dimanche 6 septembre 2015

Les « fous scientiques », les imposteurs, les erreurs

Il y a parfois des prétentions pseudo scientifiques vraiment ahurissantes. Par exemple, un ami vient de m'interroger à propos d'un site internet où est exposée une méthode prétendue miraculeuse pour améliorer la croissance et l'état de bon développement des plantes. Evidemment cette méthode est vendue très cher : son auteur, parfaitement inconnu des milieux agronomiques, propose des formations, des diagnostics, des remèdes... Qu'en penser ? Et que penser, plus généralement, des propositions qui heurtent le bon sens rationnel ?

Le remède miracle doit toujours nous rendre soupçonneux, car la panacée n’existe pas (sans quoi les individus qui la possèdent seraient immortels). De surcroît,  l'histoire de humanité a largement montré que des individus malhonnêtes ont toujours profité du désarroi des autres pour gagner de l'argent, malhonnêtement donc : cela allait du sorcier, auquel on confiait le soin de faire tomber la pluie, aux rebouteux variés et autres diseurs de bonne aventure.
Or un agriculteur, un vigneron, est quelqu'un d'exposé aux  intempéries, aux vicissitudes du climat, aux attaques des micro-organismes, champignons ou moisissures, et, quand il voit le fruit de son travail menacé ou ruiné, il s'interroge, évidemment, sur des moyens d'éviter la catastrophe. Des malhonnêtes cherchent à profiter de ce désarroi.
Le cas qui m'était soumis récemment est intéressant, puisque le site en question évoquait  des concepts scientifiques modernes inconnus (sauf le nom) de la majorité des agriculteurs. Or quand un  concept très spécialisé est évoqué, nous sommes démunis pour juger du discours qui nous est proposé, de sorte que nous sommes exposés à la fraude éventuelle.
Ici, les concepts étaient (en apparence seulement, comme on va le voir) ceux  de la mécanique quantique, ce qui n'est pas enseigné couramment dans les écoles d'agronomie : à beau mentir qui vient de loin). Et c'est pourquoi  j'ai pris un long moment pour aller  examiner les prétentions qui  m'étaient soumises.
Le site évoquait donc la mécanique quantique, que je connais puisque je l'enseigne en master de physico-chimie, et il commençait par indiquer que la physique moderne avait découvert la « dualité onde-corpuscule ». Jusque  là, je n'ai pas trop à redire, bien qu'une telle phrase soit « datée »  d'au moins d'un demi siècle et qu'elle traîne un peu partout, de sorte qu'il n'a pas dû  être difficile de faire un copier-coller. Ajoutons qu'un professeur de mécanique quantique, dans une université, pourrait prononcer une telle expression, mais il serait sans doute plus précis, puisque l'on comprend bien, aujourd'hui, que l'aspect sous lequel nous apparaissent les objets matériels (moléculaires, atomiques, sub-atomiques) sont déterminées par l'expérience que l'on fait sur lesdits objets : l'expression est datée d'au  moins un siècle. Observons aussi que si « dualité onde-corpuscule » impressionne quelques clients potentiels crédule, l'expression me rend méfiant : je propose depuis longtemps, à mon entourage et à moi-même, d'être circonspect quand on prononce devant nous des mots de plus de trois syllabes.
Puis le site nous explique que, puisque les molécules sont des ondes selon la mécanique quantique (je répète que la phrase, dite ainsi, est fautive), il y a une fréquence de ces ondes : tel l'espacement entre les rides à la surface de l'eau. Je choisis volontairement cet exemple des rides (il n'est pas dans le site, lequel ne donne aucune explication ; ben tiens !), car il y a une différence entre la longueur d'onde, qui est un espacement spatial, et la fréquence, qui correspond à un espacement temporel. Entre les deux, il y a la vitesse de propagation, et ce n'est  pas rien, mais il y a bien plus, comme on va le voir maintenant.
Bref, notre site nous dit que puisqu'il y a une possibilité d'associer une fréquence à  un objet matériel, on peut agir sur l'objet avec des fréquences. Jusque-là, pas de problème, sauf que  les phénomènes ondulatoires sont de nature très diverses, entre  la propagation du son dans l'air, qui correspond à une onde de pression, qui nécessite donc de l'air pour se propager (et il y a au  Palais de la découverte une expérience amusante où le son s'éteint quand fait le vide dans une cloche) et une onde électromagnétique, qui se propage même dans le vide. Ou encore, imaginons un groupe de personnes qui se donnent la main, et qui s'inclinent l'une après l'autre : une onde d'inclinaison se propagerait... mais émettre une lumière de longueur d'onde proportionnelle à la longueur d'onde de l'onde d'inclinaison permettrait-il d'agir sru  l'inclinaison ? Non, bien sûr... d'autant que pour une proportion, il faut une constante de proportionnalité : ici, laquelle ?
