particular food items, but also in terms of relationship of the human beings and food. There is no such place as FIPDes for the giving to students an open view on food. 

What is « good food » ? French people would consider frogs and snails along with stincky cheese, whereas Italian would put much emphasis on different qualities, such as the freshness of vegetables, they would insist on oil, but Irish or Swedish would on the contrary insist on butter, milk, cream, fish, smoked products... Imagine the students in the middle of this : they can be fully aware of the specific qualities of food ingredients, in order to build more universal good food. In the army, it  was frequently said that sailors were more « intelligent » than other soldiers, because they could see more countries and cultures. 

The same for the FIPDes students, which, on top of this advantage, come from all over the world ! The multicultarily of the team is not only from teachers, but also from students ; students who live together for two years, having the feeling that they make a very particular group, being heavily selected before coming... and one should never repeat enough that the quality of institutions is based on the quality of the individuals making the group. 

 

Why a FIPDes Day ? 

FIPDes being created, we had the pleasure to get the first students in September 2012. But remember that FIPDes is very peculiar, and the partners do all that they can to improve the curriculum. Simply giving a diploma ? This would be rather dull. No, instead, we had the feeling that top engineers had to behave differently, more actively, and this is how this FIPDes Day was created.

Of course, in a family, there are different points of view, and this is what makes the family life pleasant. Within the FIPDes context, the various groups are the students, the teachers, and the various partners, from the industry or from the academy. A « feast » had to be entertaining for all ! 

For FIPDes, we have the idea that sciences and technology is the main thing, so that a feast should be focused on this. We also have a passion for results, not only words, which is why we decided that results should be shown. And as students had made projects, during their two year curriculum, why not propose them to explain what they did ? 

Here, it's probably the best place to repeat that an idea in a closed cabinet is not an idea. An idea becomes an idea only when it is implemented, shared, distributed, patented, sold, exchanged, used, improved... and this means that communication is a key factor of the education of top engineers. A feast, in the FIPDes context, had to be a day with a lot of ideas exchanged, and this is how the programme of the day was built. Sharing, sharing, sharing... At FIPFes, we have a dream : imagine a table (being systematic, isn't it a key advantage for engineers), with rows called « students », « industry partners », « academy », « teachers », « administration »... and the same for columns, and imagine that we make a cross in the cells when the two parts are discussing (on food science and technology, on food innovation and product design). We shall be proud if we succeed putting crosses in all cells of the table. 

By the way, I know that it is useful to discuss somehow the words « science », « technology », « technique ».  The last one, first, is of the utmost importance, because « technique » comes from the Greek techne, which means « to do » ; and it's true that no food exist when it is not produced. However, this is done by technicians, not engineers. For engineers, they have to practice technology, which means the improvement of technique, using science or not. Some years ago, I proposed to call these two kinds of technology « global », and « local ». 

Science ? Indeed this means only knowledge, and we shall distinguish clearly among the different kinds of sciences. There are sciences for humans and for societies, and there are «  sciences of nature », i.e. physics, physical chemistry, biology... For example, molecular gastronomy is a  science of nature, not technology, not cooking (in particular, it should not be confused with « molecular cooking », or with « note by note cooking », as we shall see later). 

Sciences of nature ? Their method is known, since Francis Bacon (to put figures everywhere) and Galileo Galilei (make experiments, think that the world is « written » in mathematical language). Indeed the whole method lies in : (1) observe a phenomenon ; (2) quantify it ; (3) summarize the data into synthetic laws ; (4) look for the mechanisms behing the laws ; (5) test the experimental consequences of the theory, in the hope that you will find how it is wrong. Indeed, this last characteristic of quantitative sciences can make us very optimistic about innovation : as science will have no end, always improving, it will bring new knowledge, of which talented engineers will make innovation. Yes, we can have faith that science will give the basis for innovation at all times... and this is why our educational programmes at FIPDEs should be always linked to the more modern scientific knowledge. 

