Dernier document préparé pour l'Humanité, mais le nombre de jours dans la semaine étant inférieur à mon énergie (si l'on peut dire), il n'a pas fait l'objet d'une publication.
Pour autant, je ne crois pas qu'il soit indigne :
Dans cette satire sociale et politique que sont les Voyages de Gulliver, l’écrivain irlandais Jonathan Swift montre deux peuples qui s’affrontent pour savoir par quel bout on doit ouvrir un œuf dur : les gros boutistes luttent à mort contre les petit boutistes.
Est-ce bien raisonnable ? Les études historiques montrent que, trop souvent, les combats pour des vétilles alimentaires de ce type sont un rejet de l’ « étranger ». Pour les Grecs, les barbares étaient ceux qui ne mangeaient pas comme les Grecs, et, bien souvent, les conquérants se hâtaient d’imposer aux vaincus leurs façons de table. Doit-on mettre les mains sur la table ? sous la table ? est-il supportable de poser le pain à l’envers ? doit-on rompre le pain ou le couper ? Se comporter d’une certaine façon, à table, c’est montrer la culture à laquelle on appartient… et c’est souvent être enfant.
Pourquoi certains mangent-ils des fromages qui sentent les excréments (mais à la saveur subtile) et redoutent-ils l’odeur des durians, ces fruits asiatiques… à l’odeur d’excrément et à la saveur douce ? Pourquoi certains sont-ils rebutés par la consommation de cuisses de grenouilles alors qu’à la crème, avec du vin blanc, un peu de persil, une pointe d’ail, hmmmm…
En réalité, nous gagnerions à comprendre que, comme les singes (et l’on découvre que ces derniers ont des cultures alimentaires !), nous sommes à la fois protégés et affligés par un réflexe nommé « néophobie alimentaire » : nous ne mangeons pas ce que nous ne connaissons pas… et c’est dans l’enfance, depuis le stade fœtal, que nous apprenons ce qui est « bon ». Voilà pourquoi les grands chefs ne peuvent pas lutter contre la cuisine de la grand-mère : toutes leurs innovations ne vaudront pas, biologiquement, ce que nous avons appris à reconnaître comme comestible.
Du coup, nous aurons beaucoup de difficultés à manger comme l’ « autre », nous aurons beaucoup de difficultés à comprendre comment il peut se laisser aller à manger ces choses « immangeables ».La cuisine sépare.
Pourtant, regardons-y mieux, avec l’œil technique. Quelle différence entre un tajine et une braisé bien conduit (« cendre dessus et dessous ») ? Dans les deux cas, il s’agit d’une cuisson longue et lente. Dans les deux cas, on cuit de la viande, afin de lui donner du goût, de tuer les micro-organismes et parasites qui l’infestent, on modifie la consistance pour la rendre fondante. D’ailleurs, l’analyse technique peut réconcilier les Anciens et les Modernes : au fond, la cuisson « à basse température », sous vide ou non, si en vogue aujourd’hui dans les restaurants les plus en pointe, n’est que du braisage bien conduit. Correctement conduit, avec des matériels autrement plus appropriés que le feu, et ses cendres ou braises à la température quasi incontrôlable.
D’accord, on y perd en poésie, la nostalgie de l’enfance en prend un coup… Quoi que : si l’on va au clair de lune avec son amoureuse ou son amoureux, est-on moins amoureux quand on sait pourquoi la lune brille ?
Allons, réconcilions-nous à table. Vive la connaissance !
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
samedi 26 septembre 2009
De la correspondance utile
Je ne suis évidemment pas d'accord avec un des commentaires publiés sur ce blog et qui prétend que le livre Cours de gastronomie moléculaire N°1 contient des choses déjà publiées (jusqu'à la page 50) : c'est dans ce livre, et dans ce livre seulement, que je présente la distinction entre science, technologie, technique, que je montre les diverses interprétations épistémologiques de la science, et, surtout, que je présente une typologie technologique que je crois tout à fait inédite. Mais passons. Au moins, ce commentaire me permet de faire la mise au point.
Ce matin, beaucoup de correspondance, venant d'élèves de Première, qui font des Travaux personnels encadrés. L'un de ces messages posait deux questions :
La cuisine moléculaire peut-elle améliorer la cuisine traditionnelle ?
