Il y a des mots qui sont aujourd'hui acceptés dans des… acceptions qu'ils ne méritent pas. Rôtir est un tel mot.
Rôtir ? Cette fois, il n'est pas nécessaire d'aller regarder dans un livre d'étymologie pour comprendre le débat, mais dans des livres de cuisine. Rôtir, c'est faire le travail du rôtisseur, dont le juriste Jean-Anthelme Brillat-Savarin, auteur d'une « gastronomie fantasmée », disait qu'on l'était de naissance, mais qu'on ne pouvait pas le devenir par le travail. Commençons par nous débarrasser ce boulet, pour voir ensuite que, comprenant l'objectif, nous pourrons l'atteindre.
Oui, tout d'abord, Brillat-Savarin n'était pas cuisinier, ni scientifique, mais juriste… Dans son livre La physiologie du goût, il ne parle pas de science… mais raconte des anecdotes en faisant croire à ses lecteurs qu'il est « docteur ». Il est peut-être docteur en droit… mais certainement pas en médecine ni en science. Il parle de tas de notions chimiques qu'il ne connaît pas vraiment, et il invente, il invente, il ne fait qu'inventer ! Par exemple, quand il dit que trois ordres savent manger, à savoir les chevaliers, les financiers et les abbés : je connais des abbés et des financiers qui ne savent pas manger, et je connais des gens qui ne sont ni abbé, ni financier, ni chevaliers qui savent parfaitement manger.
Il invente aussi, par exemple, quand il parle d'osmazôme, ce qui avait été découvert par le chimiste Jacques Thenard : ce dernier désignait ainsi la fraction de la viande qui se dissolvait dans l'éthanol, c'est-à-dire l'alcool des vins, liqueurs ou eaux-de-vie. Brillat-Savarin en fait la « partie sapide des viandes » : pure invention !
Bref, Brillat-Savarin inventait, et il inventait si merveilleusement que beaucoup y ont cru ! N'est-ce pas cela, le summum de la littérature ? Et mieux, la « gastronomie littéraire » ? Brillat-Savarin, d'ailleurs, n'est pas l'inventeur du mot « gastronomie », puisque c'est le poête Joseph Berchoux qui introduisit le mot, en 1801.
Reste que Brillat-Savarin a fait beaucoup de mal en écrivant « On devient cuisinier, mais on naît rôtisseur ». Il y aurait eu des gens qui auraient su rôtir de naissance, et d'autres pas. Je déteste ce genre d'idées qui refusent au travail la possibilité de réussir. Et je déteste ce genre d'idées qui laissent croire à des individus supérieurs, à des « dons du ciel ». Non, si je comprends ce qu'est que rôtir, et si j'y mets assez d'attention, de soin, d'intelligence, alors j'apprendrai à rôtir, et je rôtirai bien.
Mais arrivons à la question : qu'est-ce que rôtir ? Depuis les débuts de l'humanité, quand l'espèce humaine a appris à maîtriser le feu, on a rôtit, ce qui signifie que l'on a placé des aliments près du feu, afin de les … cuire. Mais de les cuire d'une façon particulière, qui ne soit pas le bouilli, par exemple. Quand un aliment est près du feu, il reçoit des ondes électromagnétiques particulières qui le chauffent, les rayonnements infrarouges : des cousins de la lumière, mais invisibles à l'oeil, et perceptibles seulement à leur effet chauffant. Et nous savons tous que seul le côté face au feu est chauffé, de sorte qu'il faut tourner les pièces à rôtir pour qu'elles soient cuites sous toutes les faces.
Lors de cette cuisson, les infrarouges chauffent les aliments, et évaporent l'eau de surface, en même temps que la chaleur se propage dans l'intérieur des aliments. Une croûte se forme (de la viande sans eau devient dure : c'est cela la croûte), tandis que l'intérieur coagule. Bien sûr, il y a d'autres effets : les micro-organismes pathogènes qui sont quasi nécessairement sur la surface sont tués, et des réactions chimiques ont lieu, ce qui fait brunir la viande et lui donne du goût.
