vendredi 10 mai 2024

La beauté de la science

 
Lors d'un concert, le jeu du pianiste était tel que, dans des pièces de Brahms, de Chopin, de Liszt, de Beethoven, j'ai eu la possibilité de bien comprendre la construction des oeuvres, sans doute parce que le pianiste savait la faire apparaître, et je me suis évidemment émerveillé de voir des moments particuliers, sans répétition pourtant, dans les pièces qui étaient jouées. 

Le pianiste était un homme fougueux, qui jouait très énergiquement, avec beaucoup de virtuosité… et peu de respirations, et l'on ne peut pas dire, loin de là, que l'on se vautrait dans le sentiment. La beauté étant dans dans l'oeil qui regarde, en l’occurrence dans l'oreille qui écoute, et étant une « brute », mon esprit était peu enclin à des « Ah, c'est beau ! », et plus porté à des réflexions, sur la beauté notamment, et je me disais qu'il y avait une mission urgente à bien montrer l'extraordinaire beauté de l'entreprise scientifique (je pense aux sciences de la nature). 

Une beauté qui serait dans la science, ou dans la vision que nous en avons ? En l’occurrence, de même qu'une partition de Brahms incluait une beauté que l'interprète pouvait faire naître, et que l'auditeur continuait à créer en sachant écouter, la science, la recherche scientifique, cette entreprise qui consiste à repousser les limites de l'inconnu, de l'ignorance, à étendre le royaume de l'expliqué (à défaut de parler du compris), la science donc a des caractéristiques d'une immense beauté. 

Notamment le mécanisme méthodologique de la science est tout à fait merveilleux et, au moins pour ce qui me concerne, j'identifie très bien que le coeur de la beauté scientifique est cette extraordinaire adéquation des équations avec les faits expérimentaux. 

On caractérise quantitativement un phénomène, on réunit les données innombrables en lois, c'est-à-dire en équations… et, patatras !, ces dernières s'appliquent remarquablement bien dans un nombre infini de cas, alors qu'elles n'ont été établies qu'à partir d'un nombre fini de cas particuliers. Cette puissance, cette généralité des lois scientifiques est tout à fait mystérieuse, et tout à fait merveilleuse aussi. 

Mieux encore, il se trouve que les explications que nous trouvons pour rendre compte des lois conduisent sans cesse à des perfectionnements des théories, des dites équations. Et ces perfectionnements ne sont pas de simples améliorations, mais des adéquations encore plus étroites avec des faits expérimentaux. Je ne vois pas comment on pourrait manquer d'être impressionné par cette caractéristique des sciences de la nature. Il y a là-dedans, en germe, toute la fascination pour la numérologie, la cabale… : on soupçonne un projet (divin, bien sûr), et il se trouve que nos explorations expérimentales nous conduisent à identifier des structures insoupçonnées… 

Mais l'expérience nous empêche de verser dans les élucubrations. L'expérience, le premier pied sur lequel nous tenons, avec le calcul, le second pied. 

Cette beauté des sciences de la nature peut être présentée comme je viens de le faire, ou en développant plus, mais cela pose un problème social, à savoir que si nous partageons notre amour des sciences, alors nous risquons de conduire des plus jeunes que nous aspirer à des carrières scientifiques. 

Cela n'est pas mal en soi, car il faut assurer la relève, mais on oublie alors que la science est en réalité réservée à ceux qui calculent beaucoup, qui aiment calculer, qui le font bien, et nous risquons de faire des déçus, des exclus, des rejetés : nous risquons d'obtenir un résultat contraire à celui que nous visions. Que faire ? Quel serait le résultat socialement désirable ? 

C'est certainement la technologie, plus ancrée dans le réel, dans la production, que nous devrions socialement promouvoir, comme je l'ai dit souvent, par le passé. . Comment éviter de fourvoyer nos jeunes amis tout en partageant notre émotion pour quelque chose d'absolument extraordinaire ? 

Je me demande s'il ne serait pas bon d'exposer les beautés des sciences en ne limitant pas notre discours à des mots, qui auraient donc les effets énoncés précédemment, mais en assortissant cette première description d'une présentation plus juste, à l'aide d'équations. Ce qui veut dire que nous devrions revenir aux nombres, et à nos équations, à des caractéristiques particulières de ces dernières. 

