Au premier ordre, la distillation est une opération de physique et pas de chimie.
J'ai expliqué que les matières alimentaires étaient le plus souvent fait de molécules, très petits objets de différentes sortes : molécule d'eau dans l'eau, molécule de triglycérides dans les huiles, molécules de saccharose dans les cristaux de sucre....
La chimie est cette science qui explore les transformations des molécules.
Par exemple, quand on chauffe énergiquement du sucre, alors il se transforme comme chacun sait quand on fait du caramel : on part de cristaux transparents, et l'on obtient une matière brune, avec une saveur moins sucrée, un peu amère, et une belle odeur de caramel.
Lors de cette transformation qu'est la caramélisation, les objets tous identiques qui étaient les molécules de saccharose du sucre sont cassés, et certains morceaux se ré-associent de sorte que finalement on obtient des molécules différentes de celles du saccharose initial.
Il n'y a pas de "molécule de caramel" au sens d'une seule sorte de molécules, mais des molécules de tas de sortes différentes avec des noms qui n'ont pas d'intérêt ici.
Dans d'autres cas, il n'y a pas de réorganisation des molécules (brisure, morceaux qui se lient, etc.), mais simplement une séparation.
C'est le cas de la distillation.
Partons par exemple de vodka, qui est faite de 60 pour cent d'eau et de 40 pour cent (en volume, mais c'est un détail) d'un alcool que l'on nomme éthanol : avec un super microscope ,on verrait environ 6 molécules d'eau pour 4 molécules d'éthanol.
Et tout cela grouille en tous les sens, car la vodka est liquide à la température ambiante.
Si l'on chauffe cette vodka, alors les molécules d'éthanol partent les premières du liquide, formant une vapeur (invisible) qui s'élève au-dessus du récipient qui contient la vodka chauffée.
Cette vapeur, à ce stade, est faite quasi exclusivement de molécules d'éthanol. Et, à ce stade, la température, du liquide, comme celle de la vapeur, est alors d'un peu moins de 80 degrés.
Mais quand toutes les molécules d'éthanol sont parties sous la forme de vapeur, il ne reste presque que des molécules d'eau dans le liquide.
Si l'on chauffe alors d'avantage, alors la vapeur qui s'échappera sera constituée de molécules d'eau.
La vodka, c'est donc un mélange de deux sortes de molécules : des molécules d'eau, et des molécules d'éthanol.
Et la distillation consiste à chauffer pour évaporer, puis refroidir les vapeur pour qu'elles se "recondensent", qu'elles forment un liquide.
Et c'est ainsi que le liquide obtenu d'abord, c'est de l'éthanol bien plus concentré, tandis que l'eau reste dans le liquide.
La distillation, qui ne casse pas les molécules, n'est pas une transformation moléculaire, ce n'est pas de la chimie, mais de la physique, comme ces opérations que la filtration, le broyage, la décantation...
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
mardi 6 décembre 2022
La distillation, c'est une séparation physique, pas de réaction chimique
Le monde (de la cuisine) est fait de molécules
Puisqu'il y a lieu d'expliquer la chimie commençons par les principales matières que nous rencontrons en cuisine : l'eau, l'huile, le sel, le sucre, la farine, le beurre.
Commençons donc avec l'eau
Pour l'eau, imaginons un verre d'eau devant nous. Nous percevons un liquide incolore et transparent, homogène.
Si nous le regardons avec une loupe, nous continuons à voir ce liquide incolore et transparent, apparemment homogène.
Il faut un microscope extraordinairement puissant pour finalement distinguer que l'homogénéité n'est qu'apparente et que, en réalité, l'eau est faite d'une myriade de petits objets tous identiques, qui bougent en tous sens et très rapidement (plusieurs centaines de mètres par seconde).
Il ne nous sera pas difficile d'accepter de nommer ces objets des "molécules d'eau", n'est-ce pas ?
Je propose ici de ne pas aller plus loin dans la description de ces molécules et de nous contenter de dire que l'eau est en réalité constitué de ces molécules d'eau entre lesquelles il n'y a rien, du vide.
La masse de l'eau, c'est la somme des masses de tous ces petits objets tous identiques.
