Les individus de qualité ont des comportements... de qualité.
C'est là un double pléonasme : d'abord un pléonasme, puisqu'il y a cette répétition évidente, mais aussi un pléonasme, car nous sommes ce que nous faisons.
Les comportements de qualité ? Ils sont bien difficiles à définir, mais on les voit mieux en creux : ils sont à l'opposé des vices, des défauts, des tares.
Dans le Merlin de Robert de Boron, on trouve ainsi la description des premiers pas officiels de l'adolescent qui a retiré l'épée de l'enclume :
"Arthur, dit alors l'archevêque qui avait pris l'enfant sous sa protection, c'est vous désormais qui êtes le roi et le maître de ce peuple. Veillez donc à vous montrer digne de cette fonction. Songez dès maintenant à choisir ceux qui seront vos conseillers intimes et vous aideront à gouverner. Répartissez les charges et les offices de la couronne comme si vous étiez déjà roi, car vous le serez si Dieu le veut.
- Seigneur, répliqua Arthur, tout le pouvoir que Dieu veut bien me conférer, je le remets en la garde de notre sainte Eglise et le soumets à vos conseils. Choisissez donc vous-même ceux qui peuvent le mieux m'aider à observer la volonté de Notre Seigneur et à défendre la chrétienté."
Puis, plus loin :
Les barons l'emmenèrent donc dans la cathédrale pour lui parler et le mettre à l'épreuve :
"Seigneur, lui dirent-ils, nous voyons bien que Dieu veut que vous deveniez notre roi et notre maître. Nous nous conformerons donc à sa volonté et nous vous ferons hommage pour nos terres. Nous vous demandons cependant de repousser votre sacre jusqu'à la Pentecôte, mais sans pour autant renoncer à votre pouvoir sur ce royaume et sur nous-mêmes. Nous voulons enfin que vous nous répondiez sur ce point sans demander avis à qui que ce soit.
- Seigneurs, répondit Arthur, vous me demandez de recevoir vos hommages et de vous reconduire dans la possession de vos fiefs. Or je ne peux ni ne dois le faire, car je ne veux disposer de vos terres ou de celles d'autrui ni gouverner avant d'être moi-même en possession de la mienne. Et je ne peux être le maître de ce royaume, comme vous me le proposez, avant d'avoir été sacré, couronné et investi de la dignité royale. Mais j'accepte bien volontiers de repousser mon sacre jusqu'à la date que vous me proposez, car je ne peux être sacré que par Dieu et par vous".
En l'entendant ainsi parler, les barons se dirent que si cet enfant vivait, il serait d'une grande sagesse, car il leur avait fort bien répondu.
[...]
Jusqu'à cette date, ils obéirent toutefois à Arthur, sur la recommandation de l'archevêque. Cependant ils firent apporter de riches trésors et de somptueux cadeaux pour voir s'il serait sensible à ces présents. Mais lui demandait à ses familiers quelle était la valeur de chacun de ceux qui l'entouraient et agissait en conséquence : après avoir reçu toutes les richesses, il les répartissait en fonction des mérites respectifs et donnait à chacun ce qui lui faisait le plus défaut.
Il distribuait ainsi les dons qu'on lui faisait pour l'éprouver, sans rien garder pour lui, et s'attirait par sa conduite l'estime de tous les barons.
Que voit-on dans ces passages ? L'obéissance à la religion est une règle de ce genre, surtout que Robert de Boron voulait faire du Graal le Saint-Graal : le livre tout entier est une geste chrétienne.
Mais ce n'est pas cela que nous cherchions et il faut le dépasser : on voit alors la conformité d'une conduite à de sains principes, l'attention à la morale, la modestie, la capacité d'écoute, la réflexion, la prudence, la générosité, l'équité.
Ce qui est merveilleux, avec les gens de qualité, c'est qu'ils ont des réactions et des paroles de qualité. Il me les faut pour amis !
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
vendredi 16 juin 2017
samedi 10 juin 2017
Bonnes pratiques en recherche scientifique
J'aurais dû le dire mieux : depuis quelques semaines, les billets de blogs sur sur le site d'AgroParisTech, où je me préoccupe de bonnes pratiques en recherche scientifique.
Aujourd'hu, c'est donc là http://www.agroparistech.fr/Tracabilite-et-qualite-de-nos-travaux-les-CAS.html que l'on trouvera une réflexion.
Surtout, la lire avec un peu de grandeur.
Aujourd'hu, c'est donc là http://www.agroparistech.fr/Tracabilite-et-qualite-de-nos-travaux-les-CAS.html que l'on trouvera une réflexion.
Surtout, la lire avec un peu de grandeur.
vendredi 9 juin 2017
Paradoxes
Des paradoxes, il y en à foison, depuis la Grèce antique et certainement avant. Zénon d'Elée, par exemple, faisait observer que le mouvement était impossible « puisque », pour qu'une flèche atteigne son but, il fallait qu'elle parcourt d'abord la moitié de la distance, puis la moitié de la moitié restante, et ensuite la moitié de la moitié de la moitié restante, et ainsi à l'infini. De sorte que, puisqu'il restait toujours une moitié à parcourir, l'objectif n'était jamais atteint.
