mercredi 21 juillet 2010

La cuisine note à note

Depuis quelques jours, je reçois des courriers amicaux à propos de la cuisine note à note, mais celui de ce matin est particulièrement intéressant. Il dit :

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En tout cas, à vous voir décrire la cuisine note à note avec simplicité, on en vient à se demander pourquoi les cuisiniers et cuisinières ne s'y sont pas attelés plus tôt... En effet la création de saveurs et aromes nouveaux à partir de composés basiques ne semble-t-elle pas aller de pair avec la création de textures nouvelles ? Or la recherche de textures semblait être très en vogue avec le mouvement de la gastronomie moléculaire.
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Il y a une légère confusion, à la fin, sur la cuisine moléculaire vs la gastronomie moléculaire, mais peu importe. C'est le début qui m'intéresse.

J'ai répondu :
Pourquoi les cuisiniers ne se sont pas attelés plus rapidement à la cuisine note à note?
1. parce que cela n'est pas facile de déroger à la tradition, souvent considérée (paresseusement) comme le summum
2. parce qu'il y a du travail à faire, pour apprendre à composer des odeurs, des saveurs
3. parce que la pratique de la chose diffère de la cuisine traditionnelle, et que de nouvelles techniques (dosages, etc.) sont à chercher
4. parce que l'on utilise des "composés", et que, trop souvent, la langue nous faire dire "composés chimiques", alors que l'eau est un composé, le sel, le sucre, etc.

En réalité, c'est surtout la dernière raison qui me semble la plus importante, au point que j'en ai fait un livre intitulé La Sagesse du chimiste. Surtout à une époque où le public veut du "naturel" (valeur refuge un peu idiote), l'utilisation de composés est manifestement provocante! Pourtant, le sel, le sucre...ne posent -hypocritement- aucun problème.

Bref, comme souvent lors d'une avancée, il y a une évidence et des résistances terribles. L'an passé, une certaine presse réactionnaire a réagit contre la cuisine moléculaire, mais je m'attends à bien plus vigoureux avec la cuisine note à note. Je peux prendre les paris que je vais être accusé d'être un suppot du grand capitalisme industriel et chimique, par exemple.

Mais laissons aboyer les roquets, et travaillons!

dimanche 18 juillet 2010

Connaissances... scientifiques?

Nous avons discuté ici des expressions fautives telles que "démontré scientifiquement", ou encore "sciences appliquées". Je n'y reviens pas.
Nous avons discuté la question de la "formation par la recherche", dont on ne sait pas très bien si c'est une formation par la science, auquel cas il n'est pas assuré qu'elle soit bonne pour de futurs ingénieurs, ou une formation par la technologie, auquel cas il n'est pas assuré qu'elle soit adaptée à de futurs scientifiques.
Nous avons discuté du mot "science", que les "philosophes naturels" croient avoir confisqué, ce que contestent les gens des sciences humaines et sociales.
Nous avons discuté la terminologie de "philosophie naturelle", qui, hélas, n'est pas suffisamment définie par la méthode... scientiifuqes
Nous avons discuté du nom de la méthode de la philosophie naturelle, qui, méthode scientifique, est pléonastique, ou, méthode expérimentale, ou méthode hypothético-déductive, est insuffisant.

Bref, nous avons déjà beaucoup questionné notre insuffisant langage actuel. Aujourd'hui, c'est l'expression "connaissance scientifique" que je veux intérroger. Je crois hélas qu'il y a la même "faute du partitif" que dans "cortège présidentiel", ou "sciences appliquées". Le cortège n'est présidentiel que si c'est lui le président. Sinon, on doit dire "cortège du président". De même, les sciences ne sont pas appliquées, sans quoi elles ne sont plus des sciences. Les connaissances, elles, sont des... connaissances, mais elles ne sont pas de la science, puisque la science est une pratique, une activité (sauf à considérer la science comme un savoir).
Y aurait-il des connaissances qui viennent de la science, et d'autres qui n'en proviendraient pas? Sans doute, mais cela ne suffit hélas pas à justifier l'usage de "connaissance scientifique". Les connaissances produites par la science ne doivent pas être nommées connaissances scientifiques, sous peine de faute de langue, et donc confusion de pensée. Comment les nommer, les distinguer des connaissances venues d'ailleurs? Je crois que nous devons nous résoudre à les nommer "connaissances produites par la science". Est-ce vraiment grave? Devons-nous à toute force synthétiser au delà de ce que la langue permet?
Je ne crois pas... ou alors, il faut à cela de nouveaux mots, et un nouveau langage. Formel?

samedi 17 juillet 2010

Une belle question

Sur le site de L'Hôtellerie, je reçois la question suivante :

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Bonjour M. This, et d'abord merci pour toutes les informations que vous partagez ici, sur votre blog ou encore dans vos livres.
Suite à la lecture de certains de vos articles, je m'interroge sur la cuisine note à note.