Et la différence entre l'eau du robinet, ou l'autre pluie, ou l'eau de mer, et cetera, cela tient à la présence, parmi ces molécules d'eau, d'autres molécules de nature différente, ce que l'on pourrait nommer en quelque sorte des impuretés si l'on se réfère à l'eau parfaitement pure.
Il faut d'ailleurs ajouter que le mot "impureté" ne doit pas avoir de connotation péjorative, car la neige fondue , qui fait de l'eau très pure, et néfaste pour notre organisme, et nous avons besoin de la présence de ce que l'on nomme des "ions", parmi les molécules d'eau.
Mais là , avec le mot "ion", je sais que je suis allé trop trop loin, et je propose de passer à la seconde matière que j'avais annoncée, à savoir l'huile.
L'huile est encore un liquide, également transparent, plutôt jaune... bien que cette couleur soit encore due à des "impuretés" : l'huile parfaitement purifiée serait incolore.
À nouveau, à l'œil nu, l'huile paraît homogène ; et, à la loupe, elle le paraîtrait aussi.
Et là encore, il faut un microscope extraordinairement puissant pour voir que l'huile est composée d'une myriade d'objets très semblables (pas parfaitement identiques), et différents des molécules d'eau.
Nommons-les "molécules de triglycérides".
Avec ces deux exemples, on voit on comprend que la matière est souvent faite de molécules, et c'est exact : nous avons déjà rencontré les molécules d'eau et les molécules de triglycérides.
Passons donc au sucre.
Cette fois, c'est un solide.
Si nous regardons les grains de sucre au microscope, nous voyons que ce sont des solides transparents, avec des faces planes.
Avec un très gros microscope, les grains sont encore homogènes, dans l'intérieur du grain.
Mais si l'on prend maintenant un microscope extraordinairement puissant, alors, là encore, on s'aperçoit que le sucre est composé d'objets en très grand nombre, tous identiques : nous les nommerons des molécules de saccharose.
Cette fois, dans le cristal, les molécules de saccharose ne bougent pas ou, plus exactement, elle se contentent de vibrer sur place, car elles sont empilées régulièrement. C'est d'ailleurs cela qui distingue un solide d'un liquide.
Passons maintenant au sel.
Cette fois, nous voyons encore, à la loupe, que le sel est fait de cristaux tous transparents. D'ailleurs pour le sel comme pour le sucre, la couleur blanche d'un tas de sel ou d'un tas de sucre n'est pas due aux grains, qui sont individuellement transparents et incolore, mais résulte de la réflexion de la lumière blanche du jour sur les faces de ces cristaux ; plus il y a le cristaux, plus le tas apparaît blanc, alors même que chaque cristal est transparent.
Pour le sel, si nous utilisions notre super microscope, nous verrions deux types d'objets : ces objets sont des "atomes de chlore" et des "atomes de sodium". Ils sont régulièrement empilés comme des cubes, et c'est leur liaison très forte qui assure la solidité du cristal de sel.
En réalité, ces atomes de chlore et les atomes de sodium, dans un cristal de sel, se sont échangés une petite partie qui est nommée "électron", ce qui a changé leur nom, d'atome en ion.
Mais c'est vraiment secondaire pour notre propos et je propose de rester à l'idée que les cristaux de sel sont composés de ce qu'on nomme le chlorure de sodium, une entité où l'on imagine groupés un atome de chlore et un atome de sodium.
Avec le beurre, les choses se compliquent un peu.
Oui, le beurre est plus complexe... comme on le pressant quand on chauffe doucement du beurre : dans le beurre que l'on clarifie ainsi en chauffant très doucement et longtemps, on voit deux liquides se séparer, avec un liquide blanchâtre en bas et un liquide transparent et jaune par-dessus.
Le liquide blanchâtre du bas, c'est pratiquement de l'eau, et le liquide transparent et jaune par-dessus, c'est pratiquement de l'huile.
D'ailleurs on dit que le beurre fondu fait huile.
Effectivement, dans la partie inférieure, le super microscope montrerait essentiellement des molécules d'eau, tandis qu'il montrerait des molécules de triglycérides dans le liquide supérieur.
Dans le beurre lui-même, l'organisation de ces molécules est un peu compliquée, et je propose de garder ça pour une autre fois.
Pour passer maintenant à la farine, plus compliquée que le beurre.
