mercredi 19 janvier 2022

Du travail... parce que c'est passionnant

 Alors que j'ai le privilège de présenter mon activité scientifique à de jeunes journalistes, la séance de questions et de réponses qui suit ma présentation en fait apparaître une qui me semble essentielle : comment faire pour distribuer de l'information juste ? 


Cette question suit une discussion où je disais qu'il n'était pas nécessaire d'avoir une formation scientifique pour faire du bon journalisme scientifique : j'avais signalé que je connais quelques personnes qui ont très bien fait cela, et j'avais expliqué que si l'on ne connaît pas les sciences, on est plus à même de se poser en ambassadeur d'un public qui ne les connait pas non plus, et l'on est plus à même d'interroger son interlocuteur scientifique, à condition bien sûr de ne pas lâcher le morceau, de bien chercher à tout comprendre.
Bien sûr, il faut avoir un interlocuteur de confiance, d'une part, et compétent, d'autre part.

D'où la question qui m'a alors été posée : comment  sélectionner les scientifiques qui nous diront des choses justes et claires ?  

Cette question est particulièrement importante, dans un monde où  des gourous et des experts prétendus disent tout et n'importe quoi sur les plateaux de télévision, les radios, sur internet, dans les journaux.

Oui, comment faire du bon journalisme ? Hubert Beuve-Méry, fondateur du journal Le Monde, disait justement qu'il faut bien séparer les faits, d'une part, et les interprétations, d'autre part. 

Les faits : il faut les connaître et être, donc, capable de détecter des erreurs que l'on nous tendrait, si nous ne sommes pas capables de le faire nous-même (et si l'on n'a pas de formation scientifique, voire si l'on en a une, c'est très difficile).

Cela impose de consulter des scientifiques de confiance. De telles personnes de confiance, il en existe. Oui, il y a des gens qui cherchent à dire le droit, le juste, l'honnête, le pas biaisé idéologiquement.

De sorte que ma conclusion a été que, pour un bon journaliste, il y avait une question préliminaire, essentielle : bien sélectionner des correspondants, se créer un réseau, qui sera la base sur laquelle le travail pourra se faire.

Bien sûr, cela prendra du temps de créer un tel réseau, et il faudra sans cesse l'entretenir, corriger les listes (verte, rouge, noire), savoir quoi demander à qui précisément.

Comment, alors, détecter les correspondants de confiance ?  D'abord, on fuira comme la peste les "je sais tout", l'ultracrépidarisme, les gourous... et ce sera un bon signe si un de nos interlocuteurs nous dit qu'il ne sait pas répondre à une question que l'on pose, et s'il nous renvoie vers un collègue plus apte à bien répondre. Ce sera un bon signe si un scientifique se dit incompétent pour un champ donné. Ce sera un bon signe si de l'idéologie ne vient pas dans la réponse qui est donnée.

J'ajoute que ce réseau doit être le plus étendu possible, car les vrais bons spécialistes save précisément les limites de leur savoir on peut sans doute les reconnaître ne couvreront que de petits champs.

Bref, j'ai l'impression que le travail permet de pallier le "trash investigation" :  alors qu'il est facile de déformer les faits pour faire peur au bon peuple, il faut du talent -c'est-à-dire du travail- pour faire du spectacle avec de l'information de belle qualité.

Et, ici, je vois le mot "travail". C'était ma conclusion, pour nos jeunes amis journalistes :  j'ai proposé du travail, beaucoup de travail pour créer le réseau, préparer les sujets. C'est cela, la préparation,  qui demande du temps, de l'intelligence.
Oui, du travail... mais cela n'est pas pénible, mais, au contraire,  passionnant si le journalisme est ce que l'on aime, et si l'on a vraiment envie de faire bien !

mardi 11 janvier 2022

Le monde est écrit en langage mathématique, disait justement Galilée

 "Philosophy is written in this grand book, which stands continually open before our eyes (I say the "Universe"), but cannot be understook without first learning to comprehend the language and know the characters as it is written. It is written in mathematical language, and its characters are triangles, circles and other geometric figures, without which it is impossible to humanly understand a word; without these one is wandering in a dark labyrinth"


Galileo Galilei, The Assayer



« La philosophie est écrite dans cet immense livre qui se tient toujours ouvert devant nos yeux, je veux dire l'Univers, mais on ne peut le comprendre si l'on ne s'applique d'abord à en comprendre la langue et à connaître les caractères avec lesquels il est écrit. Il est écrit dans la langue mathématique et ses caractères sont des triangles, des cercles et autres figures géométriques, sans le moyen desquels il est humainement impossible d'en comprendre un mot. Sans eux, c'est une errance vaine dans un labyrinthe obscur. »

„Philosophy is written in this grand book, which stands continually open before our eyes (I say the 'Universe'), but can not be understood without first learning to comprehend the language and know the characters as it is written. It is written in mathematical language, and its characters are triangles, circles and other geometric figures, without which it is impossible to humanly understand a word; without these one is wandering in a dark labyrinth.“ — Galileo Galilei, book The Assayer

Source: https://quotepark.com/quotes/1453615-galileo-galilei-philosophy-is-written-in-this-grand-book-which-st/

vendredi 7 janvier 2022

Quelle belle découverte !