Vous proposez de créer des plats à partir de composés "basiques", mais est-on aujourd'hui capable (ou le serons-nous dans les 50 ans à venir) d'obtenir suffisamment de ces composés basiques pour créer une cuisine intéressante? Je m'explique: nous pouvons aujourd'hui ajouter une saveur acide relativement neutre à un plat grâce à de l'acide tartrique (tout du moins je le pense, puisque j'avoue ne l'avoir jamais essayé), mais je n'ai jamais gouté d'arôme artificiel vanille qui n'arrive à la cheville de la vanille naturelle. Ou encore si nous voulions créer un plat à la saveur anisée, avons nous une molécule qui nous permettrait de le faire plus efficacement qu'avec une infusion de badiane ?

Aussi quand vous imaginez la cuisine note à note est-ce principalement une affaire d'aromes (au sens de la partie du gout que détecte les papilles) ou les textures et odeurs sont-elles elles aussi crées par des éléments basiques?

Cordialement,
Louis
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D'habitude, je réponds assez mollement (il est vrai, aussi, que je manque souvent de temps), mais cette fois, Louis pose les belles questions auxquelles je me hâte de répondre, car j'ai foi qu'il faut que j'aide mes amis qui me semblent prêts à se lancer dans l'aventure de la cuisine note à note. Oui, vive la cuisine note à note! Je maintiens que le premier qui en fait son fond de commerce, tout comme Ferran Adria a fait le sien de ma cuisine moléculaire, il y a 25 ans, peut devenir LE cuisinier des prochaines décennies.

Ce que je viens d'écrire est évidemment très malhonnête, parce que c'est une stimulation vigoureuse. En réalité, il faudra quand même beaucoup de travail, pour faire "bon", car c'est bien cela l'enjeu de la cuisine. Et il est vrai que Ferran a beaucoup travaillé, pour produire des choses merveilleuses.
Cela étant, pas de raison qu'un autre cuisinier intelligent, travailleur et artiste ne puisse faire son Oeuvre, également.

Pour les réponses aux questions, donc, je me hâte de les donner, et les voici :

La question est merveilleuse, merci.
Est-on capable d'obtenir suffisamment de ces composés pour créer une cuisine intéressante? La réponse est que ces composés sont connus depuis longtemps, et utilisés par les industriels depuis longtemps aussi. Par les sociétés qui font des "compositions et extraits odoriférants", d'une part, mais aussi par bien d'autres sociétés. Les "orgues" de nos aromaticiens comptent des milliers de références, et les combinaisons de ces composés sont bien au delà des créations naturelles. Donc problème résolu, de ce point de vue.
A l'avenir? Pas de changement prévu.

La vanille meilleure que la "vanille de synthèse"? La question est encore très intéressante. D'une part, chaque gousse de vanille est particulière, parce qu'elle a une composition particulière, due à la diversité des conditions de croissance végétale, de climat, de procédé de fabrication (la gousse que nous utilisons est le résultat d'un travail, de sorte qu'elle n'est pas naturelle, même si elle semble d'origine naturelle ; d'ailleurs, vous voyez que j'écris "elle semble d'origine naturelle", car la vanille a été sélectionnée par l'homme, et la liane d'aujourd'hui n'est pas plus la liane sauvage d'hier que la carotte d'aujourd'hui n'est la carotte sauvage, maigre racine bien peu appétissante)...

La vanilline, elle, n'est qu'un des composés présents dans la gousse. Un composé qui a une part essentielle de l'odeur, mais une petite part seulement. Or de même que du vin ne se réduit pas à de l'éthanol dans l'eau, de la vanille ne se résume pas à de la vanilline. Cela étant, tout est une question de coûts : si vous y mettez le prix, au lieu d'avoir un peu de vanilline dans un sirop coloré par du caramel (bouteille en plastique des supermarchés), vous pouvez obtenir des compositions absolument merveilleuses, qui ne cèdent en rien aux gousses. Et, pis encore, je ne suis pas certain que le nez le plus fin puisse s'y retrouver, entre une belle composition et une belle gousse.

J'ajoute rapidement que la question de la "reproduction", de la copie, me semble sans intérêt. Ce qui est intéressant, dans la cuisine note à note, c'est de faire des choses que la nature n'a pas faite.

