vendredi 1 décembre 2017

Reproduire la nature avec la cuisine note à note ? Non !


 Un "craintif" qui venait de découvrir la cuisine note à note  me demandait "A quoi cela sert-il de reproduire des carottes" ?

Il faisait référence à une série de deux diapositifs que j'avais projetées, et que voici :





Le discours qui leur correspond est le suivant. D'abord, je dis qu'une carotte (mais cela est vrai de n'importe quel ingrédient culinaire classique) est composée d'un grand nombre de molécules, appartenant à un certain nombre de catégories (que l'on nomme des "composés") : eau, cellulose, pectine, sucres, acides aminés... Dans la racine de carotte, ces molécules se sont disposées les unes par rapport aux autres d'une certaine façon, qui fait apparaître une carotte.
Mais si l'on dispose de ces composés séparément, on peut aussi les organiser différemment, et faire un objet bien différent d'une carotte. Tout aussi comestible, mais bien différent : et c'est la seconde image.

Notre "craintif" en a conclu que l'on voulait reproduire une carotte. Comment a-t-il tiré cette conclusion qui n'est pas la mienne ? Je ne sais pas... mais j'ai essayé évidemment de lui expliquer que, si l'on peut effectivement refaire une carotte, cela n'a guère d'intérêt, et il vaut mieux aller explorer des organisations différentes, pour produire des aliments nouveaux !

D'ailleurs, j'ai essayé de lui expliquer que la reproduction est  toujours critiquée : la photocopie de la Joconde ne sera pas la Joconde. Et même si l'on faisait "mieux" -par exemple avec un vernis qui ne soit pas craquelé-, on reprocherait à la copie... d'être une copie.


Oui, décidément, la cuisine note à note a mieux à faire que reproduire les carottes, les viandes, ou les vins (facile, dans ce dernier cas). Il y a l'enjeu de produire des mets nouveaux, et cela est passionnant.


Que conclure, à propos de notre "craintif ? Je suis hésitant. D'abord, l'expérience me montre que, de même que l'on ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif, on ne parvient pas à rassurer des gens qui ont peur. Alors faut-il  perdre son temps à essayer ?  Je suis preneur de vos conseils...

L'agar-agar et le gibbs... ou plutôt le liebig

Ce matin, une question :

 "Est-il correct d'introduire de l'agar-agar en poudre dans un gibbs? Est-ce correct pour de la cuisine Note a Note?"

Commençons par le commencement : le gibbs. C'est une émulsion gélifiée chimiquement, que l'on obtient, par exemple, par coagulation des protéines qui servent de tensioactifs dans une émulsion. En pratique, on l'obtient de deux façons :
- cuisine classique : on fouette de l'huile dans un blanc d'oeuf ; puis on donne du goût à l'émulsion obtenue (couleur, saveur, odeur...) avant de passer au four à micro-ondes
 - cuisine note à note : c'est la même chose, mais au lieu d'utiliser du blanc d'oeuf, on utilise de l'eau et des protéines ; et les composés utilisés pour donner du goût doivent être purs.

L'agar-agar, dans cette affaire ? C'est un gélifiant physique, et non chimique, de sorte qu'il conduirait à un système différent, que j'ai nommé "liebig", et dont voici une recette : on dissout de la gélatine dans de l'eau, puis on émulsionne de l'huile ; le refroidissement fait prendre en gel.
Autrement dit, si l'agar-agar est effectivement un composé pur, utilisable pour la cuisine note à note, il est mieux approprié pour faire un liebig que pour faire un gibbs.

En matière de style (scientifique, littéraire, musical...), c'est très grand honneur de posséder un chant


C’est un très grand honneur de posséder un champ,

Soit riche, soit stérile, en plaine ou bien penchant,
Une part en tout cas de l’immense nature,
Le visible sommet de cette architecture
Qui descend par degrés dans la compacte nuit
De la masse terrestre où le songe la suit.
Le bord étroit d’un champ enferme un lac de sève,
Que le maître orgueilleux entend frémir en rêve,
Et dont les flots domptés, sans jamais sourdre ailleurs,
Lancent pour lui leurs jets de verdure et de fleurs.
Un champ, avec ses plis, sa pente, est une forme,
Long ouvrage sans fin de la durée énorme,
Où des forces sans nombre en d’innombrables jours
Lentement ébauchaient et changeaient les contours
Qui se sont fixés la dans leurs métamorphoses :
Oh ! comme tout est vaste, antique et plein de choses !
Un champ résume en lui la terre avec les cieux ;
C’est la nature libre aux sucs mystérieux,
Par ses seules vertus en ses oeuvres guidée,
Et cependant par nous surprise et possédée
Dans un lien où l’homme, être éphémère et vain,
S’unit quelques instans à l’infini divin. 

Charles de Pomairols

jeudi 30 novembre 2017

Le travail du mois avec mon ami Pierre Gagnaire

Chers Amis

Vous savez que, chaque mois, je fais une proposition "technologique" à mon ami Pierre Gagnaire, qui introduit cette nouvelle technique dans sa cuisine : il met au point entre une et quatre recettes qui utilisent la technique, met la recette en ligne... et l'utilise évidemment dans l'un ou l'autre de ses restaurants.

Cela se poursuit depuis 17 ans : n'est-ce pas la preuve que les sciences de la nature -en l'occurrence la gastronomie moléculaire- irriguent merveilleusement la technologie, la technique et l'art ?
Et n'est-ce pas, aussi la démonstration que la France est LE pays de l'innovation alimentaire  ?