Quelle belle découverte !

Dans la série des émerveillement, il y a la découverte des fullérènes, ces composés dont les molécules sont en forme de ballon de football, avec 60 atomes de carbone aux nœuds d'un réseau refermé en sphère.

Le carbone est un élément dont il existe plusieurs variétés pures : il y a d'abord le graphite, où les atomes de carbone sont arrangées en réseau hexagonal, comme un nid d'abeille, ce qui forme des plans superposés, donc des possibilités de cliver le graphite entre les plans ; et il y a le diamant, qui est une structure bien plus complexe, d'une dureté tout à fait extraordinaire.

J'insiste un peu : le noir graphite et le cristallin diamant sont tous deux des matériaux fait uniquement d'atomes de carbone.

Et ce qui est merveilleux, ce qui fut un séisme parmi les chimistes, c'est qu'une nouvelle variété de carbone fut découverte il y a quelques décennies : le fullérène.
En réalité, on dit plutôt "les fullérènes", au pluriel, car on a vite découvert qu'il n'y avait pas seulement cette molécule de formule C60, à soixante atomes de carbones, mais aussi des cousins chimiques de la molécules.

J'arrive maintenant à la découverte : on connaissait donc le graphite et diamant, mais des études d'astrochimie, des explorations des molécules qui se trouvent dans l'espace interstellaire, et des analyses de la suie - oui : vous avez bien entendu : de la suie de cheminée -ont montré que se trouvaient dans ces deux environnements des molécules de formule C60.

C'était tout à fait extraordinaire, c'était une vraie découverte au sens littéral du mot "découverte", et les travaux ont été rapidement, et légitimement, récompensés par le prix Nobel de chimie.

Oublions l'interstellaire, qui fut un détour utile, mais le fait est là : il y avait depuis toujours, sous nos yeux, dans cette suie banale, des objets que l'on ne voyait pas et que des chimistes ont découverts. Il y avait des composés, présents en abondance, mais nos esprit n'avait pas permis à nos "yeux" de les voir.

Cette idée de la découverte des fullérènes doit nous accompagner dans toutes nos recherches scientifiques, n'est-ce pas ?

jeudi 6 janvier 2022

Obligé d'y revenir... en m'améliorant un peu : ni nutrition, ni diététique, ni toxicologie

 C'était le 14 octobre, que je publiais un billet intitulé "Ni nutrition ni toxicologie". 

Je suis tellement obligé de renvoyer mes amis à ce billets, ces temps-ci, que je l'ai relu, et que j'en propose une version que je crois améliorée :


J'en ai pris l'engagement, mais je le confirme ici : je ne veux plus parler publiquement de nutrition (encore moins de diététique), ni de toxicologie, et cela pour des raisons simples :


1. Je ne suis pas nutritionniste !


La nutrition est une science merveilleuse, parce que c'est une science de la nature, une activité fondée sur l'expérimentation et le calcul, et qui révèle les mystère du fonctionnement du corps humain, dans sa composante alimentaire. 

 C'est donc une branche de la physiologie, et, puisque "rien de ce qui est humain ne doit m'être étranger", dirais-je pour paraphraser Térence, c'est une activité qui est merveilleuse, quand elle est bien faite.

Pour autant : 

1. Je ne suis pas nutritionniste, donc je suis incompétent en nutrition, et ce ne sont pas les quelques articles scientifiques que je lis parfois qui me donneront une compétence suffisante.

2. Je cherche toujours à me concentrer sur mon propre travail, de gastronomie moléculaire et physique, parce que c'est l'activité que j'ai choisie, et que je me dois entièrement à elle : on ne fait pas de découverte en claquant des doigts. "Y penser toujours", disait Louis Pasteur ! 

 

Donc, que l'on me comprenne bien : je ne dis pas que la nutrition n'est pas une activité scientifique passionnante, mais seulement que cela ne m'intéresse pas, et que ce n'est pas ma compétence. Je critique l'épidémiologie nutritionnelle mal faite, quand elle est biaisée ou quand elle conduit à de l'idéologie malsaine.

 

2. Je ne suis pas diététicien

J'observe  qu'il y a une différence essentielle entre la nutrition, qui est une science biologique, et la diététique, qui en est l'utilisation pratique, et qui s'apparente à une sorte de morale.

Et cette activité de diététique a du bon et du mauvais : du bon quand il s'agit d'aider des personnes qui en ont besoin, et du mauvais quand il s'agit de propager des idées mal établies. 


