vendredi 9 février 2018

Pour mes amis berrichons : le sanciau

Le sanciau ? On nous dit de battre un jaune d'oeuf avec deux cuillerée à soupe de sucre et 100 grammes de farine, puis d'ajouter le blanc battu en neige, avant de cuire à feu très doux, en cocotte, en retournant après 25 minutes.

C'est bien cela, la cuisine classique : nous sommes invités à suivre une procédure, sans la comprendre. Je propose plutôt d'analyser, en vue d'améliorer.
Tout d'abord, l'objectif : c'est une sorte de blinis, avec une croûte dont l'épaisseur dépend de la durée de la cuisson, avec un centre foisonné qui doit être coagulé, mais aussi tendre que  possible, afin de faire un bon contraste. Blinis, donc, mais blinis sucré... et le sucre contribue à faire tenir la mousse que l'on cuit.
On pourrait aussi dire que le produit s'apparente à un soufflé cuit dans une cocotte... ou une casserole, puisque cocotte ou casserole fonctionnent de même, en l'occurrence. De sorte que le sanciau, inversement, pourrait très bien être cuit comme un soufflé, et il serait d'ailleurs un soufflé. Ce qui  doit nous conduire inmanquablement à dire que les blinis, qui sont parfois bien long à cuire un à un, dans de petites poeles, peuvent être cuits tous ensemble au four, comme des soufflés... dans des ramequins.
La confection de l'appareil (on nomme ainsi la préparation à cuire), aussi, peut être utilement modifiée. Par exemple, on aura intérêt à battre le jaune d'oeuf  avec le sucre jusqu'au  "ruban" (quand le mélange blanchit et devient lisse), à l'aide d'un fouet. Et l'on aurait intérêt à réserver la moitié du sucre pour "serrer" les blancs en neige (l'ajout de sucre les stabilise).
Pour le goût, une pincée de sel s'impose, mais, surtout, pourquoi ne pas donner du goût au sanciau : calvados, eau de fleur d'oranger, vanille, etc. ?

Une fois le système compris techniquement, les talents artistiques peuvent s'exprimer.










Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

jeudi 8 février 2018

Pourquoi Gibbs ?

Il y a déjà très longtemps, j'avais proposé une recette de "gibbs", une préparation que l'on obtient en fouettant de l'huile dans du blanc d'oeuf, afin de former une émulsion que j'ai nommée un "geoffroy", puis en chauffant cette émulsion au four à micro-ondes : en quelques secondes à dizaines de secondes, selon la puissance du four, on obtient un soufflé.

Pour le goût, il est évident qu'on aura assaisonné le blanc d'oeuf, et, de même, que l'on aura donné du goût à l'huile. Par exemple, on pourra avoir ajouté du sucre, une pincée de sel, un colorant, et l'huile pourra être une belle huile d'olive où l'on aura macéré de la vanille ou du café.  Et cette recette est encore plus facile à faire en version "note à note" : on part d'eau, on dissout divers composés, on ajoute des protéines thermocoagulables (par exemple, de la poudre de blanc d'oeuf), puis on termine la recette comme indiqué précédemment.

Le mécanisme physico-chimique ? D'abord les protéines stabilisent (relativement, toujours relativement, pour les émulsions) les gouttes d'huile dans la phase aqueuse, en se "dénaturant" : leurs parties hydrophobes viennent au contact de l'huile, et les parties hydrophiles restent dans la phase aqueuse. Puis la cuisson permet que les protéines "coagulent", qu'elles se lient par des liaisons disulfure, ce qui forme une matrice solide où l'émulsion est piégée : c'est cela, le gibbs, à savoir une émulsion gélifiée chimiquement.

Pourquoi le nom de Josiah Willard Gibbs ? 

