Le soliloque ? C'est, pour le dictionnaire, le fait de parler à voix haute, quand on est un enfant qui fait une tâche difficile. J'interprête que l'enfant focalise l'ensemble de sa pensée sur la difficulté, et je déduis que les mots sont importants pour la pensée, ce que n'aurait pas ni l'abbé de Condillac.
Mais la "méthode du soliloque" est aussi une de mes trouvailles (je ne prétends pas que d'autres n'aient pas quelque chose d'analogue, mais je n'en ai pas connaissance), qui permet à la fois de penser, d'écrire, de parler.
De quoi s'agit-il ? Je me suis inspiré de Denis Diderot (qui n'a jamais produit, à ma connaissance toujours, de méthode analogue à celle que je discute ici), qui, dit-on, était inmanquable : quand on entrait dans un café où Diderot se trouvait, on le repérait immédiatement, parce qu'il gesticulait, haranguait son entourage avec feu... Dans l'Encyclopédie, il est nécessairement plus calme, mais le feu est alors intellectuel. Et, surtout, sa correspondance nous le montre vif argent. Comment a-t-il pu écrire autant ? Sur tant de sujet ? Certes, il s'est mis en condition de le faire, mais j'imagine aussi qu'il devait avoir une méthode intime, et, puisque je ne connais pas cette méthode, je l'ai inventée... et c'est cela que j'ai nommé la méthode du soliloque.
De quoi s'agit-il ? Il s'agit de reconnaître que notre esprit est encombré de mille idées variées, et que, pour penser, il nous faut nous focaliser sur une idée seulement. Ce qui me fait penser que, quand les enseignants disent à des élèves ou étudiants "concentrez-vous", l'injonction est bien étrange, car comment faire pour se concentrer ? La méthode du soliloque est une réponse.
J'y reviens, donc : notre esprit est plein d'idées disparates qui sont en concurrence (les impôts, le plombier, un rendez vous à organiser, penser à ses clefs...) et cela nous gêne pour penser. Si nous parlons (à voix haute, dans un dictaphone) ou si nous écrivons, alors un seul mot sort à la fois, et si nous avons ce mot sous les yeux (parce que nous écrivons ou parce qu'un logiciel de reconnaissance vocale nous le transcrit), alors nous pouvons fixer plus facilement notre attention.
Voilà pour la première moitié de la méthode. La seconde moitié, c'est de considérer chaque mot qui est déjà émis, et de l'analyser, de tous les points de vue qui sont en notre possession... et c'est là où la "culture" est essentielle. Analysant, d'autres mots sont émis, qui seront analysés à leur tour, et se constituera ainsi un discours que nous pourrons ultérieurement ordonner.
Bien sûr, cette méthode foisonnante fait risque le bourgeonnement baroque excessif, mais à nous, ensuite, d'ordonner, de construire a posteriori.
Je passe sur des tas de détails de la méthode, car je n'en fais pas ici un cours, mais je m'arrête sur une observation : n'est-il pas merveilleux que, ainsi, la pensée sécrète la pensée ?
Pour celles et ceux qui sont intéressés par cette question, il y aura à considérer les discussions sur le langage... et c'est ainsi que, parti de Condillac, on y revient !
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
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samedi 22 août 2015
mercredi 27 juin 2012
Je crois que j'en ai déjà parlé, mais j'ai affiné la réflexion
La
terrible question de la stratégie de la recherche scientifique
Hervé
This
14
juin 2012
Les scientifiques sont en quête de
« découvertes ». C'est bien d'accord. Toutefois on
ignore trop souvent combien la question est difficile.
Une découverte ? Si l'on savait à
l'avance ce que l'on doit découvrir, et comment le découvrir, la
découverte n'en serait pas une. Si l'on avait une méthode, une
stratégie, une tactique simplement, voire une recette, les choses
seraient si simples !
A l'analyse de l'histoire des sciences,
je crois au contraire que nous n'avons pas cela, et il semble utile
de le dire publiquement, notamment aux jeunes qui s'engagent dans la
voie des sciences (si par hasard vous avez quelque chose à proposer,
n'hésitez pas à me le faire partager!).
Examinons, par exemple, la
découverte de l'iode, par Bernard Courtois (1777-1838) : c'est
en préparant du salpêtre pour l'armée qu'il est conduit à
utiliser des cendres de varech, et que, chauffant ces dernières, il
est étonné par l'apparition d'étranges vapeurs violettes, qu'il
découvre un nouvel élément, l'iode.