La réponse s'impose :
Non. La question est comme « la musique sérielle peut-elle améliorer la musique baroque » : cela n’a pas de sens. La musique baroque est la musique baroque, et la musique sérielle est la musique sérielle.
En revanche, oui, je crois que de nouveaux ustensiles s’imposent, pour mieux filtrer, mieux chauffer, mieux broyer, mieux… Par exemple, l’emploi de l’azote liquide fait des sorbets et des glaces aux cristaux de glace bien plus petits qu’avec une sorbetière. Par exemple, un filtre à verre fritté de laboratoire clarifie mieux qu’une clarification à l’œuf battu.
La cuisine moléculaire doit-elle être considérée comme un art ou comme une réelle avancée scientifique ?
Réponse : je vois que vous confondez cuisine moléculaire (de la cuisine, donc une activité qui donne du bonheur, avec une composante artistique, et une composante technique ; aucune science là-dedans), et la gastronomie moléculaire, qui est une discipline scientifique, et qui n’est donc pas une avancée scientifique, pas plus que la chimie ou l’astronomie ne sont des avancées scientifiques (lisez moi lentement, svp).
Je répète : l’astronomie ou la biologie moléculaire, ou la chimie, ou la physique, ou la gastronomie moléculaire sont des sciences, des disciplines scientifiques. Ce ne sont pas des avancées scientifiques, donc.
En revanche, dans chaque discipline, il y a des découvertes (scientifiques, donc, puisque ce sont des sciences). Par exemple, je crois que le travail que j’avais publié sur la « robustesse » des recettes est un beau travail scientifique, dans le champ de la gastronomie moléculaire.
La cuisine moléculaire, qui est une des applications de la gastronomie moléculaire, n’est donc ni une avancée scientifique, puisque c’est une application de la science, et que, de ce fait, elle sort du champ scientifique, ni une discipline scientifique. C’est de la cuisine. Donc il y aura certains cuisiniers qui la feront dans une direction artistique, et d’autres dans une direction technique. Dans les deux cas, sans volonté de donner du bonheur aux convives, c’est sans intérêt (cette dernière déclaration est un parti pris personnel de quelqu’un qui ne cesse de répéter que « le summum de l’intelligence, c’est la bonté et la droiture »).
Ce matin, beaucoup de correspondance, venant d'élèves de Première, qui font des Travaux personnels encadrés. L'un de ces messages posait deux questions :
La cuisine moléculaire peut-elle améliorer la cuisine traditionnelle ?
La réponse s'impose :
Non. La question est comme « la musique sérielle peut-elle améliorer la musique baroque » : cela n’a pas de sens. La musique baroque est la musique baroque, et la musique sérielle est la musique sérielle.
En revanche, oui, je crois que de nouveaux ustensiles s’imposent, pour mieux filtrer, mieux chauffer, mieux broyer, mieux… Par exemple, l’emploi de l’azote liquide fait des sorbets et des glaces aux cristaux de glace bien plus petits qu’avec une sorbetière. Par exemple, un filtre à verre fritté de laboratoire clarifie mieux qu’une clarification à l’œuf battu.
La cuisine moléculaire doit-elle être considérée comme un art ou comme une réelle avancée scientifique ?
Réponse : je vois que vous confondez cuisine moléculaire (de la cuisine, donc une activité qui donne du bonheur, avec une composante artistique, et une composante technique ; aucune science là-dedans), et la gastronomie moléculaire, qui est une discipline scientifique, et qui n’est donc pas une avancée scientifique, pas plus que la chimie ou l’astronomie ne sont des avancées scientifiques (lisez moi lentement, svp).
Je répète : l’astronomie ou la biologie moléculaire, ou la chimie, ou la physique, ou la gastronomie moléculaire sont des sciences, des disciplines scientifiques. Ce ne sont pas des avancées scientifiques, donc.
En revanche, dans chaque discipline, il y a des découvertes (scientifiques, donc, puisque ce sont des sciences). Par exemple, je crois que le travail que j’avais publié sur la « robustesse » des recettes est un beau travail scientifique, dans le champ de la gastronomie moléculaire.
