Rater une béarnaise ? Nous allons voir que c'est bien difficile... parce que l'on peut la rattraper !
Commençons par la sauce béarnaise : de quoi s'agit-il ? Jules Gouffé, dans son Livre de cuisine, publié en 1867 donne la recette suivante :
SAUCE BÉARNAISE. Mettez dans la casserole : 5 jaunes d'oeufs, 30 grammes de beurre, 1 petite pincée de sel, 1 prise de poivre. Tournez sur le feu avec la cuiller; aussitôt que les jaunes d'oeufs commencent à prendre, retirez du feu et ajoutez 30 grammes de beurre ; remuez sur le feu avec la cuiller, et ajoutez de nouveau 30 grammes de beurre ; faites deux fois la même opération ; goûtez pour l'assaisonnement, puis ajoutez une cuillerée à bouche d'estragon haché et une cuillerée à café de vinaigre à l'estragon. Cette sauce doit être ferme et avoir la consistance de la mayonnaise.
Comment rater cela ? Bon, on peut évidemment commencer par faire tomber les blancs avec les jaunes, voire avec des morceaux de coquille... mais on parviendra sans doute à récupérer la coquille... et ce n'est pas grave d'avoir des blancs avec des jaunes, car les blancs sont faits d'eau et de protéine.
Le sel ? On peut oublier d'en mettre... mais il sera temps d'en ajouter après. En mettre trop ? Là, oui, c'est gênant.
Le poivre ? Ne pas avoir peur d'en mettre beaucoup, car mon ami Emile Jung, chef étoilé décédé, disait bien "une partie de violence, trois parties de force et neuf parties de douceur".
Cuire trop ? Cela ferait une masse coagulée.... mais on peut donner un coup de mixer pour défaire tout cela.
Faire tourner la sauce après qu'on a ajouté le beurre ? Il suffit d'une cuillerée d'eau pour qu'elle retrouve sa consistance émulsionnée.
Bref, inratable !
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
lundi 18 avril 2022
Comment rater une béarnaise
dimanche 17 avril 2022
Les gehrardts
En 1998, j'avais proposé des "royales de l'extrême", quand j'avais cherché quelle quantité de liquide un œuf pouvait gélifier.
Gélifier : c'est-à-dire faire prendre comme une crème prise.
Pour le savoir, j'étais parti de différentes quantité de liquide, et, dans chacune, j'avais ajouté un œuf battu.
J'avais mis l'ensemble des récipients au four chauffé, et j'avais regardé à partir de quelle quantité de liquide la crème ne prenait plus. Le résultat, c'est environ 0,7 litre pour un oeuf de taille moyenne.
Ces royales de l'extrême, je les avais nommées des lavoisiers, en l'honneur du chimiste Antoine Laurent de Lavoisier, qui avait exercé ses talons sous l'Ancien Régime, juste avant la Révolution française.
Plus récemment, j'ai imaginé un peu la même chose mais avec des protéines animales, c'est-à-dire plus précisément de la viande ou du poisson.
En effet, dans les lavoisiers, ce sont les protéines d'oeuf qui font prendre, mais toute protéine qui peut coaguler convient.
Or dans la viande et dans le poisson, il y a également des protéines, qui peuvent coaguler : la preuve en est qu'on fait des terrine à partir de viandes ou de poissons.
L'idée est donc toute simple : il s'agit de broyer de la viande ou du poisson, et d'ajouter un liquide pour faire en quelque sorte l'inverse de mon expérience initiale de 1998.
On peut même éviter faire l'expérience si l'on sait calculer puisque l'oeuf contient 10 % de protéines pour le blanc et 15 % pour le jaune. En revanche, dans la viande ou le poisson, la proportion de protéines est environ double.
De sorte que, si l'on s'y prend bien, on doit pouvoir faire prendre plus d'un litre de liquide à partir de seulement 50 à 100 grammes de viandes ou de poisson...
... à condition d'avoir bien extrait les protéines de la viande ou du poisson.
Et l'on obtiendra une crème prise sans œuf.
Cette fois encore, il faut donner un nom : je propose gehrardt en l'honneur du chimiste alsacien Charles Gehrardt, qui contribua à la chimie organique moderne.
Bien sûr, il ne faudra pas oublier de donner du goût : ce sera celui du liquide puisque le liquide sera dominant.
vendredi 15 avril 2022
Le fumage ?
