mardi 22 septembre 2020

Et si l'université faisait fausse route ?



 

1. Les universités sont mal en point. Leur situation financière est souvent désastreuse, parce que leur autonomie n'est pas complète : elles doivent gérer leur budget, mais leurs recettes (les droits d'inscription des étudiants, les dotations de l'Etat) sont bloquées, alors que leurs dépenses augmentent, et elles ne peuvent donc atteindre l'équilibre financier... au point qu'une université de la région parisienne dût fermer pendant quinze jours, il y a quelque temps, faute de pouvoir payer le chauffage !

2. Pourquoi ces frais considérables ? Notamment parce que le nombre d'étudiants a considérablement augmenté, et que, avec la structure classique de l'université, il faut plus de place, plus de professeurs, alors que le pays n'a pas décidé d'y mettre les moyens. On l'oublie trop souvent que le coût d'un étudiant est compris entre 10 000 et 30 000 euros par an.

3. Si l'on regarde un peu en arrière, on s'aperçoit que les choses ont bien changé. Je propose, par exemple, d'analyser la vie de Pierre Duhem, ce physico-chimiste qui fit l'essentiel de sa carrière à Bordeaux et à qui l'on doit des avancées importantes en thermodynamique et, notamment, en thermodynamique chimique.
A côté de sa recherche,  qui était pointue, Duhem donnait des cours publics, et le public venait à l'université pour l'écouter. Les rapports sur l'activité de Duhem par sa hiérarchie montrent combien il était apprécié, ses leçons attirant un large public à l'université.

4. Aujourd'hui, ce n'est plus le public qui vient à l'université (hélas !), mais des étudiants, et le public n'est invité que sporadiquement, notamment par des institutions extra-universitaires : centres de culture scientifique, technique et industrielle, associations... Enseignants chercheurs se sont focalisés sur les étudiants, avec des licences, des masters, etc., et la fonction "publique" de l'université est bien oubliée. Pas entièrement,  bien sûr, mais elle est au second plan, et comme les étudiants coûtent bien plus cher que le public, il est logique que l'université soit en déficit. Que faire ?

5. D'abord s'interroger : pourquoi les étudiants "coûtent-ils" si cher ? Y a-t-il une  possibilité de réduire les coûts ? Surtout à l'ère du numérique ?

6. Réduire le nombre d'étudiants ? Cela n'est certainement pas souhaitable, car un pays a tout intérêt à avoir des citoyens éclairés... même s'il est vrai que mes collègues de l'université me disent que certains de ces étudiants sont incapables de suivre le cursus proposé.. et d'obtenir les diplômes... mais cela renvoie à une autre question, qui est de découpler les cours et les diplômes.

7. Souvent mes collègues se demandent s'il faut "baisser le niveau", et cela leur fendrait le coeur, car ils savent que la production des connaissance se fait au meilleur niveau, pas au rabais.  Et que ceux qui suivent ne doivent pas être pénalisés ! Dans les amphithéâtres de 300 personnes, il y a en environ une vingtaine de plus avancés, plus conformes à l'idée que se font de nombreux professeurs du niveau qui devrait être atteint, de sorte que l'on est quasi automatiquement conduit à imaginer un enseignement à deux vitesses : pour ceux qui peuvent suivre, et pour ceux qui ne peuvent pas. Les diplômes, dans une telle hypothèse ?

8. Aujourd'hui, une volonté d'équité, qui est louable, pousse à accepter à l'université tous ceux qui s'y inscrivent : oui, tant mieux si tous peuvent suivre des cours, apprendre. Mais quelle doit être la tache des professeurs ? S'exténuer à enseigner des matières avancées à ceux qui ne parviennent pas à les apprendre, ou poursuivre l'exploration du monde, produisant des connaissances nouvelles qui seront prolongées par ceux qui parviennent à les saisir et auxquels ils les communiquent ? 

9. Et, au fond, ne devrions-nous pas reprendre activement  le flambeau de la diffusion scientifique, pour faire venir l'ensemble du pays dans les universités, afin d'éviter la fracture entre la science et la société ?



lundi 21 septembre 2020

Je n'ai jamais peur de dire "Je ne sais pas"... et je veux même le dire sans cesse !

science/études/cuisine/politique/Alsace/gratitude/émerveillement

 

 

1. Un certain "enseignement" réclame que le professeur soit un "sachant", face à des étudiants qui sont des "apprenants". Affreux termes, affreuse idée.  !

2. Oui, affreuse idée, et notamment parce que l'on parle d'enseignement, alors que je maintiens que c'est une chose bien impossible. En revanche, les étudiants peuvent apprendre.
J'insiste : il y a cette "supériorité" insupportable des enseignants, ce fantasme de croire que l' "enseignant" peut introduire des idées dans la tête des étudiants, alors que ces derniers n'intégreront des idées neuves que s'ils ont la position active de les intégrer. Par eux-mêmes, et pas par quelqu'un d'autre : il faut répéter que, pour apprendre, il faut étudier.

3. En revanche, on peut parfaitement, et légitiment dans certains cas, vouloir "professer", à savoir "parler devant". Oui, les professeurs peuvent parler aux étudiants, afin que ceux-ci puissent faire bon usage de ce qui est dit. Avec esprit critique, avec énergie...

4. Les professeurs sont-ils censés tout savoir ? Certainement pas ! Et, d'ailleurs, je dirais volontiers que les bons professeurs doivent savoir montrer leur ignorance, montrer les pans de savoir qui sont manquants, pour eux et pour la collectivité, afin de faire de la place à des étudiants qui seraient passionnés par l'idée de contribuer à cette élaboration de savoir.