Pour ce mois, vous trouverez nos travaux sur http://www.pierre-gagnaire.com/pierre_gagnaire/travaux_detail/118

Vive la Gourmandise éclairée !

La question du souffle, en musique

Qui suis-je pour parler de musique ? Seulement un "enfant" qui entend ce qui se dit. Et j'ai entendu que la phrase, c'est tout... mais j'ai aussi entendu qu'il faut danser. La phrase, avec sa respiration, c'est... la phrase. Mais la danse a un rythme que la phrase n'a pas... et je comprends que l'un n'est pas l'autre.
De même, j'entends parfois que la musique est "communication", avec une rhétorique, de la grammaire (Couperin), mais j'entends aussi qu'il y a d'abord le mouvement "allant" : c'est ce que dit notamment Pedro de Alcantavar, qui propage la "méthode Alexander", à l'aide, d'ailleurs, de termes dont je récuse l'aspect métaphorique qui ratisse trop large.

Mais... Et s'il y avait des musiciens qui chantent, et d'autres qui dansent ? Et d'autres qui, évidemment, font tout autre chose. Vouloir dire au compositeur ce qu'il fait, c'est d'une "critique" assez minable, qui oublie que l'artiste échappe aux règles, en musique comme en cuisine !

mercredi 29 novembre 2017

Dire des qualités pour les faire exister davantage

Nous sommes bien d'accord : nous ne sommes pas autre chose que ce que nous faisons. Assez des prétentions, et vive les réalisations !

De ce fait, dire à enfant "Tu n'es pas musicien", ou dire de soi "Je ne suis pas bon en mathématiques", c'est imbécile, dans le premier cas, et paresseux dans le second. Nous sommes ce que nous faisons, et nous devenons musicien si nous travaillons la musique, nous devenons bon en mathématiques si nous apprenons les mathématiques.
Mais nous sommes du côté sombre de la vie, et il nous faut vite aller du côté lumineux, celui qui reconnaît justement  que quelqu'un qui sait, c'est quelqu'un qui a appris.  De ce côté-là, j'ai des tendresses, et, alors que c'est criticable en vertu du principe exposé en introduction de ce billet, j'aime assez que l'on souligne des qualités. "Tu es merveilleux", "Tu es sensible", "Tu es rigoureux", "Tu es travailleur"... Oui, j'aime assez ces observations, parce qu'il y a alors la possibilité de les faire exister. Autant je n'aime pas enfoncer mes amis dans la boue, autant j'aime contribuer à les tirer vers la lumière.

mardi 28 novembre 2017

Des traces ? N'ayons pas peur !

"Des traces"... Par ces temps de peur alimentaire entretenue par des individus à la moralité déplorable, on ne cesse d'entre parler de "traces", voire de "traces de composés potentiellement toxiques". De quoi s'agit-il ?

 Il faut d'abord dire et redire que, avec les instruments d'analyse moderne, on peut trouver "des traces" de n'importe quoi quasiment n'importe où sur la Terre.
Soyons clairs : l'eau est faite de molécules d'eau, et, dans un verre d'eau, il y a dix millions de milliards de milliards de molécules. C'est évidemment un nombre qui défie l'entendement, mais il faut nous y faire. L'eau s'évapore ? Oui, à toute température (la preuve, les flaques d'eau qui disparaissent, même sur un sol étanche). A quelle vitesse ? J'ai fait le calcul (simple) : environ un milliard de milliard de molécules par seconde. Ce qui signifie que les molécules d'eau se répartissent partout, et il n'est donc pas étonnant que l'on en trouve partout sur la Terre.
Cela n'est qu'un exemple, mais ce qui est dit des molécules d'eau vaut pour à peu près n'importe quel composé. Par exemple, les hydrocarbures que nous utilisons pour faire rouler nos voitures. Ou les pesticides naturels produits par les fruits (et qui font 99,99 pour cent de tous les pesticides que nous absorbons quand nous mangeons), ou encore les atomes de fer qui font de nombreux métaux, et ainsi de suite.

Bref, il y a des traces de tout partout... et voilà pourquoi il est risible, ou critiquable, d'entendre des personnes s'exprimer en public et dire qu'il y a des "traces" de quelque chose quelque part : dans un shampooing, dans un baume à lèvres, dans les aliments...

 Est-ce de la naïveté ? Certains, qui ne savent rien de chimie, sont seulement des "passagers" de leur temps, qui avancent au gré des autres : leur attitude est seulement paresseuse, et assez peu civique : au lieu de mêler leur voix au concert des effrayés, comme des volailles effrayées par le renard. Puis il y a les couards, ceux qui ont peur de tout, et leur attitude est déplorable. Mais il y a aussi les malhonnêtes, qui vendent de la peur pour récupérer du pouvoir ou de l'argent. Signalons que certains journaux ont cela dans leur fond de commerce, et c'est ignoble. Mais il y a aussi certains hommes et femmes politiques qui utilisent la peur pour récupérer du pouvoir, et c'est tout aussi minable, honteux.

Mais ne déplorons pas que le monde soit le monde, car cela ne sert à rien. Combattons vigoureusement, par la connaissance que nous chercherons sans cesse à avoir. Ecrivons aux institutions qui vendent de la peur pour dénoncer leurs agissements, mais, surtout, enseignons dès l'école que parler de "traces" ne rime à rien. Expliquons aux enfants, avec un militantisme forcené, que le monde est fait de molécules.
Aidons-les à grandir en connaissance et en sagesse, afin de construire un monde où l'on n'aura plus peur de "traces" !