Pour la mécanique quantique, idem :
alors que les physiciens étaient triomphants, qu'ils croyaient avoir
atteint le maximum de connaissances sur le monde, il fallut que l'on
s'intéresse à une prévision expérimentale réfutée par
l'expérience (en gros, comment un fer à cheval chauffé dans une
forge émet de la lumière)... pour découvrir finalement, au terme
d'un très long accouchement, que la théorie que l'on avait du
comportement de la matière était parfaitement fautif.
Faisons bref, et renvoyons ceux qui le
souhaitent au merveilleux livre de Jean Jacques : L'imprévu, ou
la science des objets trouvés (Le seuil, 1999), ou encore aux
oeuvres complètes de Louis Pasteur, pour qui la chance ne sourit
qu'aux esprits bien préparés.
En pratique, comment le
scientifique peut-il se comporter, pour faire des découvertes ?
Quelle stratégie peut-il avoir ? Bien peu nous a été transmis
à ce sujet, parce que cela se saurait depuis longtemps s'il y avait
une « recette » de la découverte.
En discutant avec quelques
scientifiques reconnus pour leur « réussite » (en termes
de découverte, pas en terme de « carrière »;- ) ),
je crois que la quasi seule monition soit de traquer le symptome, le
modèle qui ne colle pas à la théorie en vigueur, ou encore la
généralisation d'un cas particulier (voir le Cours de gastronomie
moléculaire N°1, où cela est abondamment discuté).
Au total, il faut donc surtout
constater que nous sommes bien démunis, stratégiquement, et que
bien prétentieux serait celui qui dirait avoir une autre recette
qu'une activité soutenue, attentive.
(mais je me trompe
peut être)
Je propose la métaphore suivante :
Le scientifique est dans un paysage
vallonné.
Derrière lui, tout est clair, et l'on
voit des montagnes qui, dans notre comparaison, représentent les
découvertes.
En revanche, devant lui, tout est
embrumé, au point de ne pas voir à quelques pas devant soi.
Le scientifique est à la recherche de
montagnes qu'il ne voit pas, donc. Comment peut-il faire ?
Comparaison n'est pas raison, mais
quand même. Ce qui semble...clair, tout d'abord, c'est que
l'immobilité ne conduit à rien. Il faut avancer, pour avoir quelque
chance de rencontrer une montagne.
Ce qui semble clair, aussi, c'est que
tout pas fait dans une direction où ça monte semble plus favorable
qu'un pas fait vers la descente... bien que cela ne soit pas une
garantie : il se pourrait qu'une petite montée (minimum local)
soit suivie d'une grand descente.
Si l'on admet qu'il y a quelque espoir
dans le début d'une montée, si l'on admet que « Dieu n'est
pas malicieux » au point de mettre des descentes derrière
toute montée, le scientifique doit absolument se raccrocher aux
« symptômes », aux ignorances, aux moments où ça
coince, puisque les deux exemples donnés plus haut (et mille autres
que je ne donne pas) indiquent que c'est ainsi que se sont faites des
découvertes importantes...
Evidemment, à côté des découvertes
de l'iode et des autres particularités de notre monde, il y a aussi
la découverte de formalismes, de cadres théoriques (la chimie
supramoléculaires, la matière molle...), mais c'est là un autre
type de découvertes (à ne pas négliger bien sûr, mais dont la
discussion stratégique doit se faire différemment).
Des propositions ?
vendredi 25 février 2011
Pesons trois fois : à l'attention de mes amis enseignants, de l'Ecole à l'Université!
Peser ? Cela semble simple, mais l'est-ce vraiment ?
La réponse est un "oui" puissant, parce que c'est un parti-pris que je propose de tout considérer comme simple a priori.
En revanche, je ne dis pas que tout s'apprend en claquant des doigts : il faut parfois de l'application, du temps.
Peser échapperait-il à la règle ? Je crois que non.
Et j'invite tous les enseignants à ne jamais laisser un étudiant peser une fois seulement, surtout si :
- la balance n'a pas été contrôlée récemment
- on n'a pas vérifié que la balance a été contrôlée
- on n'a pas vérifié l'horizontalité de l'appareil, à l'aide du niveau à bulle
- on n'a pas testé un "étalon secondaire", dont on connaît la masse
Cela étant, ces vérifications étant faites, une mesure unique n'est pas suffisante, parce que l'on sait que les instruments sont imprécis, et qu'il faut au minimum trois pesées du même objet (oui, cela peut être un liquide : les mesures de masse sont bien plus précises que les mesures de volume) pour avoir une idée de la qualité de la mesure.
