dimanche 21 juillet 2019

Que faire quand un professeur est "mauvais" ?


Je trouve un cas intéressant en discutant un message reçu de la part d'étudiants : ceux-ci se plaignent de professeurs dont le cours serait "mauvais".
Mauvais ? L'utilisation d'un adjectif appelle certainement une discussion : mauvais combien ? Et par rapport à quoi ? Au fond, dans l'absolu, si l'on suppose que  l'enseignement est comme la cuisine, avec des composantes techniques, artistiques et sociales, on peut avancer dans l'analyse : s'agit-il d'une mauvaise technique (des informations fausses) ? D'un art mauvais (il faudra analyser) ? D'une socialité déficiente (professeur jugé peu amène) ?
Bref, il y a déjà mieux à faire que balancer un adjectif.

Cela posé, un longue analyse du cas particulier qui me qui m'a signalé m'a fait comprendre que pour moi, les plaintes sont souvent le signe de petits esprits : j'entends la plainte, mais elle disqualifie presque celui ou celle qui l'émet... Ce qui pose une question de principe : que faire si les professeurs sont vraiment mauvais ? Il y a une responsabilité à les laisser exercer sans agir, mais en référer à une "autorité", c'est quand même faire une "dénonciation", mot terriblement chargé de sens... Et puis, tout n'est pas noir ou blanc,  et que la qualité d'un enseignement quelque chose  difficile à mesurer.
D'ailleurs, pour un qui se plaint, d'autres seront peut-être content ? Tel qui ne tire rien d'un cours jouxte peut-être un collègue pour qui le cours apporte des lumières utiles... pourrait-on dire si l'on est charitable.
Je conclus qu'il y a d'abord lieu de bien s'assurer des faits, d'être certain que, pour tous les étudiants, ce cours est mauvais,  et c'est seulement dans ce cas-là qu'il faut en référer à l'institution, laquelle doit prendre ses responsabilités et agir selon des règles administratives qui comprennent quand même de donner une seconde chance au professeur incriminé. Le pécheur peut être sauvé, et puisque les professeurs donnent souvent une seconde change aux étudiants, c'est la moindre des choses que l'on ait cette pratique avec les professeurs.

Évidemment, dans ce qui précède, je parle de qualité des enseignements et pas ce qui relèverait du pénal, car on entend derrière cette discussion particulière l'ensemble des relations humaines.
Cette dernière observation conduit à prendre un peu de recul, et à considérer qu'une plainte concerne des relations conflictuelles entre des personnes d'une même institution. Par conséquent il faut se référer au règlement intérieur pour agir parfaitement dans les règles.

samedi 20 juillet 2019

A propos de science et de travail de l'ingénieur


Un ami ingénieur m'écrit :

Je note effectivement cette distinction entre sciences et technologies [je lui avait signalé qu'il confondait science et technologie]. La science est un socle de connaissances sur laquelle se base et se développe la technologie (qui en est plus une application), car la science veille à comprendre comment se produisent les faits, à connaître les mécanismes qui y sont sous-jacents, des mécanismes d'ailleurs chiffrables /modélisables. Lorsque ces mécanismes sont connus, ils permettent de contrôler, d'anticiper les mécanismes, donc d'être appliqués en technologies et notamment en procédés.
Même si certains (rares) laboratoires privés prennent le temps et le risque de faire de la recherche dite théorique
[personnellement, je ne suis pas pour confondre science et théorie : les deux mots ont des sens différents], je vous rejoint dans le sens où le secteur industriel est essentiellement orienté vers la technologie [je le dirais différemment : le monde industriel, qui est un monde technique, a des besoins technologiques, afin de rénover les techniques et de produire de l'innovation], et il fait justement appel aux académiques [je le dirais différemment : aux scientifiques] pour au moins se remettre au niveau de l'état de l'art [non, pas se remettre au niveau de l'art, mais valoriser les productions scientifiques les plus récentes], et au mieux se nourrir de nouvelles connaissances qu'ils retranscrira en nouvelles technologies ou conduites de procédés.
Aussi, malgré cette distinction entre science et technologie, on dit bien que le métier d'ingénieur est un métier scientifique [là, je tique... et c'est ma réponse plus détaillée, que je donne plus loin]. N'est-ce pas parce qu'on attend des ingénieurs qu'ils adoptent une démarche scientifique [non, les ingénieurs n'auront jamais de "démarche scientifique" ; voir plus loin], qui est alors utile quel que soit le métier du futur diplômé d'une école comme AgroParisTech ? C'est une évidence absolue pour les scientifique chercheur qui incrémentent la connaissance humaine. C'est aussi important pour les métiers plus technologiques car il me semble toujours bénéfique de savoir quantifer une donnée ou un risque, de bien faire les choses pour acquérir des données fiables et honnêtes, de savoir douter des postulats pour être critique et adopter une vue d'ensemble ou une vision différente (qui peut justement nourrir l'innovation comme vous le démontrez par vos applications régulières)... etc.

