mercredi 13 décembre 2023

Les questions étincelles

Pourquoi l'estomac ne se digère-t-il pas lui-même ? Voilà le prototype de ce que je nomme des "questions étincelles", ces cadeaux que l'on fait à nos amis, et qui ont pour but que nos amis aient des pensées pour nous, que se crée une communauté immatérielle de la pensée, du soin d'autrui... 

Evidemment, cette idée a des rapports avec le concept des "belles personnes", que j'avais développé naguère : ces personnes qui poussent l'amitié qu'elles vous portent en vous surprenant, chaque rencontre, par de nouvelles idées qu'elles vous soumettent. Elle a sa part de naïveté qui lui fait échapper à la rouerie de trop de personnes que l'on prétend intelligentes, mais qui, tels les rhéteurs dénoncés par Platon, sont des esprits faux, méchants, malhonnêtes, en un mot. 

Mais on se souvient que je propose de garder en tête que "le summum de l'intelligence, c'est la bonté et la droiture". Revenons aux questions étincelles. Je les oppose aux questions étouffoirs, ces questions dont la réponse est factuelle, à ras de terre, cette victoire des géants contre les dieux de la mythologie alémanique, cette poussière du monde de Shitao. 

J'insiste : les questions étouffoirs sont des transmissions d'information sans plus de valeur que les bits qui les codent. Quelle heure est-il ? Comment ça va ? Vous avez vu ce film ? Vous avez lu ce livre ? Des conventions, qui révèlent, en creux, que nos interlocuteurs n'ont pas d'égard pour nous, en un mot qu'ils ne nous aiment pas. 

Sortons de la fange, redressons-nous, et repartons dans le clair azur de notre monde de questions étincelles. Ce sont les questions qui nous font penser, les questions qui nous poussent à entreprendre, à explorer, à travailler... 

C'est ainsi que je vois, idéalement, une thèse de sciences de la nature : le directeur de thèse pose une question, des questions, et le doctorant fait son chemin, en quête de réponses... ou pas. Disons seulement "en quête", et cela suffira. 

Les questions étincelles : des cadeaux que l'on nous a fait, des échos de ce "Enseigner, ce n'est pas emplir des cruches, mais allumer un brasier". Elles sont, je crois, la base d'un bon enseignement : celui qui n'occupe pas inutilement les emplois du temps, celui qui fait confiance aux étudiants, qui iront sur un chemin balisé, mais qui marcheront d'eux-mêmes, sans qu'on les tire vers l'abattoir. On le voit, je ne mégote pas avec les métaphores, pour discuter cette question des questions étincelles, mais c'est que je veux y mettre de la vie, du... feu !

mardi 12 décembre 2023

Comment analyser des réactions chimiques dans un milieu complexe ?

 Les milieux complexes sont... complexes, et l'on est souvent perdu, face à l 'analyse de leurs transformations. Tout semble se modifier à la fois, et comme ces milieux contiennent une foule de composés, il semble que l'on doive abandonner tout espoir de comprendre les réactions qui ont lieu dans ces milieux.

 

Je crois, au contraire, que la saine application d'une saine méthode permet de s'en tirer facilement. 

 

Ma proposition est essentiellement de reconnaître l'existence d'ordres de grandeur de composition.
En effet, ces milieux peuvent, tout d'abord, être caractérisés, par exemple pour la composition moléculaire, de la façon suivante : entre 100 pour cent et 10 pour cent, c'est le premier ordre de quantité ; entre 10 pour cent et 1 pour cent, c'est le deuxième ordre ; entre 1 pour cent et 0,1 pour cent, c'est le troisième ordre ; et ainsi de suite.
Par exemple, pour le vin, qui est un liquide complexe, on considère d'abord le fait qu'il soit essentiellement de l'eau (premier ordre), puis de l'éthanol au deuxième ordre, puis différents acides, tels l'acide tartrique, l'acide succinique, etc. au troisième ordre ; et ainsi de suite.

 

 Cette organisation étant produite, je propose maintenant de considérer que si un composé présent au premier ordre varie notablement (et il faut considérer des ordres de grandeurs de variations), alors cette modification ne pourra être due qu'à des réactions du composé initial avec des composés d'un ordre égal ou supérieur au sien.
Par exemple une modification importante d'un composé présent au premier ordre ne sera jamais due à la réaction du composé avec un autre composé présent au troisième ordre. Si ces deux composé réagissent, la variation du composé présent au premier ordre ne pourrait être que du troisième ordre. En revanche, le composé au troisième ordre, lui, pourrait réagir notablement avec des composés au premier ou au deuxième ordre. 