Tout cela est donc parfaitement arbitraire, et comme le site en question fait de même, on doit penser que c'est du grand n'importe quoi... ce dont on se doutait.  Pour en terminer sur ce point, selon les ondes, il y a une différence considérable, et la ressemblance entre les diverses ondes n'est qu' élémentaire, concernant l'ondularité du phénomène.
Le site, lui franchit allègrement le pas,  et prétend que faire entendre des sons de fréquence appropriée aux plantes permet d'activer des molécules particulières, de les faire synthétiser (je passe sur les détails qui sont donnés) et donc de stimuler leurs défenses, de stimuler leur croissance, etc.
Je vous épargne une série d'autres observations qui montrent à l'évidence que le sujet de la mécanique quantique n'est pas maitrisé par  les auteurs du site en question, pas plus  que la biologie moléculaire, qui constitue le second gros morceau de l'affaire. N'empêche que ce site prétend avoir des clients,  pour lesquels il prétend évidemment avoir obtenu des résultats spectaculaires. Tout cela doit nous faire immédiatement penser à Cyrano de Bergerac, le vrai, qui vécut au  17e siècle, qui disait que chaque fois qu'on lui avait parlé de sorciers qui avaient de bons résultats,  c'était à plus de 400 lieues de là ! Les prétentions de panacées sont de ce type, jamais vérifiables ou jamais vérifiées, et l'histoire des sciences montre que chaque fois que l'Académie des sciences pris la peine de tester les prétentions des charlatans, on a vérifié que l'or n'était que de la pacotille. C'était donc du temps perdu !
Se pose finalement la question essentielle, pour toutes les affaires de ce type : quand une prétention ahurissante est-elle du charlatanisme ?  quand une découverte  scientifique extraordinaire est-elle vraiment une découverte scientifique extraordinaire ?
La question est difficile et, dans le temps,  je proposais de "tenir le probable pour faux jusqu'à preuve du contraire",  que ce soit en science, ou en médecine ou en agronomie, etc. Si j'ai changé pour une formulation plus positive, l'idée me semble conserver son intérêt, notamment ici. Ajoutons que ce n'est pas à nous qui recevons l'information d'une action prétendument merveilleuse d'aller prouver qu'elle est justifiée ou non, mais c'est plutôt à ceux qui évoquent la chose d'établir la véracité de leurs dires.
En sciences, il a le mot essentiel de « validation », insuffisamment enseigné, et qui fonde la bonne science. Les validations sont bien difficiles,  au point que, ces dernières années, plusieurs découvertes faites par des scientifiques  raisonnables ont été finalement  réfutées, alors que la communauté se penchait avec bienveillance sur les possibilités de leurs découvertes. Au CERN, à Genève, on a cru voir une propagation plus rapide que la vitesse de la lumière, et la communauté s'est émue jusqu'à ce que, finalement, on s'aperçoive que les calculs étaient erronés, et que la vitesse de la lumière restait la vitesse limite ; de même, il y a plusieurs années, la fusion froide (pourtant décrite complaisamment par des journalistes médiocres d'un grand quotidien national) en est restée aux annonces (on me signale en commentaire que la chose aurait été confirmée, de sorte qu'il faut  voir très prudemment) ; la prétendue  mémoire de l'eau, aussi, a fait perdre beaucoup de temps (là, aucun doute), et ainsi de suite. Pour autant, il y a devant nous des découvertes extraordinaires qui nous attendent, et il nous faut donc bien séparer le bon grain de l'ivraie.
Je ne règle donc pas la question posée, mais je propose de ne  jamais accepter d'idées qui n'aient pas été testée, non pas par ceux qui  soutiennent des choses ahurissantes et qui nous disent ce qu'ils veulent bien nous dire, mais par des instances indépendantes, qui n'ont pas d'intérêt financier dans la mise en œuvre de ces propositions. En médecine,  la question se pose souvent, car les rapports entre le corps et l'esprit sont compliqués, et  l'effet placebo existe, sans que son mécanisme soit encore connu (il y a donc lieu d'explorer ce mécanisme, mais cela est difficile, car l'être humain n'est pas un  cobaye ; il faudra également apprendre à connaître les limites de cet effet, car il semble n'être que probabiliste contrairement à l'action d'un antibiotique sur des micro-organismes).
Je termine en signalant que j'ai encore, sous mon bureau, une caisse pleine de propositions délirantes qui m'ont été envoyées au fil des décennies : des théories du tout, de prétendues démonstrations du théorème de Fermat, de prétendues explications de l'attraction des corps célestes à l'aide de particules qui n'ont jamais été détectées, par des individus isolés, qui n'ont aucun moyen de le faire, des  théories entièrement imaginées, et qui s'apparentent à du délire…
Bref on cause beaucoup au café du commerce, mais ce ce n'est pas là que se construit le savoir,  et nous perdons notre temps à  considérer les élucubrations des désoeuvrés avec plus qu'un oeil désolé... ou furieux, quand des prétentions  malhonnêtes veulent gruger nos amis. 

