dimanche 31 mars 2024

La micro-chimie… ou son principe

 
Dans des billets précédents, j'ai discuté la question de la micro-chimie, dont je crois l'enseignement indispensable pour l'enseignement de la chimie, dès le début des études. 

Je rappelle que j'ai reçu en stage des étudiants qui, si je ne les avais pas arrêtés, auraient fait des expériences sur un litre de lait, ce qui aurait nécessité quatre litres d'acétone ! Quatre litres d'acétone qui auraient dû ensuite être recyclés. Quatre litres d'acétone de qualité analytique qu'il fallait payer ! Manifestement nos étudiants n'avaient pas été bien formés. 

Évidemment, je les ai interrogés pour savoir s'ils avaient entendu parler de micro-chimie, et j'ai eu la confirmation, par plusieurs d'entre eux, que jamais ce mot n'avait été prononcé devant eux. Il faut militer pour changer tout cela, sans quoi nos étudiants seront formés à de la chimie périmée, celle du siècle passé. 

L'idée est la suivante : alors qu'il fallait des milliers de litres d'urine de jument gravide pour en extraire quelques milligrammes d'hormones, il y a un siècle, nos nouveaux appareils d'analyse ont faits de tels progrès que nous pouvons aujourd'hui détecter facilement des quantités de produits de l'ordre de nanogramme (milliardième de gramme), des picogrammes (millionièmes de millionièmes de gramme). 

Avec ces appareils, la quantité de matériau de départ se réduit considérablement, ce qui a de nombreux avantages. D'abord, si le lait est peu coûteux, bien d'autres réactifs de laboratoire sont, au contraire, achetés à prix d'or, voire plus. D'autre part, on a évoqué la question des solvants, de leur coût, de leur recyclage. Dans cette affaire, il faut également considérer la question du danger, car si le lait n'est pas dangereux, bien d'autres réactifs le sont... et l'on se souvient de tragiques accidents qui ont eu lieu dans des laboratoires d’enseignement, où il y a eu mort d'homme. 

On le voit il y a toutes les raisons de chercher à réduire la quantité des produits que l'on utilise dans un laboratoire où l'on fait de l'analyse chimique, et l'enseignement de la microchimie s'impose absolument. 

Pour autant, ce billet est métaphorique, à savoir que c'est surtout un état d'esprit que je propose. 

Par exemple, une étudiante d'un pays en développement est venue examiner en stage comment l'ajout de l'hydrogénocarbonate modifie le pH des tomates. Dans un tel cas, on ne peut pas utiliser moins qu'un quart ou un huitième de rondelles. Qu'importe ! Ce qui compte, c'est de ne pas avoir acheté un kilo de tomates pour faire l'expérience et de s'être interrogé sur la quantité minimale de produits qu'il fallait utiliser. Avec un huitième de rondelles de tomates, on n'est pas dans la micro-chimie, mais on est dans le même état d'esprit. 

Conservons cet exemple des tomates pour voir le raisonnement que nous devons mettre en œuvre quand nous faisons des expériences. A propos de ces tomate, l'étudiante en question s'interroge sur la couleur, et l'on comprend qu'il faudra une quantité de matière qui puisse être analysée à un appareil qui mesure la couleur, tel un colorimètre. Dans un tel cas il faut une épaisseur de matériaux et une masse suffisante. 

Mais on peut aussi se demander si un colorimètre est vraiment nécessaire, et si nous ne pourrions pas plutôt utiliser des pixels d'une image ! Auquel cas la taille des éléments à analyser est bien plus petite que les quelque 5 cm de diamètre sur 1 cm d'épaisseur nécessaire pour la colorimétrie. Pour l'acidité, on a besoin d'un pH-mètre, et là, on pressent que 1 cm³ de tissu s'impose avec les sondes de pH des plus classiques, celle qu'on a dans les établissements d'enseignement. Mais on peut aussi considérer que si l'enjeu est suffisant, alors ça vaut la peine d'utiliser des microsondes, voire un appareil de résonance magnétique nucléaire avec une mesure du phosphore 31 ! 