En conséquence, je propose donc d'examiner d'abord les réactions des composés au premier ordre, qui ne pourront réagir notablement qu'avec les composés au premier ordre (et par réaction, j'entends éventuellement des dissociations de ces composés) ; puis, la variation de chaque composé au premier ordre étant expliquée, il y aura des variations résiduelles, et l'on pourra passer à l'analyse au deuxième ordre.
C'est ensuite, quand on aura analysé au deuxième ordre, que l'on pourra passer au troisième ordre. 

On le voit, la complexité se réduit beaucoup si l'on analyse de façon systématique (par ordres de grandeur successif), en partant du plus important pour aller vers le plus détaillé. je crois que c'est un principe général. 

Évidemment, je vois déjà des objections, et je m'empresse de signaler que ce sont des objections... au deuxième ordre ;-)). Par exemple, on peut imaginer qu'un composé présent en petite quantité puisse produire un effet considérable par une action catalytique. Ce fut d'ailleurs un progrès essentiel de la chimie que de reconnaître l'existence de ce phénomène de catalyse. Toutefois la catalyse est un cas particulier de réaction, une sorte de réaction au deuxième ordre. Le pire n'est jamais sûr ! J'ai également évoqué la dissociation, et l'on pourrait imaginer qu'un composé se fragmente en mille petits morceaux. On peut l'imaginer, mais il y a quand même des probabilités à respecter. Si la probabilité d'un tel événement est du même ordre de grandeur que la probabilité qu'une météorite me tombe sur la tête, alors considérons plus raisonnablement que l'événement n'aura pas lieu. 

D'autant que je vous invite à faire l'expérience suivante : au tiers et au deux tiers de la longueur d'une feuille de papier, faites une fente qui coupe la feuille par le travers, mais en laissant un tout petit pont de papier, de sorte que la feuille soit presque divisée en trois morceaux, mais que ces morceaux restent attachés. On peut parier une caisse de champagne que si l'on tire sur les deux morceaux des extrémités, alors on ne fera jamais que deux morceaux. Pour la même raison, un bâton posé verticalement tombera, même s'il est parfaitement droit : l'équilibre est instable, même si c'est un équilibre (théorique). 

Pour les mêmes raisons, une molécule d'un mélange complexe ne se dissociera jamais qu'en deux fragments, en se cassant à la liaison la plus faible. Bien sûr, chacun des fragments pourra ensuite se diviser encore, mais la probabilité qu'ils se divisent tous les deux au même moment est très faible, de sorte que l'on aurait ensuite trois morceaux, puis cinq, et ainsi de suite. Finalement, on pourra effectivement obtenir mille morceaux, mais une analyse pas à pas fait cette analyse toute simple. 

 

Finalement, je répète mon acte de foi : le monde est simple, à condition d'avoir une saine méthode que l'on utilise sainement. Oui, le diable est caché derrière chaque détail expérimental, en science, mais notre intelligence doit nous permettre de le vaincre, pas à pas. Et c'est ainsi que la physico-chimie est une science merveilleuse, n'est-ce pas ?

Beurre nantais ? Beurre blanc ? Non, sauce blanche !

 Ce matin, une question à propos de "beurre nantais"

 

Bonjour Monsieur This,

Je suis  nantais d'origine et  adepte de la sauce au beurre blanc (parfois appelée beurre nantais).
Je m'adresse à vous car je pense que vous êtes à même d'expliquer le pourquoi du comment quant à la réussite ou le ratage de cette sauce. Je la rate plus souvent (à mon grand désespoir) que je ne la réussis ! Et j'aimerais ne pas la rater pour les fêtes de Noël...

Après moult essais et recherches sur internet, je ne trouve pas d'explications scientifiques poussées.
Chacun a son explication ou son astuce mais sans trop pouvoir la justifier :

- couper menu les échalotes ??
- réduire très lentement le mélange échalotes + vinaigre + vin ??
- ajouter systématiquement du vin au vinaigre ( pb d'acidité ? acidité du vin moins importante que celle du vinaigre ? )
- laisser refroidir complètement la réduction d'échalotes avant d'incorporer le beurre ??
- ajouter de la crème avant d'incorporer le beurre ??
- ajouter un filet d'eau froide ??
- incorporer le beurre froid  ou très froid ( il y a apparemment un consensus là dessus) ??      en petits morceaux ??
- mélanger le beurre sans jamais cesser de fouetter délicatement en formant des 8 et à feux doux ??
- beurre clarifié ??
- difficile de la réchauffer au bain-marie ??