La cuisine moléculaire, qui est une des applications de la gastronomie moléculaire, n’est donc ni une avancée scientifique, puisque c’est une application de la science, et que, de ce fait, elle sort du champ scientifique, ni une discipline scientifique. C’est de la cuisine. Donc il y aura certains cuisiniers qui la feront dans une direction artistique, et d’autres dans une direction technique. Dans les deux cas, sans volonté de donner du bonheur aux convives, c’est sans intérêt (cette dernière déclaration est un parti pris personnel de quelqu’un qui ne cesse de répéter que « le summum de l’intelligence, c’est la bonté et la droiture »).
vendredi 25 septembre 2009
Que mangerons-nous demain ?
Je poursuis la publication des billets parus dans l'Humanité. Voici le dernier publié, mais pas le dernier préparé.
Il y a un siècle, on prédisait que, en l’an 2000, on mangerait des « tablettes nutritives », que la « chimie » résoudrait le problème de l’alimentation du monde. En 2009, nous continuons à manger des poulets rôtis, comme au Moyen-Âge. Et demain ?
Nous mangerons ce que nous avons décidé de manger… si notre agriculture suffit à nourrir une humanité qui augmente encore… et il n’y aura jamais de chimie en cuisine. Oui, il n’y aura jamais de chimie en cuisine, parce que la chimie est une science, c’est-à-dire une activité de production de connaissances ! Cessons de confondre la science (qui cherche les mécanismes des phénomènes ; par exemple, pourquoi les steaks sautés brunissent-ils ?) et la technologie, c’est-à-dire l’application des connaissances en vue de « perfectionner » les techniques. Louis Pasteur s’est battu toute sa vie pour expliquer qu’il n’y a pas de « sciences appliquées », mais seulement des applications des sciences. D’ailleurs, les prétendues « technosciences » ne seraient-elles pas que de la technologie fautivement nommée ?
La science, dangereuse ? Non, mais ses applications peuvent l’être. Qui est responsable d’Hiroshima ? Pas Pierre et Marie Curie quand ils ont exploré la structure de l’atome, mais bien ceux qui ont fabriqué la bombe et qui l’ont lâchée sur une ville japonaise. Qui est responsable des gaz de combat ? Pas les chimistes, mais ceux qui les ont fabriqué et utilisé.
Le problème vient souvent des mots, et ici, je crois qu’il faut cesser de nommer « chimie » l’activité d’applications des résultats de la science chimique. D’ailleurs, il serait temps de reconnaître que l’application des connaissances de la chimie n’est pas systématiquement mauvaise, et j’invite les lecteurs de l’Humanité au colloque « Chimie et alimentation » qu’organise la Maison de la chimie le 7 octobre, à Paris. N’ayons pas peur de discuter de la chimie, de ses relations avec la cuisine : pourquoi l’ancien serait-il toujours bon (le barbecue dépose sur les viandes des benzopyrènes cancérogènes) et le nouveau toujours mauvais (les pesticides…) ? Evidemment, le nouveau n’est pas toujours bon non plus.
Regardons y de plus près : la cuisine de demain peut être encore meilleure que celle d’aujourd’hui… si nous travaillons, réfléchissons, débattons, cherchons. Vive la connaissance !
Il y a un siècle, on prédisait que, en l’an 2000, on mangerait des « tablettes nutritives », que la « chimie » résoudrait le problème de l’alimentation du monde. En 2009, nous continuons à manger des poulets rôtis, comme au Moyen-Âge. Et demain ?
Nous mangerons ce que nous avons décidé de manger… si notre agriculture suffit à nourrir une humanité qui augmente encore… et il n’y aura jamais de chimie en cuisine. Oui, il n’y aura jamais de chimie en cuisine, parce que la chimie est une science, c’est-à-dire une activité de production de connaissances ! Cessons de confondre la science (qui cherche les mécanismes des phénomènes ; par exemple, pourquoi les steaks sautés brunissent-ils ?) et la technologie, c’est-à-dire l’application des connaissances en vue de « perfectionner » les techniques. Louis Pasteur s’est battu toute sa vie pour expliquer qu’il n’y a pas de « sciences appliquées », mais seulement des applications des sciences. D’ailleurs, les prétendues « technosciences » ne seraient-elles pas que de la technologie fautivement nommée ?