La farine s'obtient par mouture de grains de blé, dont on élimine d'abord les enveloppes, ce que l'on nomme les sons.
Il reste, quand on moud la farine, une poudre blanche, d'autant plus blanche d'ailleurs que l'on s'est plus approché du cœur du grain.
Cette fois, une expérience encore nous permet de voir que la farine n'est pas une matière homogène : cette expérience fut faite pour la première fois au 18e siècle, par des chimistes, et elle a pour nom "lixiviation" :
- on part de farine,
- on ajoute un peu d'eau,
- on travaille beaucoup pour faire une pâte qui devient de plus en plus dure à mesure que l'on travaille,
- puis on met cette pâte dans une grande bassine d'eau claire
- et on la malaxe doucement : en sort une poudre blanche que l'on a nommé l'amidon, et il reste entre les doigts une sorte de chewing-gum jaunâtre que l'on a nommé le gluten.
Je me hâte de dire que ni l'amidon ni le gluten ne sont chacun composés de molécules toute identiques, et l'on pourrait continuer à fractionner comme on vient de le faire, pour séparer l'amidon en plusieurs types de molécules dites de polysaccharide ; de même, le gluten en plusieurs sortes de protéines.
Mais on retrouve encore notre même idée la farine est faite de molécules, certes de plus de variétés que dans l'eau ou dans l'huile, mais quand même, des molécules.
Et c'est ainsi que le monde matériel de la cuisine est essentiellement fait de molécules.
Dans la farine, nous sommes sur la piste d'une complexité croissante qui augmenterait encore par exemple avec les viandes, les poissons, les fruits ou les légumes... mais ce sera pour une autre fois.
lundi 5 décembre 2022
La cuisine des plantes
La cuisine des plantes ? Cela vaut le coup de savoir ce que l'on transforme.
Commençons par observer que cette question des "plantes" est minée : certains croient qu'elle serait "naturelle"... et ils ont tort.
Car, selon la définition du dictionnaire, les aliments sont artificiels et non pas naturels puisque est naturel, en français, ce qui ne fait pas l'objet de la transformation par un être humain.
Or la cuisine, c'est bien une transformation par un être humain : la cuisinière ou le cuisinier.
Cela étant dit, il faut maintenant se préoccuper de la constitution des ingrédients que nous utilisons pour cuisiner.
Et c'est ainsi que récemment, recevant la visite d'une journaliste néerlandaise, je crois que j'ai eu raison de lui expliquer d'abord les possibilités de transformation en partant de la constitution microscopique et moléculaire des tissus végétaux.
Considérons, par exemple, des feuilles d'épinard : si nous les regardons au microscope, nous voyons qu'elles sont constituées de très nombreux petits compartiments, cimentés entre eux par ce que l'on nomme une "paroi végétale".
Des compartiments ? Ce sont des "cellules". Ces cellules sont vivantes, et la plante elle-même et donc une sorte de colonie d'êtres vivants.
Chaque cellule est composée principalement d'eau, et, aussi, de tout ce qui la rend vivante.
Elle est limitée par une membrane et cette membrane est sous ce que l'on nomme une "paroi".
Cela ne se voit pas au microscope optique courant, mais la paroi , est fait de fibres de cellulose et de molécules de pectine, principalement.
Les molécules de pectine sont comme des cordes qui relient les fibres de cellulose des parois des cellules voisines et l'aurait donc raison de dire que ce sont les molécules de pectines qui font le lien.
Les pectines ? On les connaîts pour les confitures, parce que, quand on cuit des tissus végétaux, les molécules de pectine sont libérées dans le liquide de cuisson et, au refroidissement, elles viennent se relier en une sorte de grand filet pour faire ce que l'on nomme un gel : c'est la confiture, ou la gelée.
Les fibres de cellulose ? Que l'on pense à un mouchoir en coton, un t-shirt en coton, du coton hydrophile... : tout cela, ce sont des fibres de cellulose plus ou moins organisées.
D'ailleurs, le papier est fait de fibre de cellulose que l'on peut même voir à l'aide d'une loupe : le papier est un "non tissé".
Ces "fibres de cellulose" sont faites... de molécules de cellulose, des molécules très résistantes à la chaleur, comme le prouve l'expérience qui consiste à faire bouillir un t-shirt quand on le lave : même après de nombreux lavages, il ne se dissout pas dans la machine à laver.
