mercredi 14 juin 2023

Lisons

J'ai relu  la biographie de Gay-Lussac par Maurice Crossland (Editions Belin, Paris).

 C'est un livre intéressant, qui raconte bien comment Louis Joseph Gay-Lussac fut à la fois bourgeois et savant, scientifique et technologue. 

Tout le travail de Gay Lussac pose cette question lancinante des relations de la science et de la technique, via la technologie. Mieux encore, le travail de Gay-Lussac pose la question des relations de la physique et de la chimie. 

 

Gay-Lussac commença ses travaux avec Berthollet, en examinant la dilatation des gaz. A l'époque, il y avait cette question de l'affinité entre les corps, et cette étude sur la dilatation des gaz était une façon d'aller explorer l'affaire. Toutefois, stricto sensu, puisqu'il n'y a pas de transformation moléculaire (avec notre langage et nos notions actuelles), il ne s'agissait pas de chimie, mais de physique. 

Pour des raisons conjoncturelles, Gay-Lussac fut élu à l'Académie des sciences dans la classe de physique, et non de chimie. Mais c'était un simple manque de place, pas plus, et François Arago a dit plus tard de Gay Lussac : « C'est un bon physicien, mais un excellent chimiste ». On sent là cette espèce de sentiment de supériorité déplacé qu'ont certains qui manipulent les équations, envers ceux qui expérimentent avec les molécules. 

La « gueguerre » n'est pas nouvelle, et l'on en trouve des échos jusque dans nos enseignements. Par exemple, récemment, dans un master de physico-chimie, il était tout à fait étonnant d'observer que nombre d'étudiants se sont intéressés à des questions telles que la loi de Gibbs, la force de Laplace, et autres descriptions physiques, alors que, pourtant formés à de la chimie et à de la biochimie, qu'ils devaient donc maîtriser bien mieux, ils n'allaient pas tenter de comprendre les mécanismes en termes moléculaires. 

Oui, les grandes lois synthétiques ont une beauté, mais elles ne doivent pas nous faire oublier que ce sont des mécanismes qui nous intéressent. Sans quoi nous en restons bloqués à un stade précoce de la méthode scientifique, laquelle va de l'observation à l'observation en passant par les étapes que sont la quantification des phénomènes, la réunion des données en lois synthétiques, la recherche des mécanismes et la constitution des théories, la recherche des conséquences de ces théories, et la recherche d'expériences pour tester les théories.

 A la réflexion, on retrouve là un défaut fréquent des travaux scientifiques un peu médiocres, qui s'arrêtent aux lois et oublient d'aller chercher le couronnement de leurs travaux dans les interprétations. Dans les stages, par exemple de mastère, et même dans les thèses, les jeunes scientifiques se donnent de beaucoup de mal pour quantifier les phénomènes, pour chercher des lois, mais, généralement, la partie interprétation, certes toujours menacée par le manque de temps puisqu'elle arrive en fin de travail, est négligée. Elle est négligée pour des questions contingentes, mais aussi parce que c'est une question difficile, ou, plus exactement, une question à la quelle nous ne nous sommes pas assez entraînés. 

On en conclut qu'il serait bon que l'enseignement scientifique insiste sur cette question cruciale. Je vous invite à lire cette biographie de Gay-Lussac.

Des tics

Ayant été conduit à entendre la radio, je me suis amusé que l'un des intervenants mette des "voilà" environ tous les trois mots,  tandis que son interlocuteur enchaînait la moindre de ses phrases par "et cetera". 

 

Non seulement le "voilà" était un tic, mais c'était un mot sans signification, une espèce de boulet que la personne, prétentieusement intellectuelle traînait, comme une démonstration de son insuffisance et une confirmation de sa prétention. 

Pour le et  caetera, c'était pire, car dans nombre de phrases à la fin desquelles il était prononcé, il n'y avait précisément pas d'énumération à donner. 

 

De tels mots font suite aux "du coup" ou "effectivement" dont nous avons été affligés ces dernières années. 

 

Quels seront les prochains ?

mardi 13 juin 2023

Science... culinaire ?

Note : J'écris le billet suivant, alors que je suis un des auteurs du livre. Et je ne touche pas de droits d'auteurs.

 

Les éditions Belin m'envoient aujourd'hui des exemplaires d'auteur du livre "Science culinaire", dont je suis à la fois le préfacier et l'un des auteurs. 