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Cuisine et dérégulation

En ces temps de dérégulations, où n'importe qui prétend exercer le métier de taxi ou d'hôtelier sans passer par  la réglementation en place, cela vaut la peine de se poser la question de l'exercice du métier de restaurateur.
Cela fait longtemps que, personnellement, je me demande pourquoi n'importe qui peut tenir un restaurant,  alors qu'un certificat d'aptitude professionnelles (CAP)  est imposé pour tenir un salon de coiffure. Il y a évidemment le fait que nous cuisinons tous quotidiennement et que, si nous cuisinons pour notre famille, nous ne comprenons que difficilement pourquoi nous ne pourrions pas cuisinier pour autrui.
Toutefois ce raisonnement  ne m'a jamais convaincu, car je ne suis pas sûr que tous les cuisiniers familiaux cuisinent  correctement pour leur famille (on a compris que je manie l'euphémisme : je suis en réalité sûr que la majorité des cuisiniers familiaux ne cuisinent pas correctement).  Lesquels savent les dangers du cuivre, eux qui utilisent des bassine en cuivre pour faire des confitures, et cela de façon traditionnelle ... mais dangereuse ?  Lesquel ont une idée des micro-organismes et du développement de ces derniers lorsque les met sont chauds ?  Lesques savent que leur réfrigérateur devrait être à 4 degrés ? Lesquels savent les toxicités des ingrédients ou des parties de ces derniers ? On me répondra peut-être que  la tradition a sélectionné des recettes, des pratiques,  qui évitent les accidents, mais est-ce vrai ? Même perfectible, l'enseignement de la cuisine n'a de cesse de vouloir éviter protéger le mangeur. En outre, je réfute la « bonne tradition » : l'examen des pratiques culinaires du passé, notamment lors de nos séminaires de gastronomie moléculaire, montre combien les pratiques anciennes sont souvent mauvaises.
Lors des enseignements professionnels,  il y a des informations que les cuisiniers familiaux n'ont pas et n'auront sans doute jamais :  la marche en avant, la méthode HACCP, l'examen des points critiques pour la mise en œuvre des pratiques culinaires (si vous ignorez ces notions, c'est une démonstration supplémentaire de ce que j'avance). Il y a aussi des enseignement utiles, comme la gestion du restaurant, la gestion du personnel, etc. On peut bien sûr imaginer que des individus se renseignent sur tous ces points, mais je maintiens qu'il est bien difficile  de  savoir reconnaître le degré de cuisson particulier auquel on doit arriver, simplement avec une photo ou un film,  et un professeur qui vous  observe et qui vous  signale des fautes de procédure met une évaluation qui, si nous la faisions nous-même, serait très certainement trop complaisante. Et puis, un enseignement bien fait apporte une foule de compétences complémentaires qui, mieux que permettre une cuisine seulement saine,  permettent une cuisine qui soit bonne, ce qui n'est pas rien.
Il est amusant de voir qu'en science, cette question de la déréglementation ne se pose pas,  parce que la maîtrise du calcul -ce que le public nomme les mathématiques- fait une sélection immédiate. On objectera peut-être qu'il ne suffit pas de savoir calculer pour faire de la bonne science, mais je répondrai très volontiers que, a contrario, il n'y a pas de science du tout s'il n'y a pas de calcul. Certes la connaissance des objets spécifiques d'un champ est importante, mais c'est une base tellement faible qu'on ne peut imaginer exercer la recherche scientifique si on se limite à elle.
Finalement, ici comme dans d'autre billets, j'en arrive à une conclusion très optimiste, à savoir qu'une compétence s'obtient par une longue pratique doublée d'une réflexion appuyée, qui permet de dépasser la simple répétition des gestes ou des pensées, pour  mettre les objets d'étude dans un cadre plus vaste et plus cohérent, ce qui permet la floraison d'une véritable compétence, qui n'a donc pas de raison de ne pas être testée, si elle est vraiment acquise. Je propose de penser que des diplômes d'état bien attribués sont une garantie pour les citoyens, une protection, une nécessité, enfin. Au fond, c'est cela l'information essentielle que nous devons transmettre  aux étudiants  qui nous font confiance au point de penser que nous  pouvons les aider à marcher dans la voie professionnelle qu'ils ont choisie.