Voilà pour ce rôtissage que l'on peut apprendre à faire, donc, et qui se fait depuis toujours. Là où les livres de cuisine du passé sont éclairants, c'est que l'on découvre une « guerre » qui eut lieu dans le milieu culinaire il y a environ un siècle, et qui est bien oubliée aujourd'hui. Quand le gaz s'introduisit « à tous les étages » (on trouve encore des plaques qui le signalent sur certains immeubles parisiens), on put raccorder des fourneaux, faire des fourneaux à gaz, et, l'on put cuire dans le four. Certains nommèrent cela « rôtir »… et les gens honnêtes hurlèrent au scandale : ils avaient raison, car cette opération de cuisson au four ne donne absolument pas les mêmes résultats que le rôtissage, sauf peut-être quand on ouvre les ouras, afin d'éliminer la vapeur d'eau qui se forme lors de la combustion du gaz et lors de l'évaporation de l'eau de surface des aliments que l'on cuit. Le croustillant final n'est pas le même, pas plus que le goût, d'ailleurs, car ce ne sont pas les mêmes réactions qui ont lieu en milieu sec et en milieu humide. J'en profite d'ailleurs pour dire que les réactions qui ont lieu ne se limitent pas aux réaction de Maillard ! Ces dernières ne sont que certaines des réactions qui ont lieu lors d'une cuisson, et il est donc faut de dire que les réactions de Maillard sont responsables du brunissement des viandes : elles ne sont responsables que d'une partie du brunissement.
Mais pour en revenir au rôtissage, nous sommes aujourd'hui bien gênés, parce que nous n'avons qu'un seul mot pour désigner le rôtissage, le vrai, celui qui résulte de l'exposition d'une viande à des rayonnements infrarouges, celui que font les rôtisseurs de volaille, qu'ils soient bouchers ou charcutiers, et les diverses cuissons au four, d'autant que les fours modernes ont de nombreuses possibilités : avec convection, sans convection, avec ouras ouverts, ou fermés, avec le grill… D'ailleurs, on parle de griller, au four ou à la salamandre… mais il s'agit plutôt, en réalité, de… rôtir !
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
dimanche 23 septembre 2018
samedi 22 septembre 2018
Une émulsion, c'est de la matière grasse dispersée dans une solution aqueuse fait
Cela fait plusieurs fois de suite que, dans des restaurants, le maître d'hôtel m'annonce en dessert une émulsion. De fraise, de tomate, de mangue, de citron…
Chaque fois, je remets la personne à sa place… parce que, interrogeant mon interlocuteur, je vois qu'il veut dire « mousse ». Jusqu'à de grands chefs qui font la confusion, ce qui ne légitime pas l'acception fautive qu'ils font : même si le président de la république nommait « chat » un animal à quatre pattes qui aboie, je le reprendrais pour lui dire qu'il se trompe, et qu'il doit dire chien.
Pourtant, c'est tout simple : comme indiqué au début de cette chronique, une mousse, c'est un système liquide où sont dispersées des bulles d'air, petites ou grosses, visibles à l'oeil nu ou non ; en revanche, une émulsion, c'est un système liquide où sont dispersées des gouttelettes d'huile, petites ou grosses, visibles à l'oeil nu ou non.
Ainsi, un blanc en neige est une mousse, mais une mayonnaise est une émulsion. Un liquide que l'on éjecte d'un siphon est une mousse, mais un aïolli est une émulsion. Bien sûr, il y a des cas plus compliqués, comme la crème fouettée, mais le plus souvent, il suffit de se repérer à ce qui est dispersé : bulles de gaz ou gouttes de matière grasse ?
