jeudi 4 juin 2020

Quelle sera ma contribution à la collectivité à laquelle j'appartiens ?



"Quelle sera ma contribution à la collectivité à laquelle j'appartiens ?" Nous sommes bien d'accord : j'ai mis des guillemets, parce que ce n'est pas moi en particulier qui pose la question  ;  il s'agit d'une question générale que je discute.

A propos de la "collectivité" dont je parle dans le titre de ce billet, il peut s'agir de notre entourage proche, de l'ensemble de nos congénères, qu'importe (mais pour répondre correctement, il faut sans doute préciser la chose).

Et j'ajoute aussitôt que je ne peux pas m'empêcher de me poser moi-même cette question, parce que je me trouve bien égoïste.

Ce qui signifie aussi, on l'a bien compris, que je trouve égoïstes tous ceux qui ne se posent pas cette question, et qui ne peuvent y répondre précisément.

Oui, nous avons des métiers variés, avec des contributions variées vers autrui, mais je ne parviens pas à ne pas trouver un peu "animal" quelqu'un qui passe sur cette terre en ne se préoccupant que de sa petite personne, ou en limitant son "autrui" à ceux qu'il aime : trop facile !

Bien sûr, certains philosophes iront nous expliquer que les actes se détachent de ceux qui les font, que même une action égoïste de l'un d'entre nous pour avoir des répercussions merveilleuses (ou terribles) pour la collectivité.
Mais cela est en réalité un peu faux, et oui, il y en a qui ont beaucoup fait pour les autres, parce que tel était leur "engagement".
Par exemple j'admire Marie Curie moins pour la découverte du radium que pour ses travaux sur la curithérapie ; et de même pour Louis Pasteur, qui avait si mauvais caractères qu'il suscita la fronde des élèves de l'Ecole normale supérieure, quand il fut directeur des études.

D'ailleurs, ayant évoqué deux scientifiques, pourquoi ne pas élargir à des historiens,  qui démêlent le vrai du faux dans ce que l'on nous dit du passé, à des géographes qui nous aident à comprendre le monde où nous vivons...

Pour les médecins il n'y a pas de problème puisque par définition, ils se préoccupent d'autrui... à cela près que si certains sont vraiment compatissants, d'autres travaillent d'abord pour de l'argent.

Mais pour les électriciens, plombiers, représentants de commerce, personnel administratif, maçon ? Certes, ils gagnent leur vie, et parfois consciencieusement, mais quelle pierre apportent-ils à l'édifice de nos collectivités, de nos communautés ?

A la réflexion, je distingue ceux et celles qui font, seulement, et ceux et celles qui font en cherchant de faire mieux. Non pas mieux que les autres, mais seulement mieux, pour faire mieux que ce qu'ils font. Ainsi, ils contribuent souvent à aider les autres également à faire mieux. Ils rayonnent, ils contribuent à leur communauté, à notre communauté.

Votre avis ?

Chacun a sa conscience pour lui !


Chacun à sa conscience pour lui. Voici ce que je commence par poser quand, avec des amis, nous discutons de la qualité d'une certaine catégorie de professionnels, que nous évoquons le fait que certains ne soient pas... parmi les meilleurs.
Mais au fond, pourquoi nous mêler de cela ? Que nous importe que des personnes qui ne sont pas proches de nous soient ou non compétentes ? N'avons-nous pas mieux à faire que de créer de la poussière dans le monde ? Au fond, n'est-ce pas seulement quand survient une interaction avec d'autres que nous sommes concernés, que ces interactions soient personnelles ou qu'elles engagent une communauté à laquelle nous appartenons (un quartier, une ville, un pays...) ?
Et là, c'est donc quand des personnes se manifestent à nous que nous avons, non pas seulement l'intérêt d'évaluer leurs prétentions, mais en quelque le devoir de le faire, pour partager notre évaluation avec ceux qui sont dans notre communauté, exposés à ces prétentions.

"Prétention" : c'est un terme qui me fait immédiatement évoquer une balance à plateaux,  sur laquelle on met d'un côté les prétentions et de l'autre le travail : s'il y a plus de prétentions que de travail, alors on est prétentieux,  mais s'il y a plus de travail que de prétentions, alors on est travailleur (et étant travailleur, souvent on devient compétent).
Cela étant dit, cette comparaison s'applique d'abord à moi-même, car on sait ma faiblesse d'esprit  : elle commence avec le fait que le monde en dehors de ma petite personne étriquée n'existe pas, ce que je déplore, mais ce qui me permet de m'investir pleinement dans mes travaux variés.

