vendredi 20 septembre 2024

Comment ne pas s'ennuyer quand on enseigne la même chose pendant des années, voire des décennies.

Hier, avec des étudiants d'un Master International en sciences et technologie de l'aliment, j'ai refait ce que je faisais naguère, à savoir faire un cours expérimental. Par cours expérimental, j'entends que nous avons fait des expériences qui ont servi de support du cours, avec des explications théoriques autour, et le succès a été grand : nos amis étaient plein de gratitude à la fin du cours. 

Il est vrai que cette méthode a de nombreux atouts et, notamment, elle fixe les idées en même temps qu'elle invite à faire de la pratique ; elle  soutient efficacement un discours théorique, lequel est mieux perçu, mieux compris, mieux appréhendé.
Par exemple, quand on évoque le gluten,  on le prépare à partir de farine et d'eau. Quand on parle de l'effet sucre, alors on enchaîne une expérience qui montre cet effet au lieu de le dire simplement. Et ainsi de suite. 

Bref nous avons passé l'après-midi à expérimenter. De petites expériences, en concept théorique, en petites expériences, en concept théorique, et ainsi de suite,  l'après-midi a passé si vite que nous sommes restés debout sans même prendre une pause ! 

Je vois donc qu'il y a une vertu particulière dans cette méthode pédagogique et je m'interroge maintenant sur le fait que cette extraction du gluten, cet effet sucre, ces autres expériences que nous avons faites, je les connais parfaitement. 
Mais moi qui m'ennuie de la répétition, j'aurais pu être lassé d'avoir à reproduire avec mes amis ces manipulations. En réalité, je m'aperçois que j'ai fait quelque chose de très nouveau pour moi, puisque il s'agit que je ne m'ennuie pas non plus, à savoir que tout le travail scientifique que j'avais fait depuis le dernier cours a permis de présenter les expérimentations et les théories qui les accompagnaient de façon complètement renouvelée.
Par exemple un étudiant a parlé d' "hydratation de la farine", et il se trouve que je m'étais préoccupé ces jours derniers de savoir ce que  cela signifiait exactement : oui bien sûr hydrater de la farine c'est lui ajouter de l'eau,  mais cela est idiot et la question est plutôt de savoir comme comment cette eau s'introduit dans la farine : simplement par capillarité ? Ou en se liant aux protéines ? Où on s'introduisant dans les granules d'amidon qui constituent la farine ? 

En réalité, ces questions sont celles que les étudiants avaient  également, et le fait que j'ai fait une belle recherche bibliographique à ce propos m'a permis de mieux répondre que je ne l'aurais fait dans le temps. 

Et ainsi de suite, tout était à l'avenant : le cours a été en réalité la présentation de tout ce que j'avais découvert récemment. Je ne me suis pas ennuyé donc une seule seconde, et je vois maintenant pourquoi l'enseignement peut-être passionnant : il peut l'être à condition de faire briller les yeux de nos amis en même temps que nous voyons le résultat de nos efforts personnels et que nous nous posons des questions renouvelées. 

 

Quel bonheur que d'enseigner dans ses circonstances !

mercredi 18 septembre 2024

Je finis un cours important qui doit pallier les insuffisances de nos enseignements de l'an passé

Je finis un cours important qui doit pallier les insuffisances de nos enseignements de l'an passé :  en effet, lors de soutenances, j'ai vu des étudiants de Master qui restaient à des équations qu'ils maîtrisaient à peine au lieu de chercher à comprendre les mécanismes des phénomènes. 

Ainsi, ils effectuaient des travaux techniques et non scientifiques. On m'opposera peut-être que ces étudiants étaient destinés à travailler dans l'industrie,  mais je ferai observer que l'industrie a besoin de personnel compétent, capable d'évoluer, de faire mieux que des gestes d'exécutants. 

Et pour faire mieux, il faut comprendre, creuser un peu, et voilà pourquoi mon nouveau cours est centré sur une méthode d'analyse des phénomènes qui est descendante, du macroscopique aux moléculaire en passant par la microscopie. 

Oui, j'insiste sur les mécanismes des phénomènes, et mieux encore, sur l'état d'esprit qui consiste à chercher  ces mécanismes. Il est bon, dans des cas particuliers, de chercher des mécanismes,  mais il est mieux encore d'avoir cette idée générale de les chercher, ce souci constant de comprendre. 

Si je réussis cette année à faire passer ce message aux étudiants, alors nous aurons fait mieux que l'année dernière.

lundi 16 septembre 2024

En retraite ? Pauvres amis...

 Un autre de mes collègues part en retraite. Il travaillait dans l'industrie et il a racheté des trimestres pour partir à l'âge de 64 ans. 

 Pourquoi pas... mais quand je lui demande ce qu'il va faire, il évoque de la randonnée, de la peinture et une résidence secondaire qu'il s'est achetée au soleil. Pourquoi pas... Mais va-t-il ainsi occuper son temps jusqu'à sa mort ? Je vois trop de personnes en retraite chercher désespérément à meubler leurs journées pour ne pas lui poser la question de ses activités, en attendant mieux que la faible réponse qu'il m'a donnée. 

