J'ai eu la chance
inouïe d'avoir un père extraordinaire. C'était quelqu'un qui
avait pour devise « labor improbus omnia vincit »,
ce qui signifie « un travail acharné vient à bout de tout ».
Immense générosité,
immense culture, immense bienveillance, immense humanité…
Dès le début de
ses études de médecine, il avait compris que si la technique
(médicale) s'imposait, on ne devait pas s'y arrêter, car l'être
humain n'est pas réductible à des morceaux de viande.
Pour des raisons que
je ne comprends pas encore, il s'était intéressé à la naissance
et à la psychanalyse, voie où il s'était engagé avec fougue.
Ce n'était pas un
homme de compromis, mais de conviction, car on ne transige pas quand
l'humain est en jeu. Observant l'obstétrique de son temps, il
l'avait critiquée publiquement, réfutant l'idée d'alors selon
laquelle les enfants n’auraient pas ressenti de douleur, réfutant
l'idée selon laquelle les nouveaux-nés n'auraient pas souri…
Ayant aidé une
femme à accoucher, et observant que celle-ci ne souffrait pas, il se
fit l'apôtre de l'accouchement sans douleur, avec le docteur Lamaze,
dès 1951. A l'Hôpital Foch, à la Clinique des Bleuets, et dans
quelques autres endroits, il militait énergiquement pour donner aux
femmes la possibilité d'accoucher sans douleur, ce qui le conduisit
tout naturellement à créer le Groupe de recherche et d'étude de
la naissance (GRENN), cadre dans lequel il contribua à faire
connaître la sophrologie, les accouchements dans l'eau,
l'haptonomie…
Mais j'ai dit qu'il
ne s'arrêtait pas à la technique, et son intérêt pour la
psychanalyse le conduisit très tôt à se préoccuper des enfants
de ce point de vue là, créant notamment le Centre Etienne Marcel de
psychopédagogie, mais bien d'autres structures du même type, telles
les Maisons vertes, d'abord à deux pas de son domicile, dans le
Front de Seine, à Paris, puis bientôt dans d'autres villes.
Il travaillait aussi
beaucoup seul, écrivant inlassablement : des articles, des
livres… Le premier fut consacré à la psychanalyse, mais les
suivants discutèrent la question de la naissance, du nouveau né…
mais aussi des parents, le mère et le père.
Ces livres étaient
des best sellers, et la façon dont ils sont écrits est étonnante :
il ya une sorte de grande simplicité, et en réalité, de grande
modestie : les mots sont simples, les mots sont clairs, il n'y a
pas de prétention intellectuelle, mais on raconte des histoires
(vraies), et l'on s'émerveille des travaux de quelques pionniers,
tel l'abbé Spallanzani, qui s'interrogeait sur la génération, et
découvrit l’importance des spermatozoïdes en mettant des culottes
à des grenouilles. Par exemple.
Tous les soirs,
après ses consultations, il partait pour des groupes de travail
variés : traductions de Freud à partir de l'allemand,
reconnaissant que l'on ne peut guère s’intéresser à le pensée
de quelqu’un sans la connaître précisément, publication de la
revue du Coq Héron, émanation initiale du Centre Étienne Marcel,
Groupe d'étude de la naissance, qui publia notamment un livre qui
fit date, intitulé L'aube des sens, où l'on s'interrogeait sur les
perceptions de l'enfant in utero…
Il avait au moins
deux autres terrains de prédilection, à savoir la mythologie et
l'étymologie : ce que parler veut dire…
Au milieu de son
jardin, de ses roses, il avait une façon extraordinaire d'être, en
parfaite sympathie, en parfaite compassion, en générosité, en
discrétion, au point que l'on pourrait même reprocher de ne jamais
avoir assumé de « direction » véritable, même s'il fut
effectivement un directeur, dans nombre de circonstances, tel le
Centre Étienne Marcel.
Il avait des yeux
bleus, limpides comme son esprit, pétillants comme sa culture et sa
pensée, sa bienveillance et sa sagesse.
Je ne parviens pas à
ne pas imaginer qu'il ait voulu autre chose qu'une vie
« exemplaire », mais pas un exemple que l'on doit
suivre ; un exemple que l'on est invité à raisonner, pour
construire chacun notre propre vie exemplaire.
Nos communautés ont
un immense besoin de telles personnalités.