Excellence, creativity, innovation... At this point, we have to discuss the question of excellence, because this word is in every mouth, those days, in the academic circles as well in the industry. In the end, nobody trusts the word... but if we don't say it, about FIPDes, we have the risk to be considered as less than others. And we are not, on the contrary. I know that teachers and students together do their best, in order to make a lively community of knowledge and skill ! I know that the FIPDes students are strongly selected, among hundreds of candidates. I know that their educational programme is very full. 

But all this are words. The best demonstration of the excellence of FIPDes is to be given during the FIPDes Day : the proof of the cake is in the eating. Here, there should be two demonstrations : one about the content, and one about the communication skills. Are not engineers specialists of working in teams, of dealing with the complex human material. Of course, technical skills are important ; of course scientific knowledge is the firm ground on which technology can rise, but humans, wonderful humans... If we want to built a boat, let's learn to dream about the infinite sea...

Finally, I would like to insist, about the « engineer ». Remember that Leonardo da Vinci was of this kind, always considering possibilities in the world, always trying to understand, in order to do ! For example, how could he draw trees better than others ? He analyzed that the sap was a liquid, and that liquids cannot be compressed : the rate of sap before the separation of two branches should be equal to the sum of the rates in each branch, and this leads to a particular law, in terms of diameters of the branches, on pictures. He could spend hours behind a bridge, just looking at the vortices of water, in order to understand how to represent them, i.e. trying indeed to understand liquid flows, are the visual representation is one key component of understanding in general. 

Concerning innovation, also, the world is sometimes worn. But for us, at FIPDes, it is not. It's not a sole word, but also methods, a certain way of thinking... For innovation, one needs culture, and more precisely a culture of innovation. Of course, very modern courses are needed, as this particular example shows. Imagine that you teach the «laws » of sedimentation and creaming, so important in the food industry. If you just explain how to solve the equations of motion, you teach a knowledge of the XIXth century, and the innovation that one can base on it would be XIXth century technology. If you decide to teach statistical physics, instead, then you reach Xxth century technology... but if you teach some results obtained after Boltzmann, i.e. quantum mechanics and numerical methods, then you move into the XXIrst century, and this is what we have to do. In this case, students can have the basis for real innovation. Education should be linked to lively scientific research !

Of course, today, engineers have to know a good deal of science, but they need more, for sustainability is a key issue. Moreover, companies are no longer run as before. There are new challenges, and we have to envision the future with more intelligence than by sticking only to technical questions. 

In this regard, it's important to recognize that food is not only nutrients, but also  has an art component, as well as a social one. The FIPDes community is clearly recognizing this, and we have faith that, all together, with the specific intelligence of all, from students to teachers, including administration, partners, we can envision a bright future about food !

vendredi 14 avril 2023

La cuisine abstraite

 Dans les courants culinaires que j'essaie de créer, il y en a un,  la cuisine abstraite, qui n'a pas encore trouvé son heure. 

De quoi s'agit-il ? On le comprend facilement si l'on en revient à la peinture abstraite. 

Dans le temps, les peintres étaient figuratifs : ils représentaient les objets, les personnages, les montagnes ; ils peignaient  les arbres, les fleuves, les animaux... Puis, progressivement, ils apprirent plus explicitement que par le passé à projeter dans leurs représentations des idées variées. Et,  dans les années 1910, il y eut  une révolution, à savoir qu'un génie nommé Kandinsky proposa de ne plus représenter, du moins représenter tel qu'on le verrait en ouvrant simplement les yeux, de faire sentir. Des points, des lignes, des plans, du blanc, du jaune, du rouge, du bleu... Formes et couleurs... Il s'agissait utiliser ces éléments pour donner à sentir, à penser, et ce fut le grand développement de la peinture abstraite. Et en cuisine ? 

 

Qu'est-ce qui  retient les artistes culinaires de faire de même ? Pour l'instant, on en est resté à des idées très archaïques, exprimée par le critique culinaire Curnonsky dans cette phrase célèbre et un peu bête : « les choses sont bonnes quand elles ont le goût de ce qu'elles sont. » 

C'est exactement l'opposé de la cuisine abstraite, c'est du figuratisme, et c'est une règle, c'est-à-dire l'opposé de l'idée de l'art.  Avec Curnonsky, la cuisine est assignée à rester un siècle derrière la peinture. Je propose que nous évoluions, que les jeunes cuisiniers se mettent au travail pour explorer cette cuisine abstraite. Ils devront avoir comme mission, comme idée,  de ne pas faire sentir la tomate, la courgette, l'agneau, la langoustine... 