Car je vois ceux qui font trois fois les courses dans la journée, bien inutilement, je vois ceux qui vont au spectacle, je vois ceux qui font des voyages... Et si rien de tout cela n'est évidemment critiquable, je vois hélas bien peu de souci d'autrui, bien  peu de production et beaucoup de consommation. 

Bien sûr, il n'y a pas à juger, et toutes les activités que mon collègue évoque sont licites, mais je ne parviens pas à m'empêcher de voir qu'il sera comme une oie que l'on gave, et je n'aimerait pas être à sa place

dimanche 15 septembre 2024

Le journal international de gastronomie moléculaire et physique : en plein essor

 Je ne l'avais pas annoncé mais c'est quand même un grand progrès : le journal international de gastronomie moléculaire attribue maintenant des"DOI" à tous ses articles, et il est répertorié dans la base hal. 


Le journal de gastronomie moléculaire a été créé dans les années 2010 mais il est resté très calme jusqu'à ce que publions le Handbook of molecular gastronomy, un énorme livre de 694 pages avec 150 auteurs de 23 pays. 

Ce fut l'occasion d'une animation internationale très soutenue et, surtout,  la possibilité de discuter la suite,  à savoir l'utilisation du journal anciennement créé pour le mettre au service de la communauté scientifique qui était devenue maintenant visible.

Nous avons alors élargi le comité éditorial et restructuré la revue pour  la mettre au "modèle diamant",  à savoir que ni les auteurs ni les lecteurs ne payent. La revue est animée par le comité éditorial, et son administration est partagée entre quelques personnes bénévoles... comme le sont d'ailleurs tous les scientifiques qui participent aux revues scientifiques pour le compte d'éditeur privé : les rédacteurs en chef, les "éditeurs", ne sont jamais payés et les rapporteurs non plus : c'est la règle dans le monde scientifique (une règle qu'utilisent à leur profit des éditeurs commerciaux qui font peser des charges souvent indues sur le monde scientifique). 

Bref, notre revue s'est développée pendant 2 ans avant que nous entreprenions les démarches pour passer à l'étape suivante,  à savoir l'attribution des DOI. Ces derniers sont comme des plaques d'immatriculation internationales pour les articles  : ils permettent à tout moment retrouver un article sans avoir les références complètes. 

Là où les choses ont été merveilleuses, c'est que la Direction des publications d' lINAE nous a permis non seulement d'attribuer les DOI aux articles mais, en outre,  d'enregistrer les articles publiés sur la base nationale HAL. 

Parallèlement, nous complétion le dispositif en attribuant des licences CC by 4.0, afin de nous conformer au modèle diamant des revues open. 

Tout récemment, nous sommes allés jusqu'à la possibilité de publier des articles de données, en anglais data papers,  afin de participer au grand mouvement de données ouvertes. 

Simultanément, nous avons révisé les instructions aux auteurs et  affiné la description des rubriques. Car c'était la volonté initiale que d'avoir des rubriques suffisamment variées pour que l'on puisse facilement publier des informations de diverses natures  tout en gardant une bonne qualité. 

Cette qualité est garantie par le processus d'évaluation par les pairs :  il se fait en double anonymat, ce qui signifie que les auteurs ne savent pas qui sont les rapporteurs et les rapporteurs ne savent pas qui sont les auteurs. 

Les rapports ne sont pas rendus publics, parce que nous ne voulons pas afficher de reproches aux scientifiques, surtout quand ils sont jeunes. Nous préférons les aider à améliorer leur manuscrit jusqu'à qu'il soit publiable, processus pendant lequel ils apprennent beaucoup  des rapporteurs. 

 

C'est donc une revue très éclairée que nous avons maintenant, et je me réjouis de voir  depuis deux semaines environ, que des collègues qui restaient un peu éloignés de la revue s'en rapprochent, preuve que l'information sur notre revue commence à bien diffuser dans la communauté scientifique internationale.

samedi 14 septembre 2024

 Alors que je poursuis ma relecture de la biographie de Max Planck par John Heilbron, j'en arrive aux années 1920, quand Max Planck dut faire face à des personnalités détestables comme Johannes Stark. 

Planck, intéressé supérieurement par la science chercha des moyens de ne pas s'adresser aux roquets, de ne pas leur répondre, et c'est ainsi qu'il organisa à propos de la relativité, des débats scientifiques, au lieu de répondre aux critiques faites dans les journaux. 

À l'époque,  la théorie quantique était encore dans l'enfance et les réactionnaires ne savaient pas qu'ils devraient avoir affaire à une question autrement plus difficile ultérieurement mais en tout cas, il remarquable d'observer que chez certains, c'est l'idéologie, et notamment l'antisémitisme, qui primait sur la considération objective des théories. 