Ma réponse comporte donc ceci : 
 
Tout me va assez bien dans votre raisonnement...  jusqu'au "on dit que le métier d'ingénieur est un métier scientifique".. et c'est bien là que ça pèche  : non, le métier d'ingénieur n'a rien à voir avec la science. Il utilise les résultats de la science, et les ingénieurs doivent en conséquence être formés à les chercher, les comprendre, les transférer. Plus de la coordination, ou de la maîtrise d'oeuvre, comme vous voudrez.
D'ailleurs, c'est sur ce bon principe que nous avons organisé notre master IPP Physico-chimie pour la formulation, à AgroParisTech.

Et non, on n'attend certainement pas que les ingénieurs aient une démarche scientifique : je vous joins la démarche scientifique en pj [ici, la figure]. En revanche, on veut certainement que les ingénieurs soient rationnels et rigoureux, ce qui est une autre affaire. Oui, les ingénieurs doivent savoir quantifier et calculer, mais c'est autre chose que les sciences de la nature. Oui on veut que les ingénieurs disposent de données fiables et honnêtes, qu'ils aient un esprit critique, mais c'est autre chose que la recherche scientifique. Oui, on veut que les ingénieurs sachent remettre en question des techniques périmées, mais c'est autre chose que de faire de la science.


Des cours "stimulants" ?

Je reçois de jeunes collègues (cela signifie "étudiants"), cette phrase terrible :

La quasi-totalité des étudiants en grandes écoles se plaignent régulièrement des cours. Le discours général est que les cours sont bien souvent peu stimulants intellectuellement et peu intéressants et que le gain de connaissances ou de savoirs faire après un amphi ou un module n’est que peu significatif. 
Il y a bien souvent une impression de frustration (« tout ça pour ça ») par rapport aux cours de prépa qui, bien qu’ayant un format ne pouvant être adopté en école (sollicitation intense, très théorique et scolaire), avaient le mérite d’être très stimulants intellectuellement.



Voilà, c'est dit. Dit par certains, et peut-être pas par tous, car certains qui ont eu du mal lors de leurs études de classes préparatoires seront peut-être heureux de reprendre les choses calmement. En tout cas, oui, pour quelqu'un qui a maîtrisé les sujets des classes préparatoires, replonger à l'identique est lancinant.
Et  il est vrai que le changement, des classes préparatoires aux écoles d'ingénieur, est parfois mal perçu. Il pose la question suivante : comment organiser les études quand est passée l'admission dans une école, que les jeunes collègues maîtrisent les outils mathématiques, physiques, chimiques ?
En réalité la somme des connaissances et des compétences à acquérir est considérable, surtout si l'on accepte ma métaphore de la montagne du savoir scientifique, que voici.
A la Renaissance, des Bacon et Galilée ont "inventé" la science moderne, déposé une première couche de connaissances. Puis, au siècle suivant, d'autres ont augmenté ce monticule, et ainsi de suite jusqu'à la montagne que nous avons aujourd'hui. Les étudiants partent de la base, et le rôle des études est de les conduire au sommet, soit parce qu'ils iront augmenter eux-mêmes la montagne, soit parce qu'ils sauront quel est le savoir moderne qu'il faut transférer, s'il sont technologues.
En classes préparatoires aux écoles d'ingénieurs, on n'est certainement pas au sommet ! De sorte qu'il y a de la marge pour que les études invitent les étudiants à dépasser les connaissances des classes préparatoires.
Et le mot "invitent" est tout, ici : des étudiants qui restent à des connaissances des classes préparatoires sont des étudiants qui ne font pas leur travail, lequel consiste à étudier pour dépasser ce niveau, précisément. Et les professeurs n'ont pas pour mission de redire ce qui a été dit en classes préparatoires, mais d'indiquer aux étudiants ce qu'ils peuvent étudier. Au fond, ils devraient presque se limiter à indiquer le sommet, en disant aux étudiants : allez-y, étudiez dans cette direction !

