Les larmes et les jambes ? Cette fois, ce n'est pas de la cuisine, mais de la sommellerie. Mais comme le gourmet (celui qui aime le vin) marche souvent main dans la main avec le gourmand (celui qui aime manger), je crois qu'il est utile de faire la différence, de sorte que, en salle, le cuisinier ne soit pas repris par plus savant que lui, plus précis que lui.
Dans les deux cas, larmes et jambes, il y a ces coulées de liquide dans le verre de vin ou d'alcool. Cela se produit quand le vin a une composition qui s'y prête, avec assez de l'alcool du vin, avec assez de glycérol, et d'autres composés. L'alcool du vin ? C'est un composé particulier qu'on nomme éthanol. Le glycérol ? C'est un composé également connu sous le nom de glycérine. Et les autres composés qui favorisent la formation des larmes et des jambes ? Tous sont importants, des sels minéraux en passant par les composés phénoliques, dont les tanins ne sont qu'une catégorie particulière, comme nous l'avons vu précédemment.
Bref, parfois, quand on laisse le vin au repos dans le verre, le liquide monte spontanément au-dessus du niveau libre, puis redescend en colonnes qui se forment spontanément. Ce sont les larmes du vin.
A ne pas confondre avec les jambes, qui se forment quand on incline d’abord le verre, puis qu'on le redresse, et que le vin redescend en se séparant en traînées.
J'y pense : ces larmes ou ces jambes ne se forment que sur des verres qui ont des états de surface particulières, tout comme c'est le cas pour les bulles de champagne (ou mieux, de crémant) : dans un verre parfaitement propre, nettoyé en laboratoire protégé des poussières, les vins pétillants ou mousseux ne font aucune bulle, et c'est quand le verre a été essuyé avec un torchon, lequel a laissé de microscopiques fibres, que de la mousse et des bulles se forment… s'il n'y a pas d'agents « anti-moussants », tels les rouges à lèvres.
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
jeudi 27 septembre 2018
mercredi 26 septembre 2018
Gourmet et gourmand
Gourmet ? Gourmand ? Certains ne voient pas de différence. D'autres voient dans le gourmet un raffinement supplémentaire : le gourmand serait presque le goinfre, et le gourmet serait… gourmand. D'autres encore voient dans le gourmet une sorte de gourmand maniéré.
Bref, quand l'ignorance règne, la langue perd en précision… et le restaurateur s'expose à la critique de clients plus « assurés » que les maîtres d'hôtels. Récemment, j'ai été exposé à des maîtres d’hôtel qui m'annonçaient des émulsions et qui m'ont servi des mousses : il y avait là une tromperie que j'ai fait remarquer. On m'a parlé de saveur alors qu'il s'agissait de goût : j'ai conclu que mes interlocuteurs n'étaient pas de bons professionnels. On m'a même proposé une « terrine en croûte », comme si le mot « pâté » ne désignait pas exactement cela : fallait-il être ignorant ?
Mais revenons à nos gourmets et à nos gourmands : les gens du vignobles connaissent bien les gourmets, puisque ce sont eux qui étaient -et sont encore- chargés de mesurer les volumes de vin, pour les transactions. Chaque village ou ville d'Alsace avait son ou ses gourmets. Gourmand : là, il n'y a pas d'hésitation, car, depuis le quatorzième siècle, le mot désigne celui ou celle qui aime la bonne chère… ou bien qui mange avec avidité. Mais pour désigner le mangeur qui déraille, il y a goinfre depuis 1622.
Finalement, puisque la cacophonie règne, je propose que nous nous en tenions à une position historiquement juste et, surtout, modernement cohérente : le gourmet aime le vin ; le gourmand aime manger, et le goinfre mange trop, trop vite. Ce qui nous conduit à conclure avec Jean-Anthelme Brillat-Savarin : celui ou celle qui s'indigère ou qui s'enivre ne sait ni manger ni boire.
Bref, quand l'ignorance règne, la langue perd en précision… et le restaurateur s'expose à la critique de clients plus « assurés » que les maîtres d'hôtels. Récemment, j'ai été exposé à des maîtres d’hôtel qui m'annonçaient des émulsions et qui m'ont servi des mousses : il y avait là une tromperie que j'ai fait remarquer. On m'a parlé de saveur alors qu'il s'agissait de goût : j'ai conclu que mes interlocuteurs n'étaient pas de bons professionnels. On m'a même proposé une « terrine en croûte », comme si le mot « pâté » ne désignait pas exactement cela : fallait-il être ignorant ?
Mais revenons à nos gourmets et à nos gourmands : les gens du vignobles connaissent bien les gourmets, puisque ce sont eux qui étaient -et sont encore- chargés de mesurer les volumes de vin, pour les transactions. Chaque village ou ville d'Alsace avait son ou ses gourmets. Gourmand : là, il n'y a pas d'hésitation, car, depuis le quatorzième siècle, le mot désigne celui ou celle qui aime la bonne chère… ou bien qui mange avec avidité. Mais pour désigner le mangeur qui déraille, il y a goinfre depuis 1622.
