lundi 3 juillet 2017

Qu'est-ce qu'un bon enseignant ? La question est mal posée

Un bon enseignant ?
On se souvient que je me donne surtout comme mission de poser des questions et que j'attends de mes amis qu'ils m'aident à établir un corpus de connaissances un peu solides, au lieu de me laisser avec des pensées idiosyncratiques et sans doute de piètre qualité. C'est ainsi que, aujourd'hui, je m'interroge sur ce qu'est un bon enseignant… en faisant la faute de caractériser ce qui n'existe pas, tout comme se demander si un carré rond était rouge ou bleu.

La question est arrivée hier, alors que notre groupe de recherche accueillait un étudiant venu faire un stage. Ce dernier évoquait un « enseignant-chercheur » (son terme) de son université et semblait porter celui-ci aux nues, en le disait très bon « enseignant ». Mais qu'est-ce qu'un bon enseignant ? On doit se souvenir d'un remarquable rapport, préparé il y a plusieurs années par la Fondation Kastler sur l'évaluation des enseignants d'université, et qui avait bien établi que les enseignants ne sont pas évalués de la même façon juste après les examens qui sanctionnent des études ou quelques années plus tard, quand les étudiants ont eu le temps de se rendre compte de l'importance réelle, pratique, de ce qui leur avait été transmis. Tel enseignant un peu raide sur le moment, pas démagogue, est jugé plus tard comme remarquable, parce que les conseils qu'il a donnés, parfois, avec moins de grâce et de sourires qu'un enseignant plus démagogue, auront été parfaitement utiles dans la poursuite des études ou dans l'exercice professionnel. Alors ?
Qui dit « bon enseignant » dit aussi évaluation par les universités, et, là, c'est essentiellement le travail de recherche qui est évalué. L’étudiant que nous recevions hier s'en offusquait, mais il ignorait qu'un enseignant chercheur n'a pas pour mission d'aller le border dans son lit, mais plutôt de le porter le plus haut possible.
J'explique les deux métaphores. Le border dans on lit, cela signifie excuser ses insuffisances, l'aider personnellement, pallier gentiment ses insuffisances, en prenant du temps… Porter au sommet : cela renvoie à l'idée que je propose depuis déjà longtemps, et qui est de considérer le savoir comme une montagne accumulée au cours des siècles : à la base les savoirs scientifiques du début de la science : chez les Grecs, à la Renaissance, puis aux 18e, 19e, 20e siècles, avec, tout au sommet, les connaissances du 21e siècle. Pour que les étudiants puissent être de bons ingénieurs ou de bon scientifiques, il faut qu'ils ne restent pas à des connaissances périmées. La science du 19e siècle, par exemple, a été déjà largement exploitée par l'industrie, et quelqu’un qui se limiterait à ces connaissances pour faire de l'innovation manquerait certainement son objectif. D'autre part, un scientifique qui se serait arrêté aux connaissances du 19 e siècle serait en retard de deux siècles sur ses collègues qui auraient des connaissance du 21e siècle. Or, pour donner des connaissances modernes, il faut les connaître et les comprendre ; il faut savoir s'y repérer parmi l'immensité des données modernes. Cela, c'est le premier travail de l'enseignant chercheur, un travail qui impose des compétences scientifiques essentielles… Ce qui justifie que l'université évalue les enseignants chercheurs sur les compétences scientifiques, et non pas sur des compétences pédagogiques plus molles.
Alors, qu'est-ce qu'un bon enseignant ? C'est donc quelqu'un qui connaît parfaitement la science ou la technologie, selon le cursus concerné. Évidemment, entre deux individus ayant des compétences scientifiques ou technologiques égales, semble être meilleur « enseignant » celui qui permet le mieux aux étudiants d'apprendre. Et j'en arrive à une idée fausse qui m'est venue alors que je me posait la question du bon enseignant. J'étais prêt à penser que, si l'on met donc les compétences scientifiques ou technologiques à part, un bon enseignant est quelqu'un qui donne envie d'apprendre. J'avais même testé l'idée auprès de quelques amis enseignants chercheurs, qui n'avaient pas critiqué l'idée… mais je me suis finalement aperçu que j'étais en désaccord total avec ma proposition initiale. En effet, notre monde est gorgé de gens qui disent et ne font rien pour atteindre l'objectif qu'ils prétendent s'être fixés. Il s'agit de prétention ou de paresse, parfois, de sorte que je ne crois pas que le bon « enseignant » soit celui qui s’arrête à l'envie. Bien sûr, pour apprendre, l'étudiant a besoin de motivation, d'envie, mais toute cette envie ne remplacera pas le travail effectif que l'étudiant aura fait ! Le bon « enseignant » n’est donc pas celui qui donne envie d'apprendre, mais celui qui conduit l'étudiant à apprendre.