Un autre paradoxe célèbre par le même Zénon est celui et Achille et de la tortue, qui s'apparente au premier. Mais évidemment, on prouve le mouvement en marchant.
Il y a des paradoxes de nombreux types, et celui de Zénon diffère du célèbre « Je mens ». Cette fois, il ne s'agit plus de mouvement, mais de logique, car si je mens, alors je dis la vérité quand je dis « je mens » ; mais si je dis la vérité, alors je mens, dont ce que je dis est faux, et ainsi de suite à l'infini.
Ici il ne s'agit pas de faire une typologie des paradoxes, mais plutôt d'en évoquer un célèbre, associé à un remarquable texte de Denis Diderot. Ce texte, et ce paradoxe, c'est le Paradoxe sur le comédien. Diderot était très intéressé par le théâtre (je m'aperçois que je ne sais pas pourquoi), pour lequel il écrivit plusieurs pièces, et il n'avait pas manqué de s'interroger sur le jeu des comédiens.
La question était de savoir si l'on est un bon comédien quand on ressent des passions l'on exprime, ou, au contraire, s'il est préférable de rester de marbre, intérieurement, afin d'avoir toute sa tête pour mieux en exprimer les passions. Comme dans tous les textes de Diderot, Le Paradoxe sur le Comédien est vivant, coloré, chatoyant, et l'on imagine bien comment un tel esprit parlant des paradoxes ait pu faire un texte remarquable. Pas un texte très long, mais simplement de longueur appropriée à la question qui était discutée. Un long article, en quelque sorte, parce que cela suffisait.
Évidemment, dans ce texte de Diderot, il y a bien plus que la description succincte que je viens de donner, mais c'est en tout cas la substance qui motive le présent document, à savoir surtout qu'un raisonnement sain ne parvient pas véritablement à trancher certaines questions épineuses. Je connais mal le théâtre, mieux la musique, pour laquelle la question de Diderot se pose de la même façon : j'ai vu des musiciens qui ressentaient les passions et cherchaient à les exprimer, et d'autres, qui, de marbre, s'efforçaient de faire sentir les passions inscrites dans la musique.
Tout ce long préambule évoque des questions artistiques, et non des questions scientifiques, qui m'intéressent davantage. Je prends la précaution de dire que je ne vois pas de véritable lien entre les sciences de la nature et l'art, sauf à reconnaître trivialement qu'il s'agit de deux activités de culture. Je ne propose pas que l'on transpose le Paradoxe du comédien aux sciences de la nature (quoique...).
Ce Paradoxe du comédien est seulement un texte dont il m'a semblé que le paradoxe de la stratégie scientifique se rapprochait d'un point de vue littéraire, une sorte de type intellectuel, qu'il convenait d'évoquer, d'une part pour des raisons de fond, mais, aussi, pour des raisons de forme, sans compter que c'était l'occasion de signaler à des amis plus jeunes l'existence du merveilleux texte de Diderot.
Un autre paradoxe célèbre par le même Zénon est celui et Achille et de la tortue, qui s'apparente au premier. Mais évidemment, on prouve le mouvement en marchant.
Il y a des paradoxes de nombreux types, et celui de Zénon diffère du célèbre « Je mens ». Cette fois, il ne s'agit plus de mouvement, mais de logique, car si je mens, alors je dis la vérité quand je dis « je mens » ; mais si je dis la vérité, alors je mens, dont ce que je dis est faux, et ainsi de suite à l'infini.
Ici il ne s'agit pas de faire une typologie des paradoxes, mais plutôt d'en évoquer un célèbre, associé à un remarquable texte de Denis Diderot. Ce texte, et ce paradoxe, c'est le Paradoxe sur le comédien. Diderot était très intéressé par le théâtre (je m'aperçois que je ne sais pas pourquoi), pour lequel il écrivit plusieurs pièces, et il n'avait pas manqué de s'interroger sur le jeu des comédiens.
La question était de savoir si l'on est un bon comédien quand on ressent des passions l'on exprime, ou, au contraire, s'il est préférable de rester de marbre, intérieurement, afin d'avoir toute sa tête pour mieux en exprimer les passions. Comme dans tous les textes de Diderot, Le Paradoxe sur le Comédien est vivant, coloré, chatoyant, et l'on imagine bien comment un tel esprit parlant des paradoxes ait pu faire un texte remarquable. Pas un texte très long, mais simplement de longueur appropriée à la question qui était discutée. Un long article, en quelque sorte, parce que cela suffisait.
Évidemment, dans ce texte de Diderot, il y a bien plus que la description succincte que je viens de donner, mais c'est en tout cas la substance qui motive le présent document, à savoir surtout qu'un raisonnement sain ne parvient pas véritablement à trancher certaines questions épineuses. Je connais mal le théâtre, mieux la musique, pour laquelle la question de Diderot se pose de la même façon : j'ai vu des musiciens qui ressentaient les passions et cherchaient à les exprimer, et d'autres, qui, de marbre, s'efforçaient de faire sentir les passions inscrites dans la musique.
