dimanche 10 novembre 2024

Attention : il y a des articles médiocres (évidemment)

Je montre un mauvais article scientifique à un jeune collègue (doctorant), et il s'étonne qu'un tel texte ait été publié dans une revue internationale. 

En réalité, puisque ce doctorant n'en est pas au tout début de sa thèse, c'est moi qui m'étonne qu'il ne sache pas que nombre d'articles publiés sont médiocres. Son directeur de thèse ne l'a-t-il pas averti de ce point essentiel ? Et pourquoi n'a-t-il pas découvert cela lui-même ? 

Discutant de cela avec un collègue senior, ce dernier me demande si je suis bien sûr que l'article est médiocre, et la réponse est oui. Oui, parce que la question qui est annoncée n'est pas celle à laquelle il est répondu. Oui, aussi parce que la conception du dispositif expérimental a prévenu toute possibilité d'interprétation. Par exemple, si on a besoin de voir des phénomènes à l'échelle du micromètre, des images avec un champ de 100 micromètres par 100 micromètres sont quasi condamnés. 

Mais il y a pire : les auteurs de l'article ont exploré un système trop "sale" pour que l'on puisse faire des interprétations. Et ainsi de suite : le texte est médiocre du début jusqu'à la fin avec notamment une partie de discussion très insuffisante, alors qu'elle aurait pourtant permis aux auteurs de s'apercevoir de la médiocrité de leur travail et de la nécessité de faire des expérimentations complémentaires avant de proposer une publication.


J'ai indiqué à mon jeune ami que moi rapporteur, j'aurais interdit la publication d'un tel texte ou, plus exactement, j'aurais annoncé un besoin de correction majeur avant la publication puisque je suis partisan de ne jamais rejeter des manuscrits mais plutôt de demander des améliorations, fussent-elles essentielles.

samedi 9 novembre 2024

Des possibilités d'erreurs à chaque signe

Engagé dans toute une série de relectures d'épreuves, je vois combien le diable est caché partout. 

J'en suis là à relire des épreuves finales d'articles qui ont été mis en page après avoir été 

- écrits par des auteurs

- relus par ces derniers

- soumis et lus par un éditeur, 

- analysés par des rapporteurs, 

- révisés

- envoyés aux membres d'un comité éditorial, dont certains membres ont relu le texte

- mis en page

- relus par la personne qui a fait la maquette (au moins deux fois)

- relus par les auteurs

... et je continue de trouver des erreurs, grosses ou petites. 

Bien sûr, ça converge : progressivement, les grosses erreurs sont éradiquées et les fautes d'orthographe disparaissent, les fautes de typographie sont moins nombreuses, mais je suis bien sûr que si je reprends le texte et que je le lis encore plus doucement que je ne le fais habituellement, je retrouverai bien une ou deux erreurs. 

Je ne m'émeus pas de ce phénomène, que je connais bien, mais je m'interroge surtout sur le fait que nos étudiants n'ont pas l'expérience de ce type de travaux de relectures répétées, et c'est bien dommage parce que c'est cela la vraie vie professionnelle : il ne s'agit pas de simplement produire des textes, mais il faut surtout produire des textes de qualité, et dans ce processus, on découvre donc des phénomènes qui nous laissent généralement pantois. Il serait bon que nous le fassions découvrir à nos jeunes amis.

vendredi 8 novembre 2024

Deux cultures

Ce matin, un ami s'étonne que je ne connaisse pas un certain Moss, qui, me dit-il,  aurait conduit une voiture très rapide avec laquelle il aurait battu un record de vitesse. 

Je ne suis certainement pas gêné  de ne pas connaître  ce Moss, d'autant que je viens de m'assurer que mon ami ne connaissait pas Kammerlingh Onnes, qui, lui,  battu le record de la plus basse température. 

C. P. Snow, mathématicien anglais, avait écrit un livre où il discutait cette séparation entre la  culture populaire et la culture scientifique. Il faudrait le relire, mais le fossé n'a pas de raison de se creuser.