Arrivons enfin à ces guillemets que je traîne à propos du mot « enseignant », ce qui correspond à ce carré rond qu'il est fautif de vouloir caractériser. Nombre de billets précédents ont expliqué pourquoi je me refuse à parler d'enseignant, d'enseignement… N'en déplaise à des collègues qui aiment enseigner (et je n'ai pas dit que cela m'était désagréable personnellement), je maintiens que la question est pour les étudiants d'apprendre, et pas pour des « enseignants » d'enseigner : aucun enseignant ne pourra se substituer à l'étudiant qui doit apprendre, aucun « enseignant » ne pourra enseigner, et c'est ainsi qu'il faut interpréter à la fois la réponse d’Ambroise Paré au roi Philippe V et celle d’Archimède au roi Hiéron de Syracuse : au roi de France qui demandait qu’on le soigne particulièrement bien, Ambroise Paré avait répondu qu'il ne pourrait pas faire mieux qu'à son habitude, puisqu'il s’efforçait de soigner les pauvres comme des rois ; d'autre part au roi Hiéron de Syracuse, qui demandait de lui apprendre les mathématiques, Archimède répondait qu'il n'y a pas de voie royale.
L'apprentissage est un acte intérieur, personnel, et il n'est pas certain que les idées collaboratives ou participatives, même si elles sont chatoyantes, puissent être efficaces. De plus, on ne confondra pas connaissances et compétences, car l'étudiant qui sait n'est pas celui qui a appris à répéter comme un perroquet, mais celui qui a appris à mettre en œuvre les notions nouvelles qu'il a découvertes lors de ses apprentissages.
Mais je reviens à la question : qu'est-ce qu'un bon « enseignant », et j'en arrive à conclure que cela n' existe pas, mais qu'il existe des « professeurs » qui, parfaitement compétents du point de vue scientifique ou technologique, parviennent à mettre les étudiants dans une position active d'apprentissage. Faut-il faire acte de tutorat, répondre à des questions sur des points mal compris, par exemple ? Cela n'est pas certain. Peut-être que l'on aurait intérêt, au contraire, à souligner les incompréhensions dans le savoir que les étudiants auront trouvé eux-mêmes. S'il faut peut-être encourager (bien que la vertu soit sa propre récompense), le professeur doit diriger vers des manques dans le tableau intellectuel que les étudiants se sont construits…
En tout cas, la réponse de notre étudiant était donc extrêmement naïve... et ma réponse initiale fautive.

Je maintiens qu'il y a lieu d'organiser rapidement des discussions visant à mieux répondre à la question essentielle de l'université : qu'est ce qu'un bon professeur ?

jeudi 29 juin 2017

Basse température ou bien juste température ?

On m'interroge sur les expressions "basse température" et "juste température".

Ma réponse est sur http://gastronomie-moleculaire.blogspot.fr/2017/06/basse-et-juste-temperatures.html

mercredi 28 juin 2017

Même si j'avais touché de l'argent...

Il n'y a aucun doute à avoir : la volonté de moraliser l'expertise est bonne, et les rénovations en cours des pratiques de publication scientifique sont également un progrès. Pour les deux cas, on met aujourd'hui l'accent sur les intérêts cachés, et l'on espère que la déclaration des intérêts permettra, à défaut d'éviter les malhonnêtetés (les malhonnêtes se moquent des lois), de sensibiliser la communauté, et d'installer un état d'esprit qui dira aux plus faibles, à ceux qui vascillent, qui hésitent, qu'il y a lieu de tomber du côté clair et non du côté obscur.

Pour autant, il faut un peu de grandeur. Par exemple, je maintiens qu'il existe des individus qui, même s'ils touchent de l'argent (de l'industrie, en général), conservent leur droiture. Ces individus sont donc "intelligents", selon le bon principe que le summum de l'intelligence, c'est la bonté et la droiture.

Pour une éthique de la presse

La presse s'érige souvent en donneuse de leçon : et j'enquête, et je dénonce... Mais se regarde-t-elle assez ? A-t-elle assez conscience de ses responsabilités ? Est-elle assez positive ? Le problème, c'est que la presse n'est pas "la" presse, mais des presses, avec des bons et des moins bons, avec des supports responsables, des supports militants, des supports crapuleux, des supports cyniques, des supports naïfs...


