Pour parler d'une des valeurs d'une variable qui caractérise les éléments d'un échantillon d'une population, peut-on dire autre chose que "la valeur de la variable pour l'élément particulier de l'échantillon de la population" ? Là, je vois que c'est facile à émettre, mais est-ce recevable ? De l'autre côté du discours, mon interlocuteur doit décoder, et mettre tout cela dans l'ordre inverse : il y a d'abord la population, dont on prend un échantillon ; et on considère un élément qui est dans cet échantillon ; cet élément a des caractéristiques particulières, dont une a la valeur que nous désignons. Ouf !
Dans tout cela, on ne peut faire l'économie d'aucune étape, sous peine de ne rien comprendre, de sorte que je ne peux moi-même rien omettre.
On voit ici combien l'abstraction peut-être difficile.
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
lundi 21 octobre 2024
A propos de jargon
Comment créer les conditions de la pérennisation des métiers artisanaux du goût
Lors d’une discussion avec un artisan pâtissier, qui s’émouvait de la difficulté à recruter du personnel, il a été rappelé (H. This) que, pour une pratique « traditionnelle », il y a des rendements « traditionnels », à savoir que la main d’oeuvre est nécessairement abondante, pour un rendement faible.
On peut s’étonner que les métiers du goût aient si peu évolué techniquement (et s’interroger pour savoir si des activités qui n’ont pas évolué sont pérennes) :
- alors que les transports ont évolué (on ne va plus en char à bœufs, mais en voiture ou en avion),
- alors que les métiers du tertiaire ont évolué (on n’utilise plus des stylos mais des outils numériques),
- alors que les systèmes de production ont évolué (les tracteurs dans les champs peuvent être radio-pilotés, et commandés par satellites, au mètre près),
- alors que l’industrie alimentaire a évolué,
- alors que les coûts de l’énergie augmentent (électricité, gaz).
Oui, il faut répéter que les métiers de l’artisanat (cuisine, pâtisserie, charcuterie, boulangerie, boucherie, etc.) sont restés très en retard (résistant notamment à la « cuisine moléculaire », par le passé, et à la cuisine de synthèse, depuis 20 ans), avec notamment :
- des horaires décalés,
- des bas salaires (normal, en quelque sorte, pour des rendements de travail faibles),
- des conditions physiques difficiles (chaleur, bruit, stress, station debout).
L’analyse de ce tableau désolant conduit à une conclusion inéluctable : il faut changer les conditions de production.
Pourquoi n’a-t-on pas encore assis les personnels, alors que la proposition a été faite dès 1980 ?
Lors du séminaire, un pâtissier témoigne du fait qu’il a été mal vu, dans la société où il travaillait, quand il s’asseyait pour peler des pommes !
Pourquoi l’induction n’a-t-elle pas entièrement remplacé les systèmes à gaz ou les plaques électriques ?
On rappelle à ce sujet que, naguère, les feux étaient allumés toute la journée dans les cuisines (observation personnelles à de nombreuses reprises, H. This) ! Et l’on signale aussi que l’induction a un rendement énergétique de 80 % environ, contre 20 % pour les systèmes anciens (voir un des comptes rendus des premiers séminaires). Pourquoi l’induction n’est-elle pas absolument partout ?
Pourquoi fait-on encore de la production par lots alors que l’on pourrait faire de la (petite) série ?
Cela impose que les fabricants de matériels proposent mieux que l’offre actuelle. On observe que la cuisson à basse température s’est imposée, mais que les possibilités d’innovation sont considérables.
Pourquoi utilise-t-on encore des siphons (mieux que des fouets!) alors qu’a été proposée
l’utilisation de systèmes plus durables (pas de cartouches), avec des pompes ?
Pourquoi voit-on encore des systèmes de poche à douille au lieu de systèmes plus rapides ?
S’est-on vraiment demandé si les casseroles étaient les ustensiles nécessaires pour la cuisine ?
Là, on rappelle un commentaire d’un élève ingénieur, lors d’un Concours cuisine des grandes écoles : « Mais si on n’a plus de casserole, comment fera-t-on ? ». En réalité, les casseroles sont une survivance antique, et bien des possibilités existent. Par exemple :
- dans les robots cuiseurs modernes, c’est un bol qui reçoit les aliments qui seront mélangés, mixés, chauffés, etc. ;
- d’autre part, on observera que les chimistes ont de nombreux ustensiles spécialisés pour chauffer des mélanges (du ballon au Soxhlet) ;
- la cuisson au four ne nécessite pas de casserole ;
- la cuisson au four à micro-ondes non plus ;
- et l’on peut même considérer des tubes à résistances chauffantes pour des cuisson en continu, plutôt qu’en lots.