Dans tous les cas, je propose de considérer que : (1) nous devons chercher quelle est la plus petite quantité de matériau à utiliser pour faire les expériences ; et (2) nous devons chercher quel matériel pour réduire ces quantités. Et c'est l'application de de ces raisonnement qui nous permettra de faire de la chimie sans danger, avec précisions, avec peu de risque, avec le moins de coûts possible, avec le moins de pollution possible, mais avec toujours plus de précision !

vendredi 29 mars 2024

Il est bien difficile de revenir en arrière quand on est quand on devient rigoureux.


J'analyse le titre de ce billet dans un exemple,  à savoir celui de la connaissance de la structure des molécules des composés qui constituent les huiles par exemple. 

 Et là, rien qu'à cette phrase,  j'entends des amis me dire que je dis des choses bien compliquées. Je reprends : 

- dans les huiles, il y a des molécules

- ces molécules sont de différentes sortes, et une "sorte", une catégorie, c'est ce que l'on nomme c'est un "composé". 

Par exemple, l'eau est une matière, et aussi un composé : la catégorie des molécules faites d'un atome d'oxygène lié à deux atomes d'hydrogène. L'éthanol est un autre composé : la catégorie des molécules faites avec deux atomes de carbone, cinq atomes d'hydrogène et un atome d'oxygène, liés d'une certaine façon.

 

Et pour l'huile, les molécules sont quasiment toutes comme des "pieuvres à trois tentacules", de diverses sortes (des "tentacules" plus ou moins longs, plus ou moins rigides), mais des sortes qui sont toutes de la famille de "triglycérides". 

 

Et oui, les triglycérides sont des composés dont les molécules sont donc comme des pieuvres à trois tentacules. Mais faites d'atomes. 

 

, c'est composé ayant des molécules qui sont faites ils ont comme des tentacules à 3 bras, le tout est en fait d'atomes de carbone, d'oxygène ou d'hydrogène. Quand un chimiste regarde telle molécule, il repère un groupe d'atomes qui correspond presque à celui que l'on verrait dans une molécule de glycérol et il repère également trois groupes d'atomes qui correspondent environ à ce que l'on verrait dans des molécules d'acide gras. Et c'est ainsi que l'on dit une molécule de triglycérides et constitué de trois raisons de trois résidus d'acides gras et d'un résidu de glycérol. Friteuse, il y a ni glycérol ni acides gras dans l'huile et seulement des résidus de glycérol ou des résidus pirats dans les molécules. si l'on a fait ces molécules à partir de glycérol et d'acide gras ce qui est possible, alors la réaction a correspondu à déniation de certains atomes, à une réorganisation de l'ensemble c'est la raison pour laquelle il n'y a pas d'acide gras dans un triglycérides point pour en faire apparaître, il faudrait donc dégrader la molécule de triglycérides en ajoutant des atomes appropriés. Essentiellement d'oxygène et d'hydrogène.

Les "tentacules",  et les "têtes" sont faits d'atomes de carbone, d'oxygène et d'hydrogène. Quand un chimiste regarde une telle molécule, il repère un groupe d'atomes qui correspond presque à celui que l'on verrait dans une molécule de glycérol, et il repère également trois groupes d'atomes qui correspondent environ à ce que l'on verrait dans des molécules d'acides gras. 

Et c'est ainsi que l'on dit - justement- qu'une molécule d'un triglycéride est constituée d'un résidu de glycérol et de  trois résidus d'acides gras. 

Stricto sensu,  il y a ni glycérol ni acides gras dans l'huile,  et seulement des résidus de glycérol ou des résidus d'acides gras. Si l'on a fabriqué ces molécules à partir de glycérol et d'acide gras ce qui est possible, alors la réaction a correspondu à la perte de certains atomes, à une réorganisation de l'ensemble des atomes de molécules de glycérol et de molécules d'acides gras. 

Et c'est la raison pour laquelle il n'y a pas d'acide gras dans un triglycérides. 

D'ailleurs, pour  faire apparaître des molécules de glycérol et des molécules d'acides gras à partir de molécules de triglycérides, il faudrait  dégrader la molécule de triglycérides en ajoutant des atomes appropriés, essentiellement d'oxygène et d'hydrogène.