Partant d'ingrédients classiques ou  modernes, ils devront susciter des sensations en évitant de donner des goûts reconnaissables. 

 

A ma connaissance, Pierre Gagnaire est le seul qui ait pratiqué cet art,  avec des recettes d'ailleurs étonnantes de simplicité, ce qui tendrait à prouver que la cuisine abstraite n'est pas difficile. 

Là pourtant, je me reprends, car l'utilisation d'ingrédients classiques pour faire de la cuisine abstraite, s'apparente à la marche sur un chemin de crête aussi étroit qu'une lame de rasoir (j'exagère). 

Considérons par exemple un plat abstrait qui mêlerait  de la rhubarbe et des langoustines ; un peu trop de rhubarbe, et l'on sent la rhubarbe, mais un peu trop de langoustines et l'on sent la langoustine. 

Je n'ai pas théorisé la cuisine abstraite, mais il me semble que l'ajout d'un troisième ingrédient au moins s'impose, afin de créer une autre dimension, telle celle qui fut employée par le graveur néerlandais Maurits Escher, ou  par les musiciens Shepard et Risset. 

 

Mais je m'arrête, car nous voulions analyser plus en détail la cuisine abstraite, il faudrait bien plus qu'un billet de blog. Pour ceux qui sont intéressés, je signale un chapitre de mon livre Mon histoire de cuisine à propos de « l'exploration de la cuisine ».

 


 

jeudi 13 avril 2023

Des polyphénols ? Disons simplement « phénols des végétaux »

Cela fait des années que je conseille à mes amis des métiers du goût de parler  de "polyphénols", pour de nombreux composés des vins, plutôt que de "tanins", qui ne sont que les composés qui tannent. 

Dans la même veine, j'ai largement critiqué l'emploi d'expressions comme "les tanins fondent lors du vieillissement de vins", et notamment parce que, en réalité, l'affaiblissement ou la disparition de l'astringence, dans des vins qui vieillissent, n'est pas due à des tanins qui "fondraient", mais à des association de composés phénoliques en structures plus grosses, qui perdent les propriétés tannantes.

Les tanins ? N'oublions pas que l'espèce humaine a appris, il y a très longtemps, à tanner les peaux d'animaux pour augmenter leur résistance, leur durabilité. Les tanneurs étaient dans toutes les villes, à côté de l'eau qui est indispensable pour cette opération.

 

Pour faire du cuir (https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32013D0084&from=RO et https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k99567.image)

On obtient du cuir après plusieurs étapes, en mettant en oeuvre un savoir-faire ancien, qui a bénéficié des avancées de la chimie.

La durée moyenne de l’ensemble de ces traitements est de quatre semaines. Plusieurs métiers se relaient pour donner toutes ses caractéristiques au cuir : souplesse, odeur, fermeté couleur, épaisseur, toucher, etc.

Commençons par observer que le travail des peaux doit intervenir rapidement après l’abattage, car les peaux sont fragiles : elles sont constituées de 75 % d'eau, et pourrissent en quelques heures (selon la température). Afin d'éviter cette dégradation, la méthode la plus utilisée est le salage (simple et économique), mais il peut aussi y avoir séchage ou congélation.

Dès ce stade, on trie les peaux, en fonction de leur qualité, afin de permettre, ensuite, au tanneur de proposer des lots de cuirs finis de qualités homogènes. Le prix des peaux brutes est 40 et 50 % de celui du prix du cuir fini.

Le tanneur, qui récupère des peaux sales, procède à une trempe, qui réhydrate la peau et la dessale : les peaux trempent dans environ cinq fois leur poids d’une eau à laquelle on ajoute un antiseptique. Ce bain sert aussi à éviter la putréfaction et la dégradation de la "fleur" et des fibres de la peau dans la cuve.

