mercredi 2 décembre 2020

Quel métier auras-tu si tu étudies les "sciences et technologies de l'aliment" ?

science/études/cuisine/politique/Alsace/émerveillement/gratitude

 

 

 Quand je dois expliquer la même chose plusieurs fois, je comprends qu'il y a lieu de le mettre par écrit, pour tous.
Or c'est un fait que je vois de (trop ?) nombreux  étudiants engagé dans des cursus de sciences et technologies de l'aliment sans avoir fait le choix de la direction précise où ils veulent aller, &, de ce fait, sans avoir de réelle motivation à se doter de compétences particulières, qui leur seront utiles pour l'exercice de leur métier.
Certains me disent  vouloir faire « de la recherche », mais, quand je creuse un peu, quand je les interroge, je constate qu'il n'ont pas d'idées précise de ce que cela signifie : ils confondent  sciences de la nature, technologies & techniques, & ils oublient que  le mot "recherche" peut s'appliquer à de très nombreuses activités différentes : la recherche artistique, par exemple, pour prendre le plus éloigné de ce à quoi ils pourraient penser. 

Certains, face à cette imprécision, disent que non, c'est à la recherche scientifique qu'ils pensent... mais ils ne savent pas que les sciences de la nature sont en réalité des maniements de "théories scientifiques", à savoir d'équations... & quand on le leur explique, alors ils voient la contradiction avec leur refus des "mathématiques" (puisque c'est ainsi qu'ils nomment le calcul).

Bref, il y a lieu de bien préciser les choses, puisque les cursus "sciences et technologies des aliments" ne le font pas, & que, au contraire, ils laissent planer une confusion qui n'a qu'un avantage : laisser aux étudiants la possibilité de changer d'avis jusqu'au dernier moment (la fin du Master 2), à propos de leur orientation.

Mais, j'y reviens, je crois utile de bien séparer la technique, la technologie, & la science de la nature, &, surtout, de dépasser les fantasmes, en montrant l'utilité sociale de chaque possibilité, ses avantages intrinsèques, extrinsèques, concomitants ! Il y a lieu, aussi, de faire régner un principe de réalité... qui commence par dire que l'emploi se trouve d'abord, principalement, essentiellement, dans l'industrie, l'artisanat.

Même mieux, il y a lieu de bien présenter les faits... en commençant par s'émerveiller sur notre système alimentaire national... qui procure des aliments au plus grand nombre (bien sûr, on peut améliorer, mais commençons par bien regarder) à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit.
Vous êtes-vous demandé par quel miracle on trouve des barquettes de poisson en sauce dans n'importe quelle épicerie,  à toute heure du jour ou de la nuit ? S'interroger permet ipso facto de voir des possibilités d'emploi enthousiasmantes, &, partant, des compétences à obtenir pour y postuler.

Commençons par observer que certains critiquent l'industrie alimentaire... mais que la seule présence de ce poisson dans les commerces est la preuve que les citoyens le réclament. Si ce poisson n'était pas acheté, l'entreprise qui le fabrique ne le ferait pas. Critiquer l'industrie, en l'occurrence, reviendrait à avoir une position très supérieure, paternaliste, & critiquer l'ensemble des acheteurs. Sommes-nous nous-mêmes assez bon citoyens pour le faire ?