Pour la crème fouettée, reprenons doucement. On part du lait, qui est une émulsion, puisqu'il y a des gouttelettes de matière grasse dispersées dans l'eau du lait. Le mot « émulsion », d'ailleurs, vient du latin emulgere, qui signifie « traire ». Quand le lait repose, les gouttelettes de matière grasse monte à la surface du liquide, et l'on a la crème, encore faite de gouttes de matière grasse dans de l'eau. Puis, quand on fouette la crème, on la « foisonne », ce qui signifie qu'on la fait mousser. La crème fouettée, la crème chantilly, sont des émulsions foisonnées.
Et là, récemment, on m'a interrogé : l'appareil à génoise est-il une mousse, ou bien une émulsion ? Partons de la recette, qui se fait avec de l'oeuf (beaucoup d'eau) et du sucre, lequel se dissout dans l'eau de l'oeuf. Si l'on fouette, le mélange prend du volume et blanchit: pas de doute, c'est parce que d'innombrables bulles d'air sont dispersées dans le liquide. L'affaire est classée : l'appareil à génoise est une mousse, pas une émulsion !
Cela fait plusieurs fois de suite que, dans des restaurants, le maître d'hôtel m'annonce en dessert une émulsion. De fraise, de tomate, de mangue, de citron…
Chaque fois, je remets la personne à sa place… parce que, interrogeant mon interlocuteur, je vois qu'il veut dire « mousse ». Jusqu'à de grands chefs qui font la confusion, ce qui ne légitime pas l'acception fautive qu'ils font : même si le président de la république nommait « chat » un animal à quatre pattes qui aboie, je le reprendrais pour lui dire qu'il se trompe, et qu'il doit dire chien.
Pourtant, c'est tout simple : comme indiqué au début de cette chronique, une mousse, c'est un système liquide où sont dispersées des bulles d'air, petites ou grosses, visibles à l'oeil nu ou non ; en revanche, une émulsion, c'est un système liquide où sont dispersées des gouttelettes d'huile, petites ou grosses, visibles à l'oeil nu ou non.
Ainsi, un blanc en neige est une mousse, mais une mayonnaise est une émulsion. Un liquide que l'on éjecte d'un siphon est une mousse, mais un aïolli est une émulsion. Bien sûr, il y a des cas plus compliqués, comme la crème fouettée, mais le plus souvent, il suffit de se repérer à ce qui est dispersé : bulles de gaz ou gouttes de matière grasse ?
Pour la crème fouettée, reprenons doucement. On part du lait, qui est une émulsion, puisqu'il y a des gouttelettes de matière grasse dispersées dans l'eau du lait. Le mot « émulsion », d'ailleurs, vient du latin emulgere, qui signifie « traire ». Quand le lait repose, les gouttelettes de matière grasse monte à la surface du liquide, et l'on a la crème, encore faite de gouttes de matière grasse dans de l'eau. Puis, quand on fouette la crème, on la « foisonne », ce qui signifie qu'on la fait mousser. La crème fouettée, la crème chantilly, sont des émulsions foisonnées.
Et là, récemment, on m'a interrogé : l'appareil à génoise est-il une mousse, ou bien une émulsion ? Partons de la recette, qui se fait avec de l'oeuf (beaucoup d'eau) et du sucre, lequel se dissout dans l'eau de l'oeuf. Si l'on fouette, le mélange prend du volume et blanchit: pas de doute, c'est parce que d'innombrables bulles d'air sont dispersées dans le liquide. L'affaire est classée : l'appareil à génoise est une mousse, pas une émulsion !
vendredi 21 septembre 2018
Gélatine et agents gélifiants ; pas de gélatine végétale !
Un ami chef me parle d'un problème qu'il rencontre alors qu'il produit des gelées… mais je comprends, en l'interrogeant, que son usage des mots le conduit à l'erreur technique : il utilise notamment le terme fautif de "gélatine végétale"… et, de ce fait, utilise comme de la gélatine un agent gélifiant qui n'est pas de la gélatine ; c'est comme vouloir émincer des échalotes en tenant un couteau par la lame.