Cette inertie chimique diffère complètement de la fragilité des pectines : si l'on cuit trop longtemps de la confiture, elle ne prendra plus, car les molécules de pectine auront été dégradées et le grand filet ne pourra pas se faire.
Ayant ces informations sur la constitution des tissus végétaux, nous pouvons passer maintenant à la cuisson des légumes.
Lors d'une cuisson de légumes, les parois végétales sont désorganisées et les molécules de pectine sont libérés, ce qui permet la séparation des cellules.
Et c'est ainsi que quand on cuit des carottes, par exemple, on peut, après cuisson, les écraser pour faire une purée : les cellules sont alors intègres mais séparées.
Évidemment, il peut y en avoir qui sont endommagées, mais ce n'est pas là le phénomène principal : lors de la confection d'une purée, lorsqu'on écrase un tissu végétal qui a été cuit, alors ce sont surtout des groupes de cellules que l'on récupère et que l'on sépare.
dimanche 4 décembre 2022
La... preuve... de mes hésitations
La question de la preuve, en sciences de la nature
Je propose une réflexion épistémologique (pardon : plus de trois syllabes à ce mot), puisque je ne suis pas certain de moi : mes amis n'auront ici qu'un soliloque, mais je compte sur eux pour rectifier mes erreurs.
La question tourne autour du mot « preuve », parce qu'il me semblait qu'il n'y avait de preuve qu'en mathématiques. En sciences de la nature, en revanche, puisque l'on produit des théories et que celles-ci sont insuffisantes par nature, la « preuve » de ces théories n'est pas possible.
Cela étant, dans un récent billet de blog, je considérais la cuisson des viandes sautées, et je prenais la formation de fumée comme une indication de l'évaporation de l'eau.
A utiliser le mot « indication » plutôt que le mot « preuve », je crois ma prudence justifiée, parce que cette fumée pourrait être tout autre chose qu'un ensemble de gouttes d'eau formées par recondensation de la vapeur formée quand le jus (majoritairement de l'eau) sort de la viande (en raison de sa contraction) et vient être évaporée par le contact avec la poêle très chaude. C'est peu probable que ce soit autre chose, mais nous discutons ici la question du principe.
Donc même pour une question aussi simple, je crois que le principe est salvateur. Car, au fond, même si nous savons qu'il y a de l'eau évaporée, et que cette eau se recondense, il y a très vraisemblablement aussi d'autres composés qui s'élèvent dans l'air : à... preuve, l'odeur que nous percevons.
Et nous arrivons donc à un cas plus intéressant que celui de la fumée : s'il y a odeur, comment n'y aurait-il pas évaporation d'autre chose que de l'eau ? Sentir n'est-il pas une preuve ?
Oui, mais il y a la pratique et le principe. Et, en principe, nos sens sont trompeurs, et nous pourrions être trompés. Même si nous sommes des millions à sentir la même chose.
Surtout, comme il y a une différence entre la preuve mathématique et la preuve physique, il y aurait lieu, en physique, d'éviter le mot de "preuve" pour parler de corroboration, par exemple, n'est-ce pas?
Et puis, de toute façon, ne cherchons-nous pas plutôt la réfutation, qui nous fait progresser en permettant de dépasser l'insuffisante théorie que nous avons ?
Sel, chlorure de sodium : quelles différences ?
Ayant discuté d'ilchimisme dans des billets précédents, il me faut maintenant chercher des remèdes à cette insuffisance, et la première consiste à prendre toute occasion pour la combattre.
Aujourd'hui, considérons la différence entre le sodium, le chlorure de sodium et le sel.
Le sel, c'est le sel : connu depuis des temps immémoriaux, extrait de la mer par évaporation de l'eau ou récupéré dans des mines.
Dans le premier cas, c'est le sel de mer, et dans le second, c'est le sel gemme.
Le sel est salé, et quand il est pur, parfois un peu amer ; il se présente sous l'aspect de cristaux individuellement transparents, mais qui paraissent blanc quand leur facettes réfléchissent la lumière blanche du jour.
Et quand on met du sel dans l'eau, on obtient de l'eau salée.
