dimanche 19 novembre 2023

Ne créons pas de poussière dans le monde

 Le « pari de Pascal » (Pensées, 1670) est célèbre : « Vous avez deux choses à perdre : le vrai et le bien, et deux choses à engager : votre raison et votre volonté, votre connaissance et votre béatitude ; et votre nature a deux choses à fuir : l'erreur et la misère. Votre raison n'est pas plus blessée, en choisissant l'un que l'autre, puisqu'il faut nécessairement choisir. Voilà un point vidé. Mais votre béatitude ? Pesons le gain et la perte, en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu'il est, sans hésiter. » 

 

Ne pourrions-nous proposer, de même, de faire le pari de la bienveillance, de l'intelligence et de la culture, sans prétention ? 

 

D'une part, il y a les malfaisants, les jaloux, les méchants, les malhonnêtes, les paresseux, les autoritaires… qui nous nuiront quoi que nous fassions. 

D'autre part, il y les bienveillants et ceux qui n'ont pas d'idée a priori de nos travaux. Si nous mettons de l'intelligence dans nos productions, les individus de cette seconde catégorie, les seuls à qui il soit digne de s'adresser, nous seront redevables des pétillements que nous aurons glissés dans notre version des faits. 

Là, il faut que je demande pardon à mes amis, et que je rectifie une erreur que j'ai faite dans un de mes livres et quelques articles : ébloui par le moine Shitao, ce théoricien chinois de la peinture et de la calligraphie, je l'avais suivi quand il évoquait la « poussière du monde ». 

La poussière du monde ? Ce sont les modes, les « chiens écrasés », les potins, les agissements des grenouilles qui veulent se faire plus grosses que le bœuf (ceux qui prétendent diriger, alors qu'il n'est pas certain qu'ils se dirigent eux-mêmes : je pense aux « dirigeants » dont les enfants sont délinquants, ou s’entre-tuent pour des histoires de mœurs sordides, sans compter ceux qui affichent impudiquement leur vie publique… minable). Bref, il y aurait la « poussière du monde ». 

Toutefois, dire un mot ne fait pas exister l'objet « matériellement » ! Le manteau du père Noël n'est ni rouge ni bleu… puisque le père Noël, n'existant pas, n'a pas de manteau. La poussière du monde ? L'idée est fascinante, mais si nous nous efforçons de mettre de l'intelligence dans nos actes, pensées, discours, rien n'est anodin, rien n'est poussière. Et c'est ainsi que nos productions seront plus belles, adressées à des « amis ».

samedi 18 novembre 2023

Un bon professeur ?

 Hier, une discussion avec des étudiants à propos de ce qu'est un bon professeur. 

Je me demande si c'est manier excessivement le paradoxe de proposer que le professeurs puissent être de mauvais pédagogues à condition d'être de bons scientifiques ? 

 

Expliquons l'idée, en partant de la « montagne du savoir » que les étudiants doivent gravir, afin que, à partir du sommet, ils puissent poursuivre l'œuvre collective de production de savoir. 

C'est un fait qu'il leur est difficile -et improductif - de retracer tout le chemin qui a conduit jusqu'à ce sommet : difficile, parce qu'ils n'auraient que quelques années pour refaire des siècles ; improductif, parce que la recherche scientifique est extraordinairement « hésitante », en ce sens que, sans stratégie possible, elle doit défricher beaucoup avant de pouvoir repousser les limites du connu ; sans compter qu'elle s'est souvent fourvoyée, et que seul l'état de l'art le plus actuel est essentiel (même s'il est vrai qu'il n'est pas inutile de connaître l'histoire des sciences, au contraire). 

 

Bref, il semble clair que les étudiants doivent maîtriser les notions les plus modernes du temps où ils étudient. Et qui d'autre que ceux qui produisent le savoir le plus moderne peut avoir connaissance de ce savoir ? 

Cette idée justifie d'ailleurs la pratique universitaire de nommer professeurs ceux qui publient le plus, sans considération de leur mérite pédagogique. A l'inverse, on peut proposer que des individus soient de « bons » enseignants s'ils se tiennent au courant de la production du savoir et s'ils font l'effort de mettre les notions les plus modernes à la disposition des étudiants. 

