C'est amusant de voir que des choses que l'on a déjà expliqué par le passé mérite de l'être encore. Amusant mais pas surprenant car il serait insensé de penser que l'on a déjà parlé à tous.
Et c'est ainsi que de jeunes cuisiniers m'ont interrogé hier à propos de fermentation et de confection de brioche.
Dans une pâte à brioche, il y a de la farine, de l'eau, du beurre et éventuellement du sucre. Mais il y a aussi des levures, qui ont été apportées soit à partir de levure fraîche de boulanger, soit à partir de levure lyophilisée.
Je m'arrête pour observer que le mot "levure", ici au singulier, est mal employé, car le bloc mou du boulanger, comme les particules sèches du produit d'épicerie, sont faits de très nombreuses "levures", micro-organismes bien évidemment invisibles à l'oeil nu.
Quand ces levures sont en présence d'eau et de nutriments, à une température "confortable" (les mêmes que celles que nous apprécions), alors elles se développent, car on oublie pas que ce sont des organismes vivants.
Mieux, ces organismes vivants là ont la particularité, quand ils se développent, de rejeter un gaz qui est le dioxyde de carbone.
Et quand ces bulles de gaz sont engendrées à l'intérieur de la pâte à brioche, alors cette pâte se met à gonfler.
Et c'est ainsi que, traditionnellement, on produit la brioche : on ensemence de la pâte avec des levures, on laisse gonfler, puis on rabat, ce qui signifie que l'on retravaille la pâte ; on laisse à nouveau gonfler, et l'on cuit, ce qui fige la brioche dans son état gonflé. D'ailleurs il faut ajouter que, pendant la cuisson, de la vapeur d'eau peut être évaporée, venant augmenter encore le volume de la brioche.
Évidemment, aux températures élevées qui sont atteintes dans une brioche, les levure sont tués, laissant divers composés qui donnent du goût à la préparation, tel le sotolon, un composé que l'on trouve également dans le champagne... où il y a également des levures qui meurent.
Les levures ? Des usines à dioxyde de carbone, pour faire gonfler les aliments.
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
lundi 17 octobre 2022
Brioches, et autres produits de fermentation
samedi 15 octobre 2022
Terminologies
Et j'ai oublié de signaler des tas de billets terminologiques :
Hervé This, Les groseilles à maquereaux… avec des maquereaux ?, Nouvelles gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/les-groseilles-a-maquereau-avec-des-maquereaux/, 19 juillet 2022.
Hervé This, Cuire à l’anglaise : ça veut dire quoi ?, Nouvelles gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/cuire-a-langlaise-ca-veut-dire-quoi/, 28 juillet 2022.
Hervé This, La sauce tortue, qu’est-ce que c’est ?, Nouvelles gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/la-sauce-tortue-quest-ce-que-cest/, 3 août 2022.
Hervé This, Les fines herbes, c’est quoi ?, Nouvelles gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/les-fines-herbes-cest-quoi/, 24 août 2022.
Hervé This, Condiments ou appétits ?, Nouvelles gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/condiments-ou-appetits/, 29 août 2022.
Hervé This, Bavarois ou bavaroise ?, Nouvelles gastronomiques, https://twitter.com/SandrineKauffer/status/1566774013090824193, 5 septembre 2022.
Hervé This, Cuisiner à l’Argenteuil, Nouvelles gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/cuisiner-a-largenteuil/, 12 septembre 2022.
Hervé This, Tout savoir sur l’histoire de la blanquette, 19 septembre 2022, Nouvelles gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/tout-savoir-sur-lhistoire-de-la-blanquette/
Hervé This, Qu’est-ce qu’un dartois en pâtisserie ?, Nouvelles gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/quest-ce-quun-dartois-en-patisserie/, 25 septembre 2022.
Hervé This, La ballottine, ce n’est pas un ballot, Nouvelles gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/la-ballottine-ce-nest-pas-un-ballot/, 29 septembre 2022.
Hervé This, Cuisiner au bleu ?, Nouvelles gastronomiques, https://nouvellesgastronomiques.com/cuisiner-au-bleu-linterpretation-doit-etre-fidele-sans-quoi-il-faut-nommer-differemment/, 4 octobre 2022.
mardi 11 octobre 2022
Luttons contre les vociférateurs
Il y a "sur les ondes" (entendons : dans les réunions publiques, dans les journaux, sur les radios, dans les programmes de télévision) des braillards : des personnages qui parlent plus haut que les autres, sans avoir plus de compétences, cherchant à s'imposer par l'intensité sonore de leur discours, par la répétition lancinante de leurs idées, comme si la vérité en découlait.