Finalement, puisque la cacophonie règne, je propose que nous nous en tenions à une position historiquement juste et, surtout, modernement cohérente : le gourmet aime le vin ; le gourmand aime manger, et le goinfre mange trop, trop vite. Ce qui nous conduit à conclure avec Jean-Anthelme Brillat-Savarin : celui ou celle qui s'indigère ou qui s'enivre ne sait ni manger ni boire.
mardi 25 septembre 2018
Les bons mots font la bonne cuisine
Si l'apprenti du menuisier tend le ciseau à bois quand on lui demande le rabot, il ne fait pas avancer le travail. Si le bourrelier renforce le troussequin quand on lui a commandé d'arranger le pommeau, le client n'est pas content. Si le marin tend ce « cordage » qu'est la drisse quand on lui a demandé l'écoute, le bateau peut chavirer.
Le vocabulaire des métiers, le vocabulaire technique est presque le métier lui-même.
Cela est vrai de la cuisine, évidemment : une brunoise n'est pas une julienne, une mousseline n'est pas une mousse, et une mousse n'est pas une émulsion. Marquer, chiqueter, ciseler, blanchir, réduire, caraméliser, brunir, sauter, poêler, casserole, sautoir, sauteuse, rondeau, russe, poêle, poêlon… Chaque terme a un sens précis et mérite donc d'être bien utilisé. Mieux encore, on peut soutenir la thèse selon laquelle la pratique du métier s'améliore avec les mots.
On se propose ici, régulièrement, de discuter les termes qui font grandir la profession, technique ou art.
lundi 24 septembre 2018
Levures et poudres levantes
La confusion est fréquente, entre levures et poudres levantes… et il faut dire que cette confusion a été produite par des fabricants, qui ont utilisé l'expression très fautive et trompeuse de « levure chimique ».
De quoi s'agit-il ?
La levure, tout d'abord, est connue depuis de nombreux siècles. Par exemple, dès 1419, on nomme leveure une « substance qui provoque la fermentation ». Jadis, on utilisait des mélanges d'herbes pour provoquer la fermentation de la bière, tout comme on utilise encore parfois aujourd'hui des mélanges de fruits secs ou des quartiers de pomme pour faire démarrer un levain.
Puis arriva Louis Pasteur, qui montra que ce ne sont ni les herbes, ni les fruits, ni l'opération du Saint Esprit qui provoquent les fermentations, mais bien plutôt des organismes vivants, présents tout autour de nous. Quand un fruit ou un légume dans un saladier se couvre de moisissures, c'est qu'un tel « micro-organisme » a été apporté par l'air. Ils sont partout, et leur nature, leurs espèces dépendent notamment de la température, de l'humidité, du soleil, du sol… D'où des vins particuliers selon les régions, d'où des fromages particuliers selon les régions, d'où des vinaigres, des salaisons particulières selon les régions… Par exemple, pour les bières lambics, qui sont ensemencées naturellement, on porte le brassain en haut des brasseries et l'on expose aux micro-organismes environnants : il a été montré que, de part et d'autre d'une colline, en Belgique, des bières différentes sont obtenues à partir des mêmes ingrédients. C'est cela, notamment, le terroir.
Quand Pasteur découvrit ainsi les micro-organismes, il permit aussi la domestication des « levures », des espèces particulières de micro-organismes. D'où une maîtrise des fermentations… qui s'assortit d'un changement de goût : pour du pain, il y a la même différence entre un pain levuré avec un levure domestique et un pain au levain, avec des levures sauvages, qu'entre un champignon de Paris et un champignon sauvage. Mais il est bon de savoir que des sociétés vendent aujourd'hui des micro-organismes de mille types différents, pour des goûts bien difféents.
Bref, les levures sont des micro-organismes, vivants : réduits à une « cellule » (comme un petit sac fermé), qui vit, parce qu'elle contient tout ce qu'il faut pour son développement et sa reproduction. Dès que les circonstances le permettent, c'est-à-dire en présence d'eau et de nutriments, à une température douce, une cellule unique de levure en engendre deux, qui chacune se divisent, et ainsi de suite de façon explosive. Comme, en plus, les levures « respirent », elles dégagent du dioxyde de carbone, qui fait gonfler les pains et pâtisseries, dont nos merveilleux kouglofs.
