Un stage, c'est de l'expérience professionnelle... mais faut-il bouger les doigts ou la tête ?
Les étudiants qui viennent en stage méritent des explications, parce que trop souvent, ils croient que leur travail consistera à « faire des expériences ».
Chaque fois que j'ai proposé un sujet « théorique », à savoir la rédaction d'une publication à partir de résultats expérimentaux obtenus, ou des calculs, éventuellement théoriques, les stagiaires repoussaient rapidement cette possibilité. Pourquoi ?
Je crois que la méconnaissance du travail scientifique est la cause de cette confusion. Pour beaucoup, faire de la science « en vrai » (dans un stage, c'est-à-dire un milieu professionnel), c'est faire ce qu'ils ont fait en TP, avec l'idée (fausse, donc) que les cours théoriques étaient les données permettant d'arriver à ce moment si merveilleux qui serait l'expérience.
Je vois aussi, comme cause, le fait que beaucoup calculent de façon « insuffisante », fragile, et que l'expérience est une sorte de refuge où ils croient qu'ils seront en sécurité.
Et puis, il y a parfois l'attrait pour les grosses machines : de même que les enfants rêvent de conduire de grosses voitures, certains se disent qu'ils seront des tarzans s'ils font marcher une RMN, une GC-MS… Pourtant, oui, un enfant peut conduire une voiture… mais il peut aussi aller dans le décor. Et puis, appuyer sur des boutons sans comprendre ce que l'on fait ?
Bref, il y a bien des raisons pour détourner les étudiants de ce qui est le vrai travail scientifique, et les mettre sur la voie de l'expérience… généralement mal faite, parce que la recherche scientifique n'est pas le TP !
Tout d'abord, les TP manipulent des quantités visibles, alors que nous manipulons (quand nous manipulons de la matière : je répète que, le plus souvent, nous manipulons des équations) des milligrammes, à peine visibles à l'oeil nu.
Ensuite les TP sont des séances où l'on obtient toujours un résultat, alors que 95 % du temps de science expérimentale se passe à concevoir et à mettre au point des expériences qui donneront -peut-être- un résultat dans un avenir bien plus lointain que les deux mois que durent souvent les stages. Et, d'ailleurs, le plus souvent, les expériences ne marchent pas, pour mille raisons, qui vont de la non détection de signaux trop faibles à l'absence de réactifs qui tardent à venir.
Enfin, dans les TP, on sait ce que l'on fait, parce que l'on sait ce que cherche. Dans la vraie vie scientifique, le but est la découverte ; or si l'on savait quelle découverte on va faire, ce ne serait pas une découverte, de sorte que la conclusion est claire : on ne sait pas ce que l'on cherche.
Finalement, il faut absolument expliquer que la recherche scientifique est un travail essentiellement théorique : - imaginer des expériences pour tester une conséquence d'une théorie - planifier l'expérience, l'organiser dans les moindres détails - s'assurer que l'expérience a des chances de donner un résultat, soit « faire l'expérience théoriquement » avant de la faire (peut-être) en réalité, afin de savoir si les effets que l'on cherche seront visibles - modéliser le phénomène étudier, afin de savoir à quoi confronter les résultats expérimentaux. Puis : - transformer les points expérimentaux en courbes - calculer les incertitudes de mesure - chercher un modèle théorique pour relier les points - chercher des mécanismes compatibles avec les modèles trouvés Et j'en passe ! On le voit : on se trompe si l'on veut « faire des expériences » !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Un commentaire? N'hésitez pas!
Et si vous souhaitez une réponse, n'oubliez pas d'indiquer votre adresse de courriel !