Quelles sont dans toutes ces manipulations, les vrais gestes à faire et surtout pour quelles raisons je suis un?

Je vous ai connu par le biais de vos articles très intéressants dans la revue Pour la Science ( et gastronomie)
J'ai une formation scientifique ( baccalauréat C). J'aimerais comprendre le ou les phénomènes physico-chimiques inhérents à l'élaboration du beurre blanc.

Je crois avoir compris que le beurre est une émulsion inversée  "eau dans huile" .

Est-ce qu'une question de température (froid au départ, pas trop chaud ensuite mais quels seraient alors les seuils à ne pas dépasser)  et/ou d'acidité (vinaigre, vin), ou bien autre chose encore ?

En résumé, que se passe-t-il chimiquement pour que cette sauce au beurre blanc soit si instable ?

Je suis tombé sur ce podcast, certes intéressant, mais ne fournissant pas suffisamment d'explications ( il est question du beurre blanc des minutes 10 à 18) :
https://www.franceinter.fr/vie-quotidienne/le-beurre-blanc

J'espère que vous comprendrez mon interrogation et que vous pourrez y répondre malgré votre temps précieux.

Merci d'avance.
Bien gastronomiquement.

 

Et voici ma réponse
 
Merci pour votre message.
La première des choses que je fais, quand je discute d'une recette, c'est de savoir vraiment ce dont je parle... et cela m'a conduit à faire, chaque semaine, une recherche historique que je publie dans les Nouvelles gastronomiques... avec de nombreuses surprises !
Et pour le "beurre blanc" : https://nouvellesgastronomiques.com/beurre-blanc-non-sauce-blanche/. 

Voici en clair : 

Beurre blanc ? Non : sauce blanche

Hervé This s’interroge sur l’appellation de cette sauce que tout le monde connaît… Le beurre blanc ? Ces billets terminologiques ont déjà plusieurs fois signalé des attributions erronées de termes, et il vient d’en trouver un nouveau…

Wikipédia signalait que, en 1890, au restaurant La Buvette de la Marine, dans le hameau de La Chebuette, lieu-dit de la commune de Saint-Julien-de-Concelles, situé sur les bords de la Loire, à quelques kilomètres en amont de Nantes, une certaine Clémence Lefeuvre aurait inventé le beurre blanc, pour le marier avec les poissons de Loire. On dit même que cela aurait résulté d’un ratage d’une béarnaise… mais c’est être bien ignorant de l’histoire de la cuisine que de propager cette idée, car on trouve déjà une sauce tout à fait analogue dans l’auteur du 17e siècle (deux siècles et demi avant cette cuisinière nantaise!) qui signe seulement de ses initiales « L.S.R », peut-être pour « le sieur Robert ».

Plus précisément, LSR, en 1643, propose de faire une « sauce blanche » avec beurre, bouillon, sel, poivre, qu’il sert sur du brochet, et qui insiste pour dire que l’émulsion doit être bien faite, sans « tourner en huile ».

Bref, Clémence Lefeuvre n’a rien inventé… d’autant que l’on retrouve encore cette « sauce blanche » chez Pierre François La Varenne : « faites une sauce avec du beurre bien frais, peu de vinaigre, sel, muscade, & un jaune d’oeuf pour lier la sauce. » Là, il détourne la sauce blanche de LSR, puisqu’il lie aux œufs. Massialot, en 1705, détourne encore davantage en proposant une sauce faite de persil, sel, poivre blanc, jaunes d’oeufs, filet de vinaigre, un peu de bouillon :cette fois, c’est une suspension, une sauce qui doit son épaisseur à la coagulation des jaunes d’oeufs plutôt qu’à l’émulsion du beurre fondu dans le bouillon dans le vinaigre.