J'observe aussi que l'être humain est de parfaite mauvaise foi : il veut manger sain... et il n'hésite pas à "craquer" sur le chocolat, qui est quand même fait de sucre et de matière grasse ! Plus plus loin à ce sujet, mais pour le moment, je signale que mon livre Le terroir à toutes les sauces est précisément un traité de la mauvaise foi (notamment à table), transformé en livre de cuisine et en roman d'amour, avec des recettes alsaciennes (délicieuses) traditionnelles.... mais modernisées   : la mauvaise foi, vous dis-je.




Et je reconnais l'importance de la diététique pour des cas particuliers, mais je refuse absolument un knockisme alimentaire, qui vise à considérer tout bien mangeant comme un malade qui s'ignore, et qui doit passer sous les fourches caudines de nutritionnistes ou de diététiciens.


3. Je ne suis pas toxicologue !

 
Certes, je suis de près les publications sur ce sujet, mais je m'étonne de voir les mêmes qui veulent manger sainement se bourrer de barbecues tout l'été (ah, les benzopyrènes cancérogènes), ou ne pas peler les pommes de terre (ah, ces délicieux glycoalcaloïdes toxiques). 

Bref, je dénonce des comportements incohérents.
 

Mais, surtout, je dénonce les discours idéologiques qui, fondés sur l'ignorance, risquent de conduire à de l'hygiénisme déplacé  ! Nous devons prendre des décisions rationnelles, considérer que notre alimentation n'a jamais été si saine. Nous ne devons pas confondre le danger et le risque. Nous ne devons accepter de réglementations que sur le risque. Et nous devons dénoncer à la vindicte publique ces salauds que sont les marchands de peur ou, pire, de cauchemars.
Répétons-le : jamais notre alimentation n'a été aussi saine !


4. Non seulement je ne suis ni toxicologue, ni diététicien, ni nutritionniste, mais, en réalité, ces disciplines qui relèvent de la biologie sont très éloignées de ma "compétence", qui est la gastronomie moléculaire et physique, science positive que j'aime beaucoup, et à laquelle je veux me consacrer.


Donc ne comptez pas sur moi pour vous parler publiquement d'autre chose que ce que je sais ! 

Ne me demandez pas de perdre mon temps à vous donner des informations que vous ne voulez pas, en réalité, ou  dont vous douterez parce que cela vous arrange, ou dont vous ne ferez rien : je n'ai pas envie ni de me faire inutilement des ennemis, ni de perdre mon temps. 

Certes, je fais précisément ma bibliographie, sur ces sujets comme sur d'autres sujets qui ne sont pas les miens, mais je veux me consacrer entièrement à la gastronomie moléculaire et phsyique : cette discipline scientifique qui explore les mécanismes des phénomènes qui surviennent lors des transformations culinaires !


Allez, c'est dit, et redit. Et j'utiliserai à l'avenir ce billet pour ceux qui m'interrogent hors de mon champ de compétence ! 

 


 


mercredi 5 janvier 2022

Qu'est-ce qu'être membre d'une académie ?

 
Qu'est-ce qu'être membre d'une académie ? Pour certains, être membre d'une académie, c'est recevoir un bâton de maréchal et se reposer sur celui-ci avec un contentement béat : ce n'est pas ma vision des choses.

Oui, ce n'est pas ma vision des choses, car il me semble que,  au contraire,  l'honneur qui est fait à quelqu'un qui est élu par une académie, et accepte d'en faire partie, s'accompagne d'une obligation morale de participation ou d'activité, sous peine de se donner le ridicule d'une poitrine de général mexicain (pardon à ces personnes, mais c'est une expression que tout le monde comprend en France et en Alsace).

Oui, accepter l'honneur qui nous est fait, c'est en quelque sorte s'engager à être présent, actif, de sorte que l'on est alors avec la double charge de poursuivre l'activité un peu exceptionnelle qui a conduit à nous faire élire, et, aussi, à participer aux activités académiques : contribuer à faire grandir chacun, grandir soi-même de leur fréquentation, contribuer au collectif, pour le bien de la collectivité où l'académie s'inscrit.

De ce fait, être membre d'une académie, c'est partager avec les consoeurs et les confrères des connaissances, des compétences, une certaine sagesse, des activités, des réflexions, des analyses...Bref, c'est échanger avec les consoeurs et les confrères.

D'ailleurs, les échanges sont dans les deux sens : nous avons en quelque sorte un engagement à transmettre aux autres, mais aussi à recevoir.

Certes, nous n'avons pas tous la possibilité de partager physiquement, d'être présent à toutes les réunions académiques, surtout si nous sommes en activité professionnelle (et je milite pour que les académies ne soient pas des associations de retraités) et que nous devons  notre temps à nos employeurs. Mais il y a 1000 façons de participer activement aux activités de l'Académie.