Autrement dit, pesons toujours trois fois !
La réponse est un "oui" puissant, parce que c'est un parti-pris que je propose de tout considérer comme simple a priori.
En revanche, je ne dis pas que tout s'apprend en claquant des doigts : il faut parfois de l'application, du temps.
Peser échapperait-il à la règle ? Je crois que non.
Et j'invite tous les enseignants à ne jamais laisser un étudiant peser une fois seulement, surtout si :
- la balance n'a pas été contrôlée récemment
- on n'a pas vérifié que la balance a été contrôlée
- on n'a pas vérifié l'horizontalité de l'appareil, à l'aide du niveau à bulle
- on n'a pas testé un "étalon secondaire", dont on connaît la masse
Cela étant, ces vérifications étant faites, une mesure unique n'est pas suffisante, parce que l'on sait que les instruments sont imprécis, et qu'il faut au minimum trois pesées du même objet (oui, cela peut être un liquide : les mesures de masse sont bien plus précises que les mesures de volume) pour avoir une idée de la qualité de la mesure.
Autrement dit, pesons toujours trois fois !
dimanche 16 mai 2010
Vive les "Matériels et Méthodes"
L'examen d'un article d'Antoine Laurent de Lavoisier consacré aux bouillons de viande est troublant, parce que les données sont "ajustées" : Lavoisier a mesuré la densité des bouillons de viande, et il a cherché une relation entre ces densités et la quantité de matière sèche dans les bouillons. Jusque là, rien de particulier.
Sauf que Lavoisier donne des densités avec six chiffres décimaux, qu'un calcul d'incertitudes bien fait montre hors d'atteinte par la méthode qu'il avait utilisée, et que le quotient des densités par les matières sèches montre une relation exacte, absolument exacte, entre les deux séries de données, ce qui n'est pas possible.
Toutefois, je ne propose pas de démolir ici Lavoisier, dont l'article en question révèle en réalité le génie, mais plutôt de considérer pourquoi des imbéciles comme nous sont en mesure, aujourd'hui, de discuter l'article : nous sommes des nains perchés sur les épaules des géants.
La lecture de l'article, essentiellement, montre que la science a considérablement progressé en réclamant de ceux qui la pratiquent une partie intitulée "Matériels et Méthodes", où tout est décrit : les matériels, leurs caractéristiques, les raisons du choix de ces matériels, les produits, les méthodes, les raisons du choix des produits et des méthodes... Tout!
N'est-ce pas une garantie que l'on n'a pas fait les choses au hasard, et, donc, que l'on a fait du mieux que l'on pouvait? L'exercice est parfois fastidieux, mais si les "rapporteurs" des publications sont des gens bienveillants (il faudra un billet à ce sujet), alors nous sommes poussés à faire bien, ce qui est quand même une grande satisfaction : la vertu est sa propre récompense!
Chérissons donc les "Matériels et Méthodes", comprenons que c'est un acquis de la science moderne... et généralisons : dans nos activités, ne pourrions-nous pas nous comporter selon cette idée? Nos comportements s'en trouveraient un peu rationalisés, et des choix arbitraires apparaîtraient mieux. Après tout, on a le droit de dire "j'aime".
Sauf que Lavoisier donne des densités avec six chiffres décimaux, qu'un calcul d'incertitudes bien fait montre hors d'atteinte par la méthode qu'il avait utilisée, et que le quotient des densités par les matières sèches montre une relation exacte, absolument exacte, entre les deux séries de données, ce qui n'est pas possible.
Toutefois, je ne propose pas de démolir ici Lavoisier, dont l'article en question révèle en réalité le génie, mais plutôt de considérer pourquoi des imbéciles comme nous sont en mesure, aujourd'hui, de discuter l'article : nous sommes des nains perchés sur les épaules des géants.
La lecture de l'article, essentiellement, montre que la science a considérablement progressé en réclamant de ceux qui la pratiquent une partie intitulée "Matériels et Méthodes", où tout est décrit : les matériels, leurs caractéristiques, les raisons du choix de ces matériels, les produits, les méthodes, les raisons du choix des produits et des méthodes... Tout!