La difficulté survient de ce que nombre de nos amis ont appris fautivement que les molécules de triglycérides étaient "faites d'une molécule de glycérol et de trois molécules d'acides gras" (ce qui est faux), parce que des enseignants insuffisamment précis leur ont dit ainsi les choses. 

Et ces personnes qui ne se penchent pas précisément sur la chimie, ont -je le sais d'expérience-beaucoup de difficultés à admettre que leur savoir est erroné, et a fortiori à le corriger. 

À ce propos, j'ai entendu beaucoup de mauvaise foi s'exprimer. Par exemple, on m'a baratiné que le mot résidu pourrait faire craindre au public qu'il n'y ait des composés dangereux. Ou, encore, on a voulu me faire croire qu'être précis correspondrait à des discours encombrés. Et j'en passe. 

 

Je n'ai jamais voulu embarrasser mes interlocuteurs mais je ne suis pas sûr qu'ils aient parfaitement compris l'importance de la différence. Je ne désespère pas, mais sans beaucoup d'illusions,  et je préfère m'adresser à ceux qui veulent vraiment apprendre et vraiment penser bien. 

Mais surtout je veux analyser ici le fait qu'il est bien difficile, une fois qu'on a compris des choses précises et rigoureuses, de revenir en arrière. 

Par exemple, si je parle d'un composé, c'est bien d'une catégorie de molécules dont je parle. Et quand je parle d'une molécule, c'est bien un objet moléculaire que j'évoque. 

Je ne peux donc pas parler indistinctement de molécules pour désigner des composés, ou vice et versa, sans quoi je désigne des objets différents. 

 De même je ne peux pas considérer qu'un résidu d'acide gras soi la même chose... puisque ce sont deux choses différentes. Si je lis "acide gras", j'interprète donc comme une catégorie de molécules, et non pas comme un résidu d'acide gras dans un triglycéride. 

Autrement dit, la connaissance qui conduit à plus de rigueur ne peut plus admettre ultérieurement la confusion... sans observer que l'on est alors dans la confusion. Car comment avoir moins de connaissance qu'on en a ?

À propos de boutures de rosier.

 
Les rosiers sont des plantes merveilleuses mais coûteuses si l'on va en jardinerie. Peut-on les multiplier soi-même ? Mes expériences m'ont montré qu'il y a tout et son contraire sur Internet et rien ne vaut d'expérience.
Consultant internet, donc, j'ai voulu savoir comment bouturer des rosiers.
J'ai trouvé un premier site où l'on me disait de faire une tige d'environ 20 cm de long avec une seule feuille et de la plonger donc l'hormone de bouturage avant de mettre en terre et d'arroser régulièrement en coiffant d'un plastique pour conserver une atmosphère très humide. Le site suivant disait qu'il fallait éviter l'hormone de bouturage, ce qui paraît déjà étonnant vu l'insistance du premier site. Le troisième site disait de mettre les boutures la tête en bas, tandis qu'un quatrième site  disait qu'il fallait absolument des boutures de 40 cm de long et qu'un cinquième site disait qu'il était inutile de mettre le plastique.
Je cesse ici l'énumération des pratiques différentes conseillés sur Internet par des personnes qui n'ont d'ailleurs que l'autorité dont elles se réclament elles-même, sans référence évidemment. D'ailleurs, souvent, ces sites montrent le début de la manipulation mais pas le résultat !

Comme rien ne vaut l'expérience, j'ai fait des essais et, finalement, en taillant une tige de 20 cm environ, en laissant peu de feuilles histoire de ne pas augmenter trop l'évaporation, j'ai obtenu une vingtaines de petit rosier qui ont parfaitement passé l'hiver dehors sans aucune précaution. Mieux encore, un an après que j'avais transplanté sans prendre d'ailleurs aucune précaution particulière, mes petits rosiers ont fleuri.
Bref, pour le jardinage, je retrouve ici les divagations habituelles des techniques culinaires, et je déplore évidemment tous les conseils idiots qui sont donnés. Pour pour la cuisine il en va de même : chaque chef s'exprime, donne des indications techniques sans avoir fait de comparaison rigoureuse et c'est la raison pour laquelle, lors de nos séminaires de gastronomie moléculaire mensuel, nous expérimentons, nous comparaisons nous comparons... Et au bout de 24 ans, nous observons que près de 90 % des idées que nous testons sont fausses  : la cuisine est extraordinairement robuste et elle résiste à ces indications fausses tout comme le jardinage résiste aux conseils sans fondement expérimental.