Etc.
Mais comme les abstractions ne frappent pas suffisamment les esprits, ajoutons que :
1. J’ai (H. This) vu un restaurant où un membre du personnel était debout, devant une casserole, dépouillant la sauce (un velouté) à la cuillère : il retirait régulièrement, pendant un très long moment (plusieurs dizaines de minutes), ce qu’il disait être des « impuretés »… alors que nous avons montré qu’il s’agissait de la sauce croûtée.
2. Chez Jamin, quand le restaurant était tenu par Joël Robuchon, j’ai (H. This) vu des cuisiniers meilleurs ouvriers de France déposer à la poche à douille des gouttes de sauce rose sur le pourtour d'une assiette : il y avait tant de gouttes que cela a pris un très long moment. Pourquoi ne pas avoir utilisé un masque ou tout autre système permettant de déposer les gouttes d'un seul coup ?
3. Je me souviens, dans les années 1995 à 2000, de discussions interminables avec des cuisiniers français qui refusaient l'emploi de gélatine en poudre ou en feuille, prétendant -ce qui est faux – que celle gélatine avait « mauvais goût ». Et ces cuisiniers extrayaient la gélatine à partir de pied de veau, dans leur cuisine. Et pourquoi pas raffiner le sucre ou l’huile, tant qu’on y est ?
Tout ce temps passé à faire -par des techniques périmées- des choses bien inutiles coûte une fortune, et, avec des techniques ancestrales, il ne faut pas s'étonner si les restaurants, les boulangeries, les pâtisseries, les charcuteries, les boucheries, et cetera soient mis en difficulté par le coût de la main d'oeuvre, et d'ailleurs aussi par le coup de l'énergie : jusqu'à présent, n'a pas été analysé correctement la question de chercher des techniques modernes pour faciliter des tâches qui prennent un temps ou une énergie considérable.
Cette réflexion pose également la question du « fait maison » : que « faisons-nous » vraiment
« maison » ? Pourquoi ? Quel est l'objectif ? Pourquoi a-t-on cet objectif ?
Je propose d’explorer ces questions avant de se lancer dans des pratiques… que l’on pourra
chercher à moderniser.
Et je ne peux m'empêcher, dans cette discussion, de citer le modèle économique mis en place par Thomas et Anne Cabrol, au restaurant Pinewood, près de Mazamet : ils sont deux, et deux seulement, à parvenir à tenir leur restaurant, parce qu’ils ont su mettre en œuvre des techniques modernes, de cuisine moléculaire. Bien équipés, ils peuvent se concentrer sur la question du goût, sur la réalisation de plats remarquables, et il n'est donc pas étonnant, d'autant qu'ils ont du « talent », qu’ils aient réussi rapidement à obtenir un macaron au guide Michelin.
Finalement, on ne dira pas assez que tout le temps qui est pris par la technique sur la réflexion est prélevé sur les possibilités de produire de l'art culinaire. Le temps coûte.
Dans un tel questionnement, on prendra garde à bien mettre les objectifs en premier : que veut-on produire ? Pourquoi veut-on produire cela ? Sur la base des caractéristiques des produits visés, quelles techniques s’imposent-elles ?
dimanche 20 octobre 2024
Comment étudier ?
Alors que j'épaule des étudiants de Master 2 de physique-chimie, je les expose à des présentations faites soit par des universitaires, soit par des industriels... et ils auraient bien tort de croire que leur travail s'arrête à écouter le cours et à poser des questions.
En réalité, chaque mot peut - doit ?- être l'occasion d'un approfondissement.
Je prends un exemple, à savoir une diapositive qui vient d'être montré par un industriel et sur laquelle apparaissent des mots comme phospholipides, amylose, caséine, et cetera. Au fond, pour être prêts à travailler dans l'industrie, c'est-à-dire l'année prochaine pour nos étudiants de Master 2 de cette année, il y a lieu de bien savoir ce que tout cela signifie.