D'autre part, en termes de qualité, il y a peut-être à reconnaître que ces produits sont d'excellentes qualité ! Aucune cuisinière, aucun cuisinier domestiques n'a les préoccupations -et les compétences- nutritionnelles ou toxicologiques, ni les souvent compétences artistiques, pour faire mieux que ce poisson en sauce ! Bien sûr, il y a quelques nantis qui feront mieux, mais regardons bien, avant de juger trop vite. Et même moi qui m'efforce d'introduire la formation à la cuisine à l'école, parce que je ne veux pas laisser le citoyen livré à l'industrie, je me vois une obligation de prudence, sans idéologie.
Bref, regardons le rayon de notre commerce, et faisons un calcul d'ordre de grandeur salutaire. Imaginons qu'il y ait 5 barquettes proposée dans ce petit commerce parisien, plus 5 autres barquettes dans la réserve : cela fait 10 barquettes. Il y a dans un petit périmètre d'un arrondissement une cinquantaine de commerces de ce type, ce qui fait 500 barquettes,  et il y a 20 arrondissements, ce qui fait 10 000 barquettes dans Paris intra muros. Multiplions pas 10 pour la région parisienne, et nous obtenons 100 000, et multiplions encore par 10 pour avoir la France tout entière, et nous arrivons à 1 000 000 de barquettes en circulation. Avec une rotation d'une semaine environ.
Si une barquette contient 100 grammes de poisson, cela fait 100 millions de grammes, donc 100 000 kilogrammes de poisson.
D'où vient ce poisson ? Pas de la rivière d'à côté ! Il aura manifestement fallu que l'entreprise ait un service des achats extrêmement organisé avec des acheteurs, qui iront dénicher les produits dans le monde entier, qui sauront contracter avec les fournisseurs.
Puis, comme l'entreprise ne peut se permettre de cuisiner des produits avariés, par exemple, ou contaminés (par des ions lourds, par exemple), le service des achats devra être en relation étroite avec un service d'analyse, où l'on mesurera des paramètres physiques, chimiques, microbiologiques. Là encore, de l'emploi possible !
Et ces poissons devront être acheminés dans les meilleures conditions... car nous savons tous que c'est une denrée fragile, que la chaîne du froid ne peut être rompue sans risque ! Il faudra donc un service logistique très organisé. D'autant que le poisson n'est pas tout ! Il faudra faire la sauce, avec des ingrédients (légumes, assaisonnements, etc.) qui posent chacun des problèmes particuliers. Bref, là encore, des compétences très spécifiques.

Maintenant il s'agit de savoir ce que l'on va cuisiner, et, là, il y a manifestement un service de "recherche et de développement". Oui, recherche, parce que l'on s'interroge sur la production... en tenant compte de tous les paramètres à prendre en compte quand il s'agit d'aliment : goût, microbiologie, chimie, conservation, etc. Et "développement" : ce mot est un abominable anglicisme qui signifie mise au point : cela ne suffit pas de vouloir produire d'une certaine façon, et il faudra trouver comment le faire, pour extrapoler de la cuisine à l'usine.
Oui, en partant de la cuisine : les entreprises alimentaires emploient des cuisiniers... et des ingénieurs dans le même service, car s'il est clair que l'on doit savoir ce qu'il y a dans la recette, s'il faut des cuisiniers pour assurer la question "artistique" (le bon, c'est le beau à manger), il faut aussi des ingénieurs, car on ne peut pas cuisiner 100 000 kilogrammes de poisson de la même façon que l'on ferait un poisson pour sa famille.
Il y a donc lieu de se poser des tas de questions pour automatiser un peu le procédé. Considérons l'exemple du simple ajout d'une feuille de basilic sur une pizza. Supposons que l'on produise déjà la pizza, que toute la chaîne de production soit très organisée, que l'on sache déposer la quantité exacte de sauce tomate sur la quantité exacte de pain, que l'on sache faire lever la pâte de la bonne façon, que l'on sache la cuire correctement. Mais imaginons maintenant que, pour des raisons d'innovation, on veuille ajouter une simple feuille de basilic. On ne peut pas imaginer une seconde que quelqu'un va déposer des feuilles de basilic sur les pizzas qui sortiront à la chaîne ! Il faut donc trouver un moyen différent et, mieux même, un moyen qui permette de produire toutes les pizzas au rythme voulu...  car on se souvient que, au début de notre calcul d'ordre de grandeur, nous avons indiqué  que cette production est une production hebdomadaire.
Bref, comment ajouter du basilic ? Ajoutera-t-on des feuilles de basilic broyées ? Ce n'est pas si facile, car les tissus végétaux broyés noircissent, et personne ne voudra d'une pizza où il y aurait une tache noire par-dessus. Ajoutera-t-on un aromatisant basilic ? Il y a alors tout de suite une série de contraintes réglementaires, légitimes certes, mais qu'il faudra connaître et respecter, sans compter qu'il faudra apprendre à doser ces aromatisants, à apprendre à les ajouter à un moment particulier de la production (on sait que les composés odorants s'évaporent, de sorte qu'ils risquent de disparaître si on les met trop tôt, au cours de la production)...  Bref l'entreprise aura besoin de personnes extraordinairement compétentes pour préparer les recettes de façon réaliste, industrialisable, approprié, réglementairement appropriée... Et j'insiste : il y a là de véritables compétences, car il y a de véritables difficultés.