Au fond, je fais un peu la fine bouche en critiquant mon ami, car la popularisation de l'expression "gélatine végétale" est une sorte de couronnement de mes travaux. En effet, de même que l'usage du gaz ne s'est imposé, en remplacement du charbon, quand on n'a plus eu besoin d'apposer sur les maisons l'indication « gaz à tous les étages », la cuisine moléculaire a gagné, puisqu'il y a partout, dans les cuisines, des siphons, de la basse température, et ces mêmes gélifiants, ou agents gélifiants, dont on m'accusait de vouloir empoisonner le monde avec. Ces derniers, notamment, sont vendus jusque dans les supermarchés ; ils sont si populaires que l'on en vient à les confondre avec la gélatine, qu'on les dénomme fautivement du nom de cette dernière, dont on oublie aussi qu'elle fut un jour moderne. Expliquons plus en détail.
Un peu d'histoire
Jusque dans les années 1970, on faisait les aspics ou les bavarois à partir de pieds de veau. Il fallait cuire longuement les pieds dans de l'eau chaude, puis filtrer, clarifier, etc. C'était un procédé bien long, qui suscita bientôt la création d'usines qui se mirent à extraire et vendre de la gélatine : en feuilles ou en poudre.
La gélatine ? C'est la matière gélifiante du pied de veau et d'autres tissus animaux (peaux, tendons, cartilage… ; de porc, de veau, de poule…) , de sorte que l'on n'avait plus qu'à utiliser des feuilles ou de la poudre pour obtenir, en quelques secondes, le résultat qu'on mettait auparavant des heures à atteindre.
Puis, dans les années 1980, alors que des amis chefs me disaient encore que les gélées faites à la gélatine avaient un goût (mais j'ai des preuves que ce n'était pas vrai), j'ai vu qu'il existait de nombreux autres gélifiants, d'origine végétale ceux-là : carraghénanes, alginates, agar-agar, gommes de guar, de caroube, etc. Chacun a des caractéristiques techniques particulières : au choix, on pouvait faire des gels clairs, transparents, opaques, cassants, élastiques, mous...
Bref, il me semblait que le cuisinier pouvait trouver plus de notes sur son piano qu'il y en a dans un triangle, et c'est ainsi que je me suis retrouvé un jour à aller proposer à une des principales associations de cuisiniers français d'utiliser ces produits. L'accueil fut amical, et la réponse fut négative. J'étais naïf et désolé, car, alors que je n'avais rien à vendre, que je pensais aux progrès de la profession, cette dernière me refusait mes propositions, se fermant à l'innovation, restant arquée sur une tradition dont on oublie qu'elle n'est en réalité qu'une synthèse des innovations du passé.
Ajoutons que ma proposition d'employer ces produits était une partie de ma volonté de rénover les techniques culinaires, ce que j'ai nommé "cuisine moléculaire". Oui, la cuisine moléculaire voulait seulement (OK, ce n'est pas rien) rénover les techniques culinaires, avec l'hypothèse supplémentaire que l'on fait mieux ce que l'on comprend !
Finalement, j'ai parfaitement réussi mon coup, et la cuisine moléculaire s'est merveilleusement développée, comme une application de cette discipline scientifique, branche de la physico-chimie, qu'est la gastronomie moléculaire (je répète qu'il y a une différence essentielle entre les deux : la science et la technique ne se confondent pas, et il faut être bien aveugle -volontairement ?- pour ne pas comprendre la différence).
Parlons de gélifiants d'origine végétale
Aujourd'hui, on parle donc de "gélatine végétale", et je devrais en être content, mais l’expression me choque parce qu'elle est fautive, et que cette erreur terminologique engendre des déboires techniques.
Faisant l'hypothèse qu'un bon technicien mérite de comprendre les outils qu'il emploie, et que les noms de ces outils sont importants au même titre que leurs caractéristiques, je veux expliquer pourquoi il faut parler de gélifiant végétal, et non de gélatine végétale (une gélatine végétale, cela n'existe pas !).
La gélatine n'est pas végétale : c'est une matière extraite des tissus animaux, faite de protéines de collagène, modifiées à des degrés divers par la cuisson qui les extrait des tissus animaux.