Enfin un ouvrage universitaire, en langue française, original de surcroît, qui présente la gastronomie moléculaire ! 

 Seul le titre est indu, parce que la "science culinaire" désigne en réalité la connaissance de la cuisine culinaire, pas la physico-chimie qui étudie la cuisine, et qui a pour nom "gastronomie moléculaire". 

Bref, un bon livre avec un mauvais titre. 

 

Mais comme c'est presque de la réclame, que je fais avec cette annonce, je vous laisse voir vous même ! (ici, il y avait un lien qui a été jugé "commercial" par un de mes amis, et que j'ai donc supprimé  : je répète que ma démarche est de partager de l'enthousiasme ; elle n'est pas commerciale). 



lundi 12 juin 2023

A propos de calcul

 Dans des billets précédents, j'ai discuté la question du calcul, mais je propose de reformuler un peu différemment la chose.
 

Considérons un phénomène du monde, par exemple le changement de couleur de framboises mises au contact d'une casserole étamée.
 

Pourquoi ce phénomène ? Le poète imaginera des affinités sensibles entre le fruit et le métal, et il produira un discours poétique ; le géographe discutera l'origine du métal, la qualité du sol où poussent les fruits, et il aura un récit descriptif ; l'historien regardera comment la choses a été décrite dans le passé, et verra des liens à travers les siècles, dans un discours rétrospectif, qui ne dit rien du futur, en réalité  ; le botaniste examinera des questions de répartition des diverses variétés de framboises dans les territoires, et il ne pourra rien dire du phénomène, mais posera des questions utiles au physico-chimiste ...
 

Pour ce dernier, le « changement de couleur » aura d'abord été exploré quantitativement, ce qui aura produit une foules de données : des spectres d'absorption de la lumière, des tables de composition... et c'est au terme d'un parcours jugé parfois excessivement long (par le public qui paye l'activité scientifique, ignorant ou oubliant que c'est la base de toute innovation industrielle et de tout progrès intellectuel) que l'on pourra proposer que les ions métalliques se lient aux électrons délocalisés des cycles aromatiques des anthocyanes.
 

C'est là un récit, certes, mais pas du même ordre que ceux des autres professions, parce que ce récit aura été encadré par les données quantitatives. Mieux encore, les sciences de la nature qui ne sont pas des simulacres de telles activités (OK, la tournure est alambiquée : elle signifie que, parfois, des sciences de l'homme et de la société singent les sciences de la nature) poursuivront le travail en allant chercher des réfutations de ce récit, sachant qu'on ne réduit pas le réel à un récit, que la « vérité » est inaccessible aux sciences quantitatives (mais encore plus aux autres activités!). 

Insistons un peu sur le mot « vérité » : certains épistémologues (ceux de pacotille, donc) critiquent les sciences de la nature en leur prêtant l'idée de chercher la vérité. 

C'est faire preuve de la dernière des ignorances des sciences de la nature. Leur procès d'intention est aussi malvenu que leur ignorance, et, si l'on ne voulait pas y perdre son temps, on chercherait à comprendre leurs motifs... mais on aura compris à ma phrase que ce serait vraiment du gâchis. 

Bref, en science, pas de vérité, certes, mais une adéquation des récits au nombre ! Seules les sciences de la nature se donnent cette obligation, qui est en réalité terrible ! En un mot, les sciences de la nature n'ont rien de commun avec les autres savoirs, et l'on ne sort guère convaincu des critiques qui ont été portées à l'encontre de la méthode les sciences quantitatives par quelques roquets, qui avaient sans doutes des idées « politiques » (piètre politique). 

Certes, c'est un acte de foi de penser que le monde soit écrit en langage mathématique, mais un acte de foi font très dynamisant.

A propos de crème fouettée

Et là, une question à propos de crème fouettée:

 

Ma femme n'arrête pas de dire qu'avec l'ancien batteur, la crème fouettée se faisait en un clin d'oeil.
La seule différence avec le nouveau, c'est que les 2 fouets ont des tiges plates alors que l'ancien avait des tiges rondes comme des fils de fer.
J'utilise la même crème UHT Valflora de 250 mL à 25 % de matière grasse qui sort du frigo à 7°. Après environ 7 minutes de battage et en essayant toutes les vitesses, j'obtiens des fragments de beurre sans passer par la crème fouettée, avec au fond 0,5 dL de liquide blanc qui ressemble à du petit lait.
La Migros la vend comme demi-crème. Composition : demi-crème, protéines du lait, babeurre, épaississant E 407, avec la mention : à fouetter et "conserver à max. +5° ".
Est-ce que la crème n'est pas assez froide à 7° ou est-ce simplement le fait que, à 25% de gras, une crème fouettée a de la peine à prendre et qu'il faut prendre celle à 40% pour réussir ? Car l'épaississant E 407 n'est pas là pour rien et ne réussit peut-être pas à compenser le manque de gras.