jeudi 28 mars 2024

L'odeur de l'ail ? Ce n'est pas une seule molécule ! (ce qui est simple est faux)

 
Ce matin, j'ai accueilli une équipe de journalistes qui voulaient que je parle de l'odeur spéciale de l'ail et de l'oignon. Ayant préparé leur sujet, ils auraient voulu que je leur dise qu'une enzyme particulière engendre des composés qui engendrent de l'acide sulfurique dans les yeux, ce qui aurait fait pleurer, pour l'oignon. Pour l'ail, ils auraient voulu que j'évoque le diméthylsulfure.

Pourtant, quand on y regarde bien, les choses sont beaucoup plus compliquées et ce n'est pas une enzyme mais plusieurs qui sont responsables de la transformation qui  a lieu quand on coupe l'ail ou l'oignon, sans parler de l'odeur propre des composés des alliacés, libérés sans transformation automatique au moment de l'ouverture des cellules.

Car c'est de cela dont il s'agit. Une gousse d'ail, par exemple, c'est un assemblage de petits sacs soudés les uns aux autres, les cellules végétales, qui contiennent des molécules soufrées de nombreux types. Certaines sont présentes à l'état libre et d'autres sont liés par exemple à des acides aminés.
Quand on coupe de l'ail, on ouvre les cellules sur le passage de la lame du couteau, et il y a deux effets  :  le premier est la libération dans l'air de certaines des molécules soufrées responsables de l'odeur et,  d'autre part, il y a effectivement l'action d'enzymes qui peuvent se rapprocher d'autres composés, leurs "substrats", et agir enzymatiquement donc pour libérer d'autres composés soufrés. Le nombre de composés en question est considérable, car à côté du diméthylsulfure, il y a le diméthyl disulfure, le diméthyl trisulfure, le diallyldisulfure, le propényl allyl trisulture, des thiofuranes, et j'en passe des dizaines.
Pourquoi l'odeur de l'ail change-t-elle à la cuisson ? Il y a évidemment la dénaturation des enzymes, la modification de nombreuses molécules, mais la question est plus complexe,  car on ne répétera jamais assez que l'odeur, c'est la sensation qui résulte  de la perception d'un mélange de composés odorants. Si l'on change la quantité d'un de ses composés, ou la composition en composés odorants, alors l'odeur change et pas seulement en intensité mais aussi en nature. Et c'est sans doute la raison pour laquelle croquer de la cardamome après avoir mangé de l'ail permet de ne plus avoir, dans la bouche, l'odeur de l'ail

Il faut être juste


Des amis veulent organiser un débat à propos du changement climatique et ils se proposent, pour faire quelque chose de "vivant", d'opposer un climato-sceptique et un expert du sujet.
Ce serait très injuste,  d'une part et d'autre part, ce serait une manipulation de l'esprit du public, car en réalité pour un climato-sceptique il y a sans doute bien plus de 99 personnes qui savent que le climat évolue.
Si l'on voulait être juste, il faudrait donner 1 % du temps de parole au climatosceptique et plus de 99 %  du temps aux autres, ou, si l'on veut donner le même temps à toutes les personnes, mettre en face des spectateurs une personne, contre plus de 99 autres.

Il faut répéter que, quel que soient les aspects du monde que l'on regarde, les changements sont évidents :  la fonte des glaces, l'évolution des températures moyennes du Globe, et ainsi de suite.
On n'est plus au temps où les géologues débattaient pour savoir si les signes alarmants étaient justifiés. Là, c'est certain, et  il y a lieu de convaincre rapidement le public et nous-mêmes de l'urgence des transformations à opérer non pas dans les mots, mais dans les actes.

Les générations futures nous tiendront comptables de ce que nous aurons fait maintenant avant qu'il soit peut-être trop tard !

mercredi 27 mars 2024

Comment éviter que le jus de pomme ne brunisse

 
Comment éviter que le jus de pomme ne brunisse ? Il y a de cela un bon nombre d'années, un chef triplement étoilé (français) m'avait interrogé parce qu'il voulait éviter que le jus de pomme qu'il servait à ses clients n'arrive désagréablement bruni sur la table. 