Tout ce long préambule évoque des questions artistiques, et non des questions scientifiques, qui m'intéressent davantage. Je prends la précaution de dire que je ne vois pas de véritable lien entre les sciences de la nature et l'art, sauf à reconnaître trivialement qu'il s'agit de deux activités de culture. Je ne propose pas que l'on transpose le Paradoxe du comédien aux sciences de la nature (quoique...).
Ce Paradoxe du comédien est seulement un texte dont il m'a semblé que le paradoxe de la stratégie scientifique se rapprochait d'un point de vue littéraire, une sorte de type intellectuel, qu'il convenait d'évoquer, d'une part pour des raisons de fond, mais, aussi, pour des raisons de forme, sans compter que c'était l'occasion de signaler à des amis plus jeunes l'existence du merveilleux texte de Diderot.
samedi 27 mai 2017
C'est ailleurs que j'étais actif ces jours-ci
On se souvient que je poste un billet par jour, mais il y a plusieurs sites différents.
Les jours derniers, j'ai été actif sur le site http://www.agroparistech.fr/-Les-bonnes-pratiques-scientifiques-.html, parce que je crois qu'il y a urgence à constituer un répertoire de "bonnes pratiques en science" : c'est ce que j'avais cherché il y a trente ans, que je n'ai pas trouvé, et que les revues scientifiques ne donnent pas ; d'ailleurs, elles ne sont pas habilitées à le donner, et c'est le rôle des académies, pas d'éditeurs privés, même quand les éditeurs sont des scientifiques qui travaillent (gratuitement) pour ces revues.
Bref, il y a lieu de continuer à aider nos jeunes amis et nous-mêmes en explicitant les règles de notre profession !
Si d'aventure vous avez l'idée d'un billet, je suis preneur à icmg@agroparistech.fr.
Les jours derniers, j'ai été actif sur le site http://www.agroparistech.fr/-Les-bonnes-pratiques-scientifiques-.html, parce que je crois qu'il y a urgence à constituer un répertoire de "bonnes pratiques en science" : c'est ce que j'avais cherché il y a trente ans, que je n'ai pas trouvé, et que les revues scientifiques ne donnent pas ; d'ailleurs, elles ne sont pas habilitées à le donner, et c'est le rôle des académies, pas d'éditeurs privés, même quand les éditeurs sont des scientifiques qui travaillent (gratuitement) pour ces revues.
Bref, il y a lieu de continuer à aider nos jeunes amis et nous-mêmes en explicitant les règles de notre profession !
Si d'aventure vous avez l'idée d'un billet, je suis preneur à icmg@agroparistech.fr.
dimanche 21 mai 2017
Ce matin, une étudiante qui prépare un exposé sur la cuisine note à note a des questions :
J'aimerais savoir si vous vous êtes lancé dans la recherche pour la cuisine par vocation ou par opportunité ou bien les deux ? Qui évalue vos recherches ? Comment les financez-vous (si cela n'est pas indiscret) ?
Allons y dans l'ordre :
1. J'aimerais savoir si vous vous êtes lancé dans la recherche pour la cuisine par vocation ou par opportunité ou bien les deux ?
Pour cette question, j'ai répondu mille fois, et l'on trouvera des réponses sur https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/Home/vive-la-connaissance-produite-et-partagee/pour-en-savoir-plus/questions-et-reponses/questions-personnelles
Cela dit, si j'ai répondu comment j'ai versé dans la "gastronomie moléculaire" (utilisons les bons termes), je n'ai pas répondu exactement à la question posée de la "vocation" ou de l'"opportunité".
C'est là quelque chose qui mérite un peu de réflexion, et un usage correct de mots.
La vocation, c'est un appel de Dieu, puis, par extension, l'inclination, le penchant impérieux qu'un individu ressent pour une profession, une activité ou un genre de vie.
Dans mon cas, il est exact que, dès l'âge de six ans, quand j'ai reçu ma boite de chimie, j'ai immédiatement été fasciné par les sciences de la nature, la chimie mais aussi la physique, et les mathématiques ; je ne voyais pas de frontières entre les trois, même si la "chimie" m'était plus chère, parce que je trouvais (et je trouve encore) fascinant que les phénomènes macroscopiques s'expliquent en termes microscopiques, invisibles. Plus tard, j'ai été fasciné que le monde "soit écrit en langage mathématique", comme l'a dit Galilée (avec toutes les précautions nécessaires pour écrire une telle phrase, mais c'est une autre histoire).
Bref, j'étais passionné par les sciences de la nature... mais pas par la cuisine. Bien sûr, j'étais d'une gourmandise forcenée, au point que nous nous sommes enfermés pendant deux semaines pour ne faire que manger, à l'âge de 14 ans, avec des amis, et bien sûr, j'ai toujours cuisiner, mais :
- la partie technique de la cuisine n'est que technique, donc sans intérêt pour moi
- la partie artistique est artistique, donc en dehors de mes intérêts
- la partie sociale nécessite d'être mieux inséré dans le groupe que je ne le suis.
Bref, ce sont les sciences de la nature qui m'intéressent, et c'est par sérendipité que les sciences que je pratique ont un rapport avec la cuisine. D'ailleurs, à un niveau un peu fondamental, il n'y a pas de barrières. Par exemple, un aliment qui libère un composés sapide, c'est exactement le même type de phénomènes qu'un médicament qui libère un principe actif ou qu'un parfum dont s'évapore un composé odorant.
