Hier, une discussion avec des étudiants à propos de ce qu'est un bon professeur.
Je me demande si c'est manier excessivement le paradoxe de proposer que le professeurs puissent être de mauvais pédagogues à condition d'être de bons scientifiques ?
Expliquons l'idée, en partant de la « montagne du savoir » que les étudiants doivent gravir, afin que, à partir du sommet, ils puissent poursuivre l'œuvre collective de production de savoir.
C'est un fait qu'il leur est difficile -et improductif - de retracer tout le chemin qui a conduit jusqu'à ce sommet : difficile, parce qu'ils n'auraient que quelques années pour refaire des siècles ; improductif, parce que la recherche scientifique est extraordinairement « hésitante », en ce sens que, sans stratégie possible, elle doit défricher beaucoup avant de pouvoir repousser les limites du connu ; sans compter qu'elle s'est souvent fourvoyée, et que seul l'état de l'art le plus actuel est essentiel (même s'il est vrai qu'il n'est pas inutile de connaître l'histoire des sciences, au contraire).
Bref, il semble clair que les étudiants doivent maîtriser les notions les plus modernes du temps où ils étudient. Et qui d'autre que ceux qui produisent le savoir le plus moderne peut avoir connaissance de ce savoir ?
Cette idée justifie d'ailleurs la pratique universitaire de nommer professeurs ceux qui publient le plus, sans considération de leur mérite pédagogique. A l'inverse, on peut proposer que des individus soient de « bons » enseignants s'ils se tiennent au courant de la production du savoir et s'ils font l'effort de mettre les notions les plus modernes à la disposition des étudiants.
Dans cette hypothèse, les enseignants n'auraient pas à publier de publications scientifiques, mais ils pourraient être jugés sur leur travail de « facilitation ».
C'est souvent là l'alternative commune, mais d'autres options sont également possibles : Aristophane disait qu'« enseigner, ce n'est pas emplir des cruches, mais allumer un brasier ». Cette fois, peu importe que l'enseignant produise des connaissances nouvelles ou les explique bien, mais il doit surtout donner l'impulsion, contribuer à ce que les étudiants aillent d'eux-même construire leur savoir.
Cette troisième option a plusieurs mérites, mais notamment elle montre que le manichéisme n'est pas une solution raisonnable. En outre, elle a le mérite de montrer combien il est bien difficile d'avoir des certitudes sur « la » méthode qui s'impose dans l'enseignement, et, de ce fait, combien il est difficile d'évaluer des enseignants… d'autant que la perception de la qualité des enseignants peut changer : le même professeur qui est mal évalué par les étudiants, sur le coup, peut faire l'objet d'une excellente évaluation avec quelques années de recul.
Bref, j'ai bien peur d'avoir peu de certitudes à propos d'enseignement, et je propose de craindre les certitudes de ceux qui en ont, à ce propos.
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