La question était légitime et intéressante, car c'est un fait que les pommes coupées ont leur surface qui brunit et que les jus de pomme, également, brunissent. La question est explorée par la science et la technologie des aliments depuis longtemps, et l'on sait bien, aujourd'hui, que quand on coupe un tissu végétal, on met en contact des composés nommés phénols avec d'autres composés de la classe des enzymes, qui transforment les premiers. 

Insistons un peu, en expliquant davantage. Les enzymes sont des protéines, des composés, donc, mais ce sont des composés particuliers en ce qu'ils sont des protéines de la catégorie des "enzymes", qui agissent sur d'autres composés. Et c'est ainsi que, pour les tissus végétaux, les enzymes de la classe des phénoloxydases peuvent agir sur les phénols pour les transformer en composés très réactifs, nommés quinones, qui engendrent des composés de couleur brune. 

Ainsi la pomme brunit, non pas parce qu'elle serait oxydée par l'oxygène de l'air, mais plutôt parce que les enzymes agissent sur les phénols. 

 

Comment éviter cette réaction ? 

On observera tout d'abord qu'elle a lieu dès que l'on coupe les tissus végétaux, ou dès qu'on les endommage : c'est ainsi qu'une pomme qui est heurtée devient "tallée", avec une calotte sphérique brune dont le volume dépend de l'énergie qui a été communiquée lors du choc. Voilà pourquoi il faut manipuler fruits et légumes avec le plus grand soin. 

D'ailleurs, on devra ajouter que la réaction de brunissement s'accompagne de modifications chimiques, avec des changements de composition, de goût, de nutriments, et pas seulement de couleur ! 

Revenons donc à la question de notre chef : comment éviter le brunissement des jus de pomme ? 

Puisque l'on ne peut pas éviter de couper la pomme pour faire du jus, une première idée consiste à s'opposer à la réaction qui a lieu. On observera avec intérêt, pour avancer dans l'analyse, que les jus d'orange ou de citron ne brunissent que difficilement, parce que ces fruits contiennent beaucoup d'acide ascorbique, la vitamine C... et voilà pourquoi les industriels n'hésitent pas à ajouter de la vitamine C à certains de leurs produits, d'autant que les vitamines sont bonnes pour la santé, et en particulier la vitamine C, qui, si elle était en excès, serait éliminée dans les urines (mais on suppose souvent qu'elle est bonne, en large quantité). 

A noter, en passant, que la vitamine C est classée par la réglementation dans la catégorie des additifs alimentaires, avec le code E300. 

La première proposition que j'ai faite à notre chef était donc d'ajouter de la vitamine C... mais il a refusé, parce que cela aurait été mettre des "produits chimiques" dans les aliments. 

Du jus de citron, alors ? Là encore, il a refusé, parce qu'il me disait que le jus de citron modifierait le goût du jus de pomme, ce en quoi il avait raison. 

Chauffer, pour inactiver les enzymes ? Il m'a répondu que le chauffage changeait le goût du jus de pommes, et qu'il souhaitait faire un goût bien pur, de pomme fraîche, et pas de pomme cuite. 

Attendre le brunissement et centrifuger pour avoir un jus clair ? Il n'avait pas de centrifugeuse, et cela ferait perdre de la consistance, en faisant sédimenter des parties de pulpe. 

Produire le jus sous une atmosphère d'azote gazeux, pour éviter la présence d'oxygène ? Il voyait mal les cuisiniers faire ainsi, dans sa cuisine. 

Utiliser des pommes génétiquement modifiées qui ne bruniraient pas ? Hors de question, bien sûr : il ne voulait pas que sa clientèle consomme des OGM ; dans un restaurant triplement étoilé, y pensais-je vraiment ? 

 

Finalement, puisque l'on ne pouvait agir ni de façon chimique, ni de façon physique, ni de façon biologique, j'ai dû renvoyer notre ami à ses fourneaux en lui disant que son problème n'avait pas de solution. 

 

Avec donc environ deux décennies de recul, je m'aperçois que la position de ce chef était très réactionnaire, parce qu'il refusait des moyens qui, pourtant, était parfaitement admissibles. 