Et pour les équations, Fick ou Fourier, même forme, par exemple, pour prendre un exemple simple.
Opportunité ? Je trouve "caractère de ce qui est opportun" (opportun : qui vient à propos, qui convient à la situation du moment) ou encore "savoir d'instinct ce qu'il convient de faire dans telle situation".
Dans mon cas, l'épisode du soufflé au roquefort qui a été ma "nuit de Pascal", toutes proportions gardées évidemment, a été d'instinct. J'ai fait ce que je devais faire sans y réfléchir, mais aussi parce que mon apprentissage avait été tel que j'étais bien dans cette ligne scientifique. Il y a cette phrase "Il faut agir en Chrétien, et non en tant que Chrétien" ; dans mon cas, j'ai agi en scientifique, et non en tant que scientifique. Face à une incompréhension, j'ai été rationnel, et c'est ainsi que j'ai été tout naturellement conduit à explorer ce soufflé.
Le pas supplémentaire, qui consistait à me lancer dans la recherche des précisions culinaires, avait été préparé par les activités de laboratoires que j'avais depuis l'âge de six ans : ayant toujours expérimenté, il était naturel d'expérimenter.
Et je n'ai pas fait de "comm" : je faisais mes recherches tout seul, sans en parler à personne, mais cela s'est su, et c'est ainsi que j'ai été invité à faire des séminaires, puis que nous avons créé la gastronomie moléculaire avec mon vieil ami Nicholas Kurti, qui faisait de même à Oxford.
Il n'y avait dans tout cela pas de "calcul", de l'opportunité mais pas d'opportunisme, pas d'envie de "carrière", rien que l'intérêt passionné (ma marque de fabrique) pour mon activité, laquelle était quasi obligatoire.
Pardon de cette longue réponse très personnelle : le moi est haïssable !
2. Qui évalue vos recherches ?
Comme tout chercheur, mes recherches sont évaluées... d'abord par moi-même !
En effet, chaque soir, dans mon groupe de recherche, nous envoyons à tous les autres un email qui comporte un tableau :
Nature de la tâche /Tâches/Etat/Commentaire
Travail/ / /
Communication/ / /
Administration/ / /
Ce qui a coincé et qu'on peut améliorer/ / /
Nouvelles connaissances/ / /
Nouvelles compétences/ / / /
Objectifs/ / /
Cadeaux/ / /
Les petits esprits considèrent cela comme du flicage, mais ils ignorent que nous le faisons d'abord pour nous-mêmes, que des "cadeaux à soi même et aux autres" sont d'abord à soi-même : c'est l'occasion de prendre du recul, d'évaluer le travail de la journée, afin d'avoir de la traçabilité, d'augmenter la qualité, d'avoir une évaluation en vue de perfectionnements ultérieurs.
Ce n'est pas tout : le vendredi, je fais un bilan de la semaine, puis tous les trois mois un bilan du trimestre, et, enfin, pendant l'été, je prends quelques jours pour savoir comment orienter l'année suivante.
Cela, c'est pour moi-même : le plus important, car je n'oublie jamais que je suis payé par le contribuable français, et que je lui dois une activité soutenue et intelligente, mais je n'oublie jamais non plus mon ambition, qui est celle de faire de belles découvertes.
Pour autant, l'institution organise aussi des évaluations. Par exemple, l'Inra évalue ses personnels régulièrement, et l'HCERES est l'instance nationale d'évaluation des chercheurs.
D'ailleurs, il faut dire que les chercheurs sont bien plus évalués qu'on ne le dit par ignorance, même jusqu'au niveau de la présidence (mais l'homme qui a dit cela a ipso facto perdu toute dignité) : en 2011, par exemple, j'ai eu 7 évaluations dans l'année, à croire que l'on voulait m'empêcher de travailler, car il faut dire qu'une évaluation bien conduite prend beaucoup de temps. Je ne peux m'empêcher, à ces mot, d'inviter tous mes amis à lire cette merveilleuse petite nouvelle de Leo Szilard (The voice of Dolphins), à propos du danger de laisser les scientifiques travailler.
Mais la question est passionnante, parce qu'elle pose la question de l'évaluation : je maintiens qu'un évaluateur doit être quelqu'un qui interroge, et s'assure que son interlocuteur n'a pas laissé son activité au hasard. Cela doit être bienveillant, et conduire à des perfectionnements, souhaités des deux côtés.
Evidemment, je pense ainsi à des personnes évaluées actives, soucieuses de bien faire, en accord avec la lettre de mission qu'ils ont reçues. Parce que je suis ignorant de toutes les turpitudes auxquelles la paresse, la perversité, le goût de la domination (le "pouvoir"), etc. peuvent conduire. Détestons le noir poison de la malhonnêteté, et allons vite dans la chaude lumière de la droiture et de la bonté !
Pardon de cette longue réponse moralisatrice !
3. Comment les financez-vous (si cela n'est pas indiscret) ?
Soyons clair. Puisque le travail de ma correspondante porte sur la cuisine note à note, il faut dire que la promotion ou le développement de cette cuisine que j'ai inventée ne sont pas dans ma mission scientifique.