De quoi ce sel est-il fait ? Si on le regarde avec un microscope extraordinairement puissant, alors on voit que les cristaux de sel sont des empilements assez réguliers, comme des cubes empilés, avec principalement deux sortes d'objets que l'on a nommés "atomes de chlore" et "atome de sodium". Ne nous effrayons pas, ce ne sont là que des mots, des noms arbitraires.
Mais précisons que, en réalité, dans un cristal de sel, les atomes de chlore et les atomes de sodium sont fortement liés les uns aux autres parce qu'ils ont échangé un tout petit objet nommé électron et que cet échange les conduit à s'attirer comme deux aimants.
Si l'on est plus précis, on dit que les atomes de sodium qui ont cédé un électron sont devenus des "ions sodium" (un autre nom), et que les atomes de chlore qui ont gagné un électron sont devenus des "ions chlorure".
Mais c'est véritablement un détail du deuxième ordre.
Quelle est la différence entre le sel et cette matière que l'on nomme chlorure de sodium et qui est faite exclusivement d'ions chlorure et d'ions sodium ?
Tout tient dans les impuretés, car quand on part d'eau de mer pour produire du sel (de mer, donc), alors on récupère un sel qui est qui contient non seulement des atomes de chlore et des atomes de sodium, mais aussi tout une série d'autres atomes : iode, calcium, potassium, et cetera.
Le "chlorure de sodium", en revanche, c'est seulement des atomes de chlore et des atomes de sodium, tandis que le sel, c'est seulement principalement des atomes de chlore et des atomes sodium, mais aussi beaucoup d'autres atomes de types différents.
Le sel gemme non raffiné, aussi, n'est pas du chlorure de sodium : selon les mines, il se présente sous la forme de bloc blancs, un bruns grisâtres, ou bleus, ou roses, ou rouger, selon qu'il contient des atomes de fer, de cuivre, et cetera.
Ne confondons donc pas le sel et le chlorure de sodium.
Et le sodium ?
Comme il est parfois question due sodium indépendamment du sel ou du chlorure de sodium, il faut maintenant expliquer que le sodium n'est pas le sel, comme on l'a compris à l'explication précédente puisque dans le sel il y a des atomes de chlore et des atomes de sodium.
Et ce n'est pas le sodium qui donne la saveur principalement salée du sel, mais les ions sodium.
Car le "sodium", c'est un élément, une catégorie abstraite de la chimie, alors qu'un ion sodium est un objet matériel.
En effet, les atomes qui font la matière de notre monde sont de différentes sortes : la chimie en a découvert environ 200 sortes qui ont pour nom hydrogène, hélium, lithium, bore, carbone...
Ce sortes sont ce que l'on nomme des éléments, et un élément est donc une catégorie, une chose abstraite, plutôt qu'un objet concret.
Ce qui est concret, c'est l'atome d'hydrogène, ou l'atome d'hélium, et cetera.
De sorte que quand on dit "le sodium", c'est la catégorie d'atomes de sodium que l'on considère, et non pas les atomes de sodium eux-mêmes.
De ce fait, il est juste de dire que les atomes de sodium donnent la sensation salée, et il est donc inexact de dire que le sodium donne la sensation salée.
D'ailleurs, si l'on voulait être tout à fait précis, on dirait que ce sont les ions sodium qui donnent la sensation salée.
Là, je crois que j'ai fait le tour de cette question et je vois aussi que nous pourrons régulièrement donner des informations utiles pour que nos amis comprennent mieux le mot matériel où ils vivent.
samedi 3 décembre 2022
De l'illettrisme, de l'anumérisme, de l'alchimisme
Il y a d'abord l'illettrisme qui touche une partie trop grande de nos populations, malgré des années passées sur le banc des écoles, des collèges et des lycées : 7 % de la population adulte âgée de 18 à 65 ans ayant été scolarisée en France est en situation d’illettrisme, soit 2 500 000 personnes en métropole (je trouve ce chiffre sur un site officiel : http://www.anlci.gouv.fr/Illettrisme/Les-chiffres/Niveau-national).
Et j'ajoute aussitôt que ce billet n'est en aucun cas un jugement, mais une observation et une réflexion en vue d'une action pour améliorer les choses.
Mais l'illettrisme n'est pas la question que je veux discuter ici, meme si, comme l'a dit justement Lavoisier après Condillac, la science et les mots vont de pair. Non, c'est bien de science dont il est question ici.