A la réflexion, je trouve même intolérable que notre chef ait refusé la solution de la vitamine C, car son refus était fondé soit sur une crainte ignorante, soit sur de la démagogie mercantile. 

Du point de vue des faits, les quantités de vitamine C sont si faibles qu'il n'y a pas de risques... et que, même, c'est la non utilisation de la vitamine C qui expose les clients de notre ami à des composés plus risqués, qui se forment quand les enzymes agissent sur les polyphénols ! 

Notre chef ne voulait pas que l'on puisse imaginer qu'il transformait chimiquement les aliments, mais la cuisine n'est-elle pas une activité qui modifie chimiquement les ingrédients alimentaires ? 

Ayons le courage de dire ce que nous faisons, et si nous faisons bien (en ajoutant la vitamine C), disons-le honnêtement. Ces temps-ci, je sais que des individus qui prennent l'écologie comme prétexte à des fins politiques ou idéologiques cherchent à instrumentaliser les cuisiniers, en leur proposant de refuser les progrès techniques... et je me souviens que, dans la même veine, il y a environ 20 ans, certains cuisiniers avaient refusé l'agar-agar, les alginates, l'azote liquide, les thermocirculateurs, etc. 

Mais ces mêmes cuisiniers, et ceux qui veulent les instrumentaliser, ne roulaient-ils pas dans de grosses voitures, et leurs restaurants n'étaient-ils pas gérés par des ordinateurs ? 

 

Je propose de l'honnêteté intellectuelle et du courage.


Les droites de régression... et l’enseignement

Pour les apprenants en sciences (bien qu’on apprenne sans cesse), par exemple en licence, on enseigne l’usage des "droites de régression", et je vois qu’il y a lieu de s’interroger sur l’enseignement que nous donnons. 

 

Posons le problème. Soit une série de résultats de mesure, exprimés sous la forme de valeurs obtenues en fonction d'un paramètre de commande. Nous pouvons représenter cela par des points sur un diagramme, avec les résultats de mesure en ordonnées, et les valeurs du paramètre de commande en abscisses. 

Nous cherchons, par exemple, à savoir si les couples de valeurs (abscisse, ordonnée) sont alignés sur une droite. 

Classiquement les étudiants utilisent à cette fin un tableur,  qui calcule par miracle une droite de régression, la droite qui passe "le mieux par les points", et qui affiche éventuellement l’équation de la droite et l’indication "R2 = ". 

Les étudiants apprennent que ce R2, bien mystérieux, doit être supérieur à 0.99 pour que les données soient... bien alignées. Je trouve cette pratique désastreuse, parce que nous enseignons à nos étudiants à appuyer sur un bouton, et à obtenir un résultat sans comprendre ce qu’ils font (ou plutôt si : ils comprennent qu’il faut appuyer sur un bouton... mais ils ne comprennent pas ce que fait le programme de calcul). 

Je sais que certains de mes collègues prônent la division des étudiants en deux groupes : les "mécaniciens" et les "conducteurs de voiture", mais l’affichage de ce R2 est si élémentaire que cela me semble s’apparenter plutôt au fait de s’asseoir dans la voiture, et non pas de la conduire. 

Dans la vraie vie, dans la vie professionnelle, quand on doit commencer à faire de véritables droites de régression, il ne s’agit plus d’une sorte de travaux pratiques prémâchés, de sorte que les étudiants qui savent seulement s’asseoir dans la voiture sont bien désemparés, et c’est là que je les retrouve, en stage, et qu’ils me demandent de l’aide.

 

Qu’est-ce que cet étrange R2 ?

 

Il est si facile de l’expliquer que je trouve désolant que les étudiants ne le sachent pas : la droite que l’on cherche est une droite qui doit passer au mieux par les points. « Au mieux » étant une qualification, il nous faut immédiatement la transformer en quantité. Combien mieux ? 

Pour quantifier de combien la droite passe ou pas par les points, il semble naturel de calculer la distance entre chaque point et la droite, et la qualité totale de l’ajustement peut se faire par la minimisation de la somme de ces distances... à cela près que certaines peuvent être positives et d’autres négatives (des points respectivement au dessous ou au dessus de la droite trouvée) et qu’il y a un risque d’avoir une somme des distances qui soit nulle, par un tel calcul.
On pourrait très bien prendre la valeur absolue des distances et en faire la somme, mais on peut aussi prendre la racine carrée du carré des distances, ou, sans s’en faire, prendre le carré directement. 