Pour ce qui me concerne, j'ai une vie scientifique et une vie "politique", engagée. La vie scientifique, c'est ma passion, comme dit précédemment : la recherche en gastronomie moléculaire. Je ne devrais faire que cela, et j'y arrive d'ailleurs assez bien.
Mais, à côté, je n'oublie pas que je suis un citoyen, et je crois qu'il est de mon devoir "politique" de promouvoir la cuisine note à note. Pour mille raisons qu'il serait trop long d'exposer ici, d'autant que j'ai toujours dit que je ne réponds pas à la question "A votre avis, puisque je ne gagne pas d'argent avec la cuisine note à note, et que je ne gagne pas non plus d'une notoriété qui ne me servira à rien dans la tombe, pourquoi pensez vous que je prends de mon temps pour promouvoir la cuisine note à note ?".
Bref, j'ai besoin de financement pour ma recherche scientifique, puisque c'est mon activité, et je n'ai besoin de rien pour la cuisine note à note, puisque ce n'est pas mon activité.
Pour la recherche scientifique, oui, il me faut des financements, et je tiens à dire que, agent de l'état, je n'ai rien à cacher, et il n'y a pas d'indiscrétion à poser la question : tout contribuable a le droit de savoir comment son argent est utilisé.
Voici :
- je reçois mon salaire de l'Inra
- l'Inra et AgroParisTech contribuent au fonctionnement du laboratoire (électricité, eau, chauffage, fluides...)
- des industriels payent parfois des étudiants ou des doctorants qui viennent apprendre auprès de moi, et ils contribuent en finançant des consommables
- parfois mes conférences dans l'industrie sont rétribuées par des dons de matériels
- parfois, des programmes nationaux ou internationaux apportent des compléments.
Mais il me faut ajouter que je refuse absolument de payer des étudiants en stage, car à ce rythme, viendra un jour où il faudra payer pour faire des cours ! Et la loi idiote qui a été édicté me conduit à refuser les étudiants pour des stages de plus de deux mois, ce que les étudiants regrettent (je ne dis pas que les étudiants ne doivent pas recevoir de bourse, mais je dis que ce n'est pas à moi, qui me charge de les aider à apprendre, à devoir, en plus, chercher leur financement. D'autre part, les thèses pour lesquelles je suis directeur de thèse sont toujours des thèses CIFRE, payées par l'industrie, donc, parce que je maintiens que des étudiants qui ne connaissent pas l'industrie sont handicapés quand ils cherchent ensuite du travail.
Mais j'ai fait de nombreux billets à ces divers propos : quand je vous disais que j'allais finir "père la morale".
Allons, il faut conclure, et toujours conclure sur une note positive. Prenons du recul sur ces questions. De quoi s'agissait-il ? D'une élève d'une école d'ingénieur qui s'intéresse à la cuisine note à note. C'est donc parfait, puisque cette cuisine va se développer, suscitant la création d'entreprises, de technique, de technologie, d'art...
C'est donc bien une application de la science nommée gastronomie moléculaire. Pas une application directe, mais une application "intellectuelle".
Bref, les sciences de la nature sont merveilleuses !
J'aimerais savoir si vous vous êtes lancé dans la recherche pour la cuisine par vocation ou par opportunité ou bien les deux ? Qui évalue vos recherches ? Comment les financez-vous (si cela n'est pas indiscret) ?
Allons y dans l'ordre :
1. J'aimerais savoir si vous vous êtes lancé dans la recherche pour la cuisine par vocation ou par opportunité ou bien les deux ?
Pour cette question, j'ai répondu mille fois, et l'on trouvera des réponses sur https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/Home/vive-la-connaissance-produite-et-partagee/pour-en-savoir-plus/questions-et-reponses/questions-personnelles
Cela dit, si j'ai répondu comment j'ai versé dans la "gastronomie moléculaire" (utilisons les bons termes), je n'ai pas répondu exactement à la question posée de la "vocation" ou de l'"opportunité".
C'est là quelque chose qui mérite un peu de réflexion, et un usage correct de mots.
La vocation, c'est un appel de Dieu, puis, par extension, l'inclination, le penchant impérieux qu'un individu ressent pour une profession, une activité ou un genre de vie.
Dans mon cas, il est exact que, dès l'âge de six ans, quand j'ai reçu ma boite de chimie, j'ai immédiatement été fasciné par les sciences de la nature, la chimie mais aussi la physique, et les mathématiques ; je ne voyais pas de frontières entre les trois, même si la "chimie" m'était plus chère, parce que je trouvais (et je trouve encore) fascinant que les phénomènes macroscopiques s'expliquent en termes microscopiques, invisibles. Plus tard, j'ai été fasciné que le monde "soit écrit en langage mathématique", comme l'a dit Galilée (avec toutes les précautions nécessaires pour écrire une telle phrase, mais c'est une autre histoire).