 

A noter que tout cela se retrouve ensuite dans le "Glossaire des métiers du goût" : https://icmpg.hub.inrae.fr/travaux-en-francais/glossaire/glossaire-des-metiers-du-gout
(il me faut parfois un peu de temps pour rectifier le glossaire)

 

Cela étant, si votre recette consiste à faire revenir des échalotes avec du vinaigre et du vin, puis à ajouter de la crème et du beurre, alors je ne l'ai jamais ratée, considérant les principes sains suivants :
 

1. "Il faut au moins 5 % d'eau pour faire tenir une émulsion".

2. "Il faut des composés tensioactifs (protéines par exemple) pour assurer la dispersion stabilisée des gouttes de matière grasse dans l'eau". 


Ici, l'eau vient du vinaigre, du vin, de la crème, du beurre... mais elle s'évapore, et c'est souvent la cause du ratage.

Couper menu les échalotes ? C'est seulement une question de goût, mais il est vrai que plus vous coupez finement, plus vous libérez le contenu des cellules.

Réduire lentement le mélange échalotes+vinaigre+vin ? A ma connaissance, personne n'a encore comparé la réduction lente ou rapide, analytiquement en tout cas. Une expérience à faire... assortie d'un test triangulaire, comme je l'explique dans l'avant dernier numéro de Pour la Science
 

Ajouter du vin au vinaigre ? Je crois que la question de l'acidité est très secondaire. C'est la présence d'eau qui compte.
 

Laisser refroidir les échalotes ? Aucun intérêt."Il faut au moins 5 % d'eau pour faire tenir une émulsion".
 

Ajouter de la crème ? La crème apporte de l'eau, ce qui permet de mettre ensuite plus de beurre. Elle apporte aussi des tensioactifs, et cela est important (voir plus loin). 

Ajouter un filet d'eau froide : certainement, quand on met beaucoup de beurre, on risque de dépasser les 95 % fatidiques, et, tout comme on met du jus de citron ou du vinaigre dans une mayonnaise qui épaissit, un filet d'eau fait son office... mais dommage, car l'eau n'a pas de goût : pourquoi pas vin, vinaigre, jus de citron, thé, jus de légume, fond, jus de fruit, etc. ?

Le beurre froid, en morceaux : aucun intérêt, car il finit toujours par fondre et s'émulsionner.

Beurre clarifié : apporte moins d'eau, et le petit lait a un goût différent, donc une question de choix artistique (gustatif). Mais attention : pour un sauce sans crème, le petit lait devient essentiel, par les protéines qu'il apporte.
 

Réchauffer au bain marie ? Moi je réchauffe autant que je veux, et à plein feu, sans me fatiguer à faire un bain marie.

Bref rien de plus simple :
- le beurre fond, et fait "huile"
- il libère du petit lait (de l'eau et des protéines) quand il n'est pas clarifié
- et il faut 5% d'eau pour faire tenir l'émulsion, qui est d'ailleurs une émulsion de type huile dans eau.

Non, le beurre n'est pas une émulsion eau dans huile, comme cela est prétendu et fautivement enseigné jusque dans les écoles d'ingénieurs agronomes : voir à ce sujet mon livre Mon histoire de cuisine (fait pour des personnes comme vous), ou bien le Handbook of Molecular Gastronomy.

Les températures ? Peu importe... mais attention que plus on chauffe et plus l'eau s'évapore : pensons à nos 5%.

Instabilité de la sauce ? Les tensioactifs proviennent de la crème, du beurre... mais si l'on broie les échalotes, on peut aussi en extraire de ces dernières.
Car une émulsion, c'est de l'eau (phase continue), des gouttes d'huile, des tensioactifs pour les couvrir et les disperser.
Dans la crème et le beurre, il y a des tas de protéines, parfaitement tensioactives. Mais dans le beurre clarifié, elles ne sont pas présentes, d'où l'intérêt de la crème. A noter qu'on peut aussi ajouter des tensioactifs insipides : un quart de feuilles de gélatine, ou n'importe quel tissu végétal ou animal broyé finement (même du gazon), qui libérera des phospholipides et des protéines.

Bien cordialement, joyeuses fêtes


lundi 11 décembre 2023

Du saucisson brioché



Un saucisson brioché ? Rien de plus simple, même si cela prend un peu de temps : pas du temps de travail, mais du temps de fermentation.

Commençons par dire qu'il s'agit de cuire un saucisson (un "saucisson à cuire", tel une saucisse de Morteau) dans une brioche, et que l'on peut utilement accompagner d'une sauce au vin.