La science, dangereuse ? Non, mais ses applications peuvent l’être. Qui est responsable d’Hiroshima ? Pas Pierre et Marie Curie quand ils ont exploré la structure de l’atome, mais bien ceux qui ont fabriqué la bombe et qui l’ont lâchée sur une ville japonaise. Qui est responsable des gaz de combat ? Pas les chimistes, mais ceux qui les ont fabriqué et utilisé.
Le problème vient souvent des mots, et ici, je crois qu’il faut cesser de nommer « chimie » l’activité d’applications des résultats de la science chimique. D’ailleurs, il serait temps de reconnaître que l’application des connaissances de la chimie n’est pas systématiquement mauvaise, et j’invite les lecteurs de l’Humanité au colloque « Chimie et alimentation » qu’organise la Maison de la chimie le 7 octobre, à Paris. N’ayons pas peur de discuter de la chimie, de ses relations avec la cuisine : pourquoi l’ancien serait-il toujours bon (le barbecue dépose sur les viandes des benzopyrènes cancérogènes) et le nouveau toujours mauvais (les pesticides…) ? Evidemment, le nouveau n’est pas toujours bon non plus.
Regardons y de plus près : la cuisine de demain peut être encore meilleure que celle d’aujourd’hui… si nous travaillons, réfléchissons, débattons, cherchons. Vive la connaissance !
jeudi 24 septembre 2009
Dans la série des textes publiés dans l'Humanité la semaine passée, voici le troisième.
A noter, pour les quelques uns qui croient que je suis communiste (commentaires reçus mais non publiés) que les Ateliers expérimentaux du goût avaient été introduits grâce au ministre de l'Education nationale, en 2001, quand le gouvernement était socialiste, et que l'Institut des hautes études de la gastronomie a été créé en 2004, quand Renaud Dutreil, de droite, était ministre des PME.
Alors...
Pourquoi sommes-nous si peu à nous inquiéter du gaspillage d’énergie dû à l’activité culinaire ? Il y a pourtant une grande déraison à rejeter dans l’atmosphère l’essentiel de cette énergie que nous devons produire, ce qui engendre des déchets, que nous devons transporter, ce qui multiplie les installations (avec rendement de 20 pour cent, on diminuerait le nombre de lignes par quatre !), que nous payons (à la fin du mois, la facture d’énergie est lourde)…
Comment nous y prendre mieux ? Les fours à micro-ondes sont bien plus efficaces que les plaques à gaz ou les classiques plaques chauffantes… mais, malgré les « plats brunisseurs » et autres gadgets jamais vraiment utilisés, on ne fait pas de poulet rôti avec des micro-ondes.
Reste l’induction, et je suis heureux d’avoir récemment vu, dans un supermarché de campagne, les premières plaques à induction à prix abordable. Ce sont des outils culinairement remarquables : à volonté, elles chauffent très doucement, régulièrement, ou, au contraire, très fort, passant instantanément de l’un à l’autre. Que les lecteurs de l’Humanité se rassurent : je n’ai aucun intérêt dans les sociétés qui les fabriquent ou qui les vendent, sauf l’intérêt collectif, le souci du gaspillage énergétique actuel.
Hélas, ces systèmes font peur : induction électromagnétique ! Ne vont-ils pas nous donner des cancers ? Nous avons sans doute raison de nous méfier de ce que nous comprenons mal, mais nous devons nous seulement nous méfier, et pas plus. Par exemple, mettons une main, paume vers la joue, le plus près possible sans que la main touche la joue : nous sentons de la chaleur… parce que des rayonnements infrarouges passent de la main à la joue. Avons-nous peur de ces rayons invisibles ?
De toute façon, les hésitations seront balayées par l’augmentation prochaine du prix de l’énergie. Avec la fin du pétrole, nous serons tous obligés de nous préoccuper de l’énergie gaspillée dans nos cuisines. Nous devrons parler à nouveau d’ « économie domestique », notion considérée comme ringarde, mais qui a l’avantage qu’elle nous fait la vie plus belle individuellement et collectivement… et c’est alors que nous comprendrons que des braisages bien conduits sont économiques : les viandes ainsi cuites ne se contractent pas à la cuisson (quand on cuit 100 grammes de viande, on sert presque 100 grammes de viande) ; les viandes dures s’attendrissent (or du collier de bœuf, à quatre euros le kilogramme, c’est quand même moins cher que du filet à vingt euros) ; les préparations ont plus de goût, pour des raisons un peu longues à expliquer ici.