De ce fait, les prétentions de quelqu'un que je n'entends pas n'existent pas et je n'ai pas à perdre mon temps à les juger. En revanche,  si l'on évoque devant moi une capacité particulière d'un individu, alors cette prétention, fut-elle apportée par un autre, me concerne, puisque c'est une idée que l'on me tend : c'est un petit minimum, un devoir en quelque sorte,  que je  considère cette information, que je l'évalue sans la gober de façon imbécile, que j'en fasse une évaluation critique, afin de savoir si l'information est juste ou pas.

Pour ce qui concerne la compétence d'un professionnel, c'est un fait qu'il y a de bons et de mauvais professionnels, et c'est la moindre des choses d'être capable d'en juger, d'avoir un regard critique  ; non pas critique au sens d'une critique négative que l'on porterait contre quelqu'un,  mais plutôt au sens d'une analyse critique, qui consiste à bien distinguer le vrai du faux, de bien évaluer une cohérence, d'évaluer une qualité sur une échelle qui reste à définir.

Ajoutons que l'évaluation d'une compétence particulière ne détermine pas la totalité de l'individu qui porte cette compétence, car l'être humain n'est pas unidimensionnel, réduit à une compétence particulière. Conficius disait "L'être humain n'est pas un ustensile".
Oui, une compétence, quelle que soit son "amplitude", ne résume pas un individu, mais seulement une capacité à faire une tâche particulière.

Et j'ajoute que  toute personne qui s'exprime en public, de vive voix, soit sur des réseaux sociaux, des médias, s'expose donc à ce que ses prétentions, à commencer par la prétention d'avoir une légitimité de s'exprimer en public, soient évaluées de façon critique.

lundi 1 juin 2020

A propos de changements de couleur en cuisine


1. Cela fait des siècles que l'on a observé que certains ingrédients culinaires changeaient de couleur selon le milieu où ils étaient placés.
Par exemple, le chou rouge peut virer du rouge ou bleu, mais également des fleurs broyées, des fruits rouges ou noirs...  et c'est ainsi que, dès le 18e siècle, les chimistes ont appris à utiliser du "sirop de violette", comme ils le nommaient, pour détecter les "acides" et les "alcalis", ce que nous nommons aujourd'hui plutôt des bases.
Et c'est un fait que broyer des pétales de violette dans l'eau conduit à une solution colorée, dont la couleur change selon qu'on y ajoute par exemple du vinaigre ou du bicarbonate de sodium.


2. Vu la rareté (relatives) des violettes et l'abondance du chou rouge, on fera plutôt l'expérience de la façon suivante  : on prend quelques feuilles d'un chou rouge (de ces feuilles abîmées que l'on jette souvent), on découpe ces dernières en morceaux aussi petits que possible, que l'on broie dans l'eau, et l'on filtre la solution obtenue dans un filtre à café.
On récupère alors une solution colorée, à laquelle on peut s'amuser à ajouter soit du vinaigre, soit du bicarbonate. On observe, selon les conditions, du bleu ou du rouge. Et, en alternant l'ajout des deux composés, on peut observer que ces changements de couleurs sont réversibles.

3. Ce sont les acides et les bases qui sont ici en cause. Pour les acides, on connaît le vinaigre cristal, qui est une solution presque réduite à de l'eau et à un acide nommé acide acétique. Mais les aliments contiennent aussi de l'acide tartrique, de l'acide malique (dans les pommes vertes, par exemple), de l'acide citrique (dans les citrons et oranges, par exemple), de l'acide ascorbique (ou vitamine C)... Pour les bases, elles sont plutôt moins fréquentes : on peut trouver la potasse, ou hydroxyde de potassium dans des "lessives de cendres", obtenues par filtration de cendres de cheminée et d'eau, mais en règle générale, elles sont plutôt dans le placard à détergents, telles l'ammoniaque ou la soude caustique, pour déboucher les canalisations.