Avant toute chose, donc, se procurer un saucisson et de la levure, puisqu'on aura le reste, en général (oeufs, farine, beurre, lait, sel, sucre, vin, échalotes).

Pour faire le saucisson brioché, il faut commencer par faire une brioche. On obtient cette dernière  en mettant d'abord un peu de levure dans une petite tasse de lait, avec une cuillerée de farine, un peu de sel et un peu de sucre. On met ce mélange à tiédir (par exemple, dans une casserole avec un fond d'eau que l'on porte à ébullition une seconde). Quand ce mélange se met à mousser, on peut ajouter de la farine, de l'œuf entier et du beurre.
Il faut travailler beaucoup et longuement cette préparation de sorte qu'elle soit parfaitement lisse. Quand ce résultat est obtenu... on travaille encore, parce que c'est ce travail qui fait la belle mie d'une belle brioche.
Puis on couvre d'un linge, on met dans un endroit tiède et on fait fermenter : la préparation gonfle considérablement.

Pendant ce temps, on peut cuire le saucisson, par exemple une demi-heure dans de l'eau frémissante.

Puis, quand la pâte a bien fermenté, on la "rabat" (on la travaille quelques coups de cuiller) et on la verse pâte dans un moule rectangulaire, et l'on attend une seconde fermentation. Quand la brioche est à demi montée, on dépose doucement  le saucisson par-dessus et l'on couvre jusqu'à obtenir la fermentation finale, qui englobe le saucisson entièrement dans la pâte à brioche.

Il ne reste plus qu'à cuire à 180 degrés pendant environ 40 minutes.

Pendant ce temps-là, il y a la sauce à faire, que l'on peut obtenir en cuisant des échalotes émincées avec un peu de beurre, puis en ajoutant une cuillèrée de farine pour finir la cuisson et obtenir un léger brunissement. On ajoute alors un fond de volaille et du vin rouge, et l'on fait réduire considérablement. Puis on ajoute à nouveau du vin rouge, on passe, et l'on obtient une sauce très unie, lisse, brillante à laquelle on peut ajouter une feuille de gélatine et la condimentation, à savoir sel, poivre. On cuit encore un peu et l'on ajoute en toute dernière minute du beurre que l'on fait chauffer en fouettant pour bien l'émulsionner.

Il ne reste plus qu'à sortir le saucisson brioché du four, à le démouler et à le servir avec sa sauce !

dimanche 10 décembre 2023

La cuisson au lave vaisselle

 

 Il y a plusieurs décennies, quand j'ai cherché à populariser la cuisson à basse température, en amélioration du braisage, à l'aide de thermocirculateurs de laboratoire, j'ai également voulu proposer une méthode simple, sans appareillage supplémentaire, pour les particuliers, et j'avais proposer de regarder autour de soi pour chercher les endroits où il y avait de telles basses températures. 

Pour mémoire, les voici à nouveau : je les redonne parce que je me suis aperçu que de nombreux participants des séminaires de gastronomie moléculaire n'en avaient pas connaissance. 

Basses températures, tout d'abord : cela signifie des températures capables de modifier au minimum la consistance des aliments, par exemple 61 degrés pour coaguler des protéines du blanc d'oeuf, ou bien 55 degrés pour dissoudre le tissu collagénique qui fait les viandes dures. 

Observons autour de nous. En été, c'est le soleil qui chauffe, mais en hiver, c'est le radiateur. Quelle température au soleil ? Quelle température sur un radiateur ? Si le soleil n'est pas réglable (bien que l'on puisse concentrer ses rayons comme dans le grand four solaire des Pyrénées), les radiateurs le sont, et je vous invite à y déposer un thermomètre ou des oeufs, pour savoir si les radiateurs peuvent cuire. 

Dans les foyers, il y a d'autres sources de chaleur : le ballon d'eau chaude, le lave vaisselle, le lave linge... Dans la cuisine, il y a bien sûr les plaques, le four. Toutes ces sources de chaleur sont équivalentes pour ce qui concerne les protéines, par exemple : ces dernières se moquent de savoir si la chaleur a été apportée par un lave-vaisselle, par un four, par de l'eau dans une casserole. De sorte que toutes ces sources sont utilisables dès que la température dépasse une certaine valeur. 