Bref, j'étais passionné par les sciences de la nature... mais pas par la cuisine. Bien sûr, j'étais d'une gourmandise forcenée, au point que nous nous sommes enfermés pendant deux semaines pour ne faire que manger, à l'âge de 14 ans, avec des amis, et bien sûr, j'ai toujours cuisiner, mais :
- la partie technique de la cuisine n'est que technique, donc sans intérêt pour moi
- la partie artistique est artistique, donc en dehors de mes intérêts
- la partie sociale nécessite d'être mieux inséré dans le groupe que je ne le suis.
Bref, ce sont les sciences de la nature qui m'intéressent, et c'est par sérendipité que les sciences que je pratique ont un rapport avec la cuisine. D'ailleurs, à un niveau un peu fondamental, il n'y a pas de barrières. Par exemple, un aliment qui libère un composés sapide, c'est exactement le même type de phénomènes qu'un médicament qui libère un principe actif ou qu'un parfum dont s'évapore un composé odorant.
Et pour les équations, Fick ou Fourier, même forme, par exemple, pour prendre un exemple simple.
Opportunité ? Je trouve "caractère de ce qui est opportun" (opportun : qui vient à propos, qui convient à la situation du moment) ou encore "savoir d'instinct ce qu'il convient de faire dans telle situation".
Dans mon cas, l'épisode du soufflé au roquefort qui a été ma "nuit de Pascal", toutes proportions gardées évidemment, a été d'instinct. J'ai fait ce que je devais faire sans y réfléchir, mais aussi parce que mon apprentissage avait été tel que j'étais bien dans cette ligne scientifique. Il y a cette phrase "Il faut agir en Chrétien, et non en tant que Chrétien" ; dans mon cas, j'ai agi en scientifique, et non en tant que scientifique. Face à une incompréhension, j'ai été rationnel, et c'est ainsi que j'ai été tout naturellement conduit à explorer ce soufflé.
Le pas supplémentaire, qui consistait à me lancer dans la recherche des précisions culinaires, avait été préparé par les activités de laboratoires que j'avais depuis l'âge de six ans : ayant toujours expérimenté, il était naturel d'expérimenter.
Et je n'ai pas fait de "comm" : je faisais mes recherches tout seul, sans en parler à personne, mais cela s'est su, et c'est ainsi que j'ai été invité à faire des séminaires, puis que nous avons créé la gastronomie moléculaire avec mon vieil ami Nicholas Kurti, qui faisait de même à Oxford.
Il n'y avait dans tout cela pas de "calcul", de l'opportunité mais pas d'opportunisme, pas d'envie de "carrière", rien que l'intérêt passionné (ma marque de fabrique) pour mon activité, laquelle était quasi obligatoire.
Pardon de cette longue réponse très personnelle : le moi est haïssable !
2. Qui évalue vos recherches ?
Comme tout chercheur, mes recherches sont évaluées... d'abord par moi-même !
En effet, chaque soir, dans mon groupe de recherche, nous envoyons à tous les autres un email qui comporte un tableau :
Nature de la tâche /Tâches/Etat/Commentaire
Travail/ / /
Communication/ / /
Administration/ / /
Ce qui a coincé et qu'on peut améliorer/ / /
Nouvelles connaissances/ / /
Nouvelles compétences/ / / /
Objectifs/ / /
Cadeaux/ / /
Les petits esprits considèrent cela comme du flicage, mais ils ignorent que nous le faisons d'abord pour nous-mêmes, que des "cadeaux à soi même et aux autres" sont d'abord à soi-même : c'est l'occasion de prendre du recul, d'évaluer le travail de la journée, afin d'avoir de la traçabilité, d'augmenter la qualité, d'avoir une évaluation en vue de perfectionnements ultérieurs.
Ce n'est pas tout : le vendredi, je fais un bilan de la semaine, puis tous les trois mois un bilan du trimestre, et, enfin, pendant l'été, je prends quelques jours pour savoir comment orienter l'année suivante.
Cela, c'est pour moi-même : le plus important, car je n'oublie jamais que je suis payé par le contribuable français, et que je lui dois une activité soutenue et intelligente, mais je n'oublie jamais non plus mon ambition, qui est celle de faire de belles découvertes.
Pour autant, l'institution organise aussi des évaluations. Par exemple, l'Inra évalue ses personnels régulièrement, et l'HCERES est l'instance nationale d'évaluation des chercheurs.
D'ailleurs, il faut dire que les chercheurs sont bien plus évalués qu'on ne le dit par ignorance, même jusqu'au niveau de la présidence (mais l'homme qui a dit cela a ipso facto perdu toute dignité) : en 2011, par exemple, j'ai eu 7 évaluations dans l'année, à croire que l'on voulait m'empêcher de travailler, car il faut dire qu'une évaluation bien conduite prend beaucoup de temps. Je ne peux m'empêcher, à ces mot, d'inviter tous mes amis à lire cette merveilleuse petite nouvelle de Leo Szilard (The voice of Dolphins), à propos du danger de laisser les scientifiques travailler.
Mais la question est passionnante, parce qu'elle pose la question de l'évaluation : je maintiens qu'un évaluateur doit être quelqu'un qui interroge, et s'assure que son interlocuteur n'a pas laissé son activité au hasard. Cela doit être bienveillant, et conduire à des perfectionnements, souhaités des deux côtés.
