jeudi 13 juillet 2023

De la sublimation dans votre congélateur

Partageons les questions qui m'arrivent par courriel. L'une d'elle concernait la glace qui apparaît quand on stocke longtemps un produit dans un congélateur. Comment se forme-t-elle ? A partir du liquide qui « suinterait » des produits congelés (viande, poisson... ) ? 

Non ! Le phénomène est merveilleux... et différent : il a pour nom « sublimation ». 

Evidemment, je ne vais pas faire ici un cours de physique, mais en profiter pour partager un émerveillement. 

Reprenons avec un phénomène analogue, mais plus rapide et plus « visible » : on met quelques cristaux d'iode, comme du gros sel, mais violet, dans un petit bocal transparent, muni d'un couvercle, et l'on chauffe très doucement. Aucun liquide n’apparaît, tant que la température reste inférieure à 113,7°C, mais il y a, à la place, des fumées violettes, et l'on voit apparaître sur le couvercle de petits cristaux violets. 

L'iode (on devrait dire « le di-iode », puisque la molécule est formée de deux atomes d'iode) passe directement de l'état solide à l'état de vapeur, puis se recondense sur le couvercle. 

Le même effet s'observe dans les congélateurs, mais bien plus lentement (parce que la température est bien plus basse, notamment). La température étant inférieure à la température de solidification (« congélation ») de l'eau, celle qui est  présente dans les aliments est sous la forme solide, mais en équilibre avec une certaine « pression de vapeur », et l'eau sous la forme de vapeur se recondense ailleurs, sous la forme de glace. On n'est pas dans les conditions où un liquide peut exister, et il n'existe pas. 

Et voilà pourquoi la congélation, merveilleux système de conservation, n'est pas une panacée. D'ailleurs, quand on nous promet des panacées, doutons... et émerveillons-nous des phénomènes chimiques et physiques.

mercredi 12 juillet 2023

Attention aux formules... littéraires

 Je crains les formules. 

Par exemple : “La chimie crée son objet”. Cette formule est due à Marcellin Berthelot, un chimiste que je suis certain de ne pas aimer. Il était en effet trop arriviste pour être complètement honnête, comme l'a bien montré mon vieil ami Jean Jacques dans son livre Marcellin Berthelot, autopsie d'un mythe. Certes, Berthelot fut du “bon coté” : celui des athées contre une religion catholique qui faiblissait. Il s'empara de la chimie comme d'un étendard, à des fins personnelles. Il se comportait en tant que chimiste plutôt qu'en chimiste. 

 

La chimie crée son objet ? Que cela signifie-t-il ? 

La chimie : c'est une activité scientifique, qui explore le monde, et qui n'est pas une production de composés. 

La chimie crée : oui, la chimie crée des composés, nouveaux ou anciens, mais afin d'explorer des mécanismes, de découvrir de nouveaux objets du monde. 

La chimie crée son objet ? Quel est l'objet de la chimie ? Ce n'est pas de la création, mais de la découverte !. Autrement dit, la formule énonce que la chimie crée le fait de créer des composés : quelle confusion ! 

 

Je propose de considérer que nous n'avons pas assez interrogé cette formule, et que, ébloui par les gloires (prétendues) du passé, nous n'avons pas assez cherché à la réfuter. 

Moralité : ne cédons pas à l'argument d'autorité, souvent assorti de formules, et révisons notre jugement à propos de Marcellin Berthelot, considérant qu'un homme qui propage de telles erreurs ne mérite peut-être pas notre admiration. Mais je vous laisse enquêter à ce propos. 

 

Un tel billet étant très négatif, je dois aussitôt l'assortir de beaucoup d'enthousiasme. Vive l'esprit analytique, qui discute les formules au lieu de les gober, par exemple ! Vive l'histoire des sciences, qui discute les faits au lieu de les admettre ! Vive une analyse du passé qui ne soit pas une hagiographie, qui conduit à grandir, à donner plus clairement à nos successeurs une belle vision des faits ! Vive la possibilité de faire évoluer les idées, évidement par la réfutation des erreurs du passé. 