Des exemples ? Il y a dans le calcul, disons dans son enseignement, nombre de cas où l'on peut admirer la beauté et l'élégance d'une solution. Par exemple le calcul de l'aire de la surface sous une courbe en cloche dont l'équation est une exponentielle de l'opposé d'un carré. Le calcul d'une aire est ce que l'on nomme un calcul d'intégrale, et, si l'on avait le temps ici, on ferait l'éloge de Newton et de Leibnitz, qui furent les créateurs du calcul différentiel et intégral, chacun à leur façon. 

Mais, ici, je crois qu'il suffit de dire que ces calculs sont des manipulations généralement automatiques qui se ramènent à quelques cas simples, à savoir les intégrales de fonctions connues, que l'on apprend par coeur, ou d'autres qui ont pour noms « intégration par partie », « changement de variable », etc. Je ne rentre pas dans les détails, mais qu'il me suffise d'observer ici que ces techniques sont inopérantes pour le calcul de l'aire de la surface d'une courbe en cloche dont l'équation est exponentielle. 

L'extraordinaire solution qui a été trouvée consiste à calculer non pas l'intégrale elle même, mais le produit de cette intégrale par cette intégrale elle-même. Quand on fait ainsi, des opérations mécaniques simples permettent ensuite de ramener cette intégrale impossible à une intégrale toute simple, comme par miracle. On calcule alors ce carré d'intégrales, et l'on prend ensuite la racine carrée du résultat pour avoir l'intégrale cherchée. 

Quel génie a ainsi réussi à contourner la difficulté ? Et j'utilise le mot "contourner" à bon escient, à savoir que notre homme, au lieu de foncer dans le mur, a imaginé un moyen complètement différent, qui évite le calcul impossible qui nous barrait la route. On dira au choix que c'est le monde qui est merveilleux, ou l'homme qui a trouvé la solution. On dira qu'il s'agit de beauté, ou d'élégance, ou d'intelligence, ou de génie… 

Peu importe, mais je suis de plus en plus convaincu que l'enseignement a tout à gagner à bien montrer qu'il y a là une source d'émotion au moins égale à celle d'une pièce de Brahms. Est-ce difficile d'accès ? Je ne le croit pas, car pour arriver à percevoir la beauté d'une pièce de Brahms, il aura quand même fallu une salle de concert, un piano, un interprète, des partitions… La beauté de Brahms n'est pas immédiatement accessible, et la beauté du calcul de l'intégrale d'une courbe en cloche ne l'est pas non plus. Dans les deux cas, il y a à faire pour partager de l'émotion, et je suis convaincu que nous devrions faire plus effort pour parvenir à partager ce sentiment extraordinairement illuminant qu'est la compréhension de certains mécanismes scientifiques. Le début de ce billet montre peut-être que je ne suis pas peut être assez poète pour réussir dans cette entreprise, mais je crois assez clairement identifier clairement l'objectif. 

Beauté ? Élégance ? Que voulons-nous partager ? À ce stade, ce serait certainement une erreur que de se perdre dans des distinctions entre les termes, et il me semble que nous avons mieux à faire à rechercher des exemples bien choisis pour notre entreprise. J'ai parlé à plusieurs occasions d'opération mécaniques, et des logiciels de calcul formel comme Maple savent aujourd'hui parfaitement faire des manipulations que je décrivais, de sorte qu'un enseignement qui voudrait montrer les beautés du calcul doit sans doute faire usage de ces logiciels où, d'un clic, on obtient des résultats que l'on avait (dans le meilleur des cas : c'est-à-dire si l'on ne s'était pas trompé) après avoir noirci des pages de calcul. 

Se pose d'ailleurs la question de savoir si l'on appréciera pas mieux l'intérêt de ces logiciels si l'on a soi-même fait les opérations nécessaires, transpiré, pour voir finalement qu'un clic magique nous donne la solution. 

Mais la question demeure : quels exemples allons-nous choisir pour montrer les beautés de la recherche scientifique ?

Pour des évaluations qui ne mettent pas les professeurs en défaut

 

Dans un billet précédent j'ai évoqué le paradoxe du professeur faussement sympathique : j'évoquais le fait que, dans le système actuel d'enseignement, les professeurs sont mis à la fois en position d'encourager les étudiants à apprendre et, d'autre part, de les évaluer, et de sanctionner notamment ceux qui n'ont pas réussi.

il y a différentes solutions pour éviter que la sympathie pourtant réelle des professeurs ne soit perçue comme une hypocrisie par les étudiants, et j'avais notamment évoqué la possibilité que des collègues se chargent des évaluations pour les enseignements que nous assurons, afin que nous ne soyons pas juges et partie.
Mais il y a d'autres possibilités, telles des évaluations parfaitement cadrées, explicitées à l'avance comme une sorte de contrat, imparable en quelque sorte. C'est le cas des QCM, par exemple mais on peut généraliser cela à de nombreux autres formes d'examen. 