Maintenant, il faut faire marcher l'usine, et il y a donc là toute une série d'équipes qui s'intéressent au procédé de fabrication, aux machines qui produisent. Il faut chauffer, couper, broyer,  couler, filtrer, etc.,  et l'usine est comme un immense mécano qu'il s'agit de faire fonctionner. Il faut des électriciens, des hydrauliciens, des thermiciens... Là encore, il y a des questions très difficile, et je me souviens  par exemple avoir réglé le problème d'une entreprise qui faisait des croissants en nombre considérable... et qui voyait de petites cloques sur la dorure de ses produits. Comment les supprimer, en vue d'obtenir de meilleurs croissants ? D'où venaient ces cloques ? Comment changer le procédé pour les faire disparaître ? Là encore, il faut des ingénieurs compétents. De l'emploi, encore de l'emploi, pour des individus qui contribuent à la bonne marche de l'entreprise. Des gens utiles ! Grâce auxquels l'entreprise se développe, et paye chacun de ses employés à la fin du mois, ce qui fait vivre des familles !

Mais nous n'avons pas fait le tour de la société, car le travail n'est pas fini : il faudra contrôler les produits qui seront fournis, tout comme on avait  contrôlé les produits qui étaient arrivés dans l'usines,  les ingrédients. Imaginons que l'on produise des yaourts et que ces yaourts soit dits aux clients de 60 grammes. Alors les clients seraient en droit d'attaquer la société si le pot qu'ils ont acheté ne contenait que 50 grammes de yaourt. Il y a donc des mesures physiques, parfois simples, parfois compliquées, à effectuer. Et là c'est le service qualité, qui en est chargé. Ce service est chargé tout aussi bien de ces mesures physiques que des mesures chimiques, telle des dosage de certains composé, des mesures microbiologiques, car n'oublie pas que les aliments ne doivent pas rendre malades ceux qui les mangent (si on tue les clients, on ferme boutique... en plus d'avoir évidemment fait quelque chose d'épouvantable), et ainsi de suite. Ce service qualité est essentiel, car le succès d'une entreprise, c'est aussi sa réputation, fondée sur la qualité des produits.

Les produits étant fabriqués, il faut  maintenant les vendre : cela, c'est le travail des personnes du service commercial, mais aussi du service marketing. Il faut préparer l'étiquetage, envisager des moyens de faire connaître les produits aux clients...

Bien sûr il y a aussi un service réglementaire, qui doit s'assurer que toutes les étapes du travail se font en conformité avec la loi, la réglementation. Il y a aussi un service financier, une comptabilité ;  il y a un service administratif, avec une direction du personnel, par exemple...

Bref, l'entreprise comporte  toute une série de services, qui ont chacun besoin de compétences.
De sorte que, ayant maintenant cette image plus claire devant les yeux, nos jeunes amis peuvent se demander à quel endroit ils peuvent être utiles, et quelles compétences ils doivent avoir pour postuler à des postes dans ces services : un ingénieur thermicien doit connaître la thermique ; un technicien de formulation doit être capable de faire une formulation ; un  ingénieur d'analyse doit savoir faire des analyses...

A ce stade, je conseille aussi à mes jeunes amis de se renseigner pour savoir quelle est la vie quotidienne, du matin au soir, sans fantasme, en pratique, des personnes des différents services, pour savoir si cette vie leur plairait. Je dis cela parce que je vois trop de réponses du style "je ne veux pas faire quelque chose de routinier". Dont acte... mais ceux qui disent cela savent-ils que les bons musiciens s'entraînent dix heures par jour à faire précisément toujours la même chose ? Savent-ils que le bons scientifiques sont ceux qui ne cessent de faire "la même chose" ? Savent-ils que les bons athlètes sont ceux qui répètent sans se lasser le même geste, pour être capable de bien le faire ? Au fond, répétons à nos amis que vitas brevis, ars longa : il faut répéter & répéter, pour devenir compétent ; peut-on vraiment croire que les dilettantes arrivent à quelque chose ?
 