Dans cette hypothèse, les enseignants n'auraient pas à publier de publications scientifiques, mais ils pourraient être jugés sur leur travail de « facilitation ». 

C'est souvent là l'alternative commune, mais d'autres options sont également possibles : Aristophane disait qu'« enseigner, ce n'est pas emplir des cruches, mais allumer un brasier ». Cette fois, peu importe que l'enseignant produise des connaissances nouvelles ou les explique bien, mais il doit surtout donner l'impulsion, contribuer à ce que les étudiants aillent d'eux-même construire leur savoir. 

Cette troisième option a plusieurs mérites, mais notamment elle montre que le manichéisme n'est pas une solution raisonnable. En outre, elle a le mérite de montrer combien il est bien difficile d'avoir des certitudes sur « la » méthode qui s'impose dans l'enseignement, et, de ce fait, combien il est difficile d'évaluer des enseignants… d'autant que la perception de la qualité des enseignants peut changer : le même professeur qui est mal évalué par les étudiants, sur le coup, peut faire l'objet d'une excellente évaluation avec quelques années de recul. 

 

Bref, j'ai bien peur d'avoir peu de certitudes à propos d'enseignement, et je propose de craindre les certitudes de ceux qui en ont, à ce propos.


vendredi 17 novembre 2023

Traiter de sujets anciens

 Quand je travaillais à la rédaction de la revue Pour la Science, nous avons souvent rencontré le phénomène suivant : après un certain temps, chaque proposition d'article était reçue par un « On l'a déjà traité ». La mécanique quantique ? Déjà vu. Les micro-algues ? On l'a fait il n'y a pas si longtemps. La naissance de l'Univers ? Une vieille lune… 

Certains journaux, radio, télévision ne se seraient pas embarrassés de nos scrupules et auraient sauté sur la moindre actualité pour remplir leurs colonnes, mais, notre travail étant rigoureux et honnête, nous avons souvent conclu que nous ne pouvions pas traiter à nouveau des sujets que nous avions déjà abordés ; nous cherchions à ne pas nous répéter, afin de donner à nos lecteurs une information de valeur (et de qualité, mais c'est une autre affaire). 

 

En réalité, ce choix était peut-être erroné, pour plusieurs raisons. 

 

D'une part, les lecteurs de la revue ne lisent pas tous les articles, de sorte que, en supposant une proportion de lecture de 50 %, nous aurions dû accepter de nous répéter au moins une fois. 

D'autre part, il y avait la question de la nouveauté : si le sujet se présentait à nouveau, nous devions le traiter, afin de ne pas priver nos lecteurs d'informations dont ils avaient envie ou besoin. Autrement dit, il fallait traiter ces sujets, mais les traiter, mais avec un angle nouveau. Au lieu de rabâcher les même métaphores explicatives, il nous revenait d'en trouver de nouvelles, d'originales... 

 

Je me vois aujourd'hui dans le même type de questionnement, car il est vrai que bien rares sont les sujets culinaires dont je n'ai pas fait état, par le passé, dans un de mes livres, articles, interventions, etc. Mais prenez mon jeune « neveu », âgé de moins de 20 ans, et qui se passionne pour la cuisine. Doit-il aller rechercher dans le fouillis de mes publications anciennes l'information dont il a besoin aujourd'hui ? Et les travaux effectués depuis 35 ans n'ont-ils pas conduit à une vision épurée, clarifiée, qui permet donc de donner des explications bien plus simples et plus justes que par le passé ? 

Mon enthousiasme étant intact, la réponse est claire : même si j'ai déjà discuté la confection de la mayonnaise, je ne dois pas m'empêcher de la discuter à nouveau, mais c'est à moi d'aller inventer des mots nouveaux, des idées nouvelles à propos de sujets anciens. Le problème de l'âge qui rabâche ? C'est une question de paresseux, et la conclusion s'impose : à nous de nous émerveiller, sans naïveté toutefois, des extraordinaires sujets qui nous sont soumis, à nous de composer des discours originaux, éclairants, à nous d'utiliser une expérience supérieure pour communiquer de l'enthousiasme avec encore plus d'efficacité que nous ne le faisions naguère.

jeudi 16 novembre 2023

Des cigarettes bio : de qui se moque-t-on ?