Il y a lieu d'ailleurs de bien distinguer les connaissances et les compétences, mais, en tout cas, je crois bon de donner le libellé des examens à l'avance. 

Bien sûr, on ne posera pas exactement la même question, mais on se limitera par exemple à changer les valeurs numériques en les tirant au hasard et cela vaut à la fois pour des exercices et des problèmes. 

Qu'en dites-vous ?  


jeudi 9 mai 2024

Tu viens avec une question, mais quelle est ta réponse (utilise la méthode du soliloque)

Au laboratoire, ma porte est ouverte en permanence, car je veux que mes amis puissent venir me parler de science à tout instant. 

Pour autant, sur la porte, il y a cette inscription « Tu viens avec une question, mais quelle est ta réponse ? », et, en dessous, il y a marqué : « Utilise la méthode du soliloque ». A quoi cela rime-t-il ? 

 

La question posée, si l'on peut dire

Nous sommes bien d'accord : mon objectif est de grandir et d'aider mes amis à grandir également. Grandir, cela signifie être autonome, tenir sur ses deux jambes. Cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas discuter avec nos amis, mais n'aurions-nous pas raison de chercher à être indépendant, à penser par nous-mêmes? 

Dans nos travaux scientifiques, l'objectif est d'arriver à produire de la science de bonne qualité, collectivement bien sûr, mais aussi individuellement. Albert Einstein n'avait pas besoin de grand monde pour l'aider à produire de la science, pas plus que Michael Faraday, ou Paul Dirac, ou Galilée. 

Même sans nous comparer à de tels grands anciens, nous pouvons avoir l'ambition de bien faire, ce qui impose que nous y pensions (toujours, y penser toujours). 

De ce fait, je crois que c'est une mauvais position, pour les étudiants, que de venir poser leurs questions et recevoir les réponses à ces questions. N'est-il pas préférable qu'ils cherchent eux-mêmes les réponses, et apprennent à trouver ces dernières ? Évidemment, pour ne pas faire de catastrophe, ils pourront soumettre les réponses qu'ils auront trouvées, afin que l'on corrige des fautes éventuelles, qu'on les remette sur la bonne voie s'ils se sont fourvoyés. Après tout, les professeurs ont pour eux l'avantage des années, ce qui signifie en pratique d'avoir déjà fait un très grand nombre d'erreurs et, les ayant analysées, d'être capable de ne pas les refaire. C'est donc cela que je propose aux étudiants : chercher les réponses aux questions qu'ils se posent, trouver ces réponses, et les soumettre, à moi ou aux autres membres du Groupe de gastronomie moléculaire. 

 

On ne rejette pas des amis !

En réalité, cette dynamique (j'avais écrit "règle", mais le mot "dynamique" représente mieux l'état d'esprit de notre groupe de recherche) n'est pas venue immédiatement, mais je l'ai instaurée quand j'ai vu que certains se reposaient entièrement sur les autres, et que, de de fait, ils perdaient l'intérêt de leur stage, qui, selon la loi, consiste à transformer des connaissances en compétences. J'avais donc d'abord écrit sur la porte : « Tu as une question, mais quelle est ta réponse ? ». 

A cette proposition, certains de nos jeunes amis m'ont dit assez justement que s'ils venaient m'interroger, c'est précisément qu'ils n'avait pas la réponse. L'avaient-ils cherché assez ? Je ne sais pas, mais il est vrai que, au minimum, je devais leur demander s'il avait cherché assez. C'est donc ce que j'ai d'abord fait, mais certains sont alors revenus après un long moment en ayant « séché » : malgré du temps passé, ils n'arrivaient pas à trouver la réponse, parce qu'ils leur manquait une méthode pour chercher et pour trouver. C'est alors que j'ai mis au point cette « méthode du soliloque » qui est au minimum une pratique correcte de chercher, laquelle conduit presque immanquablement à trouver. 

 

Qu'est-ce que cette méthode ? 

Elle est fondée sur l'observation selon laquelle nos tête sont pleines de pensées tourbillonnantes, qui nous empêchent de nous focaliser sur les questions que nous devons analyser. D'autre part, l'exercice de la pensée met en oeuvre au moins de la déduction et de l'induction, et si l'induction est quelque chose de bien difficile, la déduction devrait être à la portée de tous… à condition de bien s'y prendre. 