Mais on me connaît, je ne vais pas rester sur une note négative... & je veux, au contraire, voire dans la description que j'ai faite des perspectives enthousiasmantes, utiles, pour des jeunes amis qui apprendront sans cesse à faire mieux : au fond, ce sont ceux-là qui m'importent !

mercredi 25 novembre 2020

Des réponses à un interlocuteur pas parfaitement honnête !

 Je reçois indirectement, à propos du rapport sur les nitrates et les nitrates publié récemment par l'Académie d'agriculture  


Je reconnais la patte de Hervé This et de de la Confédération de la charcuterie CNCT).
Hervé This a une vue réductive de la cuisine, il la considère comme de la chimie. C'est comme si le vin était de l'alcool éthylique et de l'eau :  (CH3-CH2OH) + H2O.
La CNCT est un organisme vieillissant.
Il n'y a rien d'autre dans cette "étude"  qu'une compilation d'informations à décharge.
Des milliers de page "d'études" ont été faites par l'industrie des charcuteries anglo-saxonnes depuis de décennies (avec toujours la mise en exergue du clostridium botulinum qui est en fait hors sujet), celle-ci n'en est qu'un dernier avatar français sans intérêt.
En fait toutes ces "études" sont un combat d'arrière garde de l'industrie de agrochimique pour conserver  un marché juteux, le même combat qu'a mené avec un succès mitigé l'industrie du tabac depuis la fin de la seconde guerre mondiale pour finir par le perdre.
Si vous voulez mieux connaître le sujet, lisez juste ce livre de xxxx [je supprime pour ne pas faire de publicité à un ouvrage douteux]
Vous y trouverez notamment pourquoi le consortium Jambon de Parme a interdit le sel nitrité et le salpêtre dans ses jambons AOP il y a 25 ans. Un combat d'arrière garde, je vous dit. !!! On a 25 ans de retard sur les italiens.


Mon interlocuteur se trompe de plusieurs points de vue :

1. le rapport est une analyse serrée, et je ne cherche pas personnellement à mettre du sel nitrité partout : il me fait donc un procès d'intention, et cela est malhonnête !

2. le rapport n'a rien à voir avec la CNCT ; celle-ci a été auditionnée, tout comme les opposants (ceux qui ont accepté de venir débattre), et c'est tout

3. Je n'ai pas une vue réductive de la cuisine : mon interlocuteur projette ses fantasmes (qu'il lise mon "La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique" avant de proférer des âneries). C'est à nouveau un procédé intellectuellement douteux.

4. Non, le rapport n'est pas à décharge... car il n'y avait aucun intérêt pour, ou bien contre les nitrites ; seulement une volonté d'y voir clair, et d'avoir des faits bien établis, indépendamment des idées préconçues

5. Des milliers de pages : c'est bien ce que les membres de l'Académie d'agriculture de France ont lu, et bien lu (mais mon interlocuteurs, a-t-il lu les publications ? les a-t-il seulement eues entre les mains ? ou cause-t-il de ce qu'il n'a jamais vu  ;-))

6. Clostridium botulinum hors sujet ? J'aimerais le croire, mais si les incidences diminuent, il y a encore eu des tapenades toxiques il n'y a pas si longtemps.

7. Le "combat juteux" ? bof, je vois mal pourquoi, car le chiffres d'affaires du sel nitrité ne doit pas être considérable ;-). Et puis, personnellement, cela ne m'intéresse pas (je rappelle que je ne touche pas un centime de toute cette affaire).

8.XXXX : s'il y a bien quelqu'un de peu recommandable, c'est lui ; moi, je cite des scientifiques, et mon interlocuteur cite des journalistes bizarroides... qui me calomnient sur twitter (je dis bien calomnient, pas médisent : mon interlocuteur sait-il la différence entre les deux mots ?)

9. Oui, on peut parfaitement faire des jambons secs, voire des jambons de Paris sans sel nitrité, à condition de bien faire.

10. Il y a eu des artisans (je dis bien des artisans) qui utilisaient le sel nitrité pour la couleur, comme colorant... tout comme il y en a qui font du fumage pour la couleur ; ce ne sont pas des pratiques recommandables (dans le second cas, car les produits de fumée ne sont pas ce qu'il y a de plus sain, surtout avec les procédés de fumage anciens).