Mieux encore, j'ai proposé dans ce blog de nous focaliser sur les “symptômes”, c'est-à-dire les idées ou les faits qui “coincent”. Et si même les faits justes conduisaient à une analyse des faits encore plus juste ? Voilà une idée très positive, comme je les aime.

mardi 11 juillet 2023

Vive la chimie

 Une question m'arrive : 

« D'où vous est venu votre intérêt pour la chimie ?» 

 

Je ne sais pas si c'est une question dont la réponse soit d'intérêt général, mais je sais que je peux toujours essayer de faire qu'il en soit ainsi ! 

Pour ce qui concerne mon « moi haïssable », il y a une boite de chimie que j'ai reçue, quand j'avais six ans. 

Rétrospectivement cela m'amuse de la voir... parce qu'elle est sans intérêt, assez mal faite. Le manuel qui accompagnait les matériels et produits était très mauvais, sans doute traduit, et mal traduit : aujourd'hui, je ne comprends pas ce qui y est écrit... et je comprends pourquoi, à l'époque, j'étais fasciné... mais je ne comprenais rien. 

A la même époque, j'ai reçu un livre de vulgarisation de la chimie qui, sans boîte d'accompagnement, décrivait des expériences, et le plus intéressant était sans doute le chapitre sur le travail du verre. Un travail que l'on peut faire avec une simple lampe à mèche, et de l'alcool à brûler, comme pour les fondues. J'ai appris à tirer le verre, à faire un capillaire, à couder, à souffler... Et j'ai surtout appris que, pour ces travaux, les pommades grasses sont indispensables, en cas de brûlure ! 

Passons. Ce qui est surtout intéressant, de façon générale, c'est quand même que mon éblouissement personnel est général : on chauffe du carbonate de calcium ; quand c'est refroidi, on ajoute de l'eau... et l'on voit une vive réaction se produire ; puis on filtre le résultat dans un filtre à café, afin d'obtenir une solution limpide ; on souffle dans cette solution avec une paille... et l'on voit un trouble apparaître ; on laisse sédimenter... et l'on récupère le carbonate qui avait été détruit ! Pourquoi ? 

Bien des décennies plus tard, j'ai fini par comprendre que c'était moins la transformation qui me passionnait que l'étude de cette transformation, ce qui m'a conduit à bien distinguer la chimie, qui m'intéresse modérément, et la physico-chimie, qui me passionne par dessus tout !

lundi 10 juillet 2023

La question des jurys de thèse

 Récemment, à l'occasion d'une soutenance de thèse, les membres du jury (qui se rencontraient parfois pour la première fois) étaient si heureux d'avoir la possibilité d'une discussion scientifique que, lors du déjeuner qui a précédé la soutenance (pas d'alcool : nous voulions avoir l'esprit absolument clair), nous avions résolu que, puisque la thèse était excellente, puisque le document était remarquable, nous pourrions passer à un exercice plus intéressant que le questionnement du candidat, et nous pourrions notamment utiliser les questions comme un moyen d'avoir une discussion scientifique, entre membres du jury et avec le candidat, voire l'assistance. 

Cela s'est révélé une mauvaise idée, car notre enthousiasme pour la science nous a conduit à confisquer l'après soutenance, voire à détourner la conversation sur des sujets un peu éloignés de ceux qui avaient été étudiés dans le cadre de la thèse. 

Notre futur nouveau docteur était même un peu exclu ! Nous nous en sommes aperçus rapidement, et nous avons mis fin au jeu que nous avions déterminé. 