Cette stratégie s'apparente à la litanie, et les populismes s'en nourrissent, ne cessant de rabacher des messages pour les imposer aux plus faibles.
La question est "comment lutter contre ces malfaisants ?".
Bien sûr, on peut être vigilant, et arrêter ces personnes chaque fois qu'elles déraillent, dénoncer leurs agissement... mais on risque de paraître toujours négatif, et donc en position de faiblesse, par rapport à ceux que l'on critique, qui sont "positifs", disons force de propositions (même si ces propositions sont idiotes).
Depuis toujours, je refais l'analyse de la question, et j'arrive toujours à la même proposition : il faut montrer du ciel bleu, montrer comment voir le ciel bleu, montrer comment construire ce ciel bleu que nous voulons voir.
Il faut dire des faits justes, montrer en quoi ils sont justes, montrer à nos amis comment éviter les discours pourris et privilégier les faits justes. Il faut désigner le beau, le bon, le juste ; il faut identifier de nobles objectifs vers lequels nos amis (et nous-mêmes !) tendront.
Il faut de la grandeur !
lundi 10 octobre 2022
A propos d'erreur
Nous sommes bien d'accord : il y a des fautes, d'une part, et des erreurs, de l'autre. Ici, c'est d'erreurs dont je parle, et pas de fautes (que personne ne se sente attaqué, donc).
Erreur ? Dans le Nouveau dictionnaire des difficultés du français moderne de M. Hanse (Editions De Boeck), je lis, à propos des erreurs :
"Une erreur peut-être plus ou moins grave, grossière, mais n'est-elle pas normalement involontaire et faut-il s'excuser en la qualifiant de la sorte ? Il faut noter cependant que la notion d'erreur ne comporte que l'idée de fausseté, d'inexactitude et qu'il n'est pas impossible de commettre volontairement une erreur d'appréciation, de calcul."
Et c'est cela qui m'arrête, pour plusieurs raisons.
La "gravité" d'une erreur ? Il faudrait pouvoir la mesurer, autrement que par l'appréciation arbitraire -l'opposé d'une aide bien didactique- d'un individu.
Par exemple, un mauvais accord d'un participe passé est-il plus "grave" que l'absence d'une virgule après un substantif, pour introduire une proposition relative ? Dans le premier cas, il n'y a pas toujours d'ambiguité, et, dans le second, le sens peut changer considérablement.
Une erreur "grossière" ? On pressent que, comme pour "grave", nos auteurs se réfèrent à un "niveau d'études" : serait sans doute grossière une erreur que l'on apprend à ne pas faire le plus tôt possible au cours des études.
Mais les systèmes d'études sont-ils bien les mêmes pour tous ? Pas sûr !
Les erreurs sont-elles toujours involontaires ? Ce n'est pas sûr, et je sais des personnes intelligentes... puisque professeurs, qui font des "erreurs pédagogiques", et assez souvent. Autrement dit, non seulement nos auteurs auraient raison de se méfier des adjectifs ("grossière", "grave"), mais ils devraient également se méfier des adverbes ("normalement").
Quand on fait une erreur involontairement, faut-il s'excuser d'avoir fait une "erreur involontaire" ?
Je propose d'abord de ne pas "s'excuser", mais présenter des excuses.
Et puis, si l'on fait une erreur, faut-il vraiment insister sur le côté volontaire ou involontaire ? Un "pardon" ne suffit-il pas ?
Mais je sais que je finasse, et que nos auteurs voulaient s'interroger sur la nature pléonasmique ou périssologique de l'expression "erreur involontaire".
Erreur synonyme de faux ? d'inexact ? Disons qu'il y a trois mots, pour trois idées différentes, et que nous aurions raison de distinguer.
Et finalement, que penser du "il n'est pas impossible de commettre volontairement une erreur d'appréciation, de calcul" ? Là, je voudrais quand même qu'on m'en donne des exemples ! Si "erreur volontaire" il y a, c'est, au fond, une manifestation de mauvaise foi, ou de malhonnêteté, et n'est-ce pas ainsi que nous devrions le considérer, plutôt que comme une "erreur volontaire" ?
Finalement, je ne reste pas convaincu par ce paragraphe de Hanse.
dimanche 9 octobre 2022
A propos de Jean de la Fontaine
Décidément, il y a les petits esprits, les roquets, et, à l'opposé, ces belles personnes dont nous devons nous inspirer ; il y a la boue, et, à l'opposé, le ciel bleu.