N'est-ce pas une garantie que l'on n'a pas fait les choses au hasard, et, donc, que l'on a fait du mieux que l'on pouvait? L'exercice est parfois fastidieux, mais si les "rapporteurs" des publications sont des gens bienveillants (il faudra un billet à ce sujet), alors nous sommes poussés à faire bien, ce qui est quand même une grande satisfaction : la vertu est sa propre récompense!
Chérissons donc les "Matériels et Méthodes", comprenons que c'est un acquis de la science moderne... et généralisons : dans nos activités, ne pourrions-nous pas nous comporter selon cette idée? Nos comportements s'en trouveraient un peu rationalisés, et des choix arbitraires apparaîtraient mieux. Après tout, on a le droit de dire "j'aime".
mardi 27 avril 2010
Nécessaire, mais pas suffisant
Cette fois, je fais état de mes insuffisances (rassurons-nous, je me soigne... Par le travail) : je viens de comprendre pourquoi la réfutabilité de Carl Popper n'était pas satisfaisante. Du coup, j'en fais profiter des amis qui n'ont pas le temps ou le goût d'aller se plonger dans des oeuvres épistémologiques parfois bien absconses.
En réalité, je n'ai rien contre Carl Popper, bien au contraire, et la réfutabilité qu'il demande aux sciences me semble tout à fait bien... puisque la méthode scientifique, c'est :
- l'observation d'un phénomène
- la caractérisation quantitative de ce phénomène identifié et choisi comme objet d'études
- la synthèse de certaines des données en "lois"
- la recherche de mécanismes, c'est-à-dire d'explications associées à ces lois
- par déduction, la préparation de prévisions expérimentales, en vue de réfuter la théorie obtenue par réunion des lois
- le test expérimental de la prévision expérimentale
- et ainsi de suite.
Cette description est évidemment simple, voire simpliste... mais pas tant que cela. Et puis, elle est utile, pour commencer, non?
Elle aurait notamment éviter à certains des mes interlocuteurs récents d'opposer induction et déduction, en science : la description précédente montre qu'il faut évidemment les deux!
Elle montre que la réfutabilité est bien essentielle, en science, puisque nous ne sommes pas là pour croire à des théories, modèles réduits de la réalité qui ne peuvent se confondre avec elle (par définition), mais pour produire des théories fausses que nous affinons à l'infini.
Elle montre aussi que la science ne se résume pas à la réfutabilité : il y a notamment toute les étapes précédentes. La réfutabilité est nécessaire, pas suffisante.
Mais à nouveau, il y a la question de la "science" : laquelle? Pas la science politique, pas la science du maître d'hôtel (titre d'un livre de cuisine classique)... La science dite "dure", pour laquelle nous devons trouver un nom approprié.
Cherchons!
En réalité, je n'ai rien contre Carl Popper, bien au contraire, et la réfutabilité qu'il demande aux sciences me semble tout à fait bien... puisque la méthode scientifique, c'est :
- l'observation d'un phénomène
- la caractérisation quantitative de ce phénomène identifié et choisi comme objet d'études
- la synthèse de certaines des données en "lois"
- la recherche de mécanismes, c'est-à-dire d'explications associées à ces lois
- par déduction, la préparation de prévisions expérimentales, en vue de réfuter la théorie obtenue par réunion des lois
- le test expérimental de la prévision expérimentale
- et ainsi de suite.
Cette description est évidemment simple, voire simpliste... mais pas tant que cela. Et puis, elle est utile, pour commencer, non?
Elle aurait notamment éviter à certains des mes interlocuteurs récents d'opposer induction et déduction, en science : la description précédente montre qu'il faut évidemment les deux!
Elle montre que la réfutabilité est bien essentielle, en science, puisque nous ne sommes pas là pour croire à des théories, modèles réduits de la réalité qui ne peuvent se confondre avec elle (par définition), mais pour produire des théories fausses que nous affinons à l'infini.
Elle montre aussi que la science ne se résume pas à la réfutabilité : il y a notamment toute les étapes précédentes. La réfutabilité est nécessaire, pas suffisante.
Mais à nouveau, il y a la question de la "science" : laquelle? Pas la science politique, pas la science du maître d'hôtel (titre d'un livre de cuisine classique)... La science dite "dure", pour laquelle nous devons trouver un nom approprié.
Cherchons!
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