Cuisine et dérégulation

En ces temps de dérégulations, où n'importe qui prétend exercer le métier de taxi ou d'hôtelier sans passer par  la réglementation en place, cela vaut la peine de se poser la question de l'exercice du métier de restaurateur.
Cela fait longtemps que, personnellement, je me demande pourquoi n'importe qui peut tenir un restaurant,  alors qu'un certificat d'aptitude professionnelles (CAP)  est imposé pour tenir un salon de coiffure. Il y a évidemment le fait que nous cuisinons tous quotidiennement et que, si nous cuisinons pour notre famille, nous ne comprenons que difficilement pourquoi nous ne pourrions pas cuisinier pour autrui.
Toutefois ce raisonnement  ne m'a jamais convaincu, car je ne suis pas sûr que tous les cuisiniers familiaux cuisinent  correctement pour leur famille (on a compris que je manie l'euphémisme : je suis en réalité sûr que la majorité des cuisiniers familiaux ne cuisinent pas correctement).  Lesquels savent les dangers du cuivre, eux qui utilisent des bassine en cuivre pour faire des confitures, et cela de façon traditionnelle ... mais dangereuse ?  Lesquel ont une idée des micro-organismes et du développement de ces derniers lorsque les met sont chauds ?  Lesques savent que leur réfrigérateur devrait être à 4 degrés ? Lesquels savent les toxicités des ingrédients ou des parties de ces derniers ? On me répondra peut-être que  la tradition a sélectionné des recettes, des pratiques,  qui évitent les accidents, mais est-ce vrai ? Même perfectible, l'enseignement de la cuisine n'a de cesse de vouloir éviter protéger le mangeur. En outre, je réfute la « bonne tradition » : l'examen des pratiques culinaires du passé, notamment lors de nos séminaires de gastronomie moléculaire, montre combien les pratiques anciennes sont souvent mauvaises.
Lors des enseignements professionnels,  il y a des informations que les cuisiniers familiaux n'ont pas et n'auront sans doute jamais :  la marche en avant, la méthode HACCP, l'examen des points critiques pour la mise en œuvre des pratiques culinaires (si vous ignorez ces notions, c'est une démonstration supplémentaire de ce que j'avance). Il y a aussi des enseignement utiles, comme la gestion du restaurant, la gestion du personnel, etc. On peut bien sûr imaginer que des individus se renseignent sur tous ces points, mais je maintiens qu'il est bien difficile  de  savoir reconnaître le degré de cuisson particulier auquel on doit arriver, simplement avec une photo ou un film,  et un professeur qui vous  observe et qui vous  signale des fautes de procédure met une évaluation qui, si nous la faisions nous-même, serait très certainement trop complaisante. Et puis, un enseignement bien fait apporte une foule de compétences complémentaires qui, mieux que permettre une cuisine seulement saine,  permettent une cuisine qui soit bonne, ce qui n'est pas rien.
Il est amusant de voir qu'en science, cette question de la déréglementation ne se pose pas,  parce que la maîtrise du calcul -ce que le public nomme les mathématiques- fait une sélection immédiate. On objectera peut-être qu'il ne suffit pas de savoir calculer pour faire de la bonne science, mais je répondrai très volontiers que, a contrario, il n'y a pas de science du tout s'il n'y a pas de calcul. Certes la connaissance des objets spécifiques d'un champ est importante, mais c'est une base tellement faible qu'on ne peut imaginer exercer la recherche scientifique si on se limite à elle.
Finalement, ici comme dans d'autre billets, j'en arrive à une conclusion très optimiste, à savoir qu'une compétence s'obtient par une longue pratique doublée d'une réflexion appuyée, qui permet de dépasser la simple répétition des gestes ou des pensées, pour  mettre les objets d'étude dans un cadre plus vaste et plus cohérent, ce qui permet la floraison d'une véritable compétence, qui n'a donc pas de raison de ne pas être testée, si elle est vraiment acquise. Je propose de penser que des diplômes d'état bien attribués sont une garantie pour les citoyens, une protection, une nécessité, enfin. Au fond, c'est cela l'information essentielle que nous devons transmettre  aux étudiants  qui nous font confiance au point de penser que nous  pouvons les aider à marcher dans la voie professionnelle qu'ils ont choisie.