Rien n'est donné, tout se construit.
Pourquoi une telle introduction ? Parce que, une fois de plus, je trouve un document qui dit que Jean de la Fontaine est un vil copieur, une sorte de plagiaire. Il aurait plagié l'Africain Esope, qui aurait inventé la fable, ou aurait copié des fables orientales d'origine indienne, il aurait plagié Phèdre...
Mais considérons les choses plus intelligemment : sans La Fontaine, Esope, Phèdre et les autres seraient restés obscurs, d'une part ; et, d'autre part, alors que rien n'est pire qu'une mauvaise traduction, La Fontaine a su faire mieux que ses prédécesseurs, et, surtout, il a su créer des textes d'une langue qui était la sienne. Tout comme Beaudelaire fit connaître les beautés d'Edgar Poe, par une sorte de recréation merveilleuse, La Fontaine a réussi à ciseler des textes limpides, de sa propre culture.
La fable ? Elle est sans doute aussi vieille que l'humanité, et les thèmes des fables d'Esope ou de Phèdre sont de la sagesse séculaire.
Mais je reviens à la question littéraire : dans La Fontaine, il y a ce texte qui coule, naturel, pas "emprunté" dirais-je par un jeu de mots que j'assume pleinement.
Oui, un peu de grandeur !
mercredi 5 octobre 2022
Et encore à propos de représentations 4/3
Dans un billet précédent à propos de représentations, et, en particulier, d'images calculées par ordinateur, j'avais alerté sur le fait qu'un objet représenté peut très bien ne pas exister, tout comme il ne suffit pas de dire "Père Noël" pour que celui-ci existe vraiment.
Ici je veux insister un peu parce qu'il y a là quelque chose de d'utile, chaque fois que nous regardons des images.
Commençons par l'affaire du Père Noël. Une dénomination, c'est un ensemble de lettres, et ces lettres peuvent être trompeuses quand elles s'assemblent pour faire le mot "père", tout d'abord, puis pour faire le mot "Noël", et, enfin, pour faire l'ensemble "Père Noël".
Bien sûr, il existe des pères ; bien sûr, Noël est quelque chose de réel. Mais le Père Noël n'existe pas, et l'utilisation de deux mots qui renvoient à des objets réels est à l'origine de la tromperie.
Ici, ce sont les mots qui ont trompé, mais les images font de même, tout comme les diverses autres sensations.
Pour les sensations, considérons par exemple un ensemble de molécules qui reproduirait l'odeur d'une truffe : un chien ou un cochon iraient vers l'origine de l'émission d'odorants, croyant à la présence d'une truffe... qui pourtant n'existe pas.
Pour un son, de même, un chat pourrait chercher à chasser un oiseau qui ne serait pas présent, si l'on émettait un enregistrement de chant d'oiseau.
Les data gloves, qui sont des gants muni de capteurs de pression, permettent d'entrer dans un monde virtuel qui peut-être utile par exemple pour l'enseignement de la chimie : on peut "sentir" des forces entre des atomes ou des molécules alors que ceux-ci sont absents, et seulement ne sont représentés sur des lunettes spéciales.
Sons, odeurs... Pour les images et des films calculés par ordinateur il en va de même et il faut être bien naïf pour croire à l'existence d'objet représentés, alors qu'en réalité des pixels colorés ont été assemblés par un ordinateur, sous la commande de celui ou de celle qui savait déposer les pixels au bon endroit.
Dans nos études scientifiques, une image est une représentation, donc une interprétation et je viens encore d'en avoir un exemple avec un article consacré aux gels : il y avait des images de microscopie à force atomique, pour lesquelles j'ai dit précédemment qu'il fallait les interpréter, car on ne voyait en réalité, sous forme d'image, que l'interaction d'une pointe mobile avec la surface d'un échantillon.
Mais ce n'est pas ici le point qui me retient: je veux surtout signaler qu'une de ces images était associée à un schéma qui semblait d'un réalisme parfait : on avait l'impression de voir des atomes, avec des distances, des angles, des volumes. Mais qui dit distance, qui dit volume dit codage de l'image à partir d'informations... venues d'où ?Obtenues comment ?
Les images scientifiques sont particulièrement trompeuses parce qu'elles sont fondées sur des mesures innombrables, interprétées, et interprétées à l'aide d'interprétations, qui, elles-mêmes, résultent d'interprétations, et ainsi de suite.