On m'interroge sur l'intérêt du fumage, indépendamment du goût que cela peut donner, et je propose de ne pas oublier que nombre de nos procédés culinaires actuels découlent de techniques de conservation : le salage, les confitures, les confits, la fabrication de saucisson et du fromage, le fumage...
Car on ignore ou l'on a oublié que jadis et naguère, il fallait profiter, il fdes moindres ingrédients alimentaires, prolonger leur durée de vie quand on n'avait pas le froid ni la conserve.
Et le fumage est un de ces procédés empiriquement découvert : la fumée dépose à la surface des ingrédients fumés des composés qui préservent contre les micro-organismes présents à la surface des denrées.
La fumée effectivement contient nombre de composés toxiques pour les micro-organismes, notamment les hydrocarbures aromatiques polycycliques, dont il faut quand même dire qu'ils ne sont pas anodins pour l'être humain ! Certains de ces composés sont très cancérogènes.
D'autre part, le fumage sèche la surface des denrées, ce qui contribue à la préservation : les micro-organismes sont privés de l'eau qui leur est nécessaire pour proliférer.
Et, de ce fait, les viandes sont protégées, et ont le temps de s'attendrir.
Car il faut dire que le cadavre d'un animal fraîchement abattu durcit : c'est la "rigor mortis", ou raideur cadavérique. En effet, sans le cervau qui envoie des messages cohérents, les muscles se contractent de façon incohérente, et ils accumulent de l'acide lactique (crampes, courbatures).
Puis, les enzymes, qui sont des protéines actives, décomposent les autres protéines, lentement, et la viande s'attendrit. C'est l'importance de la maturation, que savent bien orchestrer les bons bouchers.
Evidemment, cela ne suffit pas à faire une bonne viande tendre quand on part de carne, mais cela s'impose pour des viandes raisonnables.
D'où l'intérêt de la marinade ou du fumage : on donne du temps pour que la maturation se fasse, sans que les micro-organismes ne viennent s'imposer de façon délétère.
Car on oublie souvent de penser que nous sommes entourés de micro-organisme : levures, bactéries, champignons microscopiques, et cetera. Et ce sont les surfaces qui sont contaminées bien sûr. A l'intérieur, il peut y avoir des parasites, mais commençons par des choses simples : ce sont surtout les surfaces qui sont contaminées et qu'il faut donc traiter, ce que fait le fumage.
Atome, molécule, substance, élément... Pour bien comprendre, ne confondons pas les objets matériels et les catgérories (le chien Mirza n'est pas la catégorie des chiens)
Alors que je prépare un article de didactique de la chimie, je m'aperçois qu'il n'y a pas de raisons de ne pas mettre immédiatement en application les idées que je propose de partager avec des collègues.
L'article discute les notions d'éléments, d'atome, de molécule, de composé, de substance...
Mais partons de l'idée d'atome. Oublions les acceptions anciennes, périmées, qui ont eu cours jusque dans les années 1960, et commençons par considérer un peu d'eau.
Ce que l'on nomme "eau", et dont le nom est légitime, c'est une "substance", un objet matériel.
Qu'il soit liquide, gazeux, solide, l'eau est de l'eau.
Quand on le regarde à l'aide d'un super-microscope, on voit que l'eau est faite d'objets tous identiques, et que l'on nomme des "molécules".
En l'occurrence, on dit parfois que ces molécules sont des "molécules d'eau".
Et si l'on cherche à fragmenter ces molécules par des procédés "chimiques" (plus ou moins l'énergie du "feu"), alors on peut séparer ces molécules en objets qui, eux, ne se séparent plus par des procédés qui mettent ces énergies en jeu. Les objets récupérés sont des "atomes".
Plus précisément, quand on analyse une molécule d'eau, on découvre qu'elle est faite d'atomes de deux sortes : des atomes d'une sorte ont été nommés "atomes d'oxygène", et des atomes d'une autre sorte ont été nommés "atomes d'hydrogène".
Il y a, dans une molécule d'eau, un atome d'oxygène et deux atomes d'hydrogène.
Et les mots "oxygène", ou "hydrogène", désignent donc des catégories d'atomes. Ce que l'on a nommé des "éléments".