Qu'est-ce que la science (de la nature) ? Il n'y a qu'une seule méthode

Ces temps-ci, je vois nombre d'amis qui confondent rigueur et science.  La rigueur, c'est la rigueur, et Flaubert était rigoureux, ou Mozart, par exemple... mais ils n'étaient pas scientifiques pour autant. De la rigueur, on peut en mettre dans toute activité humaine, et c'est d'ailleurs le propre des gens que j'aime que de ne pas être des tas de viandes avachis, mais au contraire des êtres dressés autour d'une "colonne vertébrale" (quelle est la vôtre ?). Pour la science, j'ai discuté dans mon livre Cours de gastronomie moléculaire N°1 : Science, technologie, technique (culinaires), quelles relations ?, la question du mot "science", que les sciences de la nature ont eu tendance à "confisquer"... mais il y a des sciences de l'humain et de la société, qui ne se confondent pas avec elles. 

Et l'on a le droit de parler de la "science du cuisinier", ce qui ne signifie pas que les cuisiniers soient des scientifiques... au sens des sciences de la nature. Focalisons nous donc à partir de cette phrase sur les sciences de la nature. Quel est leur objet, leur unique objet  ? <h3><b>Chercher les mécanismes des phénomènes, par l'emploi de la "méthode scientifique". </b></h3> Et qu'est-ce que cette méthode ? Elle tient en six points : <b>1. identifier un phénomène</b> 2.<b> le quantifier</b> (tout doit être "nombré", disait déjà Francis Bacon) 3. <b>réunir les données de mesure en équations</b> nommées "lois" 4. <b>produire des "théories" </b>en regroupant les lois et en introduisant des "mécanismes", assotis de nouvelles notions, concepts... ; à noter que, évidemment, tout doit être quantitativement compatible avec ce qui a été mesuré en 2 5. <b>recherche de conséquences logiques, testables,  des théories</b> 6. <b>tests expérimentaux de ces prévisions théoriques</b> 7. <b>et ainsi de suite </b>à l'infini en bouclant, car une théorie n'est qu'un modèle réduit de la réalité, pas précis à l'infini (un exemple : Georg Ohm, à partir de ses mesures imprécises, a identifié la loi d'Ohm, mais quand, un siècle après, on y a regardé de plus près, on a vu que la relation entre la différence de potentiel et l'intensité électrique était plutôt sous la forme de marches d'escalier... et c'est l'effet Hall quantique). Tout cela étant clair, on pourrait me demander : comment êtes-vous sûr que cette méthode est la méthode scientifique ? Ma réponse est que je soumets cette vision à tous les scientifiques du monde entier, dans les pays du monde, à raison d'environ 200 conférences par an, et jamais je n'ai eu de réfutation. Cela est publié... mais, surtout, c'est tiré de l'analyse des travaux des Lavoisier, Faraday, Pasteur, Einstein, etc. Bref, ce n'est pas une invention personnelle. 

D'autre part, on observera que la science (de la nature) ne se confond pas avec la technologie ou ingénierie, ni avec la technique. La technologie a une visée applicative que la science n'a pas. Je rappelle que la science cherche seulement les mécanismes des phénomènes ; elle ne cherche ni à produire des médicaments, ni à faire des ordinateurs, etc. La technique, elle, est la production. Elle est améliorée par la technologie, qui prend les résultats de la science pour les transférer. C'est notamment pour cette raison qu'il faut absolument combattre des terminologies comme "technoscience", qui sont aussi absurde que "carré rond". Et pour terminer, j'ajoute que chaque champ - science, technologie, technique- est merveilleux... quand il est bien fait. Il n'y a pas de hiérarchie, la science qui serait mieux, ou la technique, ou la technologie : on ne compare pas des pommes avec des bananes. Et il faut les trois pour que nous parvenions, dans la plus grande clarté intellectuelle, à faire demain un monde meilleur qu'aujourd'hui. Vive la Connaissance produite, partagée, utilisée pour le bien de l'humanité !

jeudi 7 novembre 2024

Avançons avec les mots

L'écriture, surtout scientifique ou technique, n'est pas nécessairement difficile mais demande beaucoup de soins. Dans ces rédactions, il n'y a pas de place pour l'à-peu-près et même l'emploi de mots habituels doit nous faire réfléchir. 