samedi 5 septembre 2015

On me signale un nouveau blog

Voir http://munsterregledevie.blogspot.fr/2015/09/le-munster-est-une-regle-de-vie.html

L'idée essentielle

On a interrogé des scientifiques pour savoir quelle serait l'idée scientifique qu'ils proposent de transmettre. Richard Feynman aurait répondu que, pour lui, l'hypothèse atomique était la clé de voûte des sciences. Puis d'autres scientifiques ont été questionnés, et c'est mon tour.

Ce qui est amusant, dans la question, c'est moins la question que la forme du questionnement : mes enfants jeunes se mettaient en colère quand ils me demandaient si je préférais les fraises ou les mûres que  je répondais  "le cassis". Pourquoi répondais-je ainsi ? Pas parce que je refusais de jouer avec eux, mais, surtout, parce que crois que la question est mal posée,  comme pour ce vote du "meilleur cuisinier du monde" dont on parle tous les ans, à l'occasion de la publication des résultats (par une firme industrielle, qui fait en réalité de la publicité).
Le meilleur ? Quels critères, d'abord ? Ensuite, le meilleur en termes de moyenne de préférences n'a aucun intérêt pour ce  qui me concerne, car mes choix ne sont pas déterminés par les choix des autres. Et, surtout, les choix peuvent varier avec le jour, le temps qu'il fait... et ils ne sont pas possibles, dans bien des cas. Par exemple, si un objet est caractérisé par plusieurs  propriétés, on peut le représenter dans un espace à  plusieurs dimensions. Si ce nombre de dimensions est supérieur à 1, on peut évidemment ranger les objets par ordre de distance par rapport à un point origine, mais pourquoi ferait-on ainsi ?
Pour les idées scientifiques, il en va de même, et il faut donc interpréter la question avant d'essayer d'y répondre, autrement qu'en donnant un choix. En réalité, je crois comprendre que, ce qui est en  jeu, c'est la volonté de discuter de ces  choix, de nos critères.
Jouons donc : naïvement, j'aurais tendance à penser que la constitution de la matière est essentielle, car si l'humanité a mis si longtemps à se débarrasser de la théorie des quatre éléments d'Aristote, c'est que  ce dépassement était difficile. Toutefois, vaut-il mieux donner des clés méthodologiques, ou le résultat de la mise en oeuvre de ces clés ? Il me semble que la méthodologie est préférable, et, en l'occurrence, la méthodologie est la méthode scientifique... car la méthode scientifique a mis longtemps à apparaître sous la forme que nous  connaissons. Cette méthode a des racines au nombre de trois, principalement : (1) il faut préférer l'expérience ; (2) les phénomènes doivent être quantifiés ; (3) le  monde est écrit en langage mathématique. Le  point 2 semble pouvoir découler du  troisième, et le premier peut-être aussi. Amusant, d'ailleurs, que telle était l'idée de ces Grecs où la science est née, dans un état très embryonnaire qui fut d'abord étouffé par la religion, avant de prendre son essor quand des idées telles que celles des lumières (sapere aude, aies l'audace de penser par toi-même) purent éclore.