11. Mais je suppose que mon interlocuteur est braqué, donc pas la peine de discuter avec des personnes comme cela.

12. J'ajoute que je n'ai aucun intérêt dans toute cette affaire, comme je l'ai expliqué publiquement sur twitter.

Mais  les chiens aboient, et la caravane passe.

mardi 24 novembre 2020

Dégraisser l'huile ? Tout faux !



Je lis, dans le livre de cuisine de François Massialot intitulé Le cuisinier moderne (1705): "Pour dégraisser l'huile, vous faites chauffer de bonne huile d'olive bien chaude dans une terrine, vous y mettez le feu comme à de l'eau-de-vie, & le soufflez dans le moment, car elle brûlerait, ou bien pour l'éteindre, vous y jettez un filet de vinaigre.
D'autres pour la dégraisser font chauffer l'huile bien chaude, comme ci-dessus, la versent dans un peu d'eau froide & la fouettent, & s'en fervent à ce qu'ils en ont besoin."
Oui, on a bien lu : il s'agit de "dégraisser l'huile" ! Et en y mettant le feu ! Et en versant de l'eau sur de l'huile qui flambe ! Tout faux !

Tout faux, d'abord parce que l'huile est de la graisse, et n'est rien que cela, de sorte que l'on aurait bien du mal à la "dégraisser", à moins que, par ce terme, Massialot entende autre chose qu'enlever l'huile (par exemple des impuretés particulières, telles des cires).

Tout faux, parce que l'huile qui flambe s'oxyde, et devient malsaine. On sait aujourd'hui que, parmi les composés formés, il y a l'acroléine, particulièrement toxique.

Tout faux, enfin, parce qu'il ne faut surtout pas jeter un liquide aqueux sur de l'huile qui flambe, sous peine de provoquer une grave explosion : le liquide tombe au fond du récipient, sous l'huile, et,  là, il s'évapore, de sorte que la vapeur projette partout de l'huile enflammée.

Comment est-il possible de que telles âneries aient été écrites ?  

lundi 23 novembre 2020

Des indications pour le concours de cuisine note à note

 A propos de "suspensions" : la fondue ?

On m'interroge à propos du prochain concours international de cuisine note à note dont le thème est  : les suspensions.

Les suspensions ? Ce sont des dispersion colloïdales de particules solides dans un liquide, pour les suspensions liquides, et de particules solides dans un solide pour les suspensions solides.

Mais je m'aperçois que cette définition abstraite ne suffit pas puisque l'on m'interroge en me demandant par exemple si les fondues au fromage sont des suspensions.
Commençons donc par les fondues au fromage que l'on fait classiquement en chauffant du fromage dans du vin. Le gel laitier qu'est le fromage se désagrège et laisse partir dans le liquide des gouttelettes de matière grasse et, sans doute aussi, des micelles de caséine, de sorte que l'on obtient une émulsion, qui est donc une dispersion d'un liquide dans un autre, mais pas une suspension.

Des exemples de suspension, alors ?

Il y a d'abord les frappés aux fruits ("smoothies"), que l'on obtient en broyant un tissu végétal dans un liquide : le broyage désagrège le tissu végétal  macroscopiques en particules qui peuvent avoir des tailles variées, des gros morceaux jusqu'à des résidus de cellules. Car effectivement, les tissus végétaux sont des agrégats de sacs vivants, les cellules végétales en l'occurrence, et le broyage forme des morceaux plus ou moins petits qui vont du gros agrégats de nombreuses cellules jusqu'au morceau de paroi végétale brisée.
Il y a donc là des petits solides dispersées dans un liquide, et donc une suspension.
Très analogue est la purée de légumes, bien évidemment, à cela près que la phase aqueuse est réduite.

Une autre  : la crème anglaise, que l'on obtient en chauffant une solution de protéines, classiquement du jaune d' œuf avec du sucre et du lait.
Cette fois, le processus est inverse du précédent, à savoir que l'on part des molécules pour former des agrégats de plus en plus gros... jusqu'au grumeau, quand la crème anglaise est ratée. Mais en tout cas, pour une crème anglaise réussi, l'épaississement vient de la formation d'une suspension.