Evidemment, je pense ainsi à des personnes évaluées actives, soucieuses de bien faire, en accord avec la lettre de mission qu'ils ont reçues. Parce que je suis ignorant de toutes les turpitudes auxquelles la paresse, la perversité, le goût de la domination (le "pouvoir"), etc. peuvent conduire. Détestons le noir poison de la malhonnêteté, et allons vite dans la chaude lumière de la droiture et de la bonté !
Pardon de cette longue réponse moralisatrice !
3. Comment les financez-vous (si cela n'est pas indiscret) ?
Soyons clair. Puisque le travail de ma correspondante porte sur la cuisine note à note, il faut dire que la promotion ou le développement de cette cuisine que j'ai inventée ne sont pas dans ma mission scientifique.
Pour ce qui me concerne, j'ai une vie scientifique et une vie "politique", engagée. La vie scientifique, c'est ma passion, comme dit précédemment : la recherche en gastronomie moléculaire. Je ne devrais faire que cela, et j'y arrive d'ailleurs assez bien.
Mais, à côté, je n'oublie pas que je suis un citoyen, et je crois qu'il est de mon devoir "politique" de promouvoir la cuisine note à note. Pour mille raisons qu'il serait trop long d'exposer ici, d'autant que j'ai toujours dit que je ne réponds pas à la question "A votre avis, puisque je ne gagne pas d'argent avec la cuisine note à note, et que je ne gagne pas non plus d'une notoriété qui ne me servira à rien dans la tombe, pourquoi pensez vous que je prends de mon temps pour promouvoir la cuisine note à note ?".
Bref, j'ai besoin de financement pour ma recherche scientifique, puisque c'est mon activité, et je n'ai besoin de rien pour la cuisine note à note, puisque ce n'est pas mon activité.
Pour la recherche scientifique, oui, il me faut des financements, et je tiens à dire que, agent de l'état, je n'ai rien à cacher, et il n'y a pas d'indiscrétion à poser la question : tout contribuable a le droit de savoir comment son argent est utilisé.
Voici :
- je reçois mon salaire de l'Inra
- l'Inra et AgroParisTech contribuent au fonctionnement du laboratoire (électricité, eau, chauffage, fluides...)
- des industriels payent parfois des étudiants ou des doctorants qui viennent apprendre auprès de moi, et ils contribuent en finançant des consommables
- parfois mes conférences dans l'industrie sont rétribuées par des dons de matériels
- parfois, des programmes nationaux ou internationaux apportent des compléments.
Mais il me faut ajouter que je refuse absolument de payer des étudiants en stage, car à ce rythme, viendra un jour où il faudra payer pour faire des cours ! Et la loi idiote qui a été édicté me conduit à refuser les étudiants pour des stages de plus de deux mois, ce que les étudiants regrettent (je ne dis pas que les étudiants ne doivent pas recevoir de bourse, mais je dis que ce n'est pas à moi, qui me charge de les aider à apprendre, à devoir, en plus, chercher leur financement. D'autre part, les thèses pour lesquelles je suis directeur de thèse sont toujours des thèses CIFRE, payées par l'industrie, donc, parce que je maintiens que des étudiants qui ne connaissent pas l'industrie sont handicapés quand ils cherchent ensuite du travail.
Mais j'ai fait de nombreux billets à ces divers propos : quand je vous disais que j'allais finir "père la morale".
Allons, il faut conclure, et toujours conclure sur une note positive. Prenons du recul sur ces questions. De quoi s'agissait-il ? D'une élève d'une école d'ingénieur qui s'intéresse à la cuisine note à note. C'est donc parfait, puisque cette cuisine va se développer, suscitant la création d'entreprises, de technique, de technologie, d'art...
C'est donc bien une application de la science nommée gastronomie moléculaire. Pas une application directe, mais une application "intellectuelle".
Bref, les sciences de la nature sont merveilleuses !
jeudi 18 mai 2017
Chers Amis
Cela fait quelque temps déjà que je vous ai présenté un professeur des Hautes Etudes du Goût.
Cette semaine : Gérard Liger-Belair
Gérard Liger-Belair est professeur à l'Université de Reims Champagne-Ardenne.
Au cours des dernières décennies, il s’est développé une science considérable des bulles et des mousses. Physiciens, chimistes et mathématiciens se sont passionnés pour ces objets fragiles aux propriétés extraordinaires.
Cependant, les processus liés à la formation des bulles dans un vin de Champagne sont restés jusqu’à peu totalement inexplorés. Pourtant, dans le petit volume de champagne circonscrit par une flûte, on retrouve toutes les étapes de la vie d’une bulle. Elle naît sur une particule immergée, elle se développe dans la flûte en rejoignant la surface, où inexorablement elle vieillit, puis finit par disparaître.
Ces petites sphères de gaz carbonique qui prennent naissance dans le vin engendrent une kyrielle de phénomènes d’une complexité insoupçonnée qui vont mettre en éveil la panoplie complète des sens du dégustateur. Depuis une quinzaine d’années maintenant, dans ses laboratoires de l’université de Reims Champagne-Ardenne, Gérard Liger-Belair et son équipe développent des outils susceptibles de mieux cerner le rôle de cette bulle, trop longtemps inexplorée.