4. Mais revenons à notre sirop de violette, qui était utilisé jadis pour détecter acides et bases en chimie. Il s'obtenait  par broyage des fleurs dans l'eau, mais cela n'est guère pratique, et l'on a appris à fabriquer de petites bandelettes de papier, imbibées de composés analogues à ceux qui font la couleur des violettes, et que l'on nomme des "papiers pH". Ces bandelettes prennent des couleurs qui changent en fonction de l'acidité du milieu où on les trempe, et, même si elles sont remplacées aujourd'hui par des matériels électroniques nommés pH-mètre, elles ont constitué un progrès important en chimie, parce que l'on a progressivement eu accès à des mesures quantitatives, condition du développement scientifique.
Oui, on a progressivement appris à mesurer l'acidité et la basicité sur une  échelle comprise entre 0 et 14. Pour les cas les plus simples,  entre 0 et 7, ce sont les solutions acides, tandis que, entre 7 et 14, ce sont les solutions basiques Vers 0, ce sont des acides est très forts, très agressifs. A 7, c'est l'eau,  que l'on dit neutre. Et à 14, ce sont des bases, des alcalis très puissants, telles la soude ou la potasse concentrées,  où il ne ferait pas bon mettre à la main.

5. Ce qu'il faut préciser, quand même, c'est qu'un acide concentré, dangereux, devient anodin quand on le dilue beaucoup. Par exemple, un morceau de fer sera complètement dissous dans de l'acide chlorhydrique concentré, et cet acide - qu'il est hors de question de boire !- a un pH proche de zéro. Inversement, on se convaincra du danger de la soude caustique en y plongeant un morceau de viande : il sera complètement dissous !
Mais ces deux produits très dilués seront sans danger : si l'on s'y prend bien, l'acide chlorhydrique sera légèrement acidulé  et la soude fera une vague sensation savonneuse. D'ailleurs, le vinaigre est une solution d'acide acétique à 8 pour cent environ. Concentré, il serait terrible, mais dilué... c'est le vinaigre, lequel est moins acide que des framboises, où l'acidité est masquée par du sucre. C'est la raison pour laquelle le papier pH sera utile en cuisine : il viandra compléter le goût, pour avoir une mesure fiable de l'acidité "chimique", laquelle est la seule réellement capable de modifier les milieux, et les couleurs. On ne rencontre pas quotidiennement, en cuisine, des cas où le pH est important, mais parfois, on a intérêt à bien connaître cette notion, et notamment quand on veut maîtriser d'éventuels changement de couleur. Un artiste culinaire qui voudrait du bleu avec du chou rouge doit maîtriser le pH afin d'avoir afin d'éviter d'avoir du rouge à la place du bleu qu'il souhaite.

6. Finalement, apprenons le maniement de nos bandelettes de papier pH, puisque c'est une sorte de jeu élémentaire. On tire un petit bout de papier d'un rouleau sur lequel sont indiquées des couleurs avec des numéros 0, 1, 2, 3...  jusqu'à 14. Pour utiliser le papier pH, on en prend donc quelques centimètres et on le trempe dans un liquide qui peut l'imprégner : le papier change de couleur, et l'on compare celle-ci à une gamme qui figure sur le boîtier du papier pH : c'est ainsi que, si l'on trempe le papier pH dans du vinaigre blanc, alors on verra la couleur du papier changer et, en comparant avec le code couleur sur la boîte du papier pH on verra que la couleur de la bandelette est entre celle du 2 et du 3 :  le pH du vinaigre cristal est compris entre 2 et 3. Si l'on avait fait la même expérience avec une solution de bicarbonate de sodium, alors on aurait observé que la solution de bicarbonate a un pH d'environ 11 à 12.


7. Et maintenant, à vous : broyez tous les ingrédients que vous verrez dans la cuisine, et trempez-y des bandelettes de papier pH, pour avoir une idée du pH de ces ingrédients (en n'oubliant pas que les dilutions rendent les acides moins acides, et les bases moins basiques).

dimanche 31 mai 2020

Je vous présente le bicarbonate

1. Pour présenter le bicarbonate, je propose de commencer par discuter le nom. Le mot bicarbonate est un mot chimique un peu ancien, pour un chimiste, et certainement un mot insuffisamment précis, car on peut avoir un bicarbonate de sodium, un bicarbonate de fer, un bicarbonate de calcium... Bref il y a des bicarbonates variés, même si,  en cuisine, c'est le bicarbonate de sodium que l'on utilise.
Parfois certains parlent de bicarbonate tout court, ou de bicarbonate de soude, ou encore de bicarbonate de sodium : tout cela désigne un même composé, dont le nom le plus officiel est  hydrogénocarbonate de sodium.
Oui la terminologie est lourde, ce qui explique que l'on abrège en bicarbonate, voire en "bicar", pour certains. Mais il s'agit  toujours du même produit,  qui se présente sous la forme d'une poudre blanche, indication de sa pureté.
Attention : une indication n'est qu'une indication, et pas une preuve : du bicarbonate de sodium auquel on aurait ajouté du sucre resterait sous la même forme, mais il serait impur. Pour la cuisine, nous avons besoin de bicarbonate de qualité alimentaire, food grade en anglais (d'où les initiales FG), sans impuretés dangereuses.