Demain ? J’espère que l’on parlera à nouveau d’économie domestique dès l’Ecole !
A noter, pour les quelques uns qui croient que je suis communiste (commentaires reçus mais non publiés) que les Ateliers expérimentaux du goût avaient été introduits grâce au ministre de l'Education nationale, en 2001, quand le gouvernement était socialiste, et que l'Institut des hautes études de la gastronomie a été créé en 2004, quand Renaud Dutreil, de droite, était ministre des PME.
Alors...
Pourquoi sommes-nous si peu à nous inquiéter du gaspillage d’énergie dû à l’activité culinaire ? Il y a pourtant une grande déraison à rejeter dans l’atmosphère l’essentiel de cette énergie que nous devons produire, ce qui engendre des déchets, que nous devons transporter, ce qui multiplie les installations (avec rendement de 20 pour cent, on diminuerait le nombre de lignes par quatre !), que nous payons (à la fin du mois, la facture d’énergie est lourde)…
Comment nous y prendre mieux ? Les fours à micro-ondes sont bien plus efficaces que les plaques à gaz ou les classiques plaques chauffantes… mais, malgré les « plats brunisseurs » et autres gadgets jamais vraiment utilisés, on ne fait pas de poulet rôti avec des micro-ondes.
Reste l’induction, et je suis heureux d’avoir récemment vu, dans un supermarché de campagne, les premières plaques à induction à prix abordable. Ce sont des outils culinairement remarquables : à volonté, elles chauffent très doucement, régulièrement, ou, au contraire, très fort, passant instantanément de l’un à l’autre. Que les lecteurs de l’Humanité se rassurent : je n’ai aucun intérêt dans les sociétés qui les fabriquent ou qui les vendent, sauf l’intérêt collectif, le souci du gaspillage énergétique actuel.
Hélas, ces systèmes font peur : induction électromagnétique ! Ne vont-ils pas nous donner des cancers ? Nous avons sans doute raison de nous méfier de ce que nous comprenons mal, mais nous devons nous seulement nous méfier, et pas plus. Par exemple, mettons une main, paume vers la joue, le plus près possible sans que la main touche la joue : nous sentons de la chaleur… parce que des rayonnements infrarouges passent de la main à la joue. Avons-nous peur de ces rayons invisibles ?
De toute façon, les hésitations seront balayées par l’augmentation prochaine du prix de l’énergie. Avec la fin du pétrole, nous serons tous obligés de nous préoccuper de l’énergie gaspillée dans nos cuisines. Nous devrons parler à nouveau d’ « économie domestique », notion considérée comme ringarde, mais qui a l’avantage qu’elle nous fait la vie plus belle individuellement et collectivement… et c’est alors que nous comprendrons que des braisages bien conduits sont économiques : les viandes ainsi cuites ne se contractent pas à la cuisson (quand on cuit 100 grammes de viande, on sert presque 100 grammes de viande) ; les viandes dures s’attendrissent (or du collier de bœuf, à quatre euros le kilogramme, c’est quand même moins cher que du filet à vingt euros) ; les préparations ont plus de goût, pour des raisons un peu longues à expliquer ici.
Demain ? J’espère que l’on parlera à nouveau d’économie domestique dès l’Ecole !
mercredi 23 septembre 2009
Le naturel ? On nous ment !
La nature ? Je ne comprends pas pourquoi nous voulons à toute force qu’elle soit « bonne « ! Pourtant nature produit la cigüe, à côté de la carotte (sauvage), et la cigüe tue ! Il faut que l’humanité choisisse judicieusement la carotte pour ne pas périr empoisonnée. Mieux, même, il faut qu’une longue sélection conduise de la carotte sauvage, fibreuse, grosse comme un crayon, à nos grosses carottes orange et sucrées, pour que nous ayons le plaisir de manger de délicieuses « carotte à la Vichy »… qui sont donc artificielles.