Pour autant, à l'heure où le monde commence à déclarer des intérêts, ne serait-il pas temps que la presse fasse de même ? Je fais la proposition sans trop d'illusions, bien sûr, mais la question de cette presse qui vend de la peur est lancinante, et il y aurait lieu de l'examiner collectivement. C'est un dossier pour le CSA et pour toutes les instances du même type.

Faut-il vraiment céder à la démagogie ?

Dans une grande université du monde, on m'a invité à visiter le département de chimie... et l'on m'a alors fait entrer dans un bâtiment qui portait le titre de "Biochimie". Quand je m'étonnais, on m'a expliqué que, ainsi, les étudiants n'hésitaient pas à se diriger vers des carrières où ils auraient du travail et que, de surcroît, beaucoup de la chimie moderne était de la biochimie. 

Ces raisons suffisent-elles à justifier le changement ?

Je retrouve le cas, ici, avec des enseignements de  "Chimie physique, structuration des aliments et gastronomie moléculaire", où nous avons éliminé le "chimie physique". Avons-nous eu raison ? En l'occurrence, nos enseignements sont de la physique chimique appliquée à l'aliment, sa construction et son analyse. Si cela ne tenait qu'à moi, j'aurais volontiers nommé cela "gastronomie moléculaire", simplement, mais il y a les collègues. Nous sommes donc arrivés à un titre qui ne ment pas, mais qui devient inutilement compliqué.
On me fera observer qu'il suffit que les étudiants apprennent beaucoup. Certes, ils apprennent beaucoup, mais notre droiture ?

Au-dela des définitions idiosyncratiques

Notre monde est plein de fantasmes, de projections, de fausses acceptions.

Technologie ? Le mot est pourtant clair, puisqu'il est construit à partir de telchne, faire, et logos, savoir ou étudier  : la technologie, c'est l'étude des questions techniques, sous-entendu afin d'améliorer les techniques.

D'autre part, alors que je fais observer que la technologie n'est pas la science, et que la science n'est pas la technologie, on m'oppose l'ingénierie ? De quoi s'agit-il ?

L'ingénierie, c'est le métier de l'ingénieur, quoi qu'en disent certains qui voudraient y voir une activité spécifique, où ils mettent quelque chose qui serait plus "élevé" que la technologie. En réalité, ils font une double faute, car la technologie ne sera jamais la science, et, d'autre part, ils ont tort de mettre la technologie plus haut ou moins haut que la science ou la teschnique : on ne compare pas des bananes et des oranges. Je maintiens que le plus grand des prix Nobel ne sera pas capable de faire des festons de glace royale sur une pièce montée, pas plus d'ailleurs que le pâtissier ne sera capable de résoudre des équations différentielles.

Alors ingéniérie ? Au-delà des idiosyncrasies, c'est le métier de l'ingénieur, qui n'est ni un technicien, ni un scientifique. Il peut avoir à résoudre des questions techniques qui dépassent les techniciens, et qu'il sera capable de résoudre parce qu'il aura un savoir plus grand, qui embrassera un champ lui permettant de sortir du cadre technique. Et cela sera bien si c'est bien fait, à savoir avec humanité, droiture, bonté.

Assez de rumeurs !

Nutriments  : ils n'ont pas diminué !

Le "c'était mieux avant" est une sorte de faute bizarre de l'esprit qu'une certaine presse exploite parfois. Et c'est ainsi que l'on voit, parfois, des documentaires dire -et donc vouloir faire croire, à moins que les auteurs de ces documentaires ne soient inconséquents- que "au cours des 50 dernières années, les aliments ont perdu jusqu'à 75 % de leur valeur nutritive".

Quoi, 75 % alors que le vivant met des millions d'années à évoluer un peu ? L'agriculture "intensive" (rien que le mot devient connoté, mais cherchons d'abord l'idée politique qui préside à la connotation) privilégierait la productivité aux dépens des teneurs en éléments minéraux, oligoéléments et vitamines.

Mon confrère Léon Guéguen de l'Académie d'agriculture de France a comparé les teneur de ces composés dans les récentes tables de composition des aliments et dans les anciennes tables, d'avant 1960, notamment pour blé, riz, pomme de terre, poireau, laitue, chou, brocoli, haricot vert, tomate, carotte, pomme, orange, raisin, abricot, lait, oeuf). Résultat : les différences sont faibles pour les constituants majeurs, et pas toutes dans le même sens. Le blé actuel est toujours plus riche en protéines. Il y a des différences en ions minéraux, mais pas toujours dans le même sens, et les teneurs en magnésium et potassium sont remarquablement constantes. Pour le fer et le zinc, l'effet est insignifiant. La vitamine C n'est quasiment pas évoluée, et le carotène bêta non plus.

Alors ?