Comment chercher (et trouver) du travail ?
1. Les faits
1. Un membre de notre Groupe, intelligent, modeste, travailleur, a cherché du travail pendant un an, après avoir reçu son diplôme d'ingénieur... mais il s'y est très mal pris : il s'est contenté de déposer des CV sur des sites.
Il m'a fait penser à ceux qui appellent naïvement au téléphone une seule fois quelqu'un d'occupé et qui laissent un message, attendant qu'on les rappelle ; et il me fait aussi penser à ceux qui envoient naïvement un email dans le vaste monde, à quelqu'un qu'ils ne connaissent pas.
Ils omettent que les gens occupés sont... occupés et qu'ils ont autre chose à faire que rappeler un inconnu : il faut savoir que, quand on reçoit 100 emails par heure (oui, tu as bien lu) et que l'on n'a pas réussi à répondre à certains messages d'il y a 4 ans, un message d'un inconnu pour une affaire qui n'est pas urgente glisse en bas de la pile.
Bref, un membre de notre Groupe de gastronomie moléculaire a cherché du travail, et il n'en trouvait pas, mais... il s'y prenait mal... et il ne m'avait même pas demandé de lettre de recommandation !
2. Autre exemple : un membre de notre groupe a postulé à des emplois en province, alors qu'il voulait rester à Paris. Je vous assure, pour avoir été de l'autre côté de la barrière, que cela est aussi naïf que de vouloir faire croire à un examinateur que l'on sait quelque chose que l'on ne sait pas. L'examinateur s'en aperçoit aussitôt, et il comprend, de surcroît, que son interlocuteur n'est pas honnête : c'est une très mauvaise stratégie (malhonnête, de surcroît !).
3. Quand j'embauchais des rédacteurs scientifiques, à la revue Pour la Science, j'émettais des offres d'emploi pour des personnes ayant une thèse en physique ou en chimie :
- sur 300 candidatures, 250 allaient à la poubelle parce qu'elles contenaient des fautes d'orthographe (quand même, quand on postule à un poste où l'écrit est essentiel !) ;
- sur 50, qui restaient, 30 allaient au panier, parce que les candidats me disaient qu'ils seraient heureux de venir apprendre : moi, je voulais des gens capables, qui m'aideraient à tirer la lourde charrue, pas des boulets que je devais traîner ;
- sur les 20 qui restaient, je posais 5 questions :
- quelle est l'idée de la théorie de l'évolution (programme de collège 5e : mutations, sélection des mieux adaptés à un milieu) ;
- de combien l'Amérique et l'Europe s'écartent chaque année (programme de 5e : la vitesse de croissance d'un ongle, soit 10 cm par an) ;
- qu'est ce que la réaction de Diels-Alder ? (programme de L1, en chimie)
- combien d'accordeurs de piano à Paris (calcul d'ordres de grandeur)
- qu'est-ce que l'équation de Clairaut ? (une des 5 façons de calculer des primitives, programme de Math Sup)
Et je n'ai jamais eu la réponse à mes questions ! Du coup, j'embauchais selon des critères différents, mais en étant quand même initialement déçu.
4. Toujours à la revue Pour la Science, j'ai un jour reçu une proposition de publier un manuscrit pour un livre de vulgarisation. C'était un texte impubliable, mais la personne s'était donné du mal, avait été au bout de son projet.
Et quand nous avons voulu embaucher quelqu'un, quelques mois plus tard, nous avons pensé à cette personne qui, au lieu de nous baratiner sur ses compétences, les avait démontrées.
5. J'ai un ami chasseur de têtes à Londres : il ne demande qu'une chose, c'est que les CV comportent la mention d'un accomplissement, d'une réussite bien établie (formellement), quel que soit le domaine, selon l'hypothèse que quelqu'un qui a fait quelque chose de bien une fois dans sa vie pourra se mobiliser une autre fois pour faire bien s'il est dans un cadre où il a envie de faire bien.