 

Et ma réponse :

 

Pour obtenir de la crème fouettée,  la première chose à faire, c'est de bien pousser de l'air dans la crème et non pas de la cisailler.

De sorte que j'identifie immédiatement que le changement des pales du batteur peut avoir une influence déterminante.

 En effet, avec des fils un peu ronds, on cisaille moins qu'avec des fils plats.
 

D'ailleurs, il y a aussi la façon de tenir le batteur car on ne doit pas oublier que l'objectif, j'y reviens, c'est bien de mettre des bulles d'air dans la crème et c'est c'est seulement ensuite, quand la crème est bien foisonnée, que les gouttelettes de matière grasse doivent fusionner pour faire une sorte de réseau qui piège l'air introduit.

 

Bien sûr il y a des questions de quantité de matière grasse, mais dans le cas considéré, rien n'a changé de ce point de vue là.
Bien sûr, il est important que la crème soit froide et personnellement, je mets toujours le récipient où je prépare ma crème fouettée au congélateur avant de procéder à l'opération, tout comme je mets d'ailleurs la crème au froid.

Et je peux témoigner qu'il y a des crèmes de plus ou moins bonne qualité pour la crème fouettée :  j'ai été stupéfait, par exemple, de voir la crème alsacienne d'Alsace Lait   prendre en crème fouettée en 22 secondes !

Inversement, en été, dans le Tarn, je sais qu'il y a lieu de mettre des glaçons dans la crème, sans quoi la température ambiante ne permet pas d'obtenir correctement de la crème fouettée.

 

Mais concluons : pour ce qui concerne la question de notre interlocuteur, c'est manifestement la forme des pales et aussi la manière d'utiliser le batteur qui fait la différence.

 

Centrer le jaune d'oeuf dans un oeuf dur ? C'est expliqué dans le livre "Mon histoire de cuisine"

Comment cuire correctement des œufs durs ? 

Il y a des livres entiers à écrire à ce sujet, mais heureusement l'interlocuteur qui me pose la question se focalise sur le centrage du jaune dans l'œuf. 

 

Comme l'œuf n'est pas sphérique, il y a deux centrages à considérer  : selon la longueur et selon la largeur. Mais j'ai découvert dans les années 80 comment centrer les jaunes dans les œufs dans les deux directions à la fois. 

J'ai fait cette découverte parce que  je cherchais à savoir s'il était vrai que, comme on le disait depuis longtemps, le jaune était en bas de l'œuf quand on tient ce dernier verticalement. 

Personnellement, ma prévision était que le jaune d'œuf serait plutôt en haut en bas car il est composé de 50 % d'eau, de 15 % de matière grasse et de 35 % de lipides, de graisse donc, moins dense que l'eau.
Alors que le blanc lui est fait de 90 % d'eau et de 10 % de protéines.
Autrement dit,  le jaune est moins dense que le blanc. 

 

J'ai donc fait l'expérience de coincer un œuf dans une casserole avec des fourchettes, de faire une croix sur la partie supérieure, et de cuire l'œuf dur. En coupant l'œuf par le travers après la cuisson j'ai vu clairement le jaune en haut de l'œuf. 

D'ailleurs, j'ai publié dans Mon histoire de cuisine une image qui montre bien le phénomène et en conférence, j'ai montré cela des centaines de fois. 

 


Donc oui, pour avoir le jaune d'œuf bien centré, il faut faire rouler l'œuf avec une cuillère pendant la cuisson de sorte qu'il n'y ait plus ni haut ni bas. Une de mes découvertes... qui ne me vaudra hélas pas le prix Nobel ! 

dimanche 11 juin 2023

Le "goût"

 J'y reviens, parce que l'on m'a offert un livre sur les épices. J'en tairai le titre et les auteurs, parce que je ne veux pas faire la promotion d'un livre que je vais critiquer, et que je ne veux pas attrister les auteurs du livre, qui sont des personnes amicales. 