Et c'est ainsi que, d'un côté, on a les objets matériels : atomes, molécules, substance ; de l'autre des catégories : les éléments.
Du côté des catégories, il y a diverses "espèces chimiques", qui sont par exemple les "composés", les "espèces ioniques", les "métaux"...
- les composés ? Ce sont des catégories, dont les molécules sont "composées" d'atomes appartenant à des éléments différents.
Pour "tenir ensemble", les atomes partagent des objets nommés "électrons".
Par exemple, le méthane est un composé, puisque les molécules de méthane sont faites d'un atome de carbone (appartenant à la catégorie de l'élément carbone) et de quatre atomes d'hydrogène (l'élément hydrogène).
- les espèces ioniques ? Cette fois, ce sont des assemblages d' "ions", c'est-à-dire d'atomes qui se sont échangés une partie, nommée électron.
J'insiste : ici, les électrons ne sont plus mis en commun, mais échangés.
Par exemple, un cristal de sel est un empilement régulier et alterné d'un ion chlore (on dit "chlorure", mais c'est un détail) et d'un ion sodium.
Ici, les atomes de sodium ont cédé un électron, et les atomes de chlore en ont gagné un.
- les espèces métalliques ? Dans un bloc de fer, il n'y a que des atomes de fer (l'élément), mais ils mettent en commun des électrons, et cela est à l'origine de leur aspect brillant.
Finalement, on le voit, on comprend mieux si l'on ne confond pas les objets matériels et les catégories !
mercredi 13 avril 2022
Apprendre en confiance
Une plaie, quand on étudie, c'est de tomber sur un mauvais professeur (qui se dit souvent "enseignant", n'ayant pas compris la différence) ou sur un mauvais livre.
Je trouve un exemple tout à fait extraordinaire ce matin, dans un Traité de la distillation : les auteurs considèrent un mélange de plusieurs composés, en nombre n, tant qu'on y est, alors que souvent, en pratique, on ne considère quasiment toujours qu'un nombre petit, 1, 2 ou 3... de sorte que l'on aurait eu raison de commencer par considérer le nombre 2, et de généraliser ensuite (éventuellement).
Mais bon. Nos auteurs écrivent que la somme des fractions molaires est égale à 1, sans explication, sans que l'on puisse donc faire autre chose qu'acquiescer, et apprendre éventuellement par coeur si l'on fait confiance aux auteurs.
Puis, après des développements, ils parlent du nombre de molécules, disant que la somme des nombres de chaque espèce de molécules est égale au nombre total de molécules présente. Là, oui, on comprend, c'est évident, et c'est bien de là qu'il aurait fallu partir, pour diviser cette égalité par le volume et par le nombre d'Avogadro, afin de trouver leur égalité injustifiée initiale.
Bref, nos auteurs n'ont rien compris, n'ont pas bien réfléchi avant d'exposer les choses..., et, d'ailleurs, ce même type de mauvaise exposition se retrouve tout au long du livre. Quelle plaie !
Pourquoi nos auteurs ont-ils été si médiocres ?
Je suis quasiment sûr, après une longue fréquentation des enseignants et des ouvrages d'enseignement (terme que je déteste, bien sûr) que, dans bien des cas, les enseignants ne comprennent pas ce qu'ils disent ; ils recopient des choses publiées, les répètent, savent éventuellement appliquer des "règles", des équations apprises, mais ils n'ont pas compris.
Pas tous, bien sûr ! Je parle ici des mauvais, de mauvais que j'ai eu comme professeurs, ou de mauvais auteurs (trop nombreux) dont j'ai lu les livres.
Quel dommage, pour eux et pour ceux qui les ont subis, qu'ils n'aient pas fait mieux. Pour eux, ils auraient eu le plaisir de comprendre, a minima. Et, surtout, ils auraient pu vivre dans le bonheur de calculs justes, amusants, enthousiasmants, à l'opposé des discours de singes savants qu'ils étaient. D'ailleurs, savants... Disons charitablement faussement savants.
Je me demande si nous ne devrions pas publiquement identifier les erreurs et les signaler à nos jeunes amis, afin de leur éviter d'y être exposés ?
A cette question, un vieux camarade physicien me répond que cela fait du bien aux jeunes d'être exposés aux erreurs, afin de se "faire le cuir".