Pour le goût anisé (plutôt que la "saveur" : la saveur, c'est sur les papilles), il y a mille molécules intéressantes, avec toutes des anisés différents. Et c'est aussi cela qui est passionnant, d'aller explorer ces goûts, de les tester, de les combiner. D'ailleurs, pourquoi ne pas hybrider un produit d'origine naturelle (badiane) et des composés? Après tout, c'est bien ce que l'on fait quand on ajoute du sel ou du sucre à un plat...
Mais, dans votre phrase, le mot terrible est "efficacement" : la vanilline est efficace... mais elle ne fait que la vanilline, pas la vanille. Tout comme du vert fait efficacement du vert... mais pas le vert particulier de la jeune pousse de rosier ; pour les mille teintes de la pousse, il faut des composés variés, dosés.

Pour la cuisine note à note, est-ce une affaire "d'arômes (au sens de la partie du goût que détectent les papilles) ou bien les textures et odeurs sont-elles elles aussi crées par des éléments basiques"?
Attention : l'arôme n'est pas la partie du goût que détectent les papilles! L'arôme, c'est l'odeur d'une plante odorante, aromatique. La partie du goût que détectent les papilles, c'est la saveur.
Quant à la cuisine note à note, dans l'idée initiale, c'est de créer tout : la consistance, l'odeur, la saveur, le piquant, le frais, le chaud, le froid... Tout ! Mais bien sûr, ceux qui s'aventurent dans cette exploration difficile, ont le "droit" de faire ce qu'ils veulent, de marier l'ancien et le moderne, le naturel et l'artificiel... Il s'agit seulement de ne pas nécessairement faire ce que faisait Bocuse, il s'agit de travailler, d'avancer, d'explorer, de découvrir mille plaisirs encore inconnus.


Merci, cher Louis. Bon courage!

mercredi 14 juillet 2010

Une réforme des enseignements culinaires

Une réforme, c'est quelque chose de merveilleux, parce que c'est aussi la promesse d'une future réforme. Dans notre monde, rien n'est immuable, et l'on a vu les décisions les plus fortes être réfutées par le temps, les changements sociaux, les mentalités, les idées...

En matière d'enseignement (ce qui n'est pas une activité purement technique, comme certains voudraient le croire, mais une activité qui comporte au moins trois composantes : lien social, art, technique), il semble important de considérer que l'on doit s'adapter au monde, sous peine d'isoler un corps d'enseignants périmés d'un groupe d'élève dans le vent. D'autant qu'il y a en général au moins une génération entre les deux !

Pour autant, la jeunesse n'a pas raison sur tout, et notamment parce que "un homme qui ne connaît que sa génération est un enfant" (Cicéron), et aussi parce qu'elle a ses modes imbéciles, comme pour les enseignants. Bien difficile, quand on est dans le groupe, que l'on vit en communauté, en partageant la culture de celle-ci, de séparer le bon grain e l'ivraie. Inversement, il est urgent... de ne pas trop temporiser, et de s'adapter rapidement pour tirer le meilleur du vent qui passe. Le meunier qui ne sait pas orienter rapidement son moulin mout mal son blé!

Bref, l'enseignement culinaire bouge, et c'est une bonne nouvelle. Déjà, il y a quelques années, l'Inspecteur général avait réuni des commissions afin de réformer un CAP périmé. Des changements bienvenus ont été apportés... et cela a fait grincer les dents des réactionnaires (mais n'est-ce pas la définition même des réactionnaires que de refuser le changement?).
Aujourd'hui, alors que la cuisine moléculaire (je rappelle la définition : nouveaux outils, ingrédients, méthodes) commence à devenir classique, il est effectivement urgent qu'un nouveau changement ait lieu. Puisque le siphon est dans toutes les cuisines, il faut qu'il soit dans l'enseignement. Puisque les gélifiants ne sont plus limités au pied de veau, il faut qu'ils soient dans l'enseignement.

Dans les travaux de rénovation qui se préparent, il faut considérer le gros et le détail. Ce serait logique de d'abord considérer le gros, à savoir :

La cuisine, c'est du lien social, de l'art, de la technique.
Il faudrait donc enseigner :
- le lien social
- l'art,
- la technique.

Pour la question technique, il faut distinguer :
- la technique (on fait le geste)
- la technologie (on réfléchit sur le geste que l'on fait ou que l'on pourrait faire, en identifiant bien l'objectif de la réalisation)
- la science, qui, pour la cuisine, se nomme "gastronomie moléculaire".