De même qu'il y a de l'illettrisme, il y a de l'anumérisme, cette incapacité à comprendre les ordres de grandeur de notre environnement.
Par exemple, lors d'une réunion avec des collègues universitaires, je me suis aperçu aucun d'entre eux n'avait une idée de l'ordre de grandeur de la masse d'une pincée de sel.
Et, plus généralement, si l'on écoute la radio, et notamment les discussions à propos du budget de l'Etat, que représente un million d'euros ? Et un milliard ?
Nous ne sommes pas familiers, en général, avec de telles valeurs, et les mots glissent sur nous comme l'eau sur les plumes du canard.
Il en va de même pour toutes les valeurs très grandes ou très petites, et l'on aura raison de rappeler avec le philosophe grec antique Protagoras que l'homme et la mesure de toute chose.
Bref, nous manquons d'ordres de grandeur, et cela vaut la peine de rappeler que Pierre Gilles de Gennes, prix Nobel de physique, avait fait sienne cette méthode intime d'Enrico Fermi, également prix Nobel de physique, à savoir s'entraîner quotidiennement à calculer des ordres de grandeur.
C'est ainsi que Fermi sélectionnait les étudiants qui postulaient à son laboratoire en leur demandant combien il y avait d'accordeurs de piano à Chicago.
Et pour moi, sans idée de sélection, je discute souvent avec les étudiants en sciences que je rencontre de la question du nombre de cheveux sur une tête, par exemple.
Oui, les calculs d'ordres de grandeur sont essentiels parce qu'ils nous familiarisent avec autre chose que notre petit monde.
Mais, après l'illettrisme et l'anumérisme, je veux surtout considérer la chimie et l'ilchimisme, cette méconnaissance des objets de cette science, de ses phénomènes. Il faut la vaincre dès l'école primaire !
vendredi 2 décembre 2022
Non, décidément, l'ilchimisme n'est pas une illusion
Soyons factuels pour un sujet si délicat : je sors d'un petit tour dans la rue, dans le 5e arrondissement de Paris : j'ai arrêté des passants pour leur demander ce qu'est une molécule... et seulement trois d'entre eux, sur 25, ont été capables de me le dire.
Evidemment Je dois préciser les conditions de l'expérience : c'était un jeudi, à 10h30, en remontant l'avenue des Gobelins.
Certes, ce sondage n'a pas de valeur de généralité, mais quand même, il y a lieu d'observer factuellement que cette notion élémentaire de la chimie n'est pas connue.
Je ne juge pas, mais je constate... et je ne m'étonne pas, car cela fait des décennies que j'ai l'occasion de faire la même observation, au point même que j'ai publié dans une revue savante ce type d'analyse :
https://www.academie-agriculture.fr/publications/notes-academiques/la-rigueur-terminologique-pour-les-concepts-de-la-chimie-une-base
Bref, je maintiens absolument qu'une partie notable de la population française -et certainement de la population du monde - souffre d'ilchimisme.
D'une part, parce que les sciences ne sont pas le domaine de la culture le plus populaire (litote), mais, aussi parce que les cours de chimie sont le plus souvent donnés à des enfants qui entrent dans une période d'adolescence, à savoir quand la compréhension de ces notions est bien... difficile : les hormones conduisent à des comportements qui ne favorisent pas les études !
Et, avec une initiation insuffisante, sans rappels derrière, on obtient des adultes ignorants de la constitution matérielle du monde.
Les effets s'en font sentir durablement : dans une réunion professionnelle, j'ai eu l'occasion d'observer que des collègues qui n'étaient pas chimistes ne comprenaient pas la différence entre sel et chlorure de sodium. D'ailleurs, rien que le mot sodium leur semblait obscur.
Je répète que je ne suis pas en train de critiquer, mais de constater, d'observer, d'analyser, et d'en tirer des conséquences.
Et la conclusion est claire : il y a trop d'ilchimisme (l'analogue de l'illettrisme, mais pour la chimie) dans notre société, et cela nuit aux bonnes prises de décisions, dans toutes les circonstances (la plupart) où la notion de molécule est présente : toxicité, climat, pollution, aliments, cosmétiques, vernis et peintures, médicaments...