La conclusion s'impose :
- soit on a déjà fait quelque chose de "remarquable" (avec une vrai démonstration "officielle" ; par exemple, un concert d'un instrument, ou un prix à un concours, une médaille en sport, un diplôme supplémentaire, éventuellement sans rapport avec l'activité pour laquelle on postule), et il faut le mettre en valeur ;
- soit on n'a pas encore cela à son actif, et il est urgent de l'avoir, en creusant une activité qui nous plaît particulièrement, ou bien qui pourrait être utile à l'activité pour laquelle on postule (par exemple, on pourrait s'inscrire à une formation universitaire ou à un cours du soir en intelligence artificielle -et pas seulement s'amuser vaguement à utiliser chatGPT comme n'importe quel adolescent attardé- alors que l'on postule pour un poste de formulation dans l'industrie alimentaire ; ou encore, ou pourrait rapidement suivre des cours de rhétorique alors que l'on vise une activité d'agent de brevet ou d'expert chimiste dans un service de réglementation dans l'industrie des parfums et aromatisants ; etc.)
6. Francis Crick, l'un des découvreurs de la structure en double hélice de l'ADN, était jeune physicien à Cambridge. Un jour, sortant d'un pub où il était avec des amis, il s'est aperçu que cela faisait plusieurs fois que, dans de telles circonstances, il parlait de biologie à ses amis. Il conclut que c'était donc ce qu'il aimait, et qu'il devait faire.
Il changea de recherche... et eut le prix Nobel quatre ans après.
Il a érigé cette idée en règle pour personnes hésitantes, sous le nom de tests du bavardage : il faut faire ce que l'on aime.
J'ajoute d'ailleurs que, souvent, ce que l'on aime est ce que l'on a fait adolescent avec beaucoup d'énergie. Et que si l'on fait professionnellement quelque chose que l'on aime, alors on a l'impression de ne pas travailler, d'être toujours en "vacances" (un mot que je n'aime pas parce qu'il a la même racine que vide, vacuité : moi, je veux m'emplir la tête, pas me la vider).
7. Un autre membre de notre Groupe de recherche était compétent, bien diplômé, et il cherchait du travail, mais avait passé une année sans trouver. J'ai appris cela par hasard... mais j'ai surtout appris que notre jeune ami, selon des conceptions politiques discutables, ne voulait pas se mettre en avant, ne se sentait pas le droit moral de "passer avant les autres".
Comment n'avait-il pas compris que, de l'autre côté de la barrière, si l'on reçoit 100 candidats, il faut en sélectionner un, et un seul, et que c'est celui qui "dépassera" que l'on retiendra ? J'ajoute que, quand on embauche quelqu'un pour son équipe, les compétences et le "potentiel" sont importants, mais il faut aussi que l'on ait de la "sympathie" pour l'impétrant (ce qui n'a pas pour conclusion qu'il faille se comporter en -faux- ami, lors de l'entretien).
8. Un des membres de notre Groupe avait passé sa thèse, et il cherchait du travail. Il avait suivi mes conseils précédents et, en conséquence logique, il avait obtenu des rendez-vous pour des entretiens d'embauche.
Le premier rendez-vous n'avait pas donné de résultat. Le deuxième non plus. Comme le troisième non plus, nous avons pris du temps pour analyser en détail ses "prestations", et nous avons finalement observé (son analyse) qu'il avait manqué d'enthousiasme pour le poste postulé (et la vie en général).
Pour les entretiens suivants, je lui ai proposé d'analyser chaque fois, point à point, la manière dont cela se passait (avec un tableau, et un "soliloque", voir ce document). Progressivement il a réussi à identifier des comportements négatifs et positifs, en concluant surtout qu'il y avait lieu de montrer beaucoup de feu, d'enthousiasme sincère pour l'activité qu'il voulait (vraiment) exercer.
Après une année d'apprentissage il était vraiment "meilleur"... et il a été embauché. Il est aujourd'hui responsable de tous les laboratoires d'analyse d'un gros groupe pharmaceutique.
Cet exemple n'est pas isolé : deux autres membres de notre Groupe, dans des situations analogues, ont eu de difficiles débuts analogues, puis des trajectoires analogues.
Bref :
- Dieu vomit les tièdes
- on aime mieux une activité si on sait pourquoi on l'aime (et, d'ailleurs, on l'exerce mieux si on la comprend mieux).