Je l'ai donné quand j'ai commencé à donner des noms de chimistes ou de physiciens à des préparations que j'inventais : le personnage a été si important pour la physico-chimie qu'il fallait absolument qu'il ait un plat à son nom, mais il est vrai que l'attribution de son nom à ce plat particulier est un peu arbitraire. Non pas qu'elle soit usurpée : par exemple, Gibbs a effectivement publié un texte intitulé On the equilibrium of heterogeneous substances, dans les Transactions of the Connecticut Academy of Art and Sciences (vol 3, New Haven, 1874). Or l'émulsion nommée "geoffroy" prend de la stabilité (évolue vers l'équilibre, donc) quand elle est chauffée, formant manifestement un système hétérogène.

Et c'est ainsi que la chimie est belle !











Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)   

L'effet sucre

Suite à mon billet d'hier, les questions continuent, et je suis heureux de vous signaler l'effet sucre, qui est un effet très merveilleux qui se produit lorsqu'on  produit des pâtes.

Si nous prenons de la farine et de l'eau, nous voyons que nous pouvons faire une pâte. Plus  nous malaxons, plus cette pâte est dure : les molécules d'eau viennent ponter les molécules de protéines du "gluten", pour faire le réseau de gluten que l'on voit quand on fait  la lixiviation de ce pâton dans l'eau, selon l'expérience de Beccari et Kessel-Meyer du 18e siècle. Les grains d'amidon sont alors dispersés dans ce réseau "solide" de gluten.
Le système est une suspension solide.

Ajoutons du sucre : ce dernier, quand on malaxe la pâte, vient déloger l'eau de ses liaisons avec les protéines, pour faire un sirop, où les grains de farine sont dispersés... et la pâte se met à couler.
Cette fois, le système est devenu une suspension liquide.

Cet effet joue quand on fait des pâtes pour les tartes, avec du sucre : il en augmente la friabilité.


       












Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

La question de la stratégie scientifique : merci de contribuer !




Nous sommes je crois bien d'accord : le but des scientifiques est de faire des découvertes. Et, malgré les déclarations anarchistes et provocatrices de l'épistémologue Paul Feyerabend (Contre la méthode, Le seuil, 1979), les scientifiques ne font pas les choses au hasard, et ils ont des "méthodes", souvent rationnellement fondées sur la compréhension de la méthode des sciences de la nature, méthode qui innclut les étapes suivantes :
1. identification d'un phénomène
2. caractérisation quantitative de ce dernier
3. réunion des résultats de mesure en lois synthétiques
4. production de théories, par induction de mécanismes quantitativement fondés sur les lois
5. recherche de conséquences théoriques testables des théories
6. tests expérimentaux de ces conséquences théoriques

On le voit : le mouvement ainsi décrit est déjà une méthode.
Mais il y a mieux, car :
1. le ou la scientifique peut se situer à tout moment de ce grand mouvement
2. des idées stratégiques plus générales peuvent aider dans les divers mouvements élémentaires.

Ici, on rapporte le résultat de discussions personnelles avec nombre de scientifiques réputés. Les méthodes de découvertes sont données... mais non pas à des fins normatives, comme le craignait Feyerabend (il y a des gens qui ont toujours peur), mais, bien plutôt, comme des invitations positives à avancer d'un bon pas sur le chemin de la découverte

(1) Transforming adjectives and adverbs into quantitative parameters (introduction of new concepts);
2) Looking for the mechanisms of phenomena;
(3) Focusing on oddities, contradictions, discrepancies¦ and ''symptoms'';
(4) Designing new observational tools;
(5) Making science from a technical question;
(6) Refuting a theory;
(7) Solving a problem;
(8) Assuming that any fact, result, observation, phenomenonon should be considered as a particular example of general categories that we have to invent;
(9) Looking behind the ordinary: this means not accepting what was accepted;
(10) Making the contrary of what was always proposed;
(11) Looking deeply enough to what an experiment can reveal, and work deep enough to see the impact.
(12) C'est bien de voir l'arbre, mais il faut aussi voir la forêt  (JM Lehn)

Surtout, cette liste est en constitution : si vous avez connaissances d'autres possibilités, merci de me les envoyer, afin que nous ayons un corpus à transmettre aux jeunes scientifiques et à nous-mêmes :
icmg@agroparistech.fr






Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)