Décidément, l'enfer est pavé de bonnes intentions... et nous devons chasser le diable de tous nos actes, paroles, pensées !

dimanche 9 juillet 2023

Parlons de microchimie

 Le chimiste allemand Justus von Liebig avait compris que le Duché de Hesse-Darmstadt avait besoin de techniciens, et c'est la raison pour laquelle, faisant de la physico-chimie à Paris avec Louis-Joseph Gay-Lussac,  il proposa la construction à Giessen d'un laboratoire de "travaux pratiques", afin qu'il se fasse une formation théorique et surtout pratique, en vue de doter son pays de techniciens, de technologues et de scientifiques. 

D'ailleurs, quand j'écris "théorique", j'y vais sur la pointe des pieds, parce que Liebig alla jusqu'à décrier la "philosophie de la nature", soit la physico-chimie, dans ce cas particulier.. 

Bref, Liebig formait des chimistes, surtout. Et il les formait par des travaux pratiques, du matin jusqu'au soir, une méthode qui ressemble à celle de cette merveilleuse école qu'est l'ESPCI ParisTech, l'Ecole supérieure de physique et de chimie industrielles de Paris (on lit bien le mot "chimie" dans cet intitulé), où les élèves font des travaux pratiques tous les après midi pendant quatre ans... en plus des cours théoriques du matin. 

 

Bref, les travaux pratiques sont une formation indispensable à qui veut faire de la science ou de la technologie : il faut aussi bien savoir remplacer un fusible fondu que préparer de la liqueur de Fehling, que de construire un laser ou un appareil de spectroscopie par résonance magnétique nucléaire, ou encore... 

Les possibilités sont immenses, mais, pour la chimie, il y a des dangers. A nous de réduire les risques ! Car les dangers sont grands : on se souvient de cet accident récent à l'Ecole de chimie de Mulhouse, ou de cet autre accident plus récent dans un lycée techniques. Pour réduire les risques, les travaux pratiques DEVRAIENT évoluer, et c'est la microchimie qui devrait - semble-t-il, discutons en- être pratiquée. 

De quoi s'agit-il ? De pratiquer la chimie sur de très petites quantités, car : 

- on réduit le coût des réactifs 

- on réduit les risques : une explosion d'un milligramme de produit, c'est bien moins grave qu'avec 10 grammes ! 

- on réduit les effluents 

 

Et plein d'autres avantages. Les inconvénients ? Evidemment, quand on synthétise 1 mg de produit, on ne voit pas le passage à l'étape industrielle, d'une part, et, d'autre part, il faut des appareils sensibles pour détecter la présence du produit. Si le premier inconvénient semble réel, le second semble anodin, car on doit parallèlement enseigner l'usage d'ustensiles d'analyse modernes, précisément des appareils sensibles, capables de détecter de très petites quantités. 

 

Et voilà pourquoi il faut enseigner la microchimie, et non pas la chimie. Votre avis ?

samedi 8 juillet 2023

A propos d'intoxications alimentaires

 Ce soir, on m'interroge : 

Bonsoir Hervé
Est-ce que l'Anglais Heston Blumenthal est un adepte de la "cuisine note à note" ? Voir la presse du jour, ses clients victimes d'intoxication à Londres. 

 

Ma réponse : Hélas, non, Heston Blumenthal ne  pratique pas la cuisine note à note, mais seulement la cuisine moléculaire, et, encore, pas dans son restaurant de cuisine médiévale. 

Cela dit, avec un couteau de cuisine classique, on peut tuer les gens aussi : ce n'est donc pas le principe, qu'il faut critiquer éventuellement, mais une pratique particulière. 

Et puis, récemment, je suis allé dans un bon restaurant traditionnel parisien... et j'ai eu une diarrhée terrible pendant 15 jours : je n'ai pas fait de communiqué de presse ;-) 

Enfin, je suis parfois étonné des pratiques culinaires, quel que soit le style, parce que la cuisson a été inventée pour tuer les micro-organismes. Pour cuire à basse température, par exemple, il faut être prudent et savoir ce que l'on fait. Attention aussi  aux "coctions" des poissons à la tahitiennes, des cebiche... et aussi à l'usage des plantes : ne faisons pas boire à nos convives des décoctions de plantes toxiques !

vendredi 7 juillet 2023

Traverser le plancher...