2. Ayant ce composé, je propose de le goûter pour nous apercevoir, une fois de plus, que la théorie des quatre saveur est fausse. D'une main, bouchons-nous donc le nez, et posons une pincée de bicarbonate sur la langue : puisque le nez est pincé, nous ne sentons que la saveur... qui n'est ni salée, ni sucrée, ni acide, ni amère... mais savonneuse, en quelque sorte, un peu salée, mais sans avoir l'agressivité du sel. Puis on libère le nez pour percevoir les odeurs... et l'on n'en perçoit pas. Le bicarbonate a une saveur seulement, et une saveur distincte des salés, sucrés, acides et amers. Comment se fait-il, alors, que certains continuent à évoquer cette théorie fautive des quatre, ou des cinq saveurs ? Je ne comprends vraiment pas !
D'ailleurs, pour ceux qui maîtrisent la chimie, je propose de répéter l'expérience avec de la soude ou de la potasse très diluées, afin de reconnaître une communauté de saveurs. Ou alors, on peut goûter un peu de cette "lessive de cendres" que les anciens utilisaient pour cuire la haricots verts, et que l'on obtient en filtrant de l'eau versée sur des cendres de bois, ce qui entraîne la potasse qui y est présente.



3. Pourquoi évoquer ensemble bicarbonate, potasse (le nom courant de l'hydroxyde de potassium) et soude (le nom courant de l'hydroxyde de sodium) ? Parce que ce sont tous les trois des bases, des "alcalis", comme on disait naguère. Ce sont le "contraire" des acides. Pourquoi le contraire des acides ? Si nous prenons par exemple un peu de vinaigre cristal, dont la saveur est manifestement acide, et un peu de bicarbonate, dont la saveur est basique, si nous mélangeons ces deux  corps, alors nous verrons une effervescence et il restera une solution d'un sel, l'acétate de sodium. Ce dernier ne sera plus ni acide ni basique  : c'est ce que l'on nomme un sel, tout comme on nomme sel le sel de cuisine, que l'on pourrait obtenir par le même type de réaction entre un acide une base, mais cette fois à partir de l'acide chlorhydrique et de la soude. Le sel de cuisine est le prototype des sels, et l'acétate de sodium est un autre sel.


4. A quoi bon le bicarbonate en cuisine, finalement ? Il permet de conserver la couleur vertes des légumes verts que l'on cuit ; il permet de bien cuire les légumes secs, surtout quand l'eau est calcaire, il permet de rectifier une sauce trop acide... Et tout cela sera raconté une autre fois.

samedi 30 mai 2020

N'empoisonnons pas nos amis !


Cela fait deux fois en deux jours que l'on m'interroge sur des questions de microbiologie, de conservation, et même plus précisément, de traitement du saumon. On me parle de fumage, on me parle de gravlax, et l'on me demande de l'aide pour que du saumon se conserve plus longtemps. Mais on doit prendre garde à bien fournir à nos amis des aliments qui ne les empoisonneront pas, n'est-ce pas ?


Commençons par rappeler que le fumage du saumon est une méthode ancienne de conservation du poisson, non seulement parce que l'on fait croûter un peu la surface, ce qui ne laisse pas d'eau disponible pour les bactéries pathogène de l'environnement, qui ne peuvent donc pas se développer, mais aussi parce que le fumage dépose à la surface exposée des composés qui sont des bactéricides puissants.
Le fumage classique n'est pas un procédé si sain que cela : certains des composés déposés par la fumés sont cancérogènes, et cela s'observe hélas sur les populations du nord de l'Europe, qui meurent plus que les autres de cancers du système digestif, en raison de leur consommation excessive de produits fumés.
Pour la confection de gravlax, la technique est différente, puisque c'est l'usage du sel et du sucre qui, provoquant le croûtage, évite la prolifération bactérienne : ces deux composés tirent l'eau de chair par osmose, formant une croûte superficielle, tandis que l'eau qui sort forme une flaque où sel et sucre sont dissous. D'ailleurs, on observera que certains fumages sont précédés d'un tel traitement, d'une part, et l'on dira, d'autre part, que le sucre tire l'eau plus efficacement que le sel... au point que ce même sucre est utilisé dans les hôpitaux de campagne, pour éviter le développement bactérien sur les plaies.