2. Analysons
Il faut dépasser l'idée naïve selon laquelle les services de RH font leur travail.
Ou, plus exactement, ils font leur travail administratif, mais ils n'ont guère de temps pour s'intéresser à ta petite personne : ils reçoivent des milliers de demandes, et ta candidature passe complètement inaperçue.
En conséquence, ce n'est pas par eux qu'il faut passer, et il faut fonctionner différemment, se donner du mal (y mettre beaucoup d'énergie, pendant des journées entières, du matin au soir) pour finir par identifier des personnes cibles, et identifier LA personne auprès de qui tu veux travailler.
Ensuite, deux solutions :
- soit tu fais intervenir autrui... mais c'est une mauvaise solution, parce que tu n'es pas autonome ;
- soit tu agis toi-même : mieux.
Surtout, en se reportant à ce qui est dans "Les Faits", on se remémorera ce qui a été attribué à Ford : "Ne me demandez pas ce que l'entreprise va faire pour vous ; dites-moi plutôt ce que vous voulez faire pour l'entreprise".
C'est cruel, et injuste, mais il y a un fond de vérité : si tu postules, c'est parce que tu te sents capables de contribuer.
Alors démontre-le !
Un corollaire : si tu postules pour une société, avec des compétences que la société a déjà, tu n'as guère d'intérêt pour la société, qui te prendra éventuellement pour emplir une case, prendre un poste, sans beaucoup d'espoir (et avec la perspective de devoir te former pour que tu puisses conduire la société à faire mieux qu'elle ne fait) ; bref, tu n'apportes guère à la société. Mais si tu a des compétences que la société n'a pas, alors tu es plus intéressant, parce que tu pourras immédiatement l'aider.
Par exemple, la maîtrise de techniques comme la chromatographie UV-visible est déjà partout, dans la plupart des sociétés : difficile de faire penser à une société à laquelle on postule qu'on va lui être vraiment utile. Inversement, peu de sociétés savent utiliser la spectroscopie RMN, et elles ignorent même comment cela peut leur être utile. Donc se former en RMN semble être une bonne solution, non ?
3. Ma proposition, je ne veux en entendre aucune autre
Pour trouver du travail :
1. identifier une entreprise (je me répète : pas de lettres circulaires ! elles vont au panier) ;
2. identifier un secteur d'activités précis, dans l'entreprise ;
3. identifier un point particulier où tu pourrais apporter quelque chose ;
4. faire une lettre en proposant un travail que tu voudrais faire, en expliquant bien comment tu voudrais le faire et en quoi il peut être utile à l'entreprise à laquelle tu postule ;
5. accompagner ta demander d'un projet de développement industriel, structuré (une dizaines de pages minimum), pour montrer ce que tu es capable de faire.
Ne te fais pas d'illusion : ton projet ne sera sans doute pas retenu, mais tu auras montré, démontré même, que tu es vraiment intéressé : je ne connais pas de responsable capable de résister à un tel investissement (si la capacité est bien présente, évidemment).
La lettre de motivation doit être ainsi structurée (et les entretiens aussi !) :
1. votre société est merveilleuse parce que…. : cela suppose évidemment d’avoir vu précisément ce que fais la société, au point même d’avoir une idée de ce qu’elle ne fait pas (publiquement) et, donc, de ce qu’elle pourrait faire (voir point 4)
2. voila ce que je sais faire : cela ne sert à rien de prétendre avoir des compétences que l’on n’a pas, et personne ne demande à un étudiant de savoir tout faire ; il faut être honnête (évidemment), mais précis, technique, et bien dire ce que l’on a fait (les interlocuteurs ne le savent pas) ; un bon conseil, montrer que l’on a été passionné par ce que l’on a fait !
3. j’ai très envie de travailler chez vous parce que : ici, il faut se creuser un peu le cœur pour dire la vérité !
4. j’ai eu une idée : je vous propose le développement suivant : ça, c’est le point le plus important, à mon avis, parce que jamais fait, et aussi parce que l'on « montre les dents du cheval », lesquelles ne trompent pas
a. trouver une idée d’un développement possible en rapport avec la société (pas difficile de trouver une idée : il suffit de chercher activement ; sais-tu comment ?)
b. faire un vrai projet industriel de développement, comme je vous ai montré de le faire, à savoir :
Objectif
Analyse du problème
Proposition de solution
Détails pratiques de la mise en œuvre : agenda, rétroplanning, moyens nécessaires, étapes clé, etc.