L'idée essentielle

On a interrogé des scientifiques pour savoir quelle serait l'idée scientifique qu'ils proposent de transmettre. Richard Feynman aurait répondu que, pour lui, l'hypothèse atomique était la clé de voûte des sciences. Puis d'autres scientifiques ont été questionnés, et c'est mon tour.
Ce qui est amusant, dans la question, c'est moins la question que la forme du questionnement : mes enfants jeunes se mettaient en colère quand ils me demandaient si je préférais les fraises ou les mûres que  je répondais  "le cassis". Pourquoi répondais-je ainsi ? Pas parce que je refusais de jouer avec eux, mais, surtout, parce que crois que la question est mal posée,  comme pour ce vote du "meilleur cuisinier du monde" dont on parle tous les ans, à l'occasion de la publication des résultats (par une firme industrielle, qui fait en réalité de la publicité).
Le meilleur ? Quels critères, d'abord ? Ensuite, le meilleur en termes de moyenne de préférences n'a aucun intérêt pour ce  qui me concerne, car mes choix ne sont pas déterminés par les choix des autres. Et, surtout, les choix peuvent varier avec le jour, le temps qu'il fait... et ils ne sont pas possibles, dans bien des cas. Par exemple, si un object est caractérisé par plusieurs  propriétés, on peut le représenter dans un espace à  plusieurs dimensions. Si ce nombre de dimensions est supérieur à 1, on peut évidemment ranger les objets par ordre de distance par rapport à un point origine, mais pourquoi ferait-on ainsi ?
Pour les idées scientifiques, il en va de même, et il faut donc interpréter la question avant d'essayer d'y répondre, autrement qu'en donnant un choix. En réalité, je crois comprendre que, ce qui est en  jeu, c'est la volonté de discuter de ces  choix, de nos critères.
Jouons donc : naïvement, j'aurais tendance à penser que la constitution de la matière est essentielle, car si l'humanité a mis si longtemps à se débarrasser de la théorie des quatre éléments d'Aristote, c'est que  ce dépassement était difficile. Toutefois, vaut-il mieux donner des clés méthodologiques, ou le résultat de la mise en oeuvre de ces clés ? Il me semble que la méthodologie est préférable, et, en l'occurrence, la méthodologie est la méthode scientifique... car la méthode scientifique a mis longtemps à apparaître sous la forme que nous  connaissons. Cette méthode a des racines au nombre de trois, principalement : (1) il faut préférer l'expérience ; (2) les phénomènes doivent être quantifiés ; (3) le  monde est écrit en langage mathématique. Le  point 2 semble pouvoir découler du  troisième, et le premier peut-être aussi. Amusant, d'ailleurs, que telle était l'idée de ces Grecs où la science est née, dans un état très embryonnaire qui fut d'abord étouffé par la religion, avant de prendre son essor quand des idées telles que celles des lumières (sapere aude, aies l'audace de penser par toi-même) purent éclore.

Ayons un peu de modestie

Avec le  développement d'Internet, chacun peut s'exprimer : sur des blogs, sur des sites. S'affiche aujourd'hui « critique culinaire » toute personne qui, utilisant un téléphone portable, prend des photos de plats qui lui sont servis dans un restaurant et les assortit d'une description de son repas. Mais sait-on bien ce qu'est la critique culinaire ? Ou la critique artistique en général ? On relira Diderot ou Beaudelaire, à propos de peinture, ou Robbe Grillet à propos de littérature, par exemple. On ne deviendra pas plus bête en lisant le petit traité d'Anne Gauquelin, voire mon "traité" d'esthétique culinaire "La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique".
La question vaut  également pour la médecine, où se croit l'égal d'un médecin toute personne qui, intéressée par un sujet médical, est allé sur internet chercher des informations et a l'exorbitante prétention de  pouvoir décider d'un traitement, par exemple. Le mécanisme est le suivant  : le peuple (le bon peuple, bien sûr) qui refuse l'élite (coupons leur la tête, soyons tous égaux) consulte n'importe quel forum (mais comment juger de la qualité des informations qui s'y trouvent?) et arrive en consultation avec la réponse médicale qu'il s'est donnée (mais, alors, pourquoi consulter?).