La gélatine est un agent gélifiant, ce qui signifie qu'elle permet de faire gélifier des solutions aqueuses, afin d'obtenir ce que l'on nomme des gels. La gélatine est de nature protéique, animale, et elle a des caractéristiques particulières, que les cuisiniers connaissent bien, et au nombre desquelles on compte sa capacité à fondre à une température voisine de celle de la bouche, ce qui permet d'obtenir des gels fondants, par conséquent.
Les autres gélifiants (ou agents gélifiants) ne sont pas tous des protéines. Par exemple, l'amidon, la fécule, faits de composés des catégories nommées amyloses et amylopectines, permettent de produire des gels que l'on nomme en l'occurrence des empois. Et, comme je le disais, il y a bien d'autres agents gélifiants que l'on peut extraire des plantes ou des algues. Souvent, ces composés sont des polysaccharides, de la même famille que l'amidon, et pas des protéines. Ce ne sont donc pas des gélatines. Et voilà pourquoi il est fautif de parler de protéines végétales.
De surcroît, il faut que je signale que je viens de voir de ces sites qui vendent ces produits mal nommés : j'y ai vu qu'une des matières proposée sous ce nom fautif est en réalité faite de deux composés, et non pas d'un seul. Je n'ai rien à redire à ce mélange, surtout si cela donne des propriétés qu'un seul des deux composés n'aurait pas eu, mais il y a lieu d'être prudent et vigilant avec le commerce, qui est parfois déloyal, soit par ignorance soit par volonté : un mélange de composés n'est pas un gélifiant, mais un mélange de gélifiants. En l’occurrence, j'ai vu que les deux composés du mélangé à la désignation fautive étaient d'origine végétale, de sorte qu'on n'a pas à critiquer ce terme sauf à dire qu'il est un peu ambigu, car les produits sont plutôt "issus de végétaux", que "végétaux" eux-mêmes.
Est-ce ratiociner exagérément ? Je ne le crois pas, car il en va d'abord de la loyauté, de l'honnêteté. D'autre part, la discussion que nous faisons ici est en réalité une manière d'aider mes amis à choisir les outils dont ils feront usage. Il faut surtout dire que le mode d'emploi d'un gélifiant d'origine végétale, fait d'un ou de plusieurs composés, n'est pas du tout celui de la gélatine, et que l'on ferait une erreur en le mettant en œuvre de la même façon. Il y a un mode d'emploi, particulier, pas difficile, mais particulier.
Et c'est ainsi qu'avec des gélifiants variés, bien compris, bien utilisés, la cuisine sera encore plus belle !
Au fond, je fais un peu la fine bouche en critiquant mon ami, car la popularisation de l'expression "gélatine végétale" est une sorte de couronnement de mes travaux. En effet, de même que l'usage du gaz ne s'est imposé, en remplacement du charbon, quand on n'a plus eu besoin d'apposer sur les maisons l'indication « gaz à tous les étages », la cuisine moléculaire a gagné, puisqu'il y a partout, dans les cuisines, des siphons, de la basse température, et ces mêmes gélifiants, ou agents gélifiants, dont on m'accusait de vouloir empoisonner le monde avec. Ces derniers, notamment, sont vendus jusque dans les supermarchés ; ils sont si populaires que l'on en vient à les confondre avec la gélatine, qu'on les dénomme fautivement du nom de cette dernière, dont on oublie aussi qu'elle fut un jour moderne. Expliquons plus en détail.
Un peu d'histoire
Jusque dans les années 1970, on faisait les aspics ou les bavarois à partir de pieds de veau. Il fallait cuire longuement les pieds dans de l'eau chaude, puis filtrer, clarifier, etc. C'était un procédé bien long, qui suscita bientôt la création d'usines qui se mirent à extraire et vendre de la gélatine : en feuilles ou en poudre.