Il y a donc lieu d'être particulièrement prudent et, peut-être, de préférer un schéma manifestement faux à une image trop réaliste et donc trop trompeuse.
Mais, inversement ta gueule on aurait évidemment tort de se priver d'une représentation que nous maîtrisons et qui nous conduit à nous poser des questions : des questions précisément relatives à l'interprétation, à sa nécessaire amélioration.
Il faut donc douter et douter encore jusqu'à savoir ce que l'on voit, à juger de degré de confiance que l'on décide d'accorder, à l'issue d'un long chemin de renseignements pris sur l'image que nous contemplons.
Et c'est ainsi que la science est belle !
mardi 4 octobre 2022
A propos d'interprétation
Dans un billet précédent, j'ai discuté des questions de virtuosité, en condamnant les musiciens qui jouent vite, sans comprendre que la question est la musicalité, et pas la capacité idiote de bouger rapidement les doigts.
Ici, je veux discuter la question de l'interprétation. Stricto sensu, comme pour le mot "traduction", l'interprétation s'impose. La musique est écrite, et on la veut jouée. Il faut donc bien, comme le dictionnaire le dit, passer d'une langue (écrite) à une autre (jouée).
Mais, de même qu'un traducteur qui ferait dire à un texte ou à une personne tout autre chose que ce qui était initialement énoncé, un interprète doit rester fidèle à l'oeuvre, sans quoi il n'a pas le droit de dire que c'est cette oeuvre-là. Au mieux, il pourrait dire alors qu'il l'a changée, utilisée, pastichées, que sais-je ?
C'est le cas pour la cinquième symphonie de Ludwig van Beethoven, jouée très lentement, alors que Beethoven était fasciné par le métronome, nouvellement introduit, et qu'il avait très explicitement indiqué comment son oeuvre devait être jouée ! Pour d'autres compositeurs, qui n'ont pas laissé d'indication, la musicologie a précisément cet intérêt qu'elle nous permet de savoir le tempo qui s'impose. Par exemple, une bourrée n'est pas une sarabande, et un menuet n'est pas un grave. Et comme pour virtuosité, une interprétation qui ne serait pas fidèle serait... infidèle, ce qui est quand même une honte.
Souvent, on peut incriminer l'ignorance, l'absence de travail, des erreurs de jugement, et cela est en quelque sorte moins grave que le mépris des oeuvres, la volonté naïve de jouer "comme on le sent".
Inversement, il faut saluer le travail des musicologues qui mettent les interprètes -fidèles, ou, au moins ayant la volonté de l'être- sur la voie de l'oeuvre telle qu'elle a été conçue.
Ce qui pose la question des instruments : d'époque ou pas ? Alors que la musique baroque est en vogue, grâce à quelques uns qui ont restauré des instruments d'époque, qui ont appris à en jouer aussi fidèlement que possible, que penser de l'interprétation sur des instruments modernes ? Bach au piano, alors qu'il ne connaissait que le clavecin, l'épinette ou l'orgue ? Haëndel à la flute traversière Böhm, alors qu'il n'y avait que des flûtes en bois, sans doute bien plus fausses que nos flûtes modernes ? Des trompettes modernes, alors que la possibilité de jouer toutes les notes de la gamme n'est apparue que récemment ?
Là, j'ai parlé de musique... mais pour les sciences de la nature : ne devrions-nous pas, quand nous explorons des travaux de scientifiques du passé, chercher à nous mettre mieux dans les conditions de l'époque ?
Par exemple, avant le congrès des chimistes de Karlsruhe, la notion de "molécule" était essentiellement celle de Haüy, confondue avec celle d'atomes : de petites choses, mal perçues. Et ce fut le travail de Cannizzaro que de partir d'Amedeo Avogadro pour proposer de l'ordre dans les notions de chimie. Lothar Meyer a dit ""Les écailles semblaient tomber de mes yeux." Autrement dit, on est mal avisé de répéter comme un perroquet que Louis Pasteur a découvert la dissymétrie moléculaire, en croyant qu'il s'agit de notre chiralité moderne : dans un de mes articles de recherche en histoire de la chimie, j'ai bien établi que Pasteur, avant 1860, confondait atomes et moléculaires, et que ces mots signifiaient seulement "tout petits constituants de la matière".
Mais je préfère vous laisser lire : https://www.academie-agriculture.fr/publications/notes-academiques/des-cristaux-dauguste-laurent-et-des-techniques-danalyse-optique-de