Du point de vue de la conservation, laquelle n'a pas grand chose à voir avec le goût ni avec la sécurité chimique des aliments, tout va  bien si l'on n'hésite pas à couvrir le poisson de sel et de sucre pendant un temps suffisant, de sorte qu'il y ait un bn croûtage, et si l'on fume un peu rudement de sorte que les composés susceptibles de tuer les micro-organismes soient abondants. Mais alors, le goût n'est pas bien délicat, et le produit est chargé de composés cancérogènes. C'est la raison pour laquelle mes interlocuteurs me demandaient de les aider à réduire  le fumage, d'une part, et réduire le croûtage, d'autre part.

Oui, mais on ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre : en l'occurrence, on ne peut pas appliquer un procédé de conservation sans l'appliquer. Si l'on réduit fumage et croûtage, le poisson n'est plus protégé, et, sauf à utiliser une autre méthode de conservation, il se colonise de  micro-organismes potentiellement pathogènes.

D'ailleurs, cette question d'augmenter la durée de vie des produits alimentaires est une question non plus des cuisiniers mais des industries alimentaires, qui, précisément, doivent pouvoir fournir des aliments avec des dates de conservation aussi longues que possibles, pour que les produits puissent rester sur les rayonnages des boutiques.
Or ces question d'augmentation des durées de conservation sont difficiles. On peut conserver au sel (saumurage), au sucre (confitures), dans la graisses (confits), dans l'alcool, dans le vinaigre, au froid, on peut sécher, on peut effectuer des lacto-fermentations (yaours, choucroute...), on peut stériliser : il y a bien des façons, mais on doit toujours bien maîtriser ces techniques sous peine de tuer les convives. Et l'on aura raison de rappeler que, en 2015, une sauce au fromage artisanale a envoyé des clients au cimetière et à l'hôpital ; récemment un artisan inconséquent, criminel en quelque sorte, a intoxiqué ses clients avec des tapenades mal stérilisées... , tandis qu'il finissait en prison avec une amende, ce qui est la moindre des choses quand même car on a pas le droit de tuer autrui n'est-ce pas ? 

Ne jouons pas aux apprentis sorciers. La conservation est une question de vie ou de mort, et cela ne s'improvise pas, comme le croyait très naïvement les deux interlocuteurs qui m'ont récemment consulté, confondant d'ailleurs microbiologie et  chimie... ce qui doit alerter nos amis sur leur incompétence ! J'espère que le discours rigoureux que je leur ai tenu les aura dissuadés de se lancer dans les productions hasardeuses qu'ils projetaient !

lundi 25 mai 2020

Pour les jours qui viennent

Mon cours de gastronomie moléculaire de 2020 sera une série d'expérience de physique et, surtout, de chimie pour bien montrer des effets utiles à tous les cuisiniers. Nous commencerons par le plus important, ce que j'ai en avais nommé les "14 commandements de la cuisine" dans mon livre Mon histoire de cuisine. 

 

Que sont ces "commandements" ? Non pas des ordres, bien sûr, mais plutôt des idées très simples, essentielles, pour bien faire la partie technique de la cuisine. Car on se souvient que la cuisine à trois composantes  : à savoir une composante technique, une composante artistique, une composante de lien social. Dans ce cours de 2020, je ne discuterai que la composante technique, parce que là, déjà, il y a beaucoup pas dire... comme je m'en suis aperçu récemment lors d'un d'une conférence filmée de l'Académie de l'agriculture, puis d'un séminaire en ligne pour mon propre laboratoire. Dans le premier, j'expliquais qu'il fallait arrêter de parler à tort et à travers de réaction de Maillard, et, dans le second, j'expliquais comment on peut utiliser la technique  d'analyse qu'est la résonance magnétique nucléaire. Dans les deux cas, j'ai voulu faire du simple, du très simple, de l'extrêment clair... et j'ai eu le plaisir de constater, par de nombreuses réactions très positives, que j'avais bien plus rendu service que si je m'étais adressé à moi-même, que si j'avais voulu en imposer par mon savoir !