Evaluation
En conséquence :
- je ne donnerai de lettre de recommandation un peu personnalisée qu'à des personnes qui auront satisfait aux 5 critères précédents (surtout le 5).
- je ne transmettrai pas de CV dans le vide : cela ne sert à rien (ça dessert, même).
4. En conclusion
La règle essentielle est : montrer que l’on est unique, et, surtout, que l’on est quelqu’un qui serait un merveilleux collaborateur, parce qu’il apportera de l’aide, qu’il tirera efficacement la charrue que l’on espère commune.
Important aussi :
1. Montrer que l’on a des idées (des propositions de travaux utiles à l’entreprise où l’on veut travailler) pour alléger la charge de ceux que l’on rencontre et augmenter son succès (au risque de me répéter, tout est une question de travail).
2. Montrer de l'enthousiasme pour l'activité visée... ce qui peut se faire si l'on a soi-même compris pourquoi cette activité nous plaît.
Annexe :
Comment choisir un métier
Tu hésites sur le métier que tu veux faire ? Il y a d'abord le "test du bavardage" : ce qui nous plait, c'est ce que nous disons à nos amis (pour celles et ceux qui ne sont pas faibles au point de se laisser aller à parler du dernier film sorti, ou de toute autre poussière du monde.
Mais il y a aussi lieu de faire un tableau (attention : pas seulement cinq ou six cases comme ci dessous, mais beaucoup de lignes, et, surtout, beaucoup de texte à l'intérieur de chaque case, suite à une analyse serrée):
Activité/ Intérêt intrinsèque/ Intérêts extrinsèques/ Intérêts concomitants
Formulateur
Manager
Technico-commercial
Service qualité
...
Cette table doit être remplie sans fantasme sur les activités identifiées, et l'analyse doit être faite après examen précis (rédigé, pas de baratin oral !)des diverses activités.
Quand je dis "sans fantasme", cela signifie que l'on doit avoir considéré le métier d'un point de vue pratique, concret, en cherchant ce que l'on fait du matin au soir, minute après minutes, et tous les jours de l'année.
Cela dit, il faut expliquer :
1. L'intérêt intrinsèque, c'est combien cette activité (pratique, sans fantasme) nous plaît. Par exemple, pour moi, la chimie a un intérêt intrinsèque absolu et, telle une plante verte sans lumière, je ne survivrais que difficilement sans en faire... mais j'ai des amis qu'elle ne fascine pas : à chacun d'y mettre la valeur qu'il veut (par exemple entre 0 et 10) ;
2. Les intérêts extrinsèques, ce sont : le salaire, la voiture de fonction, les tickets restaurants, la hauteur de la moquette, etc. : là encore, il y a des intérêts différents selon les personnes ;
Les intérêts concomitants : la reconnaissance sociale, par exemple. Idem.
Mais il faut ajouter immédiatement qu'il faut des "pondérations" pour chaque type d'intérêt. Par exemple, je suis de ceux qui pondéreraient Intrinsèque 90, Extrinsèque 10, Concomitant 0. Mais cela dépend de chacun.
En tout cas, l'idée, pour choisir un métier, consiste à mettre des "notes" dans les cases, puis à faire les totaux, en vue d'identifier l'activité que l'on "préfère".
Si l'on a bien argumenté (pas un mot, mais au moins 2000 signes pour chacune des cases), alors on peut se déterminer.
La soumission doit comporter :
- des lettres de motivations
- des cv
- le projet industriel.
La lettre de motivation doit être ainsi structurée (et les entretiens aussi !) :
1. votre société est merveilleuse parce que…. : cela suppose évidemment d’avoir vu précisément ce que fait la société, au point même d’avoir une idée de ce qu’elle ne fait pas (publiquement) et, donc, de ce qu’elle pourrait faire (voir point 4);
2. voici ce que je sais faire : attention, cela ne sert à rien de prétendre avoir des compétences que l’on n’a pas, et personne ne demande à un étudiant de savoir tout faire ; il faut être honnête (évidemment), mais précis, technique (voir les RCC généraux et particuliers), et bien dire ce que l’on a fait (les interlocuteurs ne le savent pas) ; un bon conseil, montrer que l’on a été passionné par ce que l’on a fait !