En science, aussi, la mode de la science prétendument citoyenne sévit, et certaines institutions, dans le louable désir de rapprocher la science des citoyens, c'est-à-dire des contribuables, laissent croire, voire font penser, que la science est à la portée de tous… alors même que le public ne sait pas ce qu'est la science (comme je le vérifie avec mes conférences inlassables dans le monde entier).
Dans les trois cas, il y a un même mécanisme qu'il faut  dénoncer, sous peine de démagogie. Commençons par la questions scientifique. Dans plusieurs billets, j'ai expliqué que les sciences de la nature, qu'il ne faut pas confondre avec le savoir, tel celui du cuisinier, du maître d'hôtel, du plombier, de l’électricien, ou de tout métier technique, ces sciences de la nature donc ne sont que maniement d'équations, lesquelles sont très rarement à la portée des techniciens… sans quoi ces derniers exerceraient le métier de scientifique, au sens des sciences de la nature. Le citoyen,  très loin des  équations, ne peut donc pas contribuer aux sciences de la nature, et il y a une certaine hypocrisie à laisser penser qu'un enfant de quinze ans ou un adulte qui maîtrise seulement la règle de trois puissent contribuer à la découverte des particules subatomiques, tel le boson de Higgs. Bien sûr, pour des activités plus descriptives, telle l'observation d'objets célestes, quand un télescope d'amateur suffit, ou tels des recueils de données botaniques, les amateurs peuvent rendre des services extraordinaires, mais  je crois qu'il serait nuisible à la jeunesse de notre pays de laisser penser que la science se résume à cela. Comme je l'ai indiqué dans d'autres billets, la science est faite d'équations, avec le postulat que le monde est écrit en langage mathématique. Les sciences de la nature ne sont pas une activité technique qui serait plus précise (la cuisine où l'on pèserait les ingrédients, par exemple, comme l'a cru Auguste Escoffier), mais une activité très particulière,  qui consiste à chercher les  mécanisme des phénomènes non pas sous la forme de discours un peu poétique, mais sous la forme de système cohérent d'équations.
Revenons maintenant au cas précédent,  celui de la médecine. Si la capacité médicale se résumait à quelques heures passées sur Internet,  il n'y aurait  évidemment pas besoin de dix ans d'études pour devenir médecin. La question n'est pas l'attribution ou pas d'un diplôme, la réussite ou pas à un concours, mais l'obtention lente d'une capacité réelle à faire face à des cas où la vie des gens est en danger, alors que tout un chacun ne se doute de rien. Moi qui ne suis pas médecin, par exemple, je peux évidemment renouveler une pilule contraceptive si je sais ce qu'est une pilule, si je dispose d'une ordonnance précédemment émise, si je sais écrire et si je connais quelques règles simples comme vérifier que la personne qui me demande cette prescription ne fume pas, sans quoi des risques cardio-vasculaires graves existent. Mais ce n'est pas là un acte médical. C'est un acte automatique et naïf, et le bon médecin (je devrais dire simplement "le médecin") me semble être bien plutôt celui ou celle qui sait voir, après des années de clinique, après avoir forgé une intuition inégalée, après avoir longuement révisé des questions d'internat pour bien dépister les cas terribles qui peuvent se présenter, le bon médecin est  celui ou celle qui peut prescrire une pilule non pas parce que la loi lui en donne le droit, mais parce que la patiente peut avoir confiance dans toute cette compétence, qui évitera un acte médical dangereux.
Bien sûr, il peut exister  de mauvais médecins, mais ils sont très rares contrairement à ce que dit la rumeur, cette rumeur idiote qui transforme un gland en citrouille, ce bavardage de café du commerce. D'ailleurs, la presse a sa part de responsabilité quand nous en venons à penser que "les médecins" sont mauvais, elle qui ne  parle jamais des trains qui arrivent à l'heure, mais, au contraire, se focalise sur des cas  très rares. Je propose, donc, de ne pas juger le monde (notamment celui de la médecine, mais pas seulement) par le prisme de la presse, sans quoi nous n'avons pas de vision correcte du monde.