Vient ensuite le dépilage et le pelanage. Le dépilage est effectué par des produits qui détruisent la kératine (constituant du poil) et l’épiderme de surface. Le pelanage consiste à dégrader légèrement les fibres pour rendre la peau plus réceptive aux futurs traitements tannants. Cette étape conditionne en partie la souplesse du cuir fini, car plus les fibres seront dégradées et plus le cuir sera souple.

Les peaux passent ensuite à l’écharnage : une machine nommée écharneuse élimine l’ensemble des tissus sous-cutanés. A partir de ce moment, il ne reste que le derme, qui sera transformé en cuir.

Le déchaulage consiste à réduire le pH des peaux à 7 (il est encore trop basique) : on trempe les peaux dans des cuves emplies d’eau et des sels ou des acides. Les cuves sont agitées, pour accélérer le processus. Des contrôles réguliers sont effectués car un pH trop acide dénaturerait la peau. D’autres réactions (confitage et picklage), indispensables mais de moindre importance, sont mises en oeuvre au cours de cette opération générale, en vue d’éviter d’autres réactions lors du tannage qui se déroule en milieu acide.

Puis vient le tannage du cuir : c'est l’action de transformer en cuir une peau débarrassée des poils et autres résidus. Le tannage consiste à déshydrater une peau putrescible et à y fixer des agents pour la rendre imputrescible et résistante.
Pour arriver à ce résultat, il existe plusieurs agents tannants :
- les tannins végétaux: ils se présentent sous la forme de poudres concentrées issues de divers végétaux ; les peaux passent alternativement entre 8 et 15 jours dans 5 à 8 cuves contenant des solutions de plus en plus concentrées ;
- le chrome, dans 80 % des cas, car plus économique (le tannage se fait en 24 heures).
- d’autres types de tannage (à l’aluminium, au zirconium, etc.), permettent d’obtenir des cuirs spécifiques, mais restent moins bien maîtrisés et coûteux, donc moins courants.

Le tannage transforme donc les "peaux" en "cuir", mais ce dernier n’a pas encore les caractéristiques nécessaires à la confection d’objets en cuir. La succession de plusieurs opérations de corroyage doit encore le rapprocher du résultat souhaité.
Ainsi, au cours de l’essorage, le cuir passe entre des cylindres : comprimé, il perd une grande partie de son eau.
Puis les cuirs peuvent être refendus. On obtient deux feuilles. L’une est la fleur (côté externe) et l’autre la croûte, ce qui double la surface de produit à vendre, en fonction des utilisations.
Le cuir est ensuite neutralisé, pour supprimer une éventuelle acidité résiduelle et encore faciliter la pénétration des produits chimiques. Il peut alors être teinté et nourri : la nourriture, souvent réalisée à l’aide d’une huile de poisson, donne de la souplesse et augmente la durée de vie. En fonction de la destination prévue pour les cuirs, le pourcentage de matière grasse sera différent :
- 4 à 10 % de son poids pour du cuir à chaussure
- jusqu’à 30 % pour du cuir dit gras.
Le séchage, enfin, est une étape très importante pour la qualité du cuir. S’il est trop rapide, le cuir sera trop raide et s’il est trop lent, la tannerie n’est plus rentable. Ce séchage peut se faire de plusieurs manières : sur cadre, suspendu ou sous vide.

Il est intéressant d'observer que les mêmes tanins végétaux utilisés pour le tannage des peaux furent employés pour la confection d'encres... comme on peut en faire l'expérience en faisant bouillir de l'écorce de chêne dans de l'eau, puis en ajoutant de la rouille dans la décoction : on voit se former un beau précipité noir, que l'on peut stabiliser à l'aide de gomme arabique.
D'ailleurs, si l'on goûte la décoction avant d'ajouter la rouille, on perçoit que la solution est très astringente : les tanins se lient aux protéines lubrifiantes de la salive.
Autre expérience possible : mettre en bouche une gorgée d'un vin astringent, la faire tourner dans la bouche, et recracher doucement (pour ne pas faire de mousse qui gênerait les observations ; on voit alors un précipité que forment les protéines salivaires avec des tanins du vin.