 Je m'étais moqué récemment d'un patron de commerce "bio" qui fumait devant la porte de son magasin. 

L'un des commentaires demandait si les cigarettes était elles-mêmes bio, ce qui est quand même le comble (mais j'ai eu la réponse, un jour!). 

Là une information complémentaire, trouvée hier : The nicotine content of aubergines, a concentration of 0.01 mg per 100g, is low in absolute terms, but is higher than any other edible plant. The amount of nicotine consumed by eating eggplant may be comparable to being in the presence of a smoker, depending on the cooking method.[ Edward F. Domino, Erich Hornbach, Tsenge Demana, The Nicotine Content of Common Vegetables, The New England Journal of Medicine, Volume 329:437 August 5, 1993 Number 6] On average, 9 kg (20 lbs) of eggplant contains about the same amount of nicotine as a cigarette. 

La nicotine, il faut le rappeler, n'est pas sans danger : la DL50 (dose qui tue la moitié d'un groupe d'animaux) est de 50 mg·kg-1 (rats, oral), 3,34 mg·kg-1 (souris, oral), 9,2 mg·kg-1 (chiens, oral). Bref, toute cette question du "bon pour la santé" est une vaste rigolade (en revanche, la ciguë est certainement toxique).

Les profiteroles ?

 Profiteroles
Les profiteroles ? Observons que le dictionnaire n’y met qu’un seul « l ». Et quand le dictionnaire est bon, il reconnaît que c’est d’abord un petit pain farci, avant d’être un petit chou garni très conventionnellement de glace à la vanille et nappé de chocolat fondu.
Les profiteroles sont anciennes : dès 1549, on désignait ainsi une «pâte cuite sous la cendre» ; en  1690, un petit pain évidé, farci de béatilles et cuit en potage. Et c’est seulement en 1881 qu’on a nommé ainsi un petit chou empli d'une préparation sucrée.
Une recette pour le « potage profiterolles » ? On en trouve notamment une, en 1651, dans Le cuisinier françois de  Pierre de La Varenne : on prend des petits pains, on en ôte la mie par une petite ouverture, et on passe au saindoux ou au lard ; puis on fait mitonner avec du bouillon, on arrose de bouillon d’amandes, et on les emplit de crêtes de coq, de ris de veau, de champignons ; on arrose de bouillon de sorte que tout soit bu, puis on sert.
Il est amusant d’observer que, en 1758, on dise que cette recette est « ancienne ». François Marin, dans des Dons de Comus, donne la même recette que précédemment, mais avec un garnissage de farce de volaille, graisse de veau et lard, liaison de jaunes d’oeuf ; et il garnit d’ailerons de volailles, de culs d’artichaux, de ris de veau ou d’agnean, de crêtes ou rognons de coqs ; la sauce est un blond de veau.
En 1867, Jules Gouffé conserve la recette, et l’acception du mot « profiterolles », dans un « potage profiterolles au chasseur » : « Ayez 50 profiterolles, c'est-à-dire 50 petits pains faits avec la pâte de pain au lait de 2 centimètres et demi de large ; videz-les en dessous, enlevez la croûte du fond et la mie de l'intérieur ; puis remplissez-les de farce de gibier  ; beurrez un plat à sauter ; faites pocher au four les profiterolles, et lorsqu'elles sont pochées, rangez-les dans la soupière ; versez dessus 3 litres de consommé de gibier ; servez. »
Et un an plus tard, Urbain Dubois écrit également :  « Potage aux profiteroles. Tenez en ébullition, dans une casserole, 4 litres de bon consommé de volaille. — Cernez une vingtaine de petits pains à profiterole, en faisant une ouverture ronde sur le haut, pour les vider de la mie, mais en réservant le couvercle; emplissez le vide avec une macédoine de légumes coupés en très-petits dés ; couvrez les profiteroles, rangez-les dans une casserole en argent ou un plat creux, arrosez-les avec du bon dégraissis frais de marmite, faites les gratiner au four, en les arrosant de temps en temps; versez le consommé dans la soupière; envoyez les profiteroles séparément. »
Hélas, Joseph Favre, dont le Dictionnaire universel de la cuisine pratique est souvent si bien, détourne la définition. Puis le Guide culinaire poursuit l’erreur.
Il faut donc le dire et le redire : des profiteroles sont de petits pains farcis et mitonnés dans du bouillon, avant d’être le dessert très convenu que l’on trouve sur bien des tables.