Les poudres levantes ? Rien à voir ! Cette fois, c'est de la chimie toute simple, comme quand on met du vinaigre blanc sur la carapace de crevettes : on voit apparaître des bulles, parce que l'acide acétique du vinaigre réagit avec le carbonate de calcium de la carapace, ce qui engendre le même dioxyde de carbone que précédemment. En perfectionnant un peu les réactifs, des fabricants ont appris à confectionner des mélanges de poudre qui, stables à sec, se mettent à réagir dans les appareils à gâteaux que l'on cuit, quand il y a à la fois de l'eau (souvent apportée par l'oeuf) et de la chaleur (de la cuisson). Ainsi les cakes, les muffins, les gâteaux…
Pourquoi bien distinguer les deux produits ? Parce que les dégagements gazeux ne sont absolument pas les mêmes, en termes de rapidité, et n'interviennent pas au même moment des recettes, ce qui conduit à des alvéolations bien différentes. De surcroît, la fermentation par les levures ne se réduit pas à un simple gonflement de la préparation : elle engendre aussi nombre de composés odorants ou sapides, qui contribuent au goût des préparations fermentées. Et le goût, c'est essentiel, non ?
C'est donc trompeur de parler de « levures chimiques » : les poudres levantes ne reproduisent qu'une des fonctions des levures.
De quoi s'agit-il ?
La levure, tout d'abord, est connue depuis de nombreux siècles. Par exemple, dès 1419, on nomme leveure une « substance qui provoque la fermentation ». Jadis, on utilisait des mélanges d'herbes pour provoquer la fermentation de la bière, tout comme on utilise encore parfois aujourd'hui des mélanges de fruits secs ou des quartiers de pomme pour faire démarrer un levain.
Puis arriva Louis Pasteur, qui montra que ce ne sont ni les herbes, ni les fruits, ni l'opération du Saint Esprit qui provoquent les fermentations, mais bien plutôt des organismes vivants, présents tout autour de nous. Quand un fruit ou un légume dans un saladier se couvre de moisissures, c'est qu'un tel « micro-organisme » a été apporté par l'air. Ils sont partout, et leur nature, leurs espèces dépendent notamment de la température, de l'humidité, du soleil, du sol… D'où des vins particuliers selon les régions, d'où des fromages particuliers selon les régions, d'où des vinaigres, des salaisons particulières selon les régions… Par exemple, pour les bières lambics, qui sont ensemencées naturellement, on porte le brassain en haut des brasseries et l'on expose aux micro-organismes environnants : il a été montré que, de part et d'autre d'une colline, en Belgique, des bières différentes sont obtenues à partir des mêmes ingrédients. C'est cela, notamment, le terroir.
Quand Pasteur découvrit ainsi les micro-organismes, il permit aussi la domestication des « levures », des espèces particulières de micro-organismes. D'où une maîtrise des fermentations… qui s'assortit d'un changement de goût : pour du pain, il y a la même différence entre un pain levuré avec un levure domestique et un pain au levain, avec des levures sauvages, qu'entre un champignon de Paris et un champignon sauvage. Mais il est bon de savoir que des sociétés vendent aujourd'hui des micro-organismes de mille types différents, pour des goûts bien difféents.
Bref, les levures sont des micro-organismes, vivants : réduits à une « cellule » (comme un petit sac fermé), qui vit, parce qu'elle contient tout ce qu'il faut pour son développement et sa reproduction. Dès que les circonstances le permettent, c'est-à-dire en présence d'eau et de nutriments, à une température douce, une cellule unique de levure en engendre deux, qui chacune se divisent, et ainsi de suite de façon explosive. Comme, en plus, les levures « respirent », elles dégagent du dioxyde de carbone, qui fait gonfler les pains et pâtisseries, dont nos merveilleux kouglofs.
Les poudres levantes ? Rien à voir ! Cette fois, c'est de la chimie toute simple, comme quand on met du vinaigre blanc sur la carapace de crevettes : on voit apparaître des bulles, parce que l'acide acétique du vinaigre réagit avec le carbonate de calcium de la carapace, ce qui engendre le même dioxyde de carbone que précédemment. En perfectionnant un peu les réactifs, des fabricants ont appris à confectionner des mélanges de poudre qui, stables à sec, se mettent à réagir dans les appareils à gâteaux que l'on cuit, quand il y a à la fois de l'eau (souvent apportée par l'oeuf) et de la chaleur (de la cuisson). Ainsi les cakes, les muffins, les gâteaux…
Pourquoi bien distinguer les deux produits ? Parce que les dégagements gazeux ne sont absolument pas les mêmes, en termes de rapidité, et n'interviennent pas au même moment des recettes, ce qui conduit à des alvéolations bien différentes. De surcroît, la fermentation par les levures ne se réduit pas à un simple gonflement de la préparation : elle engendre aussi nombre de composés odorants ou sapides, qui contribuent au goût des préparations fermentées. Et le goût, c'est essentiel, non ?
C'est donc trompeur de parler de « levures chimiques » : les poudres levantes ne reproduisent qu'une des fonctions des levures.
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