Bien sûr, il faut prendre des précautions, à savoir qu'il faut éviter de faire proliférer les micro-organismes pathogènes, et, mieux, il faut les tuer par une température supérieure à 60 degrés appliquée pendant plus de 15 minutes. Tout cela étant dit, il devient évident de cuire au lave-vaisselle : on cuit pendant qu'on lave, de sorte que l'on économise de l'énergie. 

 

En pratique, c'est tout simple : on enveloppe des oeufs dans du film alimentaire, afin que le liquide qui circule dans le lave-vaisselle n'entre dans les oeufs, en passant par les pores de la coquille, et on fait un cycle de lavage au lave la vaisselle. De la sorte, les oeufs seront chauffés, et éventuellement cuits si la température de l'eau est suffisante. Evidemment si vous avez un programme de machine à laver la vaisselle qui n'atteint pas 61-62 degrés, les oeufs ne cuiront pas, et il faudra passer à un programme qui chauffera à une température supérieure. Et si ce programme monte à 75 degrés ? Là, la coagulation sera différente, et vous ne pourrez pas obtenir des oeufs cuits à 67 degrés, puisqu'ils seront cuits à 75 degrés : c'est le degré maximum de chauffage qui compte. Votre lave vaisselle n'étant pas fait pour la cuisson des oeufs, ce sera donc une chance si vos oeufs sont bien cuits. 

Pour la machine à laver le linge, il y a le problème de la rotation du tambour : secoués, les oeufs risquent de faire une omelette, de sorte que ce moyen semble moins pratique que le lave vaisselle, bien que le réglage de températures soit plus facile. 

Il vous reste donc le four, s'il est réglable de cinq en cinq degrés. C'est ainsi que je fais mes propres cuissons à basse température. Par exemple, pour des oeufs, j'en mets une boite dans le four, je règle la température, et je pars faire autre chose, en minutant la cuisson pendant une heure.
Ce moyen consomme-t-il beaucoup d'énergie ? il faut d’abord savoir que les rendements énergétiques sont meilleurs quand les écarts de températures (sous-entendu entre la température ambiante et la température à laquelle l'aliment est porté) sont faibles. Inversement plus l'écart est grand, plus le rendement est faible. Autrement dit, avec des cuisson à haute température, il y a bien plus de pertes d'énergie qu'à basse température. D'autre part, les fours modernes sont à la norme européenne verte, bien mieux thermostatés que par le passé. Un four moderne chauffe peu la pièce, de sorte que même si la cuisson est longue, l'énergie totale dépensée est faible. Et puis, il y a le fait que le nombre d'oeufs que l'on peut cuire tous ensemble dans un four n'est limité que par la taille du four ! On peut empiler des boites d'oeufs, et c'est ainsi que, il y a deux ans, nous avons cuit mille oeufs d'un coup, tous à basse température, tous cuits de façon identique. 

 

Jusqu'ici j'ai parlé beaucoup des oeufs, mais il faut maintenant évoquer les ingrédients qui méritent d'être ainsi cuits à basse température. Le foie gras donne des résultats exceptionnels, le poisson aussi, qui, ne contenant que très peu de ce tissu collagénique qui durcit les tissus animaux, ne doit pas durcir, sécher à la cuisson. La cuisson à basse température, d'ailleurs, c'est comme un pochage très bien conduit, ce qui était si difficile à obtenir par le passé. Ou comme un braisage perfectionné... ce qui nous conduit à signaler que la basse température convient bien aux viandes très tendres, par exemple des suprêmes de volaille. Pour les viandes dures, la dureté étant due à ce tissu collagénique déjà évoqué, il faut attendrir, c'est-à-dire dissoudre le tissu collagénique. 

Cela demande beaucoup de temps, de sorte que le lave vaisselle convient mal, alors que le four est très pratique : accumulons les cocottes et cuisons plusieurs viandes simultanément à viande à basse température. Quand l'heure du repas arrive, on en sort une et l'on finalise le plat. 

Attention à certaines viandes, qui peuvent être parasitées : le porc, le cheval, le sanglier. Pour ces dernières,vous cuirez à une température suffisante pour tuer les parasites, environ 85 degrés pour le porc. 