mercredi 15 novembre 2023

J'ai longtemps tourné autour du pot, à propos de la dénomination de la science qui explore les réarrangements d'atomes, mais je crois que j'y suis.

  J'ai longtemps tourné autour du pot, à propos de la dénomination de la science qui explore les réarrangements d'atomes, mais je crois que j'y suis. 

 

Je reprends : 

Attendu 1 : on nommera "assemblage d'atomes" une molécule, un cristal, un métal... bref, un groupe d'atomes liés par la "mise en commun" d'électrons, ce que l'on pourrait également dire "échange d'électrons", ou "recouvrement d'orbitales", ou toute autre dénomination qu'il serait plus juste de trouver pour bien décrire des associations un peu stables. 

Attendu 2 : l'activité qui consiste à explorer les assemblages d'atomes est nommée depuis longtemps la "chimie" (il y a eu des hésitations avec "alchimie", mais la question semble réglée. 

Attendu 3 : la production de nouveaux assemblages d'atomes, est une activité technique. 

Attendu 4 : il y a une différence entre science et technique, puisque la première produit des connaissances tandis que la seconde produit des artefacts matériels. 

Conclusion intermédiaire : il faut un nom particulier pour la science qui explore les modifications d'assemblages d'atomes, disons notamment les réorganisations d'atomes, entre assemblages que l'on met en présence. 

Attendu 5 : une telle science est une science de la nature, donc une partie de la "physique". 

Attendu 6 : une telle science est une partie de la physique seulement, et notamment la partie qui concerne la chimie. 

Conclusion : il faut donc que cette science soit nommée "chimie", et que la production technique de composés prenne un autre nom. 


mardi 14 novembre 2023

À propos du film Dodin Bouffant

 

Le film Dodin Bouffant, qui est sorti en salles la semaine dernière, est tiré d'un livre de Marcel Rouff. Je connais quasiment par cœur ce roman qui raconte l'histoire d'un gastronome "absolu"  et de ses cuisinières.

L'intrigue est  mince parce que le livre n'est pas un livre d'intrigue : en substance, le gastronome vit des repas heureux avec la première cuisinière, d'un grand talent, mais cette dernière meurt ; notre gastronome est désemparé jusqu'à ce qu'il trouve une perle rare, qu'un prince cherche à lui débaucher.
À ce propos, il y a une petite péripétie, à savoir que le prince, ayant entendu la réputation du célèbre gastronome, l'invite à dîner et veut l'épater par la quantité des mets servis, ce qui est évidemment grossier, alors que le gastronome, pour lui rendre sa politesse, lui prépare un simple pot-au-feu, mais un pot-au-feu parfait. Tout est là deux : la qualité contre la quantité. Pour faire bonne mesure, il y a trois amis du gastronome qui partagent sa gourmandise, seuls invités -parce que seuls dignes- à déguster les mets extraordinaires qui sont préparés.

Le livre, plus qu'un roman, est une évocation de gourmandise, à la façon de Lucien Tendret, auteur de La table au pays de Brillat-Savarin, également un livre de gourmandise, tout comme le fut avant celui d'Alexandre-Balthazar Grimod la Reynière ou celui de Jean-Anthelme Brillat-Savarin lui-même.
C'est bien de la "littérature gastronomique", parfois de la description, ce qui s'apparenterait à du documentaire, parfois de l'imagination, de la poésie...