Le livre contient des recettes, mais il est fondé sur une idée très fausse, à savoir une confusion entre goût et saveur.  

 

En soi, ce n'est pas grave, mais n'est-ce pas une obligation de personnes qui veulent rayonner que de proposer de la bonne « qualité » ? En réalité, il faut quand même considérer que les auteurs sont marchands d'épices, et que leur livre est, d'une façon ou d'une autre, une propagande commerciale.

 

Mais passons. La question est surtout que ces auteurs confondent goût, odeur, saveur, arôme... Et leur livre est une voix de plus dans la cacophonie. J'y vois plus positivement une possibilité de redire des choses simples et justes.

Observons tout d'abord que Brillat-Savarin confondait goût et saveur, mais que cet homme était un avocat, qui ne connaissait donc pas la science. Ne lui attribuons donc pas des connaissances qu'il n'avait pas ! 

Vers 1282, on nommait « goût » le « sens par lequel on discerne les saveurs » (Gouvernement des rois, 30, 32). 

A l'époque régnait donc la confusion. Et ce n'est donc pas dans l'histoire que l'on peut trouver sans effort supplémentaire une justification des définitions à retenir. Ce qui est clair, toutefois, c'est que l'on ne dira pas que l'on a de la saveur pour quelque chose, mais du goût pour cette chose. 

Le goût est donc quelque chose de plus général que la saveur, et voilà pourquoi les spécialistes de physiologie, depuis déjà longtemps, ont décidé de considérer le goût comme la sensation synthétique que l'on a en mangeant un aliment. 

Pour résumer ce premier point : le goût est la sensation synthétique que l'on a quand on met un aliment en bouche. 

Poursuivons, maintenant : le goût, sensation synthétique, est fondé sur des perceptions différentes, à savoir : 

-la saveur : par les récepteurs des papilles, qui devraient donc plutôt être nommées papilles sapictives

- l'odeur, anténasale (quand l'aliment arrive à la bouche, passant devant le nez, où il libère des molécules qui sont « odorantes », puisqu'elles ont la capacité de se lier à des récepteurs olfactifs, directement ou non

- l'odeur rétronasale, quand des molécules odorantes remontent vers le nez par les fosses rétronasales, à l'arrière de la bouche

- des sensations trigéminales (piquants, frais...), quand des molécules se lient à des récepteurs spécifiques du nerf trijumeau

- des sensations thermiques

- des sensations tactiles (la consistance des aliments est perçue lors de la mastication, et donne lieu à la sensation de texture)K

 

Pourquoi « etc. » ? Parce que l'inventaire ne semble pas être complet : on a découvert il y a moins de vingt ans que des acides gras insaturés à longue chaîne avaient des récepteurs spécifiques, dans les papilles, et que la sensation donnée par cette interaction n'était pas une saveur, mais de nature différente. 

 

Enfin, terminons ce billet en signalant que la théorie des 4 saveurs (salé, sucré, acide, amer) est connue fausse depuis des décennies par les physiologistes et tous ceux qui se renseignent un peu, au lieu de répéter paresseusement des choses fausses : la réglisse n'est ni salée, ni acide, ni amère, ni sucrée, mais réglisse ; l'éthanol a une saveur particulière, tout comme le bicarbonate, tout comme... mille composés. Et l' « umami » est un vaste baratin, mais je vous renvoie à un billet antérieur, sur ce point particulier. 

Je reviens donc au livre... qui inverse les mots pour « saveur » et « goût » ! N

on, la saveur N'EST PAS la sensation donnée par les odeurs ! 

Non, le goût N'EST PAS la sensation ressentie par les papilles ! Non, notre langue ne reconnaît pas six goûts, donc le piquant serait l'un d'entre eux (à quoi sert que les physiologistes travaillent, pour que des ignorants publient des erreurs réfutées il y a plus de 50 ans?). Non, la flaveur n'existe pas. 

Finalement, faut-il instaurer un « permis d'écrire des livres » ? Je ne le crois pas, pour mille raisons qu'il serait trop long de discuter ici, mais quel dommage que la données des références de ce livre risque d'en faire une publicité imméritée ! 

 

PS. J'ai évidemment des références vers des articles scientifiques de qualité pour justifier ce que j'avance ici !