La gélatine ? C'est la matière gélifiante du pied de veau et d'autres tissus animaux (peaux, tendons, cartilage… ; de porc, de veau, de poule…) , de sorte que l'on n'avait plus qu'à utiliser des feuilles ou de la poudre pour obtenir, en quelques secondes, le résultat qu'on mettait auparavant des heures à atteindre.
Puis, dans les années 1980, alors que des amis chefs me disaient encore que les gélées faites à la gélatine avaient un goût (mais j'ai des preuves que ce n'était pas vrai), j'ai vu qu'il existait de nombreux autres gélifiants, d'origine végétale ceux-là : carraghénanes, alginates, agar-agar, gommes de guar, de caroube, etc. Chacun a des caractéristiques techniques particulières : au choix, on pouvait faire des gels clairs, transparents, opaques, cassants, élastiques, mous...
Bref, il me semblait que le cuisinier pouvait trouver plus de notes sur son piano qu'il y en a dans un triangle, et c'est ainsi que je me suis retrouvé un jour à aller proposer à une des principales associations de cuisiniers français d'utiliser ces produits. L'accueil fut amical, et la réponse fut négative. J'étais naïf et désolé, car, alors que je n'avais rien à vendre, que je pensais aux progrès de la profession, cette dernière me refusait mes propositions, se fermant à l'innovation, restant arquée sur une tradition dont on oublie qu'elle n'est en réalité qu'une synthèse des innovations du passé.
Ajoutons que ma proposition d'employer ces produits était une partie de ma volonté de rénover les techniques culinaires, ce que j'ai nommé "cuisine moléculaire". Oui, la cuisine moléculaire voulait seulement (OK, ce n'est pas rien) rénover les techniques culinaires, avec l'hypothèse supplémentaire que l'on fait mieux ce que l'on comprend !
Finalement, j'ai parfaitement réussi mon coup, et la cuisine moléculaire s'est merveilleusement développée, comme une application de cette discipline scientifique, branche de la physico-chimie, qu'est la gastronomie moléculaire (je répète qu'il y a une différence essentielle entre les deux : la science et la technique ne se confondent pas, et il faut être bien aveugle -volontairement ?- pour ne pas comprendre la différence).
Parlons de gélifiants d'origine végétale
Aujourd'hui, on parle donc de "gélatine végétale", et je devrais en être content, mais l’expression me choque parce qu'elle est fautive, et que cette erreur terminologique engendre des déboires techniques.
Faisant l'hypothèse qu'un bon technicien mérite de comprendre les outils qu'il emploie, et que les noms de ces outils sont importants au même titre que leurs caractéristiques, je veux expliquer pourquoi il faut parler de gélifiant végétal, et non de gélatine végétale (une gélatine végétale, cela n'existe pas !).
La gélatine n'est pas végétale : c'est une matière extraite des tissus animaux, faite de protéines de collagène, modifiées à des degrés divers par la cuisson qui les extrait des tissus animaux.
La gélatine est un agent gélifiant, ce qui signifie qu'elle permet de faire gélifier des solutions aqueuses, afin d'obtenir ce que l'on nomme des gels. La gélatine est de nature protéique, animale, et elle a des caractéristiques particulières, que les cuisiniers connaissent bien, et au nombre desquelles on compte sa capacité à fondre à une température voisine de celle de la bouche, ce qui permet d'obtenir des gels fondants, par conséquent.
Les autres gélifiants (ou agents gélifiants) ne sont pas tous des protéines. Par exemple, l'amidon, la fécule, faits de composés des catégories nommées amyloses et amylopectines, permettent de produire des gels que l'on nomme en l'occurrence des empois. Et, comme je le disais, il y a bien d'autres agents gélifiants que l'on peut extraire des plantes ou des algues. Souvent, ces composés sont des polysaccharides, de la même famille que l'amidon, et pas des protéines. Ce ne sont donc pas des gélatines. Et voilà pourquoi il est fautif de parler de protéines végétales.