3. j’ai très envie de travailler chez vous en particulier parce que : ici, il faut se creuser un peu le cœur pour dire la vérité !
4. j’ai eu une idée : je vous propose le développement suivant : ça, c’est le point le plus important, à mon avis, parce que jamais fait, et aussi parce que on « montre les dents du cheval », lesquelles ne trompent pas
a. trouver une idée d’un développement possible en rapport avec la société (pas difficile de trouver une idée : il suffit de chercher activement ; sais-tu comment ?)
b. faire un vrai projet industriel de développement, comme je vous ai montré de le faire, à savoir :
Objectifs
Analyse du problème
Proposition de solution
Détails pratiques de la mise en œuvre : agenda, rétroplanning, moyens nécessaires, étapes clé, etc.
Evaluation
Bref, ici, il faut montrer que l’on est un ingénieur capable, pratique, intelligent, raisonnable…
Ne pas oublier qu’il existe des moyens de bien faire : Mind Mapping, Rétroplanning, etc. Il existe des feuilles « Comment » à ta disposition, et des logiciels gratuits en ligne.
Ne pas oublier :
• des lettres de recommandation qui ne soient pas de l'eau tiède (rien de pire);
• une lettre de motivation manuscrite (en français, souvent), et deux lettres de motivations dactylographiées (une en anglais, une en français) ; sans faute d'orthographe (!!!!!!!!!!!!) et pas de "Madame, Monsieur" en entrée;
• les cv en français et en anglais (et svp, dans les "autres", pas de "voyages" ou "musique", comme on en trouve dans le cv de n'importe qui);
• utiliser la liste de distribution « gastronomie moléculaire », afin de demander de l’aide à tous nos amis;
• s’accrocher comme un morpion : quand on appelle quelqu’un, on n’appelle pas mollement une fois, mais dix fois dans la demi-journée ; quand on envoie un email, cela n’est rien et il en faut plein
• supposons que la probabilité d’une réponse positive soit de 1 % ; si l’on envoie 100 cv, alors on a 1 chance d’être pris… sauf que les fluctuations statistiques sont que l’on peut tomber sur 0 ou sur 2. Il faut donc envoyer non pas 100, mais 1000 cv, pour avoir 10 réponses positives, soit entre 8 et 10 avec les fluctuations !
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
jeudi 7 août 2025
Comment chercher du travail
mercredi 6 août 2025
Expliquons clairement, en reprenant les choses à leur racine
Regardant hier la "méthode de Newton" pour la résolution numérique des équations algébriques, j'en vois des descriptions qui me satisfont pas.
Non pas pour moi mais pour mes jeunes amis avec lesquels je voudrais partager mon émerveillement pour ce type de travaux.
Et cela ne me satisfait pas... à commencer par le nom de "méthode", puisqu'une méthode est le choix d'un chemin. Or ici, il ne s'agit pas du choix d'un chemin, mais d'un procédé technique et l'on devrait donc parler de la technique ou du procédé de Newton.
D'autre part, je ne sais pas où les personnes qui ont produit les explications que j'ai trouvées les ont cherché, mais finalement, je vois des agrégats embrouillés, un peu incompréhensibles, qui me font penser à ces bidouillages des analyses par chromatographie en phase gazeuse.
Expliquons la question sur ces dernières. Très souvent, quand on fait une recherche bibliographique pour trouver une technique d'analyse d'un composé par chromatographie en phase gazeuse, on voit que les auteurs utilisent des mélanges de solvants compliqués, et qu'ils font varier avec le temps d'analyse, ce que l'on nomme des gradients.
Pourquoi est-ce si compliqué ? Si l'on regarde mieux les références, on s'aperçoit que l'article que l'on avait trouvé initialement se fonde sur un article antérieur plus simple, et qu'il a adapté ce dernier pour sa propre question, compliquant la technique ; mais l'article précédent a lui-même adapté un cas différent, et ainsi de suite, si bien que l'on a finalement une sorte de Palais du facteur Cheval complètement baroque et finalement complètement incompréhensible.