Enfin, pour revenir à la médecine, je crois que nous avons raison d'avoir confiance dans les capacité des médecins que nous consultons, et c'est la raison pour laquelle j'insiste ici pour que l'acte médical soit réservé aux médecins et non pas à n'importe quel « soignant » (je parle bien d'acte médical de sorte que je ne suis pas politiquement incorrect,  mais  je dis une tautologie, une évidence que disent les mots : médical, médecin).  Oui, il y a toujours eu une  volonté du peuple  de se rapprocher de l'aristocratie,  une volonté de ne pas être exclu des élites, mais la métaphore ne vaut pas pour le  cas qui nous concerne :  il ne s'agit pas ici d'une prétention de sang bleu, mais bien plutôt de travail, et le travail n'est pas une vague prétention : la capacité médicale, ce sont des années passées au chevet des malades, devant les livres, à faire des recherches bibliographiques pendant les week-end au lieu d'aller au bistrot ou se promener en forêt.
Parfois, certains journalistes qui enquêtent sur un sujet croient en savoir autant que les spécialistes qu'ils consultent… sans parler de ceux qui viennent interroger un spécialiste pour lui faire dire ce qui est écrit dans leur « scénario » ou ce qui a été décidé en conférence de rédaction (là, c'est le comble du mauvais journalisme). C'est une prétention démesurée, comme le montrera l'anecdote suivante, où il ne s'agit pas de journalisme médical, mais de journalisme scientifique, ce qui revient au même : au tout début de ma carrière d'éditeur scientifique, j'avais révisé très longuement la traduction en français d'un texte en anglais, écrit par un bon spécialiste américain, sur la physico-chimie des gels. Les gels ? Cétait l'objet de mon travail de master (on disait DEA, à l'époque), de sorte que je pensais mon texte quasi parfait. Toutefois, conformément à la règle que nous avons introduite dans la revue Pour la Science,  j'avais voulu faire relire mon travail par un  spécialiste français des gels. L'homme, qui a aimablement accepté ce travail… m'a rendu une version si annotée de rouge  que j'en rougis encore aujourd'hui de honte. Pourtant, je n'avais pas démérité, je n'avais pas bâclé mon travail... mais je n'étais pas un spécialiste, et, en conséquence, je ne pouvais pas deviner quelles notions fautives revêtaient les mots que j'avais naïvement employés.
Pour les journalistes médicaux, il en va de même. Même un journaliste qui explore bien un sujet ne  sera jamais capable de pallier le spécialiste qu'il a interrogé, et c'est la raison pour laquelle les bons journaux font relire les textes aux spécialistes. Il ne s'agit pas de vérifier les citations, l’exactitude des propos rapportés. Non, il s'agit de qualité de l'information ; il s'agit tout simplement d'éviter que le journaliste dise  des choses  très fausses… parce que l'on ne remplace pas des années d'étude par quelque jours, semaines voire mois d'enquête journalistique. D'ailleurs, encore aujourd’hui, j'ai été consulté par un journaliste qui  faisait un article sur les aliments, et j'ai eu l'occasion de constater que la notion de polysaccharides, dont il parlait presque à chaque ligne, lui  était inconnue : pour lui, c'était un simple mot. De même, il y a quelque semaines, lors de la préparation d'un article sur la cuisine note à note, avec un très grand magazine international, alors que j'avais passé des jours à discuter de la chose avec l'équipe venue d'outre atlantique, à l'expliquer, j'ai eu la surprise de voir que des notions  qui me semblaient évidentes, que j'avais expliquées plusieurs fois, restaient complètement incomprises : des mots, de simples mots. Pour la médecine, c'est pareil : il est malhonnête de prétendre que l'on peut réduire en peu de temps des compétences que les médecins obtiennent après des  années d'un travail considérable, lequel d'ailleurs ne se fait pas à raison de 35  heures par semaine.
Et je reviens finalement à la cuisine, où la question se pose de même : il existe de véritables compétences, et ce serait une prétention exorbitante que de ne pas en faire l'hypothèse. Plus généralement, on a compris que pour cuisine, médecine, sciences de la nature ou tout autre activité, la compétence, l'expertise, ne sont pas à la portée d'une enquête  rapide, de quelques semaines ou mois d’intérêt pour une question. En cuisine, le professionnel sait  parfaitement reconnaître la consistance de la sauce qui doit être servie, et cela ne se décrit ni avec des mots, ni avec des photos, cela ne se voit  pas d'un coup d’œil. En médecine, soigner des gens en bonne santé, ce n'est rien ; ce n'est pas soigner. Et  c'est surtout la capacité de dépister une maladie qui est importante, et c'est cela que l'on demande au  médecin. En science, le travail n'est pas de la vulgarisation, mais  du maniement constant d'équations, l'exercice permanent du calcul.

Finalement toute cette analyse est rassurante : elle montre que nous avons raison de passer du temps sur  nos calculs, au chevet de nos malades, devant les fourneaux, pour apprendre très lentement, pour obtenir une compétence qui n'est pas soluble dans une certaine démagogie.