La méthode du soliloque se fonde sur une hypothèse due à l'abbé Condillac et reprise par Antoine Laurent de Lavoisier, qui consiste à supposer que les pensées sont véhiculées par des mots. De la sorte, en considérant bien les mots, nous pourrions corriger nos erreurs intellectuelles, et progresser dans l'analyse des questions. 

L'analyse du soliloque propose en substance d'analyser par écrit les raisonnements que nous faisons à propos de questions que nous nous posons. C'est une méthode très efficace, qui est développée dans des documents mis en ligne et que j'ai fini par proposer aux étudiants qui venaient m'interroger.

 On se souvient que je propose de penser qu'il y a des obligations de moyens ou des obligations de résultats. L'obligation de résultats n'est pas demandée aux médecins, par exemple, parce qu'ils ne peuvent pas garantir qu'ils sauveront les patients de la mort. En revanche, les médecins ont une obligation de moyen, ce qui signifie qu'ils doivent connaître les bonnes pratiques de leur profession et les mettre en oeuvre. 

Les étudiants étant... des étudiants, je ne leur demande pas des résultats, mais seulement d'apprendre. Et, apprendre, c'est (pour ceux qui n'ont rien de mieux à proposer) mettre en oeuvre la méthode du soliloque, afin de devenir progressivement capable de trouver les réponses aux questions que l'on se pose. 

Ce qui est merveilleux, avec cette proposition de mettre en oeuvre la méthode du soliloque, c'est que progressivement, les étudiants parviennent vraiment à trouver des réponses aux questions qu'ils se posent. Au pire, ils ont appris la méthode du soliloque, c'est-à-dire une analyse fondée sur un usage sain des mots.. ce qui est quand même un bon début, à défaut d'être le résultat visé.

mercredi 8 mai 2024

Faut-il manger des viandes cuites au barbecue ?


Ce matin, un correspondant (amical) me demande des précisions sur la carcinogénicité des viandes cuites au barbecue, afin de ne plus en manger :

"Vous dites que manger des aliments cuits au barbecue est cancérigène, pouvez-vous me préciser exactement ce qui l'est, est-ce le charbon ou autre chose ? J'aimerais en savoir plus avant d’arrêter définitivement ces moments plaisirs de l'été."

 

Je lui réponds : 

 

Je ne dis pas qu'il ne faut pas manger de viande cuite au barbecue, pour cette première et importante raison que je dis que chacun doit faire ce qu'il veut. Dans mon laboratoire, les "on doit" ou les "il faut" sont interdits, et nous invitons chacun à prendre des décisions responsables, après recherche. 

Pour ce qui concerne le barbecue, je dis plus exactement (et j'ai des tas de références scientifiques à vous donner) que la viande mise au-dessus du feu ou de la braise se charge de benzopyrènes cancérogènes. Que le feu soit vif, avec des flammes, ou qu'il n'y ait que des braises, que l'on ait utilisé du bois ou du charbon de bois, peu importe. 

En revanche, je propose de savoir que si l'on surélève la grille, la quantité de benzopyrènes diminue, mais, surtout, que si l'on met la viande à côté du feu, et non pas dessus, alors la quantité de benzopyrène devient indétectable (pour ne pas dire nulle) : en effet, les viandes cuisent tout aussi bien, parce que les infrarouges se propagent dans toutes les direction ; mieux encore, on peut mettre derrière la viande un réflecteur, nommé "coquille", qui accélère la cuisson. Et dans cette configuration, évidemment, pas de benzopyrène ! 

Finalement, s'il est vrai que les benzopyrènes cancérogènes sont effectivement abondants dans les viandes au barbecue classique, je ne crois pas qu'il faille arrêter de cuire ainsi, quand cela n'a lieu que quelques fois. Car le risque n'est grand que par la répétition des expositions. 

D'autre part, je prends souvent l'exemple de la viande au barbecue non pas pour empêcher mes amis de manger des préparations, mais surtout pour inviter à être de bonne foi, et à ne pas se préoccuper de dangers moins avérés, de risques plus faibles (les additifs, les pesticides, les perturbateurs endocriniens, le gluten, que sais-je ?) quand on fait soi-même bien pire. Il y a d'autres exemples de ce type : fumer, boire, ne pas enlever la peau des pommes de terre, etc. 