Il est bon de temps en temps de revenir à des idées simples : à savoir que les composés sont solubles ou insolubles dans l'eau, par exemple. Il faut tout remettre à plat !
Pour la technique de Newton, c'est la même chose : il y a sans doute, initialement, une explication simple qui a été un peu transformée pour devenir finalement baroque.
Pourtant les choses sont simples : veut-on un algorithme efficace pour mettre en œuvre cette technique ? Cela tient alors en quelques lignes. Ou bien veut-on une discussion mathématique de la chose, l'analyse des convergences, l'efficacité des mesures de l'efficacité, et cetera ? C'est plus long, et pour un autre public. Ou encore veut-on "comprendre" la méthode avant de la mettre en oeuvre ? Auquel cas il suffit de quelques images.
Bref, je crois
qu'il y a d'abord lieu de se poser la question de l'objectif.
mardi 5 août 2025
Il faut transmettres des connaissances vérifiées
Alors que je viens de recevoir au laboratoire le vidéaste Jean Tertrain, passionné de cuisine, je m'aperçois que le discours que je lui ai tenu s'apparente en tous points à celui que j'ai développé la veille aux étudiants de l'université Rice : dans les deux cas, pour être utile, j'ai cherché à expliquer.
À expliquer d'abord ce qu'est la démarche
scientifique.
Puis à expliquer ce qu'est la gastronomie moléculaire et
physique, puisqu'il s'agit d'une discipline scientifique et non pas une
forme de cuisine.
Mais évidemment, ayant présenté cela en pratique et en théorie, j'ai dû discuter la question de la "cuisine moléculaire", à la fois technique ou style culinaire (il s'agit d'utiliser des matériels modernes).
Et comme la cuisine moléculaire est une chose ancienne, j'ai expliqué ce qu'est la cuisine de synthèse et la cuisine note à note, la première étant une nouvelle technique culinaire et la seconde étant un nouveau style issu de cette nouvelle technique.
Dans les deux cas, face à notre ami de la chaîne Graille et face aux étudiants de l'Université Rice, je n'ai pas pu me résoudre à omettre des discussions sur la transmission des savoirs et, notamment, des savoirs techniques et artistiques.
Il me semble que les mots s'imposent absolument et que les connaissances que l'on transmet doivent être assurées, vérifiées, référencées, sans quoi nous perdons toutes légitimité.
A ce propos, un ami vient de me confier les résultats de deux questions qu'il avait posées à l'intelligence artificielle, notamment à propos du goût et à propos de la notion de précision culinaire : dans les deux cas, différents moteurs d'intelligence artificielle ont produit de très mauvais documents, accumulant les lieux communs, les erreurs, les approximations... et ma conclusion de l'examen de ces résultats est que nous ne sommes pas prêt d'être remplacés dans ce que nous avons de meilleur.
Oui, l'intelligence artificielle peut produire des données mais que valent-elles ? Le monde culinaire, la culinosphère, bruit également de rumeurs, d'informations étranges, mais celle-ci sont aussi peu référencées et aussi peu justes que celles que nous a fourni ChatGPT et ses copains.
Bref il y a lieu de regarder le bleu du ciel plutôt que la frange du sol ; et, mieux, il nous faut nous activer pour chasser les nuages et faire un ciel encore plus bleu qu'il n'est plus aujourd'hui.
lundi 4 août 2025
Un titre ?
Dans un article, il faut une introduction qui indique succinctement ce que l'on trouvera dans l'article. Alors pourquoi un titre qui aurait la même fonction ?
De toute façon, le titre doit être plus court. Alors comment le penser ? Comme un affichage qui attire "de loin", alors que le chapô ou l'introduction doit indiquer plus explicitement, et guider.