Et en tout cas, si l'on revient au principe fondateur de la discussion, il y a lieu d'être présent, actif, ou plus exactement de ne pas être absent.

Ceux que l'on ne voit jamais dans une académie doivent-ils y être ? Et pourquoi y seraient-ils ? Non, vraiment, cela n'a pas de sens d'être dans une académie et de ne pas y être d'une façon ou d'une autre.

Evidemment, le point essentiel, c'est ce "d'une façon ou d'une autre" : à nous d'être intelligent et d'inventer ces façons.

Observons que l'activité humaine est faite de paroles, d'écrits,, mais aussi d'œuvre qui prennent d'autres formes : dessins, sculptures, musiques, photographies, peintures, mais aussi plans (d'architectes), cablages (d'électriciens), plats (de cuisiniers ou d'autres artisans et artistes des métiers de bouche)... Participer à une académie, n'est-ce pas aussi placer certaines de nos contributions dans le cadre cette dernière ? N'est-ce pas se mettre en position de se poser publiquement, par oral ou par écrit par exemple, la question de sa participation active à l'Académie ?

Avec ce mot,  "participation", tout est dit : à nous de bien identifier laquelle nous devons avoir, comment nous pouvons nous engager, pour mériter d'être dans l'académie.

Une idée qui date de décembre 2021

Voici une entrée qui figure maintenant dans le Glossaire des métiers du goût : 

 


FOISON :
Terme proposé par Hervé This le 12 décembre 2021 pour désigner les mousses très légères qui sont produites en cuisine, notamment par l'utilisation de siphons.
Le terme "foison d'or" est attribué à des foisons de couleur dorée. 

lundi 3 janvier 2022

Le microscope en cuisine

 

Il y a plus que ce que les yeux ne voient. Oui, nos yeux sont limités :  dans le très petit,  dans le très grand, dans les longueurs d'onde qui sont d'un côté ou de l'autre de l'étendue des couleurs visibles...
D'ailleurs, découvrir du nouveau, n'est-ce pas voir ce que l'on ne voyaient pas nos yeux d'"avant" ? De sorte que nous aurions raison de bien nous interroger sur nos méthodes d'explication.

Et toute cette introduction me fait souvenir d'une formation que j'avais faite sur la Côte d'Azur. À l'époque, je voulais montrer aux auditeurs que les mayonnaise sont des émulsions, et non pas de simples amalgames, comme cela était dit naguère.

J'ai déjà dit que le mot "amalgame" est d'utilisation risquée, parce que l'on ignore le plus souvent qu'un amalgame s'obtient quand on approche du mercure d'un autre métal et que l'on voit l'ensemble former une pâte homogène.
En cuisine, le terme a été repris pour désigner une préparation homogène, mais évidemment sans mercure puisque ce métal est très toxique. Et si l'on interroge ceux qui utilisent le mot "amalgame", on voit bien qu'ils ne savent pas très bien de quoi ils parlent.

Mais bref, j'étais avec des chefs confirmés, voire étoilés, et j'avais l'ambition de leur expliquer qu'il y a des choses justes et des choses fausses qui se disent à propos des sauces mayonnaises.

Comme rien ne vaut la méthode expérimentale, pour expliquer, j'avais décidé d'inviter un des participants à faire une mayonnaise afin que nous puissions la regarder au microscope.

Alors que la mayonnaise était pas faite, qu'elle était encore très liquide (peu d'huile ajoutée au mélange de jaune d'oeuf et de vinaigre), j'ai pris une goutte de la préparation pour la mettre sur une lame de verre, que nous avons regardée au microscope.

Et chacun a  alors vu, grâce au microscope, qu'il y avait une dispersion de  gouttes d'huile dans ce que les auditeurs ont admis  être de l'eau, apportée par le vinaigre et par le jaune d'œuf.

A ce stade, j'ai fait remarquer  qu'il n'y avait donc pas d'amalgame, mais une dispersion de gouttelettes d'huile dans l'eau.

Il m'a été répondu que oui, mais que la mayonnaise n'était pas encore faite.
Dont acte : j'ai invité l'opérateur a ajouter autant d'huile qu'il voulait, à fouetter autant qu'il voulait pour arriver à une mayonnaise qui serait faite.

Et quand celle-ci a été terminée, nous en avons repris un échantillon, que nous avons à nouveau observé au microscope...

Et nous avons de nouveau bien vue qu'il y avait des gouttes d'huile dans l'eau. Des gouttes dispersées, et non pas un "amalgame" au sens d'un mélange intime.

Car l'huile ne se mélange pas à l'eau. Et le mieux que l'on puisse faire, c'est comme ici : une émulsion.

Le microscope ? Merveilleux ustensile qui permet de voir mieux qu'avec nos yeux !