Reste à analyser la citation phrase à phrase : 
 
1.  Se plaindre ? Seuls les petits esprits se plaignent : des esprits positifs avancent, positivement.
2. Qu'est-ce qu'un cours intellectuellement stimulant ? C'est sans doute un moment où le professeur partage des questions, des émerveillements, et sans doute pas une n-ième explication de notions qui se trouvent explicitées ailleurs, dans des détails que le cours, avec sa durée limitée, ne peut certainement pas traiter. Je pense que pour une heure de cours, il devrait y avoir plusieurs heures de travail personnel.
3. Peu de connaissances supplémentaires après un amphi ? C'est bien évident, d'après ce que j'ai dit plus haut : le cours n'a pas cette fonction, et il ne remplacera jamais le travail des étudiants.

Chers collègues, allons-y, étudions : travaillons, prenons de la peine, c'est le fonds qui manque le moins.

vendredi 19 juillet 2019

A quoi bon vouloir connaître les résultats des sciences ?


A quoi bon vouloir connaître, et simplement connaître, les résultats des sciences ?  Ici je propose d'assimiler les "sciences" à la recherche scientifique, et  je limite mon propos aux sciences de la nature.

Au début, donc, il y a la recherche scientifique qui est une activité dont j'ai dit souvent qu'elle affine notre description du monde en même temps qu'elle l'augmente. Sa méthode consiste notamment à considérer que  les théories scientifiques sont toujours insuffisantes, et que c'est l'amélioration de ces théories qui constitue véritablement l'activité scientifique.
Cette hypothèse est fondatrice : elle détermine le travail scientifique que l'on fait au quotidien. Oui, toute les théories scientifiques sont insuffisantes, et la réfutabilité consiste précisément à tester les théories en vue de les améliorer.
Mais si les théorie sont insuffisantes, quelle sagesse y aurait-il à vouloir les connaître ? Bien sûr, insuffisant ne signifie pas faux, et l'on peut vouloir connaître les mécanismes des phénomènes au premier ordre, au deuxième ordre, mais à quoi bon ?


 Pour les études supérieures

Pour les études supérieures, en "filières scientifiques", on fera la différence entre les écoles d'ingénieurs et les universités. Pour les écoles d'ingénieur, la question me semble réglée : l'ingénieur, qui s'apparente de ce point de vue au technologue, ne produit pas de science, mais doit connaître cette dernière pour en faire l'application.
Pour les universités, en revanche, la question est plus difficile, depuis que les universités, notamment avec les mastères, sont entrés sur le champ technologique, au moment même où la "vulgarisation scientifique" s'emparaît d'un de ses "créneaux" : passé le temps où le public bordelais fréquentait les amphithéâtres de Pierre Duhem, à  l'université de Bordeaux (je prends l'exemple de Pierre Duhem parce que l'homme est insuffisamment connu, mais j'aurais pu dire la même chose de tout un professeur de l'université ou du Collège de France).
Bref,  les temps ont changé, et les missions de l'université ont changé : aux connaissances se sont ajoutées des compétences. De sorte que, à l'université, les résultats de la science n'ont pas à être considérés pour eux-mêmes, mais en vue de leur utilisation, comme dans les écoles d'ingénieur... où les étudiants de l'université vont souvent faire leur mastère (quand ils sont acceptés). De sorte qu’apprendre les sciences à l’université revient plutôt à apprendre les sciences en vue d'applications technologiques ou  pédagogiques. Et la recherche des applications s'impose comme une mission de l’université.
Bien sûr, c'est (aussi) à l'université que l'on peut apprendre les sciences en vue de la recherche scientifique:  là s'impose un travail particulier qui ne s'arrête pas à  l'apprentissage des résultats des sciences, mais doit se prolonger par l'apprentissage des méthodes scientifiques, en termes de connaissances comme de compétences.
Dans tous les cas, pour ce qui est des études supérieures, il me paraît essentiel de ne jamais oublier de dire aux jeunes collègues (j'utilise cette expression pour dénommer les étudiants) que le savoir qu'ils se prérarent à obtenir est essentiellement périssable, révisable, améliorable, et que le mouvement d'apprentissage est intrinsèquement permanent, pour ce qui concerne les sciences.




Et pour la vulgarisation scientifique

 Cette réflexion vaut pour la vulgarisation scientifique, et cela devrait d'ailleurs être un moteur pour elle, qui est partagée entre la nécessité de présenter chaque nouveau résultat et la crainte de se redire.  Chaque découverte doit être l'occasion de montrer combien une parution périodique s'impose : pour chaque thème, il y a bien sûr un état des lieux précédents à faire, mais surtout, il faut montrer le progrès qui motive l'article.