 

Tout cela étant dit, que sont les tanins ? Et quel rapport avec les pigments phénoliques des plantes (et du vin), avec les composés astringents du bois ? Et avec des polyphénols ?

Un collègue évoque (Why bother with Polyphenols ? : Groupe Polyphenol. https://www.groupepolyphenols.com/the-society/why-b...) la question de savoir ce que sont les polyphénols. Il répond que ce n'est pas simple, et il propose une définition discutable (selon lui). Mais l'apport de son texte est surtout de faire état de définitions successives, de ce que le Gold Book de l'Union internationale de chimie (IUPAC) propose de nommer plus simplement et plus justement des "phénols" (https://goldbook.iupac.org/), comme je l'explique plus loin.

Je reprends d''abord le texte de mon collègue son texte en le traduisant, et en le transformant. Mais je me fonde aussi sur le texte Haslam E. 2007. Vegetable tannins-Lessons of a phytochemical lifetime, Phytochemistry, 68, 2713-2721.

Il y a 50 ans, Theodore White a proposé une définition fondée sur l'utilisation de composés phénoliques pour tanner, ce qui avait conduit à la terminologie "tanins végétaux". Ces composés avaient été explorés, pendant la première partie du 20e siècle, mais les outils manquaient aux chimistes entourant le chimiste allemand Emil Fischer -notamment son élève Karl Freudenberg- pour en élucider la constitution moléculaire.

Trois scientifiques prirent le relais : E. C. Bate-Smith et Tony Swain explorèrent les phénols des plantes, précisant les bases moléculaires du tannage par des composés végétaux, tandis que Edwin Haslam explorait la réactivité, la synthèse, les effets phytochimiques, biochimiques et biophysiques de diverses catégories de ces composés, ainsi que leurs interactions avec des polysaccharides ou des protéines.

Haslam proposa une première définition, en utilisant les travaux de Bate-Smith, Swain et White : les "polyphénols" auraient été restreints à des tanins végétaux qui auraient été solubles dans l'eau et auraient eu une masse molaire comprise entre 500 et 3000-4000, avec 12 à 16 groupes hydroxyles phénoliques et 5 à 7 noyaux aromatiques par 1000 unités de masse molaire, ce qui aurait permis les réactions phénoliques connues, tel la formation de complexes bleus sombres avec des sels de fer III, la capacité de précipiter des alcaloïdes et des protéines.

Avec cette définition, la lignine n'est pas un polyphénol, et trois classes de produits naturels portant des groupes phényle polyhydroxylés pouvaient être désignés par le terme "polyphénol" : les proanthocyanidines (ou tanins condensés) tels que procyanidines, prodelphinidines et profisetinidines, les gallo- et éllagitanins (les "tanins hydrolysables"), qui sont dérivés du métabolisme de l'acide gallique (ou acide 3,4,5-trihydroxybenzoïque), les phlorotanins, que l'on trouve dans les algues brunes et dérivent du couplage oxydatif du phloroglucinol (ou 1,3,5-trihydroxybenzène).

Cette définition a été élargie à des structures phénoliques plus simples, notamment en raison d'une reconnaissance de la bioactivité des phénols végétaux. Un grand nombre de ces composés n'ont pas d'action tannique, mais ils peuvent être à l'origine de composés qui en ont une. Ont alors été considéré comme "polyphénols" des composés tels les flavonoïdes, avec les flavones, les flavanones, les flavanols, les flavonols, les isoflavones, les anthocyanidines, les chalcones, les aurones et les xanthones.