Par exemple "phospholipides" : de quoi s'agit-il ? Bien sûr, nos jeunes amis pourront aller sur wikipédia où ils trouveront des explications parfois très compliquées et donc incompréhensibles, et parfois complètement fausses. Ils ne pourront donc pas s'arrêter à cela, et ils devront chercher mieux.
Où chercher ? Le fait est le nombre de publications scientifiques sont bourrées d'erreur, même quand elles sont publiées par des revues scientifiques ou technologiques de premier plan.
Et c'est d'ailleurs une formation que nous donnons à nos étudiants de Master que de savoir évaluer un document qu'ils ont trouvé.
Mais en réalité, rien ne peut leur épargner le travail de trouver beaucoup de documents et de les comprendre : cela peut-être très long ! Par exemple j'ai passé presque 3 jours à lire des publications aussi récentes que possible, ou parfois très anciennes puisque je voulais les publications primaires, afin d'être en mesure d'expliquer à des lecteurs d'une revue de vulgarisation ce que sont les polyphosphates. Je suis désolé de dire que les premières pages apparaissant dans Google à ce sujet étaient complètement fautives, et d'ailleurs, je suis presque certain que les journalistes qui les ont produites n'ont pas compris ce dont ils parlaient.
Bref, nos étudiants ont beaucoup de pain sur la planche puisque nous prononçons dans nos cours de nombreux mots de chimie ou de physique... qu'ils ont donc l'obligation d'explorer jusqu'à se faire une idée bien claire de ce dont nous parlons.
samedi 19 octobre 2024
La... recherche ?
Alors que des amis industriels sont venus parler à nos étudiants, j'ai à nouveau rencontré la confusion entre recherche, recherche et développement, développement, recherche appliquée...
Commençons par le mot développement, qui est un anglicisme qui signifie mise au point. Quand quand on cherche à faire un million de pizza par jour avec, sur chacune, quelques feuilles de basilic, il y a certainement lieu de faire une recherche pour savoir comment déposer les feuilles et car on ne les mettra pas à la main.
Il y a d'abord la recherche d'un procédé, qui est une recherche technologique, et ensuite une mise au point du procédé qui se fait sur la ligne de production. Dans les deux cas, il s'agit de rechercher mais pas avec la même profondeur et, au fond, on pourrait dire qu'il y a une recherche technologique globale pour la mise au point, et une recherche technologique locale pour la mise au point.
Mais la recherche technologique se distingue de la recherche scientifique, qui est l'exploration des mécanismes.
Et nous arrivons ici à cette question de la recherche scientifique : elle n'est ni pure ni académique, mais simplement scientifique.
Pour cette dernière, on cherche à faire des découvertes, à lever un coin du grand voile, comme le disait Albert Einstein et non pas à trouver des applications, des produits, des améliorations des technique.
Il y a donc d'un côté la recherche scientifique, puis la recherche technologique dans la mesure où elle améliore les techniques, et cette recherche technologique peut être plus ou moins profonde.
vendredi 18 octobre 2024
Évitons la naïveté si nous voulons faire de la bonne chimie
Au début de la cuisine moléculaire, j'avais invité les chefs à faire des perles d'alginate. A cette fin, je leur proposais d'acheter de l' "alginate de sodium" et un sel de calcium. Et c'est ainsi que les chefs ont commencé par utiliser du chlorure de calcium, bon marché mais très amer. J'ai aussitôt proposé de remplacer ce chlorure par du lactate de calcium qui contient également l'ion calcium, divalent, mais sans l'amertume du chlorure.
Mais c'est surtout le second ingrédient qui m'intéresse maintenant à savoir l'alginate de sodium. Très rapidement, des chefs variés sont venus m'interroger parce qu'ils avaient des résultats parfois très différents de ceux qui étaient indiqués dans les recettes. À l'analyse, il est apparu que le mot "alginate de sodium" décrivait insuffisamment le produit acheté, qui, certes, était bien "produit" extrait des algues, mais qui pouvait être bien différent selon le procédé d'extraction
Sans compter que certains fabricants diluaient leur poudre et, évidemment, réduisaient l'activité du produit en proportions des bénéfices qu'ils faisaient sur le dos de leurs clients. Interrogé, un de ces fabricant là m'a avoué qu'il ajoutait un excipient non pas pour réduire le coût de la matière mais pour faciliter la mise en œuvre : mouais...