Attention aussi avec les légumes, car la cuisson à basse température donne alors de mauvais résultats : pour les légumes, la coagulation des protéines est un phénomène secondaire, et que, au contraire, les basses températures risquent d'activer des enzymes qui durcissent les tissus végétaux. Pour les légumes, il faut surtout dégrader les pectines des parois cellulaires, et, à cette fin, atteindre des températures d'environ 85 degrés. Au total, beaucoup de possibilités pour bien cuire... si l'on s'interroge sur les procédés de cuisson, au lieu d'appliquer des procédés traditionnels comme des automates.

samedi 9 décembre 2023

Attention au "tangent skimming"

Lors de travaux d'analyse chimique, les appareils produisent fréquemment des "spectres", avec de très nombreux signaux. 

Pensons à  une ligne horizontale qui se met parfois à partir vers le haut avant de revenir à  la ligne de base, ce qui forme une sorte de paysage avec des plaines qui séparent des montagnes. 

 Les constructeurs d'appareils d'analyse chimique équipent ces appareils de programmes pour aider les utilisateurs, et ces programmes analysent les spectres du mieux possible.
Toutefois, j'espère ici aider les étudiants en leur signalant que l'automatisation a ses écueils. Et la présente discussion veut en montrer un. 

Souvent les programmes d'interprétation des spectres mettent en oeuvre une méthode nommée "tangent skimming», qu'ils appliquent quand un signal comporte un épaulement. 

Dans un tel cas, le programme qui applique un algorithme de "tangent skimming" cherche la droite tangente au signal le plus grand, et il prend la partie qui se situe au dessus de cette tangente (en analyse chimique, c'est la surface des signaux qui est généralement importante). 

On comprend que cette procédure soit déficiente : autant elle est acceptable pour le grand signal de gauche, autant elle est mauvaise dans le petit signal (épaulement), où plus de la moitié du signal peut être perdue ! 

Décidément, le diable étant caché derrière le moindre détail expérimental, à  nous d'avoir le courage, l'intelligence, de le débusquer. Et c'est ainsi que l'analyse chimique, au lieu d'être une routine sans intérêt, devient un travail passionnant. Et si cela valait pour toutes les activités ? Et si l'ennui venait moins de l'uniformité que de la désinvolture ? Et ne pourrions nous admettre enfin que le monde n'a aucun intérêt, et que l' "intelligence" que l'on y trouve n'est autre que celle qu'on y a mise ?

La confection des macarons

 
On ne cesse de m'interroger à propos de macarons : c'en est une folie… ancienne, puisque les macarons des Soeurs, à Nancy, sont célèbres, tout comme les macarons de Commercy, produits par des moines dès 791 ! 

Aujourd'hui, le succès ne se dément pas, et l'on voit des tarifs prohibitifs, pour ces objets qui se résument à du blanc d'oeuf, du sucre, de la poudre d'amandes. 

Comment les préparer ? Pour ces préparations, je propose de ne pas séparer le spéculatif de l'opératif : c'est ainsi que nous marcherons sur le chemin de la perfection. 