Je revendique surtout de la cohérence !

Une expérience, c'est un chemin, avec des pas qui s'enchaînent

Pour préparer une expérience, nous avons dû élaborer un document qui décrivait la préparation de 125 tubes, leur pesée, leur numérotation, la pesée et la numérotation des bouchons, la préparation de 125 échantillons que nous mettrons dans ces tubes, la pesée des 125 tubes emplis.... Sachant que nous pesons trois fois chaque objet, il y aura plusieurs milliers de pesées à  effectuer pour parvenir au bout de l'expérience, et, pour prévoir chaque masse pesée, il faudra évidemment consigner par avance un numéro, une masse, répéter des indications : "pesée de", "pesée de", "pesée de"... en indiquant chaque fois ce que nous allions peser.
Pour cette tâche extraordinairement répétitive, il y a  le risque que l'on se trompe si l'on se lasse. D'ailleurs, quand nous  ferons l'expérience, il y aura donc ces milliers de pesées à effectuer, et le risque d'erreur est encore supérieur.
Car on risque de se lasser, de de bâcler, d'aller trop vite, de mal recopier des chiffres indiqués par la balance... ce qui compromettrait la totalité de l'édifice.

D'où la question :  comment éviter de se lasser à la millième pesée  ? 

J'ajoute que ce cas que je décris ici n'est en rien exceptionnel en science : le métier scientifique est tout entier dans ce genre de procédures, car c'est seulement avec de nombreuses mesures qu'on a quelques chances d'en tirer des équations, de sorte que les progrès théoriques dépendent de l'exactitude d'un travail répétitif.

Viser cet objectif final quand nous ferons les pesées ? Ce serait s'accrocher à un intérêt extrinsèque, et non à un intérêt intrinsèque, bien plus motivant. Oui, je crois qu'il y a lieu de ne pas oublier cela : c'est l'intérêt intrinsèque des travaux qui prime.

Pour la préparation de l'expérience, le simple fait qu'il y ait répétition dans un travail d'écriture doit nous conduire à utiliser l'ordinateur pour produire une écriture juste : la mise au point du (petit) programme nécessaire pour arriver à rédiger la chose peut être intéressante en elle-même.

Puis, quand nous pèserons, quand nous serons en présence de la balance, il faudra sans doute chercher à nous améliorer à chaque pesée, de sorte que toutes puissent être passionnantes.

Dans un billet précédent, j'ai bien expliqué qu'il ne faudra surtout pas penser à autre chose, mais, au contraire, être parfaitement concentré sur la tâche que nous ferons : déposer l'objet bien au centre du plateau de la balance, mesurer nos gestes, poser l'objet sans heurt, recopier les valeurs mesurées en calligraphiant, afin de ne pas confondre un 7 avec un 4 ou un 9 avec un g, par exemple.

À la réflexion, je crois que  nous gagnerions à comparer ce travail des milliers de pesées à une promenade de 1000 pas : à raison d'un mètre par pas, cela fait un kilomètre. Bien sûr, quand nous marchons en terrain plat, notre tête peut penser à autre chose, pendant que nos pieds nous meuvent,  mais pour peu que notre promenade nous emmène sur un sentier qui jouxte un précipice, alors tous nos pas devront être mesurés.
De même, pour notre expérience, nous devons garder en tête cette métaphore du chemin bordant un précipice :  chaque pesée doit être bien faite.
Et la volonté de nous améliorer est peut-être la clé du succès : si, pour chaque pesée, nous nous  demandons comment bouger les doigts, les main, comment poser l'objet sans faire le moindre bruit, comment le saisir, comment ne pas le lâcher, comment lire et consigner les chiffres donnés par la balance, et cetera, alors nous ne pourrons jamais nous nous ennuyer

A chaque instant, nous devons nous souvenir que tout ce qui mérite d'être fait mérite d'être bien fait. Dans cette perspective, chaque geste, répétitif ou pas, doit être fait avec intelligence  : en nous demandant comme le faire mieux, en y mettant de l'intelligence, non seulement nous ne nous lasserons pas, mais, de surcroît, chaque geste deviendra si passionnant qu'il sera très bien fait.  

mardi 7 mai 2024

Comment faire d'un petit mal un grand bien ?

 
Dans les emails que chaque membre de notre Groupe de gastronomie moléculaire envoie à tous les autres, chaque soir, pour faire état des travaux effectués pendant la journée, il y a un tableau qui comporte des lignes. 