Pour en revenir au film, la difficulté du cinéaste était évidemment de produire une œuvre qui ne soit pas infidèle, qui ne heurte pas les connaisseurs du livre, et la seule façon d'y parvenir était de prendre un parti. Ici, le parti a été de présenter une histoire d'amour entre le gastronome et la cuisinière, qui est -dans le film- moins une domestique qu'une femme de tête.
Il y a un personnage secondaire, à savoir la très jeune fille d'un couple d'agriculteur voisin, qui a un palais d'une remarquable sensibilité et qui veut absolument faire un apprentissage chez le gastronome.

Comment tout cela peut-il faire deux heures de (bon) spectacle ? C'est que en réalité, c'est plutôt la cuisine, sa gestuelle, ses ambiances, ses images, qui font le film. Pierre Gagnaire a été le conseiller culinaire du film, et on retrouve sa patte dans l'ensemble de ces éléments : de la cuisine élégante plutôt que gargantuesque, de la qualité plutôt que de la quantité.

Ce qui pose la véritable question de la gourmandise :  n'est-elle de l'abondance ou plutôt l'idée qu'on s'en fait ? Bien sûr, le film nous montre une extraordinaire brioche, énorme, que déchirent  les trois amis gourmands du gastronome, mais, même là, tout épuré : la brioche est un profil isolé, dans un contre-jour où les gourmands sont des ombres chinoises. On sent dans leurs gestes, d'ailleurs, la consistance de la brioche, et ceux qui aiment cette préparation savent combien la mie très particulière d'une brioche réussie a quelque chose de merveilleux, une souplesse qui rappelle une sorte de gros édredon bien gonflé d'un lit accueillant.

Le film tient donc bien sûr sur quelques acteurs, mais, surtout, sur une ambiance :  une ambiance de campagne, bourgeoise, ancienne, mais modernisée parce qu'elle est ensoleillée, fleurie, un peu comme dans la Comédie érotique d'une nuit d'été, de Woody Allen, mais en plus fleuri, plus frais. Surtout, il y a des ambiances sonores :  certaines scènes sont comme des natures mortes, vivantes pourtant, sur lesquelles le réalisateur a la merveilleuse idée d'y mettre une sorte de bruit de souffle, comme un grand vent qui n'aurait pas les effets qu'on en attendrait. Cela embellit des scènes, leur faire prendre une dimension qui dépasse un aspect visuel bien limité ;  une sensorialité supplémentaire est ainsi donnée.

Au fond, le film me permet de me reposer la question du fantasme en cuisine. Pour bien comprendre l'affaire, il faut rapprocher ce film de la nouvelle des Trois Messes basses par Alphonse Daudet. Dans les Trois Messes basses, le curé se damne parce que son garçon de messe est en réalité le diable, qui lui fait abréger le service divin en lui faisant miroiter des mets merveilleux qui seront servis à la table du soir. Des dindes truffées, par exemple (en écho, il y a des poulardes en demi-deuil dans le film de Dodin Bouffant).  Certes, il y a  cette idée de Pierre-François la Varenne selon laquelle "les morceaux caquetés en paraissent meilleurs", à savoir que quand on mange, ce dont on parle prendre une autre dimension. Mais il y a surtout l'évocation avant le repas et cette évocation est sans doute bien plus puissante que sa monstration. La gourmandise veut beaucoup, mais, à montrer beaucoup on risque de tomber dans une certaine vulgarité goinfre... qui n'est plus la gourmandise. Inversement, si l'on montre peu mais raffiné, alors la gourmandise risque de ne pas trouver son compte... sauf si l'on parle.
Finalement, je crois que pour ce qui me concerne le montrer est bien, le donner à sentir est encore mieux, et en parler permet de gagner l'ensemble des territoires sensoriels. On ne dit pas, on ne dira jamais le goût, mais on donnera l'envie de le connaître.
Et c'est ainsi qu'il y a des termes merveilleux : lièvre à la royale façon du sénateur Couteaux, faisan à l'Albuféra, poularde demi-deuil... Dans chaque cas, on ne sait pas parfaitement ce dont il s'agit, mais l'incertitude ou l'ignorance augmente la gourmandise. Et quand on sait exactement ce dont il s'agit, il y a la perspective de comparer la prochaine expérience avec les précédentes.
La gourmandise ? Un beau Mystère.