J'ai décidément affaire à quelqu'un de merveilleux... qui répond :
"Je suis attachée à la fraise et aux poireaux et à beaucoup d'autres légumes ou autres ingrédients qui sont ma culture alimentaire, mais pas tout à fait comme les gens du Moyen Age, qui eux n'avaient pas ou peu de choix, et ne pouvaient raisonner leur alimentation. Et bien sûr les particularités personnelles ne comptent pas à l'aune de l'histoire de l'alimentation ; mais savourer un poireau ou une carotte c'est, et ce fût partagé par des milliards d'hommes.
Permettez moi aussi de revenir sur l'objectif politique, que vous poursuivez avec la cuisine note à note, à destination des agriculteurs. Aujourd'hui, dans les régions qui s'y prêtent le mieux, les agriculteurs essaient de produire en ayant une relation directe avec le consommateur et donc de travailler en circuit court. Et ce système semble satisfaire les deux parties et rencontrer du succès. Qu'est ce qui inciterait les agriculteurs à transformer leur production ? Et le risque existe de voir immédiatement l'industrie agroalimentaire s'emparer de ce maillon de la chaine ?"
Ouf, c'est un gros morceau. Allons y doucement.
Partager un poireau avec des milliards d'êtres humains, nos soeurs, nos frères... Ce sont de grands mots, mais "partage-t-on vraiment" avec ceux qui ont faim ? Et avec ceux qui ne connaissent ni le poireau ni la fraise, parce que, eux, ont des cives (au goût bien différent) ou des fruits de la passion ?
La production de proximité ? Je veux bien, mais, en région parisienne, et dans les métropoles qui ne cessent de s'étendre, où sont les champs ? Ils sont de plus en plus loin ! Pour la région parisienne, c'est, je crois, un fantasme que de croire que l'on puisse nourrir 10 millions d'individus avec de la culture de proximité... surtout si les terres à blé ne sont pas des terres à carotte !
Certes, on n'est pas forcé de faire venir des produits végétaux et animaux de l'autre bout de la Terre, mais le fait est que le public veut à la fois sauver la planète et des tomates en hiver ! Quand la collectivité sera cohérente...
Bref, je ne suis pas là pour juger. Ce que je sais, c'est que, quel que soit le modèle alimentaire, il faut voir plus loin que ses compétences limitées, et c'est pourquoi, pour cette question, j'ai invité mon ami Pierre Combris à venir discuter la question. Lui, est compétent ! Ni mon interlocutrice ni moi.
Qu'est ce qui empêchera l'industrie alimentaire de s'emparer de la production des composés pour la cuisine note à note ?
Disons :
1. pour nos amis canadiens, tous ceux qui produisent sont de l'industrie (au vrai sens du mot) ; les agriculteurs, les cuisiniers, sont des "industriels".
2. Rien n'empêchera qu'une industrie plus capitalistique s'empare de la production de composés ou de fractions... d'où mon insistance à mettre tout de suite les agriculteurs dans le coup. Comptez sur moi pour aider les agriculteurs à s'enrichir... mais il faut en passer par une transformation, et pas seulement se limiter à la culture (qui est, n'en doutez pas, un vrai métier, avec un vrai savoir faire : que ceux qui ne sont pas convaincus relisent Bouvart et Pécuchet, de Flaubert). La question est différente, donc : faut-il supporter que les agriculteurs ne soient pas bien rétribués pour leur travail de production, et faut-il qu'ils doivent faire "plus" ? Je répondrais que le cuisinier doit faire plus que la cuisine, de la gestion, du commerce, de la représentation. Que le scientifique doit faire plus que de la science : des levées de fond, de la formation d'étudiants, etc. Et c'est sans doute ainsi pour la majeure partie des "métiers".
Je ne suis pas là pour juger... mais je suis certain que de la valeur ajoutée facilement gagnée, ce n'est pas à négliger.
Ouvert à la discussion!
Vive la gourmandise éclairée !
vive la connaissance produite et partagée !