 

Mais UIC, toujours l'UIC, rien que l'UIC

On comprend que la notion de "polyphénols" s'est lentement dégagée de celle de tanins, mais on se souvient que, en matière de chimie, les terminologies doivent faire l'objet d'un consensus international (sans quoi le fléau de la tour de Babel crée le désordre).
Bref, le Gold Book de l'Union internationale de chimie (IUPAC) est clair et logique : on ne parle de polyphénols que pour des composés qui sont des polymères (plus de 100 résidus environ) ou des pseudopolymères (avec des résidus qui peuvent être de plusieurs types) de phénols. Et c'est ainsi que les lignines, par exemples, sont des polyphénols... alors que nombre de tanins ne sont que des oligophénols, en vertu de la définition internationale :
Oligo: A prefix meaning 'a few', and used for compounds with a number of repeating units intermediate between those in monomers and those in high polymers. The limits are not precisely defined, and in practice vary with the type of structure being considered, but are generally from 3 to 10, e.g. oligopeptides, oligosaccharides.
Source:
PAC, 1995, 67, 1307. (Glossary of class names of organic compounds and reactivity intermediates based on structure (IUPAC Recommendations 1995)) on page 1353

Terminons avec la définitions des "phénols" : Compounds having one or more hydroxy groups attached to a benzene or other arene ring.
C'est clair, non ?

En tout cas, pour ce qui me concerne, je ne parlerai plus que de phénols, quand il s'agit de phénols, et de polyphénols quand il s'agit de polyphénols 😉

La découverte du gluten

Denis Diderot était un homme extraordinaire, qui lut immensément et écrivit en proportion. 

Il lut : pour écrire des articles de l'Encyclopédie, et aussi pour en coordonner la confection, il dut  se procurer des livres qui décrivaient les métiers, l'histoire, la géographie, les sciences... 

Il fit une œuvre qui n'est plus à présenter, et, au-delà, il fut également un auteur de romans, contes, nouvelles, pièces de théâtre... dont certains sont tout à fait merveilleux. 

Lisons, par exemple, les Bijoux indiscrets. Lisons surtout Jacques le fataliste, plein d'humour, léger... 

 

J'en étais là  de mes éblouissements, ayant récemment découvert les textes sur l'esthétique écrits par Diderot à propos des Salons, quand, intéressé par le gluten et l'amidon, je dénichais les Eléments de physiologie

Des Eléments de physiologie, rédigés par Diderot ? Le texte était largement commenté, et j'appris alors  que le gluten avait été découvert par un chimiste italien nommé Jacoppo Beccari, et,  également, par deux chimistes de Strasbourg : Kessel et Meyer. Pour le document que j'avais en main, trouvé sur Internet, le travail académique de commentaires des Eléments de physiologie ayant été faits (il y a presque autant de notes que de texte), je me reposai paresseusement sur cette information. 

Hélas... Hélas, tout récemment, devant produire un travail scientifique à propos de Parmentier, je me suis intéressé à la question de plus près. J'ai alors vu que Parmentier ne cite pas ces fameux Beccari, Kessel, Meyer,  mais plutôt Beccari, d'une part, et un certain Kessel-Meier, d'autre part. 

Qui croire ? Pour Beccari, les choses ne sont pas encore parfaitement claires, car les documents hésitent sur la date, entre 1727 et 1742. Il semble -il semble seulement- que Jacoppo Beccari ait fait une communication à l'Académie des sciences de Bologne. Toutefois, je n'ai pas le texte de cette communication, et je ne peux donc me prononcer pour l'instant. 

D'autre part, j'ai trouvé l'existence d'un Kessel-Meier,  même si le commentateur des Eléments de physiologie décrit bien un Kessel et un Meier. Une recherche approfondie m'a procuré une dissertation de Kessel-Meier, à propos de la question de la farine, mais je n'ai pas de trace de documents écrits d'un Kessel et d'un Meier sur ce thème. 

J'en viens donc à conclure que l'hypothèse d'un Kessel-Meier l'emporte sur celle de Kessel séparé de Meyer. Finalement, il reste que, pour Beccari, je n'ai pour l'instant que le texte de sa thèse, De Fromenti, qui date de 1742 et non comme cela est dit sans preuve de 1727. Je n'ai pas trouvé en ligne la communication à l'Académie des sciences  de Bologne, laquelle n'a pas encore répondu à mes demandes. M'aiderez-vous à la trouver ?

 

Et pour plus : https://hal.science/hal-01852558/document