Aucune place, on le voit, pour de la "technologie appliquée", puisque c'est soit de la technique, soit de la technologie.
Aucune place non plus pour de la "science appliquée, puisque si c'est appliqué, ce n'est pas de la science, et si c'est l'application de la science, c'est de la technologie, et non pas de la science.

Bref, on voit ainsi se dessiner un cadre, dans lequel il sera bien temps, ensuite seulement, de mettre... tout ce que l'on aura décidé de mettre, culture, histoire, etc.


Vive le changement, quand il est bien pensé, avec audace et précaution!

lundi 12 juillet 2010

Pourquoi est-on chimiste?

Partons de calcaire, matériau blanc, inerte apparemment. Chauffons-le, "calcinons"-le , pour emprunter un terme trouvé sous la plume de Bernard Palissy1… et dont l’étymologie désigne précisément la chaux que l’on obtient quand on chauffe de la craie.
De la chaux ? En apparence, elle semble pareille au calcaire initial, et le chauffage semble n’avoir qu’effrité la matière. Toutefois, on serait imprudent de prendre la matière calcinée à mains nues, même après qu’elle est refroidie, parce que le feu a transformé la craie en une matière nouvelle, au point que de l’eau ajoutée à cette matière nouvelle provoque une vive réaction, avec la formation de vapeur ! La chaux est « vive ». Et l’ajout d’eau l’éteint, produisant la chaux éteinte. Cette chaux éteinte est-elle alors analogue au calcaire initial ? Non, sa saveur est douce, un peu écœurante, et son action sur les fameux indicateurs colorés montre bien qu’il s’agit d’un produit différent.
La solution est trouble, filtrons-la. On obtient une « eau » que l’on nommera eau de chaux. Limpide, incolore. Prenons une paille, soufflons… Oh, l’eau de chaux se trouble ! Un nuage blanc l’emplit, la rend laiteuse. Habitués à voir l’eau de lavage des pommes de terre, également laiteuse, se clarifier par le repos, laissons reposer l’eau de chaux troublée. Lentement, le liquide se clarifie, et une poudre blanche sédimente. Récupérons la poudre, et soumettons-la aux analyses habituelles (il faudra bien en parler, un jour) : on a récupéré du calcaire !
Oui, la boucle est bouclée : le feu a retiré quelque chose que l’on a rendu en soufflant. En faut-il davantage pour fasciner un enfant qui n'est pas blasé au point de ne plus regarder le monde?

Le théorème de Guldin

Un blog, c'est aussi une façon idiosyncratique de faire partager de l'émerveillement.
J'ignore pourquoi, mais je trouve merveilleux ce théorème :


La mesure de l'aire engendrée par la rotation d'un arc de courbe plane autour d'un axe de son plan ne traversant pas l'arc de courbe est égale au produit de la longueur de l'arc de courbe par la longueur de la circonférence décrite par son centre de gravité.

C'est le théorème de Guldin, qui s'exprime aussi par :

La mesure du volume engendré par la révolution d'un élément de surface plane autour d'un axe situé dans son plan et ne le coupant pas est égale au produit de l'aire de la surface par la longueur de la circonférence décrite par son centre de gravité.


A quoi cela sert-il? C'est de la culture. Faut-il que la culture "serve" à quelque chose?

mardi 29 juin 2010

Marc Julia

Lorsque Marion Guillou m'a décoré de l'ordre de la Légion d'honneur, elle m'a offert cette phrase de Voltaire : l'enthousiasme est une maladie qui se gagne.

La disparition de Marc Julia, chimiste, membre de l'Académie des sciences, ancien président de la Société française de chimie, professeur de chimie à l'Ecole Normale Supérieure, est bien triste, car cet homme avait une passion contagieuse pour la chimie. Il fut de ceux qui nous sortirent de cette minable "chimie au lasso" avec laquelle on voulait faire croire que toute paire d'atomes d'hydrogène pouvait se lier avec n'importe quel atome d'oxygène voisin afin de lier les résidus moléculaires de ces atomes, de ceux qui surent rapidement considérer que la liaison chimique est d'abord une affaire d'électrons. Lors de ses cours, dans ses écrits pédagogiques, on "voit" les électrons bouger, et engendrer des assemblages atomiques variés, qui prennent enfin du sens.

Marc Julia était de ceux qui ne comprenaient pas, je crois (ou ne voulaient pas comprendre) un certain monde fait de coupe du monde de football et autres "poussières", et pour qui le royaume était tout de l'esprit. Il laisse à certains, comme moi, le privilège de l'avoir un peu connu, le regret de ne pas l'avoir mieux connu, et l'envie de poursuivre son oeuvre en militant pour cette science extraordinaire qu'est la chimie.

Vive la chimie !