Oui, nos aliments ne sont pas naturels, mais artificiels : est naturel ce que l’on trouve dans la nature ; or on n’a jamais trouvé de soufflé, de frites, de pot-au-feu… dans la nature. Ces mets délicieux (quand ils sont bien faits et quand nous les aimons) sont « artificiels », puisqu’ils sont le produit du travail, du soin, du savoir-faire !
Pourtant, nos produits alimentaires, aux étiquettes rédigées par des hommes et des femmes du « commerce », ne cessent de mentir, en nous faisant gober des « arômes naturels », des ingrédients « naturellement riches » (riches !) en vitamines… Regardons autour de nous : nous verrons ainsi mieux que tous ceux qui nous refilent du « naturel » veulent en réalité nous vendre des produits ou de l’idéologie. Résistons !
A ce point, on voit combien Cicéron avait raison de dire que « tout homme qui ne connaît que sa génération est un enfant » : en matière alimentaire, nous ignorons souvent que nous sommes la première génération de l’histoire de l’humanité qui n’a pas souffert de famine (dans nos pays industrialisés !). Pour comprendre ce que nous mangeons, pour être libre, libre notamment de choisir ce que nous voulons mangeons, il nous faut de la connaissance.
Et, évidemment, me voici conduit à évoquer le rôle essentiel de l’Ecole. Il est normal que l’enseignement de la cuisine en ait disparu, parce que le rôle de l’Ecole n’est pas de « gaver des oies », mais d’allumer des brasiers, d’instiller l’esprit de recherche, qui nous fera passer du rôle de machine à celui de technicien éclairé, de technologue…L’Ecole faisait une erreur en enseignant la technique de préparation du pot-au-feu ; elle doit plutôt conduire les enfants à réfléchir sur la préparation. De tous les points de vue : historique, géographique, sociologique, scientifique, littéraire, artistique… C’est pour cette raison que les Ateliers expérimentaux du goût (on les trouve en ligne ; j’invite les professeurs d’école à les utiliser) ont été introduits, depuis 2001.
Vive la connaissance !
Oui, nos aliments ne sont pas naturels, mais artificiels : est naturel ce que l’on trouve dans la nature ; or on n’a jamais trouvé de soufflé, de frites, de pot-au-feu… dans la nature. Ces mets délicieux (quand ils sont bien faits et quand nous les aimons) sont « artificiels », puisqu’ils sont le produit du travail, du soin, du savoir-faire !
Pourtant, nos produits alimentaires, aux étiquettes rédigées par des hommes et des femmes du « commerce », ne cessent de mentir, en nous faisant gober des « arômes naturels », des ingrédients « naturellement riches » (riches !) en vitamines… Regardons autour de nous : nous verrons ainsi mieux que tous ceux qui nous refilent du « naturel » veulent en réalité nous vendre des produits ou de l’idéologie. Résistons !
A ce point, on voit combien Cicéron avait raison de dire que « tout homme qui ne connaît que sa génération est un enfant » : en matière alimentaire, nous ignorons souvent que nous sommes la première génération de l’histoire de l’humanité qui n’a pas souffert de famine (dans nos pays industrialisés !). Pour comprendre ce que nous mangeons, pour être libre, libre notamment de choisir ce que nous voulons mangeons, il nous faut de la connaissance.
Et, évidemment, me voici conduit à évoquer le rôle essentiel de l’Ecole. Il est normal que l’enseignement de la cuisine en ait disparu, parce que le rôle de l’Ecole n’est pas de « gaver des oies », mais d’allumer des brasiers, d’instiller l’esprit de recherche, qui nous fera passer du rôle de machine à celui de technicien éclairé, de technologue…L’Ecole faisait une erreur en enseignant la technique de préparation du pot-au-feu ; elle doit plutôt conduire les enfants à réfléchir sur la préparation. De tous les points de vue : historique, géographique, sociologique, scientifique, littéraire, artistique… C’est pour cette raison que les Ateliers expérimentaux du goût (on les trouve en ligne ; j’invite les professeurs d’école à les utiliser) ont été introduits, depuis 2001.