Pour le concours  de cuisine note à note, les deux processus, du macroscopique vers le moléculaire, ou du moléculaire vers le microscopique, sont utilisables bien évidemment.
On pourrait constituer un solide macroscopique, note à note, que l'on diviserait, ou, au contraire, dissoudre les molécules dans un liquide et provoquer l'agrégation.


Reste la question de la fondue.

Au fond, si on veut simplement faire une fondue, que l'on fasse une fondue, mais la probabilité de gagner le concours est réduite, car qu'a-t-on le fait plus que la cuisine traditionnelle ? En revanche, s'il s'agit d'abstraire et de généraliser, alors on voit un gel qui se dissocie et qui laisse partir dans la solution ses constituants, et là, oui, il y a une idée car nous sommes encore dans le mouvement descendant, du macroscopique au moléculaire, mais nous avons remplacé ici l'agitation thermique par la dissociation.
Un exemple ? Partons de grains d'amidon (des solides, de la fécule) que nous dispersons dans un gel de gélatine (aspic) ou de pectine (confiture). Puis mettons ce gel dans un liquide chaud : il fond, et libère les particules solides qu'il contenait.

Reste à donner du goût !

vendredi 20 novembre 2020

De nouveaux éléments de cours, à propos de soufflés

Il y a quelques jours, j'avais mis au net des considérations "calculatoires" à propos de soufflés, et l'on m'a interrogé depuis :

La recette et les quatres règles fonctionnent à la perfection, cela dit cela vient probablement de mon soufflé mais je n'ai pas observé de doublement ou plus du volume du soufflé à la cuisson, aurais-tu des valeurs de mesures de hauteur avant et après gonflement ?
Dans quel cas et par quels mécanismes un soufflé peut retomber (se dégonfler) ? Est-ce qu'un soufflé retombe aussi quand la cuisson est parfaite ?
Les artisans et amateurs sont de plus en plus équipés en matériels et rigoureux sur les pesées, rajouter une quantité de farine, tel que 25g, à la place de "deux cuillères à soupe bien pleines" serait encourager cet élan.

Dans l'équation des gaz parfaits T est en Kelvin mais le T2/T1 obtenu ensuite est adimensionnel. Comment se fait-il que convertir des Celsius en Kelvin soit dans ce cas encore nécessaire ? Est-ce parce que l'égalité comprend encore le volume, volume qui est issu d'une équation ou la température est en K ? Si l'unité Celsius est conservée le facteur de passage de V1 à V2 est de 5.
Comment continuer le calcul avec les P1 et P2 quantifiées ? En faisant une recherche rapide je n'ai pas trouvé de conversion de mm huile en Pa.

Dans l'article de 2002 dans la légende de la figure relative au mesure de température il est indiqué que le soufflé est parfaitement cuit quelque minutes après que la température est atteinte 65-70°C. Cette température correspond à un temps d'environ 10-12 min mais dans la recette donnée le soufflée cuit 30 min et sur la figure 1  T(25) = 90-95°C. Quelle est la température finale de cuisson d'un soufflé parfaitement cuit ?
Pour le calcul de la théorie du gonflement du à la dilatation des bulles d'air, rectifée par rapport à la température observée, avec T2= 353/ T1 = 293,  353K égale 80°C mais sur la courbe T(t) Tmax est d'environ 95°C.

1 mol de gaz parfait = 24L à Patm et 25°C, le volume d'un gaz augmentant avec la température, et à l'intérieur du soufflé la température de la vapeur étant de 100°C, existe-t-il des valeurs de volumes molaire du gaz parfait en fonction de la température ? Si oui faut-il le prendre en compte dans les calculs ?
Comme tu avais précedemment donné des eléments de réponse sur ce calcul -je t'en remercie- la division 10/18 a été comprise mais je ne suis pas certain que sans l'information 1 mole d'eau = 18g non présente dans le document que j'eus saisi.

