Dernier document préparé pour l'Humanité, mais le nombre de jours dans la semaine étant inférieur à mon énergie (si l'on peut dire), il n'a pas fait l'objet d'une publication.
Pour autant, je ne crois pas qu'il soit indigne :
Dans cette satire sociale et politique que sont les Voyages de Gulliver, l’écrivain irlandais Jonathan Swift montre deux peuples qui s’affrontent pour savoir par quel bout on doit ouvrir un œuf dur : les gros boutistes luttent à mort contre les petit boutistes.
Est-ce bien raisonnable ? Les études historiques montrent que, trop souvent, les combats pour des vétilles alimentaires de ce type sont un rejet de l’ « étranger ». Pour les Grecs, les barbares étaient ceux qui ne mangeaient pas comme les Grecs, et, bien souvent, les conquérants se hâtaient d’imposer aux vaincus leurs façons de table. Doit-on mettre les mains sur la table ? sous la table ? est-il supportable de poser le pain à l’envers ? doit-on rompre le pain ou le couper ? Se comporter d’une certaine façon, à table, c’est montrer la culture à laquelle on appartient… et c’est souvent être enfant.
Pourquoi certains mangent-ils des fromages qui sentent les excréments (mais à la saveur subtile) et redoutent-ils l’odeur des durians, ces fruits asiatiques… à l’odeur d’excrément et à la saveur douce ? Pourquoi certains sont-ils rebutés par la consommation de cuisses de grenouilles alors qu’à la crème, avec du vin blanc, un peu de persil, une pointe d’ail, hmmmm…
En réalité, nous gagnerions à comprendre que, comme les singes (et l’on découvre que ces derniers ont des cultures alimentaires !), nous sommes à la fois protégés et affligés par un réflexe nommé « néophobie alimentaire » : nous ne mangeons pas ce que nous ne connaissons pas… et c’est dans l’enfance, depuis le stade fœtal, que nous apprenons ce qui est « bon ». Voilà pourquoi les grands chefs ne peuvent pas lutter contre la cuisine de la grand-mère : toutes leurs innovations ne vaudront pas, biologiquement, ce que nous avons appris à reconnaître comme comestible.
Du coup, nous aurons beaucoup de difficultés à manger comme l’ « autre », nous aurons beaucoup de difficultés à comprendre comment il peut se laisser aller à manger ces choses « immangeables ».La cuisine sépare.
Pourtant, regardons-y mieux, avec l’œil technique. Quelle différence entre un tajine et une braisé bien conduit (« cendre dessus et dessous ») ? Dans les deux cas, il s’agit d’une cuisson longue et lente. Dans les deux cas, on cuit de la viande, afin de lui donner du goût, de tuer les micro-organismes et parasites qui l’infestent, on modifie la consistance pour la rendre fondante. D’ailleurs, l’analyse technique peut réconcilier les Anciens et les Modernes : au fond, la cuisson « à basse température », sous vide ou non, si en vogue aujourd’hui dans les restaurants les plus en pointe, n’est que du braisage bien conduit. Correctement conduit, avec des matériels autrement plus appropriés que le feu, et ses cendres ou braises à la température quasi incontrôlable.
D’accord, on y perd en poésie, la nostalgie de l’enfance en prend un coup… Quoi que : si l’on va au clair de lune avec son amoureuse ou son amoureux, est-on moins amoureux quand on sait pourquoi la lune brille ?
Allons, réconcilions-nous à table. Vive la connaissance !
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