Par exemple, l'expression "capacité calorifique", que j'ai apprise quand j'étais étudiant, est légitimement à remplacer par l'expression "capacité thermique", parce que le calorique est une notion ancienne, une scorie du développement de la thermodynamique. Si le concept de chaleur peut être conservé, avec une approche quantitative qui l'a bien délimité, il n'en est pas de même de la question du calorique. Et c'est à ce titre que l'on évitera le mot calorifique, périmé. 

Dans la même veine, la terminologie dioxygène pour désigner une classe de molécules formées chacune de deux atomes d'oxygène, agace un peu les scientifiques âgés, mais elle s'impose absolument parce qu'elle permet de ne pas confondre le gaz dioxygène et l'élément oxygène. 

Ce grand mouvement de clarification terminologique des sciences va de pair avec son développement théorique  : tout progrès est bienvenu même s'il impose aux plus paresseux ou  aux plus réactionnaires des efforts qu'ils n'ont pas envie de faire. 

Au fond, les choses n'ont pas changé depuis que Lavoisier a écrit dans son Traité élémentaire de chimie, à savoir que l'on ne pourra pas perfectionner les sciences sans perfectionner le langage, et vice-versa. Utilisons les bons mots pour penser bien.

Au premier ordre, Condillac

 
Enfin, je comprends que mes hésitations personnelles à propos de la "querelle de Lavoisier contre Poincaré ne concerne qu'une partie réduite de mes amis ! Je me suis trompé de combat, et il faut promouvoir absolument l'usage d'une langue juste, et ne cesser de proposer ces trois liens :
http://atilf.atilf.fr/
http://www.cnrtl.fr/etymologie/aviser
http://www.projet-voltaire.fr/blog/. 

Mais je me vois bien incompréhensible, et j'explique, maintenant. Naguère, émerveillé par les avancées intellectuelles d'Antoine LaurentLavoisier<, j'avais partagé avec mes amis mon admiration pour ses idées exprimées dans un texte sur les oxydes, où il introduit le formalisme actuel de la chimie : c'est bien à lui que l'on doit les équations chimiques telles que 

NaOH+HCl →NaCl + H2O. 

Partant de ce texte, j'avais découvert le Traité élémentaire de chimie, que Lavoisier avait publié pour proposer un cadre cohérent à la chimie moderne qu'il avait fondée, en bannissant l'idée abracadabrante de "phlogistique" (en gros, une matière de masse négative) et en réformant la terminologie chimique, reléguant dans les oubliettes de l'histoire  des terminologies alchimiques qui manquaient de ce  systématisme rationnel qui est la marque des sciences : fini les "sublimés corrosifs" ambigus, les "cristaux de Saturne", les "mercure précipité" ou "mercure sublimé", les écumes de Diane, les cornes de cerf... aussi variables qu'incertains. Mais, surtout, Lavoisier était inspiré par l'abbé de Condillac, qui revendiquait une langue juste pour une pensée juste. Et c'est ainsi que, dans l'introduction de ce traité, il écrit : "C’est en m’occupant de ce travail, que j’ai mieux senti que je ne l’avois, encore fait jusqu’alors, l’évidence des principes qui ont été posés par l’Abbé de Condillac dans sa logique, & dans quelques autres de ses ouvrages. Il y établit que nous ne pensons qu’avec le secours des mots ; que les langues sont de véritables méthodes analytiques ; que l’algèbre la plus simple, la plus exacte & la mieux adaptée à son objet de toutes les manières de s’énoncer, est à-la-fois une langue & une méthode  analytique ; enfin que l’art de raisonner se réduit à une langue bien faite.  [...]  L'impossibilité d'isoler la nomenclature de la science, et la science de la nomenclature, tient à ce que toute science physique est nécessairement fondée sur trois choses : la série des faits qui constituent la science, les idées qui les rappellent, les mots qui les expriment (...) Comme ce sont les mots qui conservent les idées, et qui les transmettent, il en résulte qu'on ne peut perfectionner les langues sans perfectionner la science, ni la science sans le langage". 