Quel est la réponse prépondérante du facteur croûte sur le gonflement ? La diminution du volume du à l'augmentation de pression une fois celle-là formée ("Quand à la pression, elle augmente un peu, parce que la croûte se forme, de sorte que les gaz de
l'intérieur n'ont alors plus la possibilité de se détendre aussi facilement qu'au début de la cuisson") ou bien la hausse du volume par rétention du gaz une fois celle-là formé ("si l'on cuit un soufflé dans un récipient transparent, tel un bécher en Pyrex, dans un four dont la porte est vitrée, on voit des bulles qui montent dans la préparation et viennent crever au sommet du soufflé, quand la croûte n'est pas encore faite") ?
Qu'est-ce qui augmente la pression interne du soufflé ? Est-ce la formation de la croûte imperméabilisant l'intérieur du soufflé (article 2002 "which means that a volume of about 10 L could be obtained if the upper surface were made vapor proof!") ou bien la masse augmentante du soufflé pesant sur le gaz ("d'où d'ailleurs une pression qui augmente en raison de la masse de soufflé, qui pèse sur le gaz") ?

Pourquoi les blancs en neige fermes retiennent-ils mieux les gaz à la cuissson alors qu'ils sont incorporés et dissous dans la béchamel avant cuisson ? Est-ce l'augmentation de la viscosité des blancs qui permet le meilleur gonflement ou bien peut-on formuler l'hypothèse que le nombre de bulles supérieure, des blancs plus montés, qui s'éclatent lors du mélange dans la béchamel, puisse former les nucléis des futures alvéoles du soufflé et que plus ces nucléis sont en nombre conséquents plus il y a de cavités retenant la vapeur d'eau et donc de gonflement possible ? (désolé d'avoir fait une hypothèse sans mesures)

 

Là, manifestement, notre interlocuteur ne réfléchit pas assez, parce que je suis certain qu'il aurait pu -en réfléchissant !- trouver comment convertir des millimètres d'huile en pascals, par exemple. Et il aurait également dû passer plus de temps sur les autres questions, au lieu d'attendre qu'on lui donne la bécquée. 

 Mais bon, j'ai voulu faire plus simple, et un nouveau document se trouve sur : 

https://tice.agroparistech.fr/coursenligne/main/document/document.php?cidReq=PHYSICOCHIMIEPOURLAF&curdirpath=/Des%20elements%20de%20cours

mardi 17 novembre 2020

Guy Ourisson, à propos de Laurent Schwartz, à propos des universités : le dernier morceaux 7/7

 



Le livre de Laurent Schwartz comprend d'autre part de nombreux passages qui ont une importance intrinsèque, indépendante des discussions de 1983, et qui nous livrent des trésors : ceux que recèlent les réflexions de quelqu'un qui a autant fait, autant vu, et autant compris que l'auteur. Souvent, sur les mêmes thèmes, des études précises ont été faites depuis plus de deux ans dans les bureaux du ministère. Très fréquemment les propositions de Laurent Schwartz coïncident avec celles qui ont été envisagées. Malheureusement,  les obstacles révélés par les études des services de la rue Dutot sont souvent les mêmes que ceux qu'il repère, sans d'avantage savoir comment les abattre ou les contourner.
Il en est ainsi de son analyse des dangers du recrutement local, des réformes nécessaires (et souvent en cours) dans les grandes écoles, des dangers extrêmes posés par les recrutements "en accordéon" et par une pyramide des âges catastrophique, des relations entre universités et organismes de recherche, de la nécessité (prévue dans la loi, mais attendue avec scepticisme -après tout la loi de 1968 prévoyait bien des CRESER...) d'une évaluation critique de l'activité des enseignants-chercheurs, des avantages des diplômes d'université, etc., etc.
Tout ceci doit se lire, et devrait rapidement être discuté dans l'ensemble du milieu universitaire et para-universitaire ; je souhaite aussi que quelques-uns de nos parlementaires trouvent le temps de le lire avant de le citer. Mais ce livre mériterait une audience plus large : ce sont là des questions capitales, qui devraient sortir du ghetto universitaire. Pour l'essentiel, cependant, "la suite dépend de nous".
Une seule conclusion s'impose et je l'ai déjà tirée : il faut lire ce livre. Le lire, c'est se préparer à bien analyser, quand elles sera définitive, la loi qui nous régira pendant quelque temps, pour en tirer un mode d'emploi. Espérons, je l'ai aussi déjà dit, que des décrets d'application restrictifs ne viendront pas, comme après 1968, rendre impossibles toutes les expérimentations, toutes les diversités, toutes les prises de responsabilité, toutes les entreprises de qualité.
Encore un mot pour terminer, sur une idée qui m'est chère. Dans ma première phrase, j'ai reproché à Laurent Schwartz son "provincialisme parisien". C'était évidemment une provocation puérile, mais elle me sert de prétexte pour regretter que Laurent Schwartz, en de nombreux passages de son texte, méconnaisse superbement la situation réelle de nombreuses universités non-parisiennes. Je pense ne pas être le seul ancien responsable des enseignements supérieurs à avoir parfois souhaité ne pas avoir à "sauver" aussi  les universités parisiennes et à avoir rêvé aux délices d'une Direction générale n'ayant à résoudre que des problèmes réels et mesurables, comme ceux de beaucoup d'université de province. Un exemple seulement d'affirmation qui fera sourire nos universités éloignées : "Paris était autrefois l'aboutissement d'une carrière. On cherche aujourd'hui à tout prix à y débuter, alors que d'excellentes équipes existent en province...". Merci pour elles, mais je tiens à la disposition de l'auteur des lignes de jeunes gens éminents qui ont tout fait, et font tout, avec succès, pour éviter de tomber dans le "piège parisien", lequel était bien plus efficace (en tout cas dans les sciences expérimentales) il y a 20 ou 30 ans ! Ceci, bien que d'"excellentes équipes existent" aussi à Paris.