De surcroît, il faut que je signale que je viens de voir de ces sites qui vendent ces produits mal nommés : j'y ai vu qu'une des matières proposée sous ce nom fautif est en réalité faite de deux composés, et non pas d'un seul. Je n'ai rien à redire à ce mélange, surtout si cela donne des propriétés qu'un seul des deux composés n'aurait pas eu, mais il y a lieu d'être prudent et vigilant avec le commerce, qui est parfois déloyal, soit par ignorance soit par volonté : un mélange de composés n'est pas un gélifiant, mais un mélange de gélifiants. En l’occurrence, j'ai vu que les deux composés du mélangé à la désignation fautive étaient d'origine végétale, de sorte qu'on n'a pas à critiquer ce terme sauf à dire qu'il est un peu ambigu, car les produits sont plutôt "issus de végétaux", que "végétaux" eux-mêmes.
Est-ce ratiociner exagérément ? Je ne le crois pas, car il en va d'abord de la loyauté, de l'honnêteté. D'autre part, la discussion que nous faisons ici est en réalité une manière d'aider mes amis à choisir les outils dont ils feront usage. Il faut surtout dire que le mode d'emploi d'un gélifiant d'origine végétale, fait d'un ou de plusieurs composés, n'est pas du tout celui de la gélatine, et que l'on ferait une erreur en le mettant en œuvre de la même façon. Il y a un mode d'emploi, particulier, pas difficile, mais particulier.
Et c'est ainsi qu'avec des gélifiants variés, bien compris, bien utilisés, la cuisine sera encore plus belle !
jeudi 20 septembre 2018
Passons à autre chose
Je vois que, depuis plusieurs mois, j'ai beaucoup discuté :
- des questions didactiques
- des questions épistémologiques
Pour le premier point, tout tient en une phrase simple : "la question n'est pas que les professeurs enseignent, mais que les étudiants étudient". Et tout le reste n'est que fioriture.
Pour le second point, j'ai donc testé mes extravagances auprès de personnes dont j'estime le jugement, et j'ai vu que mes idées étaient très largement partagées. De sorte que le problème est assez bien réglé.
Au total, je vois donc que je perdrais mon temps à poursuivre ces discussions, et que je risque de me répéter sans rien ajouter de notable. Il faut donc que je mette un terme à ces réflexions-là, pour aller sur des terrains neufs, et notamment plus scientifiques.
Bien sûr, il y aura sans doute des traînes de comète, mais ce sera mineur.
La question de lutter contre les idées fausses ? C'est perdre son temps que de chercher à convaincre ceux qui ne veulent pas être convaincus, et il faut donc négliger ceux-là.
Et ceux qui sont "naïfs"? Il suffit de répéter ce qui a été dit, raison pour laquelle je republierai périodiquement quelques billets synthétiques sur ces deux points : mes amis sauront que c'est la répétition de billets anciens, et les autres auront la possibilité de découvrir ces billets.
Allons, marchons !
- des questions didactiques
- des questions épistémologiques
Pour le premier point, tout tient en une phrase simple : "la question n'est pas que les professeurs enseignent, mais que les étudiants étudient". Et tout le reste n'est que fioriture.
Pour le second point, j'ai donc testé mes extravagances auprès de personnes dont j'estime le jugement, et j'ai vu que mes idées étaient très largement partagées. De sorte que le problème est assez bien réglé.
Au total, je vois donc que je perdrais mon temps à poursuivre ces discussions, et que je risque de me répéter sans rien ajouter de notable. Il faut donc que je mette un terme à ces réflexions-là, pour aller sur des terrains neufs, et notamment plus scientifiques.
Bien sûr, il y aura sans doute des traînes de comète, mais ce sera mineur.
La question de lutter contre les idées fausses ? C'est perdre son temps que de chercher à convaincre ceux qui ne veulent pas être convaincus, et il faut donc négliger ceux-là.
Et ceux qui sont "naïfs"? Il suffit de répéter ce qui a été dit, raison pour laquelle je republierai périodiquement quelques billets synthétiques sur ces deux points : mes amis sauront que c'est la répétition de billets anciens, et les autres auront la possibilité de découvrir ces billets.
Allons, marchons !
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