Il y a d'autres cas, et, par exemple, je me souviens avoir vu une de mes expériences publiques rater alors que j'avais comme d'habitude mélangé dans les bonnes proportions de la poudre de blanc d'oeuf et de l'eau, que je chauffais. Ordinairement, on observe une coagulation, et si les proportions sont celles du blanc d'oeuf, on obtient comme un blanc d'œuf.
Mais ce jour-là, rien ne s'est passé normalement et à l'analyse il est apparu que cette "poudre de blanc d'oeuf" avait d'abord été cuite avant d'être réduite en poudre. Or cuite, séchée et réduite en poudre, elle ne pouvait plus coaguler comme une poudre de blanc d'oeuf dont les protéines auraient été encore quasi natives.
Évidemment, selon la méthode de production, il y a tous les intermédiaires possibles, et l'indication poudre de blanc d'oeuf, ou alginate, et cetera, sur un paquet n'est absolument pas la garantie que l'on aura les effets que l'on souhaite.
Je ne parle pas des cas où ayant acheté des réactifs chimiques auprès de grandes sociétés chimiques, assortissent leurs produits d'un degré de pureté, j'ai reçu quelque chose d'autre que ce qui était commandé. Par exemple, du trichloroanisole annoncé avec 99,99 % de pureté s'est révélé être composé à 50 % seulement de ce composé, après analyse par résonance magnétique nucléaire, technique imparable.
Et je connais un grand laboratoire de chimie du CNRS qui, pendant presque un an, a eu des résultats complètement différents de ceux qu'il attendait parce que les réactifs achetés n'étaient pas ceux qu'ils voulaient utiliser.
Bref, il y a eu lieu de se méfier des termes généraux : amylose, amylopectine, alginate de sodium, protéine de pois, polyphosphate... Dans le meilleur des cas, on aura quelque chose qui s'apparentera à ce que le mot désigne, mais la question de la pureté restera entière. Or il ne faut pas être naïf : la pureté absolue n'existant pas, comment nommer des produits qui ne sont pas purs ?
jeudi 17 octobre 2024
Merveilleux gestes de chimiste
Parmi les gestes merveilleux du chimiste, il y a celui qui consiste à garder le bouchon du flacon que l'on a ouvert dans la paume de la main, à la partie inférieure, tandis que les doigts servent à tenir le flacon lui-même ou un autre objet : de la sorte, on ne dépose jamais le bouchon sur la paillasse, et on évite ainsi
- soit de contaminer le bouchon avec des composés présents sur la surface de la paillasse
- soit de contaminer la paillasse avec le bouchon.
Un autre geste important et celui qui consiste à verser un liquide en le faisant couler le long d'une baguette de verre. La capillarité maintient le liquide contre la baguette, et évite que l'on renverse du liquide sur la paillasse.
Il y a ainsi foule de petit gestes que le chimiste peut apprendre et exécuter merveilleusement. N'est-ce pas le rôle des cours d'introduction à la chimique que d'enseigner ces gestes ?
Des anneaux dans le nez ?
Je me demandais pourquoi je n'aime pas les anneaux dans le nez. Dans notre groupe d'étudiants, il y en a eu deux qui ont un anneau dans le nez. Bien sûr, je respecte le choix de chacun tant qu'ils ne me gênent pas, d'autant que je n'aime pas me préoccuper des détails vestimentaires s'ils ne compromettent pas la sécurité (maitre mot, pour un laboratoire de chimie).
En revanche, je viens de m'apercevoir que, quand je croise une personne qui a un anneau dans le nez, mon regard tombe sur l'anneau (il a sans doute été mis pour cette raison, car sinon, pourquoi l'aurait-on mis ?) et c'est ainsi que je comprends que si je regarde l'anneau, je ne regarde pas la personne dans les yeux.
Or le regard dans les yeux et pour les primates, notamment l'espèce humaine, quelque chose de vraiment très important, et le détourner n'est pas sans conséquence dans la relation que nous créons avec l'autre.
Au fond, derrière l'originalité de l'anneau dans le nez, n'y aurait-il pas la volonté de ne pas regarder les gens dans les yeux, de détourner le regard des interlocuteurs ? Une analyse bien naïve mais après tout, je suis quand même plus intéressé par les molécules qui elle, non généralement pas d'anneau dans le nez ;-)