Il y a certainement lieu d'en tirer des leçons pour ce qui concerne la science actuelle dont je ne parviens pas à croire qu'elle soit débarrassée des travers humains.

vendredi 13 septembre 2024

L'esprit saute plus haut que le meilleur des perchistes

Alors que la France organise des jeux olympiques je vois des activités physiques et je me réjouis que l'on se focalise ainsi sur des  compétitions pacifiques plutôt que sur des conflits guerriers. 

Pour autant, alors que je me souviens du mens sana in corpore sano, un esprit sain dans un corps sain, et je m'étonne que nous n'ayons pas  de jeux olympiques de la pensée. 

Car là aussi, il y a des disciplines variées : la chimie, les mathématiques , la physique, la poésie, la sculpture, la musique, et cetera. 

On me dira que du point de vue artistique, il ne s'agit pas de compétition ? C'est exact, mais en sciences ?  Après tout, on donnait bien des prix après avoir mis des questions au concours, du temps d'Henri Poincaré, qui gagna un grand prix international  en résolvant une question  à propos du mouvement des planètes.
 

Alors pourquoi n'avons-nous pas de jeux olympiques de la pensée ? Avec Poincaré, l'analyse est vite faite : les travaux qu'il a publiés  il y a un siècle sont en réalité incompréhensibles du public. Il en serait de même pour des questions de chimie :  même des réactions classiques,  enseignées en début d'université, sont au-delà de la compréhension du public et nécessiteraient un effort de traduction considérable pour que des spectateurs puissent "assister" à ces jeux de la pensée. 

Bref, j'ai l'impression que notre pensée nous porte bien plus le haut que notre corps. Et je vois là quelque chose à méditer et sans doute à faire comprendre plus généralement.

jeudi 12 septembre 2024

Des références primaires s'il vous plaît !

Je trouve "amusant" que de nombreux textes d'histoire de la chimie reprennent quasiment les mêmes phrases et les mêmes paragraphes, de texte en texte. 

Il y a quelques temps, quand j'avais exploré ce que l'on nomme fautivement la "réaction de Maillard" (il faut parler de réaction de Dusart, ou de réaction de glycation, ou de réaction amino-carbonyle), j'étais tombé des nues en allant chercher les textes d'originaux parce que j'avais alors découvert, par exemple, que des articles souvent cités... n'existaient pas. Et quand je dis qu'ils n'existaient pas, ce n'est pas que je ne les ai pas trouvés, mais qu'ils ne pouvaient pas exister.
Par exemple un article cité depuis un siècle, qui aurait été écrit par deux auteurs Ling et Malting,  ne pouvait exister puisque l'auteur Malting n'a jamais existé et que le seul texte que l'on trouve à ce propos est du dénommé Ling, qui a existé, et qui a publié à propos de la brasserie,  et notamment du malting. 

 

J'ai des exemples de ce type nombreux et j'ai bien tort de m'inquiéter puisque je dois me souvenir de cette loi qui dit que le monde est fait de nombreuses insuffisances. L'histoire des sciences n'a pas de raison d'échapper à la règle alors même qu'elle est si passionnante quand elle est bien faite. 

Par exemple le mot molécule n'a pas toujours désigné ce que nous pensons aujourd'hui être une molécule et, d'ailleurs, il y a eu des terminologies d'étranges comme "molécule intégrante" ou "atome composé"... alors que atome vient du grec atomos, qui signifie insécable. 
Il y a quoi s'y perdre et seule une histoire de la chimie bien faite permet de mieux comprendre. 

Mais pour cela, il faut revenir aux textes primaires, et l'on découvre alors des tas de beauté qui n'ont jamais été mises en valeur par les historiens de la chimie. 

Par exemple, à propos du chimiste Michel Eugène Chevreul, il y a lieu de s'interroger : se nommait-il Eugène, MIchel-Eugène ou Michel Eugène ? En tout cas, sur la fin de sa vie, il signait  lui-même E. Chevreul. 

Dans la même veine, le chimiste et pharmacien Hippolyte Mège-Mouriès se nommait en réalité Mège, mais il prit le nom de sa mère sur le tard. 

Il y a donc des questions de détails, mais aussi des questions fondamentales comme par exemple de savoir si Chevreul n'a pratiqué l'analyse alimentaire que sur le tard, vers 1824, ou bien s'il a pratiqué cela bien avant. La  lecture des mémoires dans les Annales de chimie montre qu'il a pratiqué cela très tôt et en tout cas bien avant la date donnée par un auteur qui dit que Chevreul n'a pas de telles analyses que tardivement. J'observe que cet auteur ne donne pas de référence à beaucoup de ses propositions, et cela me donne l'occasion d'observer que tout fait expérimental, toute idée, toute phrase dans un texte scientifique, qu'il s'agisse d'histoires des sciences ou de  science de la nature, doit être soutenu par des références à des textes primaires. Et parfois par plusieurs références, qu'il faut avoir trouvées et lues. 

Évidemment, des esprits actifs ou approximatif ne feront pas ce travail, mais nous aurons alors raison de nous méfier des informations qu'ils donnent !