 J'ai (re)lu pour vous le merveilleux livre Pourquoi ne passons-nous pas à travers le plancher ?

 

Quand on pose cette question, on est amené à  considérer  deux « solides »,  à savoir notre corps et le plancher. Dans les deux cas il s'agit de matière, c'est-à-dire in fine d'atomes. 

Or, dès le collège,  nous apprenons de les atomes sont  « vides ». Pour nous représenter l'atome d'hydrogène, on nous invite à penser que si le proton du noyau est comme une orange place de la Concorde,  à Paris, alors l'électron est un grain de poussière à Versailles. 

Si l'on considère des atomes plus gros, le carbone, l'oxygène, il en va de même. 

Ajoutons d'ailleurs  que cette description ne vaut pas grand-chose et que c'est une toute première approche. La question des tailles des particules est bien plus passionnante qu'une simple métaphore. 

 

Revenons à notre question : même si notre corps est fait de très nombreux atomes, il n'en reste  pas moins que tous ceux-là sont très vides, et il en va de même pour le plancher. 

On serait donc amené à conclure, dans cette description naïve de « particules » très petites, bien localisées et séparées par de grandes distances, que le corps et le plancher pourraient s'interpénétrer, de sorte que nous glisserions à travers le plancher. Le fait est que nous ne glissons pas. 

Cette question est la même que bien d'autres qui résultent d'une vision naïve de la matière. Par exemple, à propos des membranes cellulaires, des doubles couches de phospholipides (plus d'autres molécules) : les manuels représentent les phospholipides par une petite sphère munie de deux pattes grêles, et les images des doubles couches de phospholipides montrent un réseau très serré de telles molécules. Pourtant, là encore, la composante matérielle est quasi rien ; or ces doubles couches de phospholipides limitent véritablement les cellules, empêchant les échanges entre  l'extérieur et  l'intérieur, et heureusement, sans quoi notre corps se viderait de son contenu, et l'environnement pourrait s'y introduire ! 

Autre exemple un peu plus technique : les micelles qui se forment quand on met du savon dans de l'eau. Là, les têtes sphériques n'ont qu'une seule jambe (on dit une queue), et ces molécules de savons se regroupent, les têtes à l'extérieur et les queues à l'intérieur, formant des  sphères. Pourtant le chimiste a de quoi s'étonner, car il sait que le motif représenté par les têtes se réduit à quatre ou cinq atomes, alors que les queues sont des longues chaînes de carbone et d'hydrogène.
Pourquoi représente-t-on quatre atomes comme une grosse sphère, et une chaîne 20 atomes de carbone comme une frêle queue ? 

La réponse à cette dernière question éclaire la question initiale  de notre corps et du plancher : ce qui compte, c'est moins la « matière » que son influence, c'est-à-dire les forces  électriques d'attraction ou de répulsion. Dans le cas des micelles, par exemple,  les têtes  sont chargées électriquement, et elles se repoussent  très vigoureusement. Ce que l'on symbolise ainsi, par de grosses têtes, c'est un  rayon d'action et ce sont des champs  électromagnétique qui nous empêchent donc de traverser le plancher. Quand on joue avec  des champs électriques ou magnétiques à l'échelle macroscopique, par exemple quand on utilise des petits aimants comme on en colle sur le réfrigérateur,  les forces ne sont pas bien grandes,  mais comme elles varient comme l'inverse de la distance au carré, elles deviennent considérables aux distances inter-atomiques, interparticulaires. 

 

Et c'est ainsi que nous ne passons pas à travers le plancher. Si cette question vous intéresse, je vous recommande ce livre de poche écrit en anglais Why you don't fall through the floor, ainsi que le livre publié par le même auteur,  J. E. Gordon, aux Editions Pour la Science.