Commençons par examiner la méthode de fabrication. Les quantités sont données pour 100 pièces environ. 
1. Préparations préliminaires.
- prendre 210 grammes de blancs d'oeufs : on nous dit de laisser les blancs d'oeufs à température ambiante, et aussi de prendre de vieux blancs, mais jusqu'à démonstration expérimentale, ce n'est pas nécessaire
- tamiser 240 grammes de poudre d’amande,
- tamiser 240 grammes de sucre glace
- faire un « tant pour tant » (TPT) en mélangeant le sucre glace et la poudre d’amande : on nous dit que les produits doivent être bien secs, qu'il faudrait les mettre même à l'étuve la veille, et, surtout, ne pas cuire de l'eau à proximité, mais là encore, cela reste à vérifier
- séparer 270 grammes de sucre semoule en deux parties
- garnir les plaques à pâtisserie de papier cuisson
- préchauffer le four à 150°C chaleur statique.
2. Monter les blancs en neige.
- mettre les blancs d’œufs dans la cuve du batteur.
- battre les blancs au fouet, très doucement de façon à ce que les blancs se fluidifient
- lorsque les blancs forment une mousse et qu’il n’y a plus de liquide, verser lentement la première partie du sucre semoule sur les blancs sans cesser de battre en deuxième vitesse
- au bout d’un certain temps les blancs deviennent compacts et forment une corne ferme sous le fouet ; sinon continuer de battre les blancs.
- verser doucement la deuxième partie du sucre, puis « serrer » les blancs et fouettant en troisième vitesse : on obtient une meringue très ferme. En fin de montage les blancs forment un bec ferme. Lorsque l’on retire le fouet des blancs en dessous du fouet les blancs forment une stalactite et la masse des blancs forme une stalagmite.
- ajouter le colorant et l’extrait de parfum. Bien mélanger. 
3. Macaroner la pâte.
- mettre le TPT sur les blancs montés et meringués.
- avec une corne ou une spatule, mélanger lentement, d’un mouvement circulaire les blancs et le TPT afin d’obtenir une pâte homogène.
- changer de technique. Mélanger la pâte en l’aplatissant avec la corne en étoile dans la cuve, puis alternativement la rassembler. Renouveler l’opération pour obtenir une pâte assouplie, brillante et légèrement liquéfiée. [c'est le macaronage ; il ne faut pas avoir peur de bien travailler, beaucoup ; la meringue se liquéfie un peu, et la pâte devient bien brillante] 
4. Coucher les macarons.
- sur les plaques garnies de papier cuisson, pocher des petits tas de pâte réguliers [en quinconce]. Une fois étalée la pâte doit faire 4 cm environ. Taper légèrement la plaque sur le plan de travail [pour « chasser les bulles d’air » des macarons].
- laisser croûter la surface des macarons pendant ¾ d’heure environ.
- pendant le croûtage des macarons ne pas faire de buée dans la pièce.
- la croûtage est terminé lorsque le dessus du macaron ne colle plus au doigt au toucher. 
5. Cuire les macarons.
- dans un four préchauffé à 200°C chaleur statique, enfourner une seule plaque à la fois. - cuire les macarons de 12 à 14 minutes. La cuisson est parfaite lorsque la collerette (ou le pied) est solidaire du chapeau. 

 

Pour comprendre les opérations, rien ne vaut d'abord une description au premier ordre. 

 

Pour commencer, quand on fouette des blancs d'oeufs, le fouet introduit des bulles d'air dans le liquide qu'est le blanc d'oeuf, et l'on obtient une mousse. Pas une « émulsion », comme le disent certains cuisiniers mal informés (une émulsion, c'est une dispersion de matière grasse dans un liquide), mais bien une mousse. Et l'opération qui consiste à produire une mousse est un « foisonnement », du terme « foisonner ». Bref, le fouet pousse des bulles d'air dans le liquide, mais contrairement à l'eau pure, où ces bulles ne subsistent que quelques dixièmes de seconde, les bulles d'un blanc d'oeuf battu en neige subsistent assez longtemps pour cuisiner. La mousse n'est pas stable, mais « assez stable », et plus on bat ferme, plus la mousse est stable. Si l'on ajoute du sucre à cette mousse, les grains de sucre se dissolvent dans le liquide qui sépare les bulles d'air. Cela a pour effet que le liquide devient plus visqueux (pensons à de l'eau qui devient du sirop quand on lui ajoute du sucre), de sorte que le liquide entre les bulles a moins tendance à couler, ou, du moins, qu'il coule moins vite ; on pourrait dire, ce qui revient au même, que les bulles d'air montent moins vite vers la surface du liquide (pensons à une bulle d'air dans du miel). Une pincée de sel ? Elle ne sert à rien… sauf à augmenter le goût, à faire ressortir mieux le goût de l'amande, par exemple. La mousse étant formée, on ajoute alors la poudre d'amande : c'est un solide pulvérulent, qui ne se dissout pas dans l'eau, mais se disperse dans la mousse. Puis on forme des tas : rien de particulier à signaler. 

Le croûtage, en revanche, est l'opération qui semble essentielle pour la réalisation des macarons. Surtout la cuisson : la chaleur qui monte de la plaque évapore de l'eau, ce qui engendre à la fois un socle dur, et un gonflement initial. Parfois la poussée de cette vapeur fissure les macarons ! Puis la surface durcit, quand l'eau des parois de bulles s'évapore. Toutefois, à mesure que la chaleur pénètre dans les macarons, les protéines dissoutes dans l'eau coagulent (on se souvient qu'il y a de l'oeuf), stabilisant définitivement la structure alvéolée des macarons. Et l'eau de l'intérieur, aussi finit par s'évaporer : de la durée de cuisson dépend la tendreté ou le croquant des macarons. Hop, une crème entre deux coques, et le macaron parisien est là !