Par exemple, nous décrivons nos travaux, scientifiques ou de communication, nous décrivons ce que nous avons fait d'un point de vue administratif, nous disons ce que nous avons appris (connaissances) et appris à faire (compétences) ; nous disons ce que nous avons donné aux autres : un coup de main, un calcul, la correction d'un texte. 

Mais la ligne la plus essentielle de ce tableau est intitulée "symptôme", où nous décrivons ce qui a coincé. Cette ligne est essentielle, parce que l'analyse de ce qui a coincé est la possibilité de progresser. C'est parce que nous nous heurtons à un obstacle, si nous apprenons à le contourner, à l'escalader, que nous aurons des chances de progresser. Si nous identifions qu'une connaissance nous manquait, nous l'obtenons. S'il nous manque une compétence, nous pouvons avoir l'objectif de l'acquérir. 

Chaque fois, il y a ce mouvement très positif d'arriver à un état meilleur que l'état précédent. Il y avait un un petit mal, et nous en avons fait un bien. Tant qu'à faire, pourquoi pas un grand bien ? 

Un bon exemple d'un tel mouvement eut lieu un jour, avant un banquet que je devais commenter, et où une sauce avait raté : la sauce était grumeleuse, impossible à servir... Ce jour-là, j'ai eu l'idée d'analyser la question : la sauce était ratée ? Que cela signifiait-il ? Qu'il y avait un sédiment et un liquide clair. Clair ? Après tout, les cuisiniers cherchent toujours à clarifier les bouillons, de sorte que cette clarification était un avantage. Nous pouvions donc produire un liquide clair à partir de cette sauce grumelée. 

Effectivement la décantation de la la sauce ratée conduisit à une sorte de purée, qui avait beaucoup de goût, et qui fut servie, et à un liquide parfaitement clair, qui avait le goût de la sauce visée. 

Finalement ce petit mal de la sauce ratée a conduit non seulement à une sauce d'une limpidité absolue, qui fut servie dans un verre de cognac, mais aussi à me faire comprendre que nous aurions sans doute intérêt à toujours faire d'un petit mal un grand bien. A nous d'analyser le ratage, pour parvenir à ce grand bien. Ce n'est pas un grand bien obtenu par déduction, mais par induction, de sorte que si nous y avons pensé beaucoup, nous saurons faire preuve de créativité. 

Là, j'entends nombres d'amis qui avouent leur insuffisance dans ce domaine : créativité, innovation... Toutefois j'ai fait un livre entier (Cours de gastronomie moléculaire N°1) pour expliquer comment la créativité n'est pas un don du ciel, mais plutôt la mise en œuvre active d'une méthode systématique que j'ai détaillée dans ce livre. La méthode est systématique, donc infaillible. Elle ne demande une chose : du travail, ce qui est donc merveilleux, au moins pour les individus que j'estime le plus : ceux qui n'hésitent jamais à se retrousser les manches. Je ne doute pas que le travail leur donnera la créativité, après un peu d'exercice, de sorte que, presque à coup sûr, ils sauront faire d'un petit mal un grand bien. 



Apprendre... pour savoir

Nous sommes d'accord : quelqu'un qui sait, c'est quelqu'un qui a appris. Ce qui signifie comprendre et mémoriser.

Aujourd'hui, je m'aperçois que j'ai souvent répété que, pour savoir quelque chose il faut l'apprendre sept fois.
Toutefios, regardant les travaux des neurobiologistes (https://www.college-de-france.fr/sites/default/files/documents/stanislas-dehaene/UPL6651266307963835382_Cours_5_Fondements_cognitifs_des_apprentissages_scolaires.pdf ou la vidéo https://www.college-de-france.fr/fr/agenda/cours/fondements-cognitifs-des-apprentissages-scolaires/la-memoire-et-son-optimisation), je m'aperçois que cette idée n'est pas juste. Il semble plus exact de dire que la durée de mémorisation d'une information dépend de la fréquence du rafraîchissement de cette dernière.

Autrement dit, il ne suffit pas d'apprendre sept fois dans l'absolu. Il faut d'abord se fixer la durée voulue de la mémorisation de l'information et c'est en fonction de cette durée que l'on organisera des répétitions de l'apprentissage.

Bien sûr les neurobiologistes confirment que la mémorisation doit être répétée : on n'apprend pas quelque chose en y regardant une fois seulement. Du moins on ne se souviendra pas de la chose bien longtemps.

A dire à tous les étudiants ;-)