5. Et c'est ainsi que, personnellement, j'ai inscrit sur un de mes murs, au laboratoire "Pardon, je suis insuffisant... mais je me soigne". Oui, je me trouve très ignorant, très bête... mais certainement pas "suffisant" (OK, il y a un jeu de mot). Et oui, je me soigne pas un travail acharné : labor improbus omnia vincit, dit le proverbe latin (un travail acharné vient à bout de tout).

6. Certes, je supporte mal de ne pas savoir quelque chose, et, quand je me vois une ignorance particulière que je peux pallier facilement, je ne m'en prive pas. Mais je ne veux certainement pas masquer mon ignorance : c'est une bien meilleure stratégie que de l'avouer : aux autres... et à soi-même ! 




Rêver... activement !

 
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1. Je dis souvent aux étudiants qu'il faut rêver... mais je me reprends quasi immédiatement : rêver efficacement, activement !

2. De quoi s'agit-il ? Face à une question un peu difficile, nous ne parvenons pas toujours à trouver facilement une solution, souvent parce que nous manquons d'une stratégie fiable de recherche de la solution. Et l'on peut s'interroger sur la façon de nous y prendre.

3. Ma proposition consiste évidemment toujours à bien poser la question, puis à l'analyser par un soliloque, avant de proposer une solution, puis d'imaginer une évaluation de la solution trouvée.

4. Mais quand, malgré nos efforts, nous n'y parvenons pas ? Ou quand, dans un temps imparti limité, nous n'avons pas trouvé la solution ? C'est là que je parle de rêve : une fois l'analyse bien posée (par écrit !), on va se coucher... et souvent la solution apparaît pendant la nuit, comme par miracle.

5. J'insiste un peu : c'est bien rare que la solution arrive quand on n'a pas d'abord bien cherché, quand on n'a pas passé du temps, activement, à décortiquer la question. Donc rêve, oui, mais rêve actif !

6. Et je ne saurais assez recommander la technique, parce que ce moment où la solution survient est un grand bonheur, qui correspond à ce que Martin Gardner, fervent promoteur des "jeux mathématiques", qui tint une chronique mensuelle dans Scientific American, nommait "le haha, ou l'éclair de la compréhension mathématique". Il en a fait un livre épatant, que je vous recommande évidemment.

6. Oui, rêvons, mais n'oublions que seuls ceux qui ont fait un long chemin sont soudainement déposés par les fées de l'"intuition", de l'avant-dernière étape jusqu'au but de leur cheminement. 




dimanche 20 septembre 2020

La "corrélation" : méfions-nous un peu !

science/études/cuisine/politique/Alsace/gratitude/émerveillement

 

 

1. Dans les débats publics, dans la presse, on entend souvent le mot "corrélation"... mais sait-on bien de quoi il s'agit ? Et, surtout, en sait-on les limites ?  

2. Ici, je veux signaler l'existence d'un excellent article, certes un peu ancien, mais dont les justes conclusions sont quasi intemporelles. Et ceux qui utilisent le mot "corrélation" devraient bien le lire, pour éviter de dire des âneries.
 

3. D'abord les références de ce texte : Anscombe FJ. 1973. Graphs in statistical analysis, The American Stastitician, vol. 27, N°1, pp 17-21.
L'article discute d'abord de l'importance des graphes... à une époque il n'était pas aussi facile d'en faire qu'aujourd'hui, raison pour laquelle son texte est un peu apologétique, de ce point de vue.
 

4. Mais, rapidement, notre homme discute la question des "régressions", ces analyses que des étudiants qui débutent dans les sciences et les technologies apprennent rapidement à faire, notamment avec ce mauvais logiciel qu'est Excel. 

5. De quoi s'agit-il ? D'analyser une série de données : pensons, par exemple, à la quantité de sucres dans un bouillon de carottes, en fonction du temps de cuisson. On obtient une telle série de données en faisant des bouillons de carotte, et en dosant les sucres à des temps de cuisson différents, et en analysant ces échantillons, afin de savoir combien ils renferment de sucre.
 

6. Ayant fait les analyses, on "contemple" les résultats, qui s'affichent d'abord sous la forme d'un tableau de nombres tel que :



7. C'est immangeable ! La première chose à faire, pour se parler à soi-même et parler aux autres, du résultat obtenu, consiste à représenter ces couples de données, sur un graphe. Les temps de mesure sont sur l'horizontale du bas, et les mesures des quantités de sucres sont sur la verticale de gauche ; à l'intersection de la verticale qui part du temps 5 (en bas), par exemple, et de l'horizontale qui part de la quantité 5,5 (à gauche), on met un point qui correspond à la mesure (temps =5, quantité = 5,5).
Et l'on fait ainsi pour tous les points. De sorte que l'on obtient un graphe fait des onze points de mesure.
 

8. Mais on voit bien, sur ce graphe, que plus le temps de cuisson augmente, et plus la quantité semble augmenter aussi. Et c'est là que les étudiants apprennent à tracer une "droite de régression", qui est la droite qui passe "le mieux" par les différents de mesure. Je passe sur le calcul simple qui permet de faire cette droite, pour me limiter à dire que beaucoup de ceux qui en font se contentent d'indiquer la "qualité de la régression" (de combien la droite passe bien ou mal par les points) à l'aide nombre qui est désigné par R2. Pour R2 égal à 1, les points sont parfaitement alignés sur la droite. Sur la figure 2, je montre une droite de régression et onze points, avec un R2 qui est égal à 0,667. 


 

9. Là où il faut faire attention, c'est que pour la figure 3, le R2 est encore égal à 0,667 ! 

 


10. Tout comme la figure 4. 

 


11. Tout comme pour la figure 5 !

 


 

12. On le voit, le R2 qui tous les débutants apprennent est bien insuffisant. Bien sûr, il faut commencer un jour, mais ne nous contentons pas de ce début. Avançons