Le 12 février, à la Maison de la chimie, nous tiendrons un grand congrès alimentation et chimie. Il ne s'agit pas de proposer de mettre des additifs partout mais bien plutôt de permettre de comprendre comment cette science merveilleuse qu'est la chimie permet d'interpréter les phénomènes qui se présentent dans notre alimentation : cela va de la cuisine à la cuisine, en passant par la perception sensorielle, le métabolisme, etc.
Et voici mon résumé, puisque je fais une des deux conférences introductives :
Manger, hier, aujourd’hui et demain : vue de la chimie
Hervé Thisa
a Inrae-AgroParisTech International Centre of Molecular and Physical Gastronomy
On ignore ou on oublie que nous sommes la première génération à ne pas avoir connu de famine, dans l’histoire de l’humanité. Chasseurs-cueilleurs, les populations étaient soumises aux aléas climatiques, mais l’introduction de l’agriculture, de l’élevage et de la cuisson des aiments ont forgé l’espèce humaine. Les deux premiers ont contribué à assurer une meilleure régularité des approvisionnements, tandis que la « cuisine » procurait :
- un assainissement microbiologique et toxicologique,
- une meilleure accessibilité des nutriments présents dans les denrées,
- un changement de goût (il n’est pas anodin que d’autres mammifères que les êtres humains préfèrent des aliments cuits aux aliments crus,
- un changement de consistance, notamment pour faciliter la consommation des denrées les plus dures (surtout à une époque où l’odontologie était absente),
La transformation des aliments (« cuisine ») ne se limitait pas à la cuisson : des fermentations bien conduites permettaient le stockage des denrées (pensons aux choucroutes actuelles, mais aussi à la confection des yaourts ou des fromages, qui sont en réalité des conserves de lait, à la production de confitures (conservation au sucre), de produits saumurés ou fumés…
Evidemment, toutes les transformations des denrées brutes étaient initialement empiriques, ce qui ne signifie d’ailleurs pas qu’elles aient été opérées par des imbéciles : la « cuisson en fosses », par exemple, est une merveilleuse manière de valoriser les nutriments des viandes, lesquel sont récupérés dans le « bouillon », et le rôtissage de nos ancêtres étaient bien mieux conduit que dans nos barbecues modernes.
La chimie, née entre la parution du premier et du quatrième tomes de l’Encyclopédie de Denis Diderot et Jean Le Rond d’Alembert (sans oublier Louis de Jaucourt)[1], s’intéressa quasi immédiatement à la production des aliments, à la cuisine. Notamment la production de ce bouillon qui est « l’âme des ménages » fut étudiée par Geoffroy Le Cadet, avant qu’Antoine Laurent de Lavoisier ne produise une étude remarquable, qui mêle la chimie à des applications techniques et sociales [2]. Puis il y eut d’autres explorations des « produits naturels » et de leurs transformations : apparurent des notions d’ « albumine » [3], de « chlorophylle » [4], de « lécithine » [5], de « pectine », etc. On observera que, si de nombreux termes d’alors (essentiellement les 18 et 19e siècles) ont été conservés, les acceptions ont changé.
Progressivement, les études se sont divisées en deux branches : l’étude des composés des ingrédients alimentaires, et les études technologiques. Mais, dans les années 1980 s’est introduite la discipline scientifique nommée « gastronomie moléculaire et physique », pour reprendre l’étude scientifique des phénomènes qui surviennent lors de la transformation « culinaires » des ingrédients alimentaires en « aliments »[6]. Ces études scientifiques se sont accompagnées de développements technologiques et techniques : ce fut d’abord la « cuisine moléculaire », qui visait à rénover les techniques culinaires, et, depuis 1994, la « cuisine de synthèse » (ce qui correspond à un courant artistique nommé « cuisine note à note »)[7].
Que mangerons-nous demain ? Pour examiner la réponse, il faut considérer les faits : il y aura environ 10 milliards d’individus à nourrir (contre 7 aujourd’hui), avec un coût de l’énergie qui augmente. La lutte contre le gaspillage doit évidemment s’intensifier, alors qu’apparaissent de nouvelles possibilités techniques : les imprimantes 3D alimentaires [8], la synthèse de nutriments à partir du dioxyde de carbone atmosphérique…
Références :
1. Didier Kahn, Le fixe et le volatil, CNRS Editions, 2016.
2.Hervé This. Histoires chimiques de bouillons et de pot-au-feu, L’Actualité chimique. 2009 (11), 336, pp. 14-16.
3.Hervé This, Albumen et albumines, Encyclopédie de l’Académie d’agriculture de France, https://www.academie-agriculture.fr/publications/encyclopedie/questions-sur/0801q01-albumen-et-albumines
4. Hervé This, Parlons des chlorophylles, et pas de la chlorophylle !, Encyclopédie de l’Académie d’agriculture de France, https://www.academie-agriculture.fr/publications/encyclopedie/questions-sur/0801q04-parlons-des-chlorophylles-et-pas-de-la-chlorophylle
5.Hervé This, Les lécithines, Encyclopédie de l’Académie d’agriculture de France. https://www.academie-agriculture.fr/categories-de-lencyclopedie/sciences-technologies-des-aliments, 2 février 2021.
6. Hervé This. Molecular Gastronomy, a chemical look to cooking. Accounts of Chemical Research, vol 42, N°5, pp. 575-583, 2009.
7. Hervé This, La cuisine note à note en 12 questions souriantes, Editions Belin, Paris, 2012.
8. Hervé This, Charlotte Dumoulin, Roisin Burke, L’impression alimentaire : de la 3D à la 6D !, L’Actualité chimique, N°497, 5-7, 2024.
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