Oui, il faut de bons mots pour de bonnes pensées, car les mots sont comme les outils de l'ébéniste : on ne fera pas du bon travail si l'on confond le marteau et le ciseau à bois ! D'ailleurs, c'est surtout sur le langage technique que l'on voit l'importance de la juste terminologie : si le marin confond la drisse avec l'écoute, le bateau chavire ! Et, évidemment, c'est avec cette idée que je ne cesse de consulter les dictionnaires, et notamment les bons dictionnaires sont j'ai donné les liens. 

Avec <http://atilf.atilf.fr/ on comprend ce que signifient les mots ; la partie inférieure des entrée donne l'étymologie et l'histoire des termes, ce qui explique notamment pourquoi il n'y pas d'exacts synonymes en français. Mais pour en savoir plus de ce point de vue, il faut consulter : http://www.cnrtl.fr/etymologie/aviser. Et comme nous devons nous présenter à nos amis sous nos plus beaux atours, il n'est pas inutile de consulter celui-ci, également  : http://www.projet-voltaire.fr/blog/. 

J'étais donc dans un sentiment très condilliacien, pendant longtemps, jusqu'à ce que tombe sur ce texte de Poincaré sur l'invention mathématique. Poincaré ? Henri<, bien sûr ; le mathématicien. Pas Raymond, le président du Conseil. Henri Poincaré fut un mathématicien extraordinaire, et il s'intéressa à l'épistémologie, et, aussi, à la production des connaissances mathématiques. <b>Dans un de ses textes, il écrit que la difficulté, pour lui, n'était pas d'avoir des idées mathématiques nouvelles, mais de mettre des mots dessus pour pouvoir les partager avec sa communauté. 

Oui, à l'opposé d'un Lavoisier, pour qui les idées scientifiques peuvent naître quasi mécaniquement, du maniement des mots, Poincaré voit dans le langage -qu'il veut d'ailleurs tout aussi précis- une fonction plus utilitaire. Un jour, descendant faire mon cours de gastronomie moléculaire, je compris que Lavoisier< était dans l'erreur... pour la production scientifique. Le maniement automatique des mots est mortifère, et il faut de l'induction pour faire de la science neuve. Il faut "faire des sciences en artiste", aurait dit Poincaré (pour les mathématiques). Oui, il y a cette étape inductive, et non déductive, essentielle en production scientifique. 

J'avais donc relégué Lavoisier dans un coin... Mais je me reprends : la fréquentation quotidienne de mes jeunes amis montre que la question essentielle n'est pas d'abord la production scientifique, mais son apprentissage. Et, pour apprendre, il faut les bons mots. Les idées de Poincaré viendront bien plus tard, et elles n'ont pas de place pour commencer. Oui, les idées condillaciennes sont au premier ordre, et les variations de Poincaré n'arrivent qu'ensuite. Il faut le dire avec force : ayons de bons mots pour bien penser  !

mercredi 6 novembre 2024

Un bon conseil d'écriture

Jadis, quand je travaillais à la revue Pour la science, j'avais dépisté ce phénomène étonnant que, dans une rédaction, quand on arrive à un passage qui nous gêne un peu, on peut être sûr que d'autres seront gênés voire arrêtés dans leur lecture. 

Il y a donc lieu de ne jamais mettre la poussière sous le tapis et, au contraire, de profiter de ces petites gènes pour se retrousser les manches et régler la question définitivement.