Vive la connaissance !
mardi 22 septembre 2009
Je rabache un peu... mais ce n'est pas inutile
Oui, je rabache, puisque je mets maintenant, dans les cinq jours qui viennent, des textes publiés dans le journal l'Humanité, qui m'avait invité à faire le quatrième de couverture, chaque jour de la semaine dernière.
Toutefois :
- les combats sont gagnés par l'opiniâtreté
- je ne suis pas certain que tout le monde lise l'Humanité.
- autres causes variées et secondaires
Voici donc le premier billet :
En ces siècles de plomb où l’argent tient lieu de valeur morale, la connaissance est notre meilleur rempart contre l’intolérance ! Jamais autant qu’aujourd’hui il n’a été aussi nécessaire de combattre les confusions, qui, souvent, mènent à l’intolérance, servant les intérêts marchands, permettant la manipulation des peuples.
Tiens, un exemple : la « cuisine moléculaire », que l’on confond avec la « gastronomie moléculaire ». On croit fautivement que la gastronomie est une « cuisine pour riches », un cuisine d’apparat… alors que celui qui propagea le mot en français l’a bien dit : la gastronomie, c’est de la connaissance, pas de la cuisine ! Un historien qui étudie l’histoire du pot de terre fait de la gastronomie historique. Un géographe qui étudie les variations régionales du cassoulet fait de la gastronomie géographique. Un scientifique qui étudie les phénomènes qui surviennent lors des transformations culinaires fait de la « gastronomie moléculaire ».
Puisque je dois me présenter aux lecteurs de l’Humanité, que j’accompagnerai cette semaine, il faut que je dise que c’est cette dernière entreprise qui me passionne : étudier pourquoi et comment les viandes rouges brunissent quand elles sont rôties, pourquoi et comment les soufflés gonflent, pourquoi et comment les légumes s’amollissent à la cuisson, pourquoi et comment les sauces se lient, la mayonnaise prend… Cette étude, quand elle est fait avec les méthodes de la science, c’est de la gastronomie moléculaire.
Ce n’est donc pas de la « cuisine moléculaire », qui, elle, est une mode culinaire, comme l’a été la nouvelle cuisine dans les années 1970, et comme le sera j’espère la « cuisine note à note » dans un futur proche. En 1980, avec un ami physicien anglais, nous avons observé que la pratique culinaire était quasi médiévale : mêmes casseroles, mêmes recettes, mêmes méthodes… Les casseroles étaient en acier inoxydable et non plus en terre, et quelques ustensiles avaient été mécanisés… mais ce n’était pas un bouleversement de principe ! Pis encore, nous avons observé –ce qui reste vrai- que la cuisson des aliments était un terrible gaspillage énergétique. Développant la gastronomie moléculaire, nous avons aussi voulu proposer d’en utiliser les résultats. Et c’est ainsi qu’est née la « cuisine moléculaire », une forme de cuisine qui fait état de « nouveaux » ingrédients, ustensiles, méthodes.
Elle a suscité une guerre des Anciens et des Modernes… mais vite, travaillons, passons à la suite : vive la connaissance !
Toutefois :
- les combats sont gagnés par l'opiniâtreté
- je ne suis pas certain que tout le monde lise l'Humanité.
- autres causes variées et secondaires
Voici donc le premier billet :
En ces siècles de plomb où l’argent tient lieu de valeur morale, la connaissance est notre meilleur rempart contre l’intolérance ! Jamais autant qu’aujourd’hui il n’a été aussi nécessaire de combattre les confusions, qui, souvent, mènent à l’intolérance, servant les intérêts marchands, permettant la manipulation des peuples.
Tiens, un exemple : la « cuisine moléculaire », que l’on confond avec la « gastronomie moléculaire ». On croit fautivement que la gastronomie est une « cuisine pour riches », un cuisine d’apparat… alors que celui qui propagea le mot en français l’a bien dit : la gastronomie, c’est de la connaissance, pas de la cuisine ! Un historien qui étudie l’histoire du pot de terre fait de la gastronomie historique. Un géographe qui étudie les variations régionales du cassoulet fait de la gastronomie géographique. Un scientifique qui étudie les phénomènes qui surviennent lors des transformations culinaires fait de la « gastronomie moléculaire ».