Oui, décidément, la clarté est la politesse de ceux qui s'expriment en public, comme disait l'astronome François Arago, mais mieux encore : c'est la condition de communication scientifiques réussies.

Et cela me conforte dans le choix que j'ai fait, pour le cours 2020 de gastronomie moléculaire : nous partirons des commandements, à savoir des idées toutes simples du style "l'huile ne se mélange pas à l'eau", et nous les incarnerons pas des expériences, qui seront l'occasion d'en obtenir des corollaires, des conséquences, des leçons.
Oui, il y aura les 14 commandements, mais il y aura aussi bien plus, car j'ai réuni une série de petites expériences éclairantes (j'espère), pour mieux maîtriser la composante technique de la cuisine.

Reste à fixer la date, et prévoir de bien filmer tout cela, afin de le mettre en ligne.
Et puis, dans les jours qui vont suivre, faire des billets relatifs à chacune de ces expériences !

À propos de changement de couleur et d'acidité



Je comprends mieux, ce matin, qu'il y a lieu de ne jamais oublier de s'émerveiller de ce qui est effectivement merveilleux, et, notamment,  de toujours être à l'affût des bizarreries de notre monde, parce que ce sont elles qui sont la clé des découvertes, mais aussi des émerveillements !


Commençons par une observation, en cuisine : nous étions avec mon ami Pierre Gagnaire en train de préparer une sauce wöhler pour je ne sais plus quelle télévision, et, alors que Pierre pochait un oeuf dans cette sauce qui s'apparente à une meurette, nous avons vu la couleur de la sauce passer d'un beau pourpre à  un vert brunâtre.

Là, le charme de la meurette était perdu... mais j'y voyais une merveilleuse opportunité de me souvenir que les polyphénols sont -et depuis longtemps- d'excellents "indicateurs" colorés.
Oui, dès le 18e siècle, les chymistes (quand la chimie se dégageait lentement de l'alchimie), puis les chimistes ont utilisé des "sirops de violette" pour détecter les acides et les bases. Car les fleurs, mais aussi nombre de fruits, contiennent des polyphénols, qui ont effectivement la capacité de changer de couleur en fonction de l'acidité du milieu ! Or les polyphénols qui avaient été utilisés étaient des polyphénols de raisins, et, autant ils sont rouges en milieu acide, autant ils virent quand le milieu devient moins acide, plus basique.

Mais là, il faut absolument que j'aille plus lentement pour mes amis qui ne sont pas chimistes. Oui, un récent webinaire que j'ai fait, suivi d'un séminaire que j'ai fait pour mon propre laboratoire, m'ont bien démontré que je devais toujours être très explicite, très clair, pour tous.

Allons y donc doucement : l'eau n'est ni acide ni basique, mais "neutre". Et on mesure cela avec une échelle qui va de 0 à 14 : 0 pour les acides très acides, et 14 pour les bases  -ou alcalis- très alcalines, très basiques ; et 7 pour l'eau, neutre, ni acide ni basique. Cette échelle est nommée l'échelle des pH.
La soude, la potasse, le bicarbonate de sodium, dissous dans l'eau, font une solution basique, avec un pH compris entre 7 et ~14, mais la plupart des ingrédients alimentaires sont plutôt acides, avec un pH entre à et 7. Par exemple, les framboises ont -étonnamment- un pH très faibles, et c'est seulement le sucre qu'elles contiennent qui ne nous permet pas de bien apprécier gustativement que ces fruits sont très acides. Idem pour le jus de citron... mais là, on perçoit l'acidité. Ou pour le jus d'orange.
L'oeuf ? C'est une de ces merveilleuses exceptions : son pH est élevé, et il n'en fallait pas plus pour que je comprenne que la présence de l'oeuf que l'on pochait, dans une petite quantité d'eau et de polyphénols, avait fait augmenter le pH est fait virer les polyphénols.

Comment retrouver une belle couleur pourpre ? Tout simplement en ajoutant un acide : par exemple, l'acide tartrique, puisqu'il est dans le vin. Et aussitôt la couleur a retrouvé son pourpre/rouge initial. D'ailleurs, je dois ajouter que, pour m'amuser, j'ai alors ajouté du bicarbonate de sodium... pour obtenir une effervescence, et de nouveau la couleur verte. Et j'ai encore ajouté de l'acide tartrique pour revenir au rouge, et à un goût plus intéressant.