Cela fait, la somme des carrés des distances n’est pas un bon indicateur, car imaginons que les points soient distants de 1 sur une droite qui passe par un point d’ordonnée 100 : ce n’est pas la même chose qu’une distance de 1 par rapport à une droite qui passe par une ordonnée 1, de sorte que l’on a intérêt à diviser les distances par la hauteur du point. 

Je ne fais pas ici le cours de statistiques, mais il y a un développement rapide et simple qui conduit ainsi à comprendre ce qu’est ce R2. 

 

A quoi bon calculer soi-même le R2 quand le tableur ou un autre programme (je maintiens que les tableurs ne sont pas des outils corrects, pour les ingénieurs et les techniciens) le fait ?

 Cela permet de s’entraîner à ne pas utiliser quelque chose qu’on ne comprend pas, comme on l’a vu, mais, surtout, il y a la question de la validation ! Quand nous utilisons un logiciel pour faire une régression et quand nous calculons ce R2, comment savoir que le résultat fourni est juste ? 

Bien sûr, on ne manquera pas d’afficher la droite de régression et de voir, à l’œil, qu’elle passe assez bien par les points. Toutefois cela ne sera pas une validation bien forte, et c’est là que je m’interroge : il est si facile de calculer soi même une droite de régression qu’on peut se demander s’il ne vaut pas mieux la calculer soi même, trouver une valeur qui sera ensuite validée par l’utilisation du logiciel. 

De même pour le R2, le calcul est si simple avec un logiciel qui comporte une partie de programmation, même élémentaire, que je ne comprends pourquoi nous éviterions de calculer nous-même le R2, ce qui aurait l’avantage supplémentaire d’avoir le résultat du calcul, d’avoir la validation, et de renforcer nos connaissances en les "révisant" en pratique. 

Finalement je vois à nouveau ici combien est utile cette manière remarquable qu’ont certains amis de prendre les questions à bras le corps, et de ne reposer la chose qu’une fois la compréhension parfaitement obtenue. 

Je n’arrive pas à penser que dans l’enseignement scientifique ou technologique, nous puissions aider de jeunes amis à se former sans les inviter à toujours bien comprendre ce qu’ils font. Même pour un simple "produit en croix", si c’est un procédé automatique, il y a des chances de se tromper... et l’expérience montre que nos amis se trompent, alors qu’il est si simple de poser le problème avec des mots en langage naturel et de le résoudre, en étant absolument certain de la solution que nous avons trouvée. 

Car voilà la vraie question : dans la vraie vie, dans la vie professionnelle, nous ne sommes plus des étudiants où l’erreur n’est sanctionnée que d’un point en moins sur une note sur 20. Nous avons une obligation de résultats, et c’est pourquoi la validation, insuffisamment montrée aux étudiants, s’impose absolument ; par voie de conséquence, s’imposent aussi des méthodes de travail bien différentes des travaux pratiques. 

Finalement je conclus que nous avons besoin de comprendre ce que nous faisons, de valider nos résultats, mais aussi de changer radicalement nos enseignements, et notamment la pratique des travaux pratiques. 

Il faut aussi dire à nos étudiants que le calcul est une chose simple et amusante, qui ne résulte pas de l’application mécanique de règles, mais de la compréhension des problèmes et de l’utilisation de la pensée et de la langue, raison pour laquelle la question principale de l’enseignement des sciences est sans doute l’utilisation d’une langue correcte, à la fois dans le vocabulaire et dans la grammaire. 

Pour la rhétorique et l’éloquence, c’est autre chose, dont nous parlerons une autre fois, car contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce n’est pas du tout hors sujet dans enseignement scientifique ou technologique, puisqu’il y a des questions de communication à tous les instants du travail scientifique ou technologique, de la publication des résultats, aux conférences, en passant par des réunions, moments où nous communiquons avec des collègues, par exemple. Et puis, la pensée n’est-elle pas une communication avec soi-même ?