Mouais... Pourquoi ne pas chercher à aider nos amis, plutôt ? Et puis, si l'objectif est aussi qu'ils se fassent le cuir, pourquoi ne pas leur apprendre explicitement à se faire le cuir ?
Mais il faut être plus positif. Pourquoi ne constituerions-nous pas une espèce de répertoires de cours bien faits, dans lesquels les étudiants puissent avoir confiance ?
C'est une idée que j'ai proposée à cette revue que sont les Notes Académiques de l'Académie d'Agriculture de France, avec l'avantage que les cours soumis pour publication seraient évalués, ce qui signifie que les rapporteurs ont précisément pour objectif d'aider les auteurs à perfectionner leurs documents.
Aider nos amis apprenants, n'est-ce pas une tâche enthousiasmante ?
lundi 11 avril 2022
Le vert du printemps ? Les verts !
Nous sommes-nous déjà demandés pourquoi le vert des plantes évolue au printemps, d'une teinte presque jaune à un verre plus soutenu ?
La réponse est : c'est une dynamique de production des pigments colorés, comme à l'automne.
Pas la même exactement, mais qui concerne les mêmes objets. En effet, les verts des plantes sont dus à toute une série de composés qui absorbent des couleurs particulières de la lumière, essentiellement des chlorophylles et des caroténoïdes.
Les chlorophylles donnent des couleurs qui vont du vert au bleu, alors que les caroténoïdes donnent des couleurs qui vont du jaune au rouge, en passant par l'orange.
La première catégorie contient la chlorophylle a, la chlorophylle a', la chlorophylle b, la chlorophylle b', les phéophytines, les phéophorbides, etc.
Et la seconde catogorée contient le carotène bêta, la luteine, la violaxanthine, etc.
Et c'est le cocktail particulier de tous ces composés qui fait un vert particulier.
Au printemps, quand les plantes croissent, elle synthétisent donc ces composé, mais dans la mesure où les voies de synthèse sont différentes, il n'y a guère de raisons qu'ils soient tous synthétisés à la même vitesse, d'où l'évolution de la couleur en fonction du temps.
De même, à l'automne, ces composés se dégradent, mais pas tous à la même vitesse, et notamment les caroténoïdes demeurent plus longtemps que les chlorophylles, d'où l'apparition des tons jaunes, orangés, rouges...
Chaque fois que nous voyons la couleur d'une plante évoluer, disons-nous bien que les proportions de tous les composés colorés sont en train de changer.
samedi 9 avril 2022
Une expérience simple pour voir la fluorescence des chlorophylles
Certains des pigments des végétaux verts émettent de la lumière par fluorescence. Comment l'observer ?
Commençons par confectionner une solution contenant des pigments chlorophytiques en prenant un peu de gazon, que nous coupons en morceaux ou que nous broyons avec de l'éthanol aussi concentré que possible (96 %, par exemple ; on verra plus loin pourquoi) ou avec de l'alcool à brûler. Après quelques dizaines de minutes, filtrons pour obtenir une solution de pigments.
Si cette solution est placée dans un tube à essai et que nous l'éclairons par le bas dans une pièce sombre, avec la lampe d'un téléphone portable, par exemple, la solution apparaît verte. Cependant, si la solution est éclairée par le côté, une fluorescence rouge peut être observée.
En réalité, la lumière émise par fluorescence se propage uniformément dans toutes les directions. Quand la solution est éclairée par le bas, la fluorescence n'est pas visible, parce que la lumière transmise s'impose. En revanche, quand la solution est éclairée horizontalement, presque aucune lumière provenant de la lampe n'entre dans l'œil de l'observateur, et la lumière fluorescente se propageant dans toutes les directions peut être vue sur la surface de la solution.
Si l'on ajoute de l'eau goutte à goutte à la solution fluorescente rouge, la fluorescence finit par disparaître. La solution ne brille plus que d'une couleur verte : les molécules d'eau absorbent tout l'excès d'énergie, c'est-à-dire qu'elles dissipent l'énergie du premier état singulet, de sorte que la fluorescence ne peut plus se produire. De telles substances sont des "quenchers".
(inspiré de Warum Gras nicht rot leuchtet, par Andreas Korn-Müller, Nachr. Chem. 2022, 70, 18–21. https://doi.org/10.1002/nadc.20224123795)