Puisque je dois me présenter aux lecteurs de l’Humanité, que j’accompagnerai cette semaine, il faut que je dise que c’est cette dernière entreprise qui me passionne : étudier pourquoi et comment les viandes rouges brunissent quand elles sont rôties, pourquoi et comment les soufflés gonflent, pourquoi et comment les légumes s’amollissent à la cuisson, pourquoi et comment les sauces se lient, la mayonnaise prend… Cette étude, quand elle est fait avec les méthodes de la science, c’est de la gastronomie moléculaire.
Ce n’est donc pas de la « cuisine moléculaire », qui, elle, est une mode culinaire, comme l’a été la nouvelle cuisine dans les années 1970, et comme le sera j’espère la « cuisine note à note » dans un futur proche. En 1980, avec un ami physicien anglais, nous avons observé que la pratique culinaire était quasi médiévale : mêmes casseroles, mêmes recettes, mêmes méthodes… Les casseroles étaient en acier inoxydable et non plus en terre, et quelques ustensiles avaient été mécanisés… mais ce n’était pas un bouleversement de principe ! Pis encore, nous avons observé –ce qui reste vrai- que la cuisson des aliments était un terrible gaspillage énergétique. Développant la gastronomie moléculaire, nous avons aussi voulu proposer d’en utiliser les résultats. Et c’est ainsi qu’est née la « cuisine moléculaire », une forme de cuisine qui fait état de « nouveaux » ingrédients, ustensiles, méthodes.
Elle a suscité une guerre des Anciens et des Modernes… mais vite, travaillons, passons à la suite : vive la connaissance !
jeudi 17 septembre 2009
Help!
Alors que je viens d'afficher des messages, je m'aperçois que je ne sais pas répondre de façon personnelle à mes correspondants/amis qui m'interrogent de façon personnelle. Quelqu'un sait-il comment récupérer les adresses de courriel des auteurs de commentaires?
Je profite du message pour répondre plus généralement, à propos de la chimie, et de ses beautés, d'autant que je sors d'une discussion avec une étudiante -disons une jeune scientifique- à laquelle j'expliquais que la science, c'est surtout du calcul.
Oui, la chimie n'est pas, je crois, la manipulation expérimentale, car celle-ci n'est que la matérialisation de l'idée. Bien sûr, l'expérience est essentielle, pour la chimie et les sciences expérimentales en général, mais l'idée formelle qui est derrière... devrait être devant.
Plus généralement, nous produisons des foules de données que nous ferions mieux d'exploiter mieux. C'est cela, la chimie. Et c'est pour cette raison que la chimie est belle, parce qu'elle est un mélange sensuel de production de données et d'interprétation de données, en vue de comprendre le monde atomique qui nous entoure... mais je m'aperçois que je paraphrase un peu mon livre sur la "Sagesse du chimiste".
Livre utile, puisqu'il permet de comprendre, je crois, que l'expression "produit chimique" est tout aussi galvaudée que le "démontré scientifiquement" qui a fait l'objet d'un précédent message.
Je profite du message pour répondre plus généralement, à propos de la chimie, et de ses beautés, d'autant que je sors d'une discussion avec une étudiante -disons une jeune scientifique- à laquelle j'expliquais que la science, c'est surtout du calcul.
Oui, la chimie n'est pas, je crois, la manipulation expérimentale, car celle-ci n'est que la matérialisation de l'idée. Bien sûr, l'expérience est essentielle, pour la chimie et les sciences expérimentales en général, mais l'idée formelle qui est derrière... devrait être devant.
Plus généralement, nous produisons des foules de données que nous ferions mieux d'exploiter mieux. C'est cela, la chimie. Et c'est pour cette raison que la chimie est belle, parce qu'elle est un mélange sensuel de production de données et d'interprétation de données, en vue de comprendre le monde atomique qui nous entoure... mais je m'aperçois que je paraphrase un peu mon livre sur la "Sagesse du chimiste".
Livre utile, puisqu'il permet de comprendre, je crois, que l'expression "produit chimique" est tout aussi galvaudée que le "démontré scientifiquement" qui a fait l'objet d'un précédent message.
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