Il est l'auteur d'une centaine d'articles scientifiques et d'une dizaine d'ouvrage universitaires et à destination du grand public, parmi lesquels:
- Effervescence ! la science du champagne, Odile Jacob, 2009
- Voyage au cœur d’une bulle de champagne, Odile Jacob, 2011
- Champagne, la vie secrète des bulles,Cherche-Midi,2014
Il a reçu une quinzaine de prix scientifiques dans le cadre de ses activités de recherche (dont le prix coup de cœur de l’Académie Amorim en 2003, et le prix de la photographie scientifique Biopicture, en 2004, le Prix de l’OIV 2009 pour l’ouvrage “Les vins effervescents, du terroir à la bulle” aux éditions Dunod, et le Prix de l’Innovation au Viteff 2013 (catégorie laboratoire de recherche), pour un travail de recherche intitulé « Le service du champagne revisité ».
Cela fait quelque temps déjà que je vous ai présenté un professeur des Hautes Etudes du Goût.
Cette semaine : Gérard Liger-Belair
Gérard Liger-Belair est professeur à l'Université de Reims Champagne-Ardenne.
Il y a créé l’équipe Effervescence, Champagne et Applications (GSMA – UMR CNRS 7331),
dont la vocation première est l’étude des processus liés à la dynamique
des bulles et des mousses dans les liquides chargés en gaz dissous
(depuis les
bulles de champagne, jusqu’aux mousses industrielles).
Au cours des dernières décennies, il s’est développé une science considérable des bulles et des mousses. Physiciens, chimistes et mathématiciens se sont passionnés pour ces objets fragiles aux propriétés extraordinaires.
Cependant, les processus liés à la formation des bulles dans un vin de Champagne sont restés jusqu’à peu totalement inexplorés. Pourtant, dans le petit volume de champagne circonscrit par une flûte, on retrouve toutes les étapes de la vie d’une bulle. Elle naît sur une particule immergée, elle se développe dans la flûte en rejoignant la surface, où inexorablement elle vieillit, puis finit par disparaître.
Ces petites sphères de gaz carbonique qui prennent naissance dans le vin engendrent une kyrielle de phénomènes d’une complexité insoupçonnée qui vont mettre en éveil la panoplie complète des sens du dégustateur. Depuis une quinzaine d’années maintenant, dans ses laboratoires de l’université de Reims Champagne-Ardenne, Gérard Liger-Belair et son équipe développent des outils susceptibles de mieux cerner le rôle de cette bulle, trop longtemps inexplorée.
Il est l'auteur d'une centaine d'articles scientifiques et d'une dizaine d'ouvrage universitaires et à destination du grand public, parmi lesquels:
- Effervescence ! la science du champagne, Odile Jacob, 2009
- Voyage au cœur d’une bulle de champagne, Odile Jacob, 2011
- Champagne, la vie secrète des bulles,Cherche-Midi,2014
Il a reçu une quinzaine de prix scientifiques dans le cadre de ses activités de recherche (dont le prix coup de cœur de l’Académie Amorim en 2003, et le prix de la photographie scientifique Biopicture, en 2004, le Prix de l’OIV 2009 pour l’ouvrage “Les vins effervescents, du terroir à la bulle” aux éditions Dunod, et le Prix de l’Innovation au Viteff 2013 (catégorie laboratoire de recherche), pour un travail de recherche intitulé « Le service du champagne revisité ».
dimanche 14 mai 2017
Le style, en science
Dans le jury de ma thèse, dont j'étais moi-même le directeur (pas administrativement : ce n'était pas possible, et il a fallu un prête nom... qui fut mon ami Pierre Potier), il y avait des personnalités scientifiques remarquables : Jean-Marie Lehn, prix Nobel de chimie ; Pierre-Gilles de Gennes, prix Nobel de physique ; Nicholas Kurti ; Georges Bram ; Pierre Potier, que j'ai déjà évoqué ; et d'autres qui ne sont pas moins que les premiers, mais qui sont moins utiles pour la discussion que je propose ici.
Jean-Marie Lehn : il suffit de lire ses publications pour voir une façon de faire très particulière, conceptuelle. Jean-Marie pense les objets, les abstrait, avant de les réaliser ou de les faire réaliser en laboratoire. Il y a de la règle formelle, dans sa manière.
Pierre-Gilles de Gennes : une discipline différente, certes, mais surtout une tout autre méthode, où l'ordre de grandeur est premier. Certes, des capacités de calcul étonnantes, appliquées à des données expérimentales très élégantes, une sorte de pureté du travail.
Pierre Potier ? Il a assez dit lui-même combien il était content d'être à la fois pharmacien et chimiste, capable de considérer le vivant pour en faire une chimie intelligente.
Georges Bram : sa chimie organique était nourrie de son amour de l'histoire de la chimie.
Nicholas Kurti : un physicien à l'ancienne, expérimental, mais avec un maniement du formalisme tout à fait dans l'idée de la physique que l'on m'a enseignée.
On le voit, des personnalités toutes différentes, qui avaient toutes un style particulier. Un style qui concernait aussi bien le choix des thèmes d'études, que des méthodes de travail, la pratique de la science...
Et si le succès scientifique était ainsi fondé sur la bonne définition du style en science ?
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