A propos de cuisson aux micro-ondes


On m'interroge  :
"Que dites vous de la cuisson au four à micro-ondes (tant du point de vue nutritionnel que pour une utilisation culinaire) ?

Allons-y en commençant par signaler qu'il y aura un chapitre sur cette question dans le Handbook of molecular gastronomy, qui paraît fin avril.

Puis ajoutons que les méthodes de cuisson médiévales (sauté, rôtir, poêler, bouillir...) sont... médiévales ! Les micro-ondes sont des outils nouveaux, avec un rendement énergétique bien supérieur : alors que l'on a classiquement un rendement de 20 % environ (ordre de grandeur), on aurait plutôt du 80 % pour des micro-ondes (ordre de grandeur). En ces temps de réchauffement climatique, cela n'est pas à négliger, civiquement parlant.

Nutritionnellement ? Je ne dois rien en dire, conformément à ma promesse ancienne : https://hervethis.blogspot.com/2019/10/ni-nutrition-ni-toxicologie.html

En matière culinaire, en revanche, je propose de ne pas comparer les micro-ondes avec du rotissage (infrarouges)... parce que les résultats sont différents, sauf à se tordre le bras avec des plats brunisseurs ou autres, qui ne font pas la même chose. En gros, les micro-ondes chauffent l'eau des aliments, mais jusqu'à coeur, de sorte que ce n'est pas un bon moyen d'obtenir un gradient. Et, d'autre part, puisque les matières qui contiennent de l'eau sont rarement portées à plus de 100 °C tant qu'elles sont humides, on n'atteindra pas les températures supérieures. Autrement dit, sauf équilibrisme, on ne va pas frire, croustiller, etc.

Pour bouillir, pas de problème. Pour braiser, cela va bien aussi. Pour pocher, pas de problème. Pour de la basse température, on y arrive avec le réglages intermittent.

Mais prenons un peu de recul : les micro-ondes chauffent l'eau des aliments, et cela a des effets :
- de nombreuses protéines dans l'eau coagulent, formant un gel chimique (par exemple, le blanc d'oeuf)
- les grains d'amidons dans l'eau chauffée s'empèsent (riz, pâtes, pommes de terre...)
 - les pectines sont hydrolysées et le ciment intercellulaire se dégrade (amollissement des légumes)
- l'eau peut s'évaporer (croûtage léger)
- les gels physiques fondent (gélatine, confiture, chocolat)
- et ainsi de suite.
 
Tout cela peut être utile... ou pas. Mais la panacée n'existe pas, ni l'outil universel : à chaque objectif son chemin, sa méthode, son outil.

Quant aux espèces chimiques formées, ce sont, d'après les nombreuses études qui avaient été faites, les mêmes que celles qui se forment dans d'autres types de cuisson classiques, et, en tout cas, les micro-ondes sont bien moins "barbares"  que des méthodes classiques : aucun chimiste ne porterait des réactifs aux 300 ° C que l'on mesure sous un steak, ni ne chaufferait de l'huile jusqu'à l'enflammer. Alors les espèces néoformées et les dangers des micro-ondes...