Mais, évidemment, puisqu'il y a une question artistique, on peut changer les règles :-)
dimanche 3 août 2025
A propos de soles Dugléré
En cuisine, je crois qu'il en va de même et j'avais été très choqué dans un restaurant étoilé tenu par une dynastie de cuisiniers de voir que le chef actuel servait un plat de son père en remplaçant le beurre par la crème : ce n'était plus là le plat son père, et il n'y avait d'ailleurs pas l'intelligence du plat initial ; si son père avait décidé de la crème plutôt que du beurre ou du beurre plutôt que de la crème, c'est qu'il avait des raisons, et des raisons en selon une idée, de tout bien harmoniser selon une idée artistique.
Faire la cuisine, jouer de la musique, faire de la peinture, ce n'est pas accumuler des ingrédients, jeter des couleurs sur une toile au hasard, empiler les notes... Non, il s'agit au contraire de tout bien harmoniser selon une idée, une idée artistique.
Pour revenir à notre sole Dugléré, comment nommer une recette qui, modifiée par un artiste culinaire selon une vrai idée artistique, différerait de la sole Dugléré ? Pourrait-on trouver une dénomination pour indiquer que l'on n'a pas respecté la recette initiale ? On pourrait parler de sole "d'après Dugléré" : cela aurait l'avantage de dire qu'il ne s'agit pas de la sole Dugléré, et que l'on vient après lui. Ou bien on pourrait parler de "sole Dugléré selon Untel", ce qui aurait l'honnêteté de dire que Untel s'est inspiré de Dugléré.
Bref, l'art culinaire mérite mieux que de laisser croire un peu déloyalement un peu trop paresseusement que l'on exécute les grands classiques : on les exécute, mais trop souvent avec le sens de l'exécution par un bourreau.
Au fond, dans toute cette question, il ne s'agit pas d'abord de faire, mais de réfléchir ! Et l'art culinaire le vaut bien
samedi 2 août 2025
A propos d'adjectifs
Naguère, je m'étais donné pour règle de transformer en paramètre quantitatif chaque adjectif que je rencontrais, que j'émettais. Par exemple, au lieu de dire qu'une recette de cuisine était robuste, ou fragile, je proposais un indice de robustesse, afin de dire combien la recette était robuste, ou fragile.
Tout cela était bel et bon... mais plus récemment, j'ai publié un article qui propose de ne utiliser ni adjectif ni adverbe, sauf évidemment quand ils sont indispensables, comme dans "onde électromagnétique". On trouvera cela dans :
This vo Kientza H. 2023. Shall we get rid of adjectives and adverbs in scientific writing ? Not always. International Journal of Molecular and Physical Gastronomy, Editorial, 12, 1-5.
Et voici le paradoxe : si nous n'utilisons plus d'adjectifs, comment les transformerons-nous en paramètres quantitatifs, utiles pour avancer dans la description quantitative du monde ? Nous avons scié la branche sur laquelle nous étions assis ;-)
vendredi 1 août 2025
L'enseignement ?
En matière d'enseignement, on hésite entre l'amusement (entertainement, en anglais) et l'utilité. Il est évidemment plus facile de donner du pain et des jeux que de proposer des concepts et de l'abstraction. D'ailleurs, les évaluations des évaluations des professeurs ont bien montré que les professeurs sont mieux notés, juste après les cours, quand ils sont un peu démagogues, mais que les notations s'inversent après quelques mois ou années : les étudiants qui critiquaient des professeurs un peu rigoureux comprennent finalement que la rigueur est plus utile que l'amusement immédiat.
Et, ce matin, devant enseigner dans une université, il faut que je me décide... mais la décision est vite prise : à quoi bon perdre mon temps à aller amuser la galerie ? Décidément, il faut que je sois utile, que je transmette des informations, des notions et des concepts (les outils pour penser), des méthodes, des démarches, des valeurs... Sinon, autant rester au chaud, dans mon laboratoire : je ne suis pas un gaveur d'oie, ni un amuseur public
Quoi que...
Oui, quoi que, parce que, au fond, il n'y a pas de raison de ne pas s'amuser avec des choses captivantes, n'est-ce pas ? D'ailleurs, c'est en substance que j'ai fini par dire aux étudiants : il s'agit d'avoir un regard critique sur un "discours" que je leur tiens. Il s'agit de s'améliorer, de devenir demain plus intelligent qu'aujourd'hui. Et cela devient passionnant !