dimanche 1 avril 2018

samedi 31 mars 2018

Jamais de mesures sans estimation des incertitudes

Ce matin, je reçois une revue qui milite pour une filière alimentaire, et, notamment, intervient dans un débat public à propos d'un de ses produits. On comprend que, dans une telle circonstance, les arguments doivent être particulièrement forts.

Or voici le genre de schémas qui figurent dans un article, où un scientifique est invité à venir à l'appui de la profession qui se défend  :

 


C'est contre productif... parce que les données ne sont assorties d'aucune intertitude, mesurée ou estimée.
Expliquons.

Quand on donne une valeur, on s'expose évidemment à ce que nos interlocuteurs, s'ils n'ont pas un pois chiche à la place du cerveau, commencent par s'interroger sur la validité de la valeur, avant d'en chercher la signification. La question est la même qu'à propos de la "couleur d'un carré rond", discutée dans un autre billet : ne cherchons pas à caractériser ce qui n'existe pas !
En l'occurrence, les mesures ont été... mesurées, et c'est l'instrument de mesure qui détermine leur précision. Oui, précision, car le plus souvent, et surtout dans des débats tels que celui que j'évoque, il y a une estimation, et non pas une valeur exacte. Par exemple, dans l'article évoqué, il est question du nombre de fractures évitées : cela ne se mesure pas, mais s'estime seulement. Pour d'autres cas, on peut avoir des mesures, telle la mesure d'une masse, à l'aide d'une balance nécessairement imprécise. Ou bien des estimations à partir de déterminations sur des échantillons.

 Bref, la science veut que tout nombre soit assorti d'une estimation de l'incertitudes, soit que cette estimation soit égale à l'incertitude de l'instrument de mesure, soit qu'elle soit déterminée par la répétition de plusieurs mesures.

Evidemment, quand on communique les résultats des mesures, il y a lieu de donner ces estimations des incertitudes, sans quoi, d'ailleurs, il y a mensonge : on laisse penser que la précision est celle que l'on affiche. Et, d'ailleurs, c'est une bonne pratique que celle des chiffres, et que j'invite mes amis à découvrir sans tarder s'ils ont quelques doutes à leur propos.
Sur un diagramme, les points doivent avoir une taille égale à l'incertitude. Sur un histogramme, on doit faire figurer  des valeurs hautes ou basses. Et ainsi de suite.

Sans quoi, nous sommes en position de considérer sur les données fournies ne valent rien : imaginez qu'elles aient été obtenues par un incapable !

vendredi 30 mars 2018

Pour Pâques, des Lammala

En Alsace, pour Pâques, on sort un moule fait de deux moitiés tenues par des crochets métalliques, et qui reproduisent une forme d'agneau.Et l'on sert ces Lammala (agneaux), très délicats au petit déjeuner, au déjeuner, au goûter, au diner, bref, à toute occasion, même quand il n'y a pas de raison.

La recette ?
 Pour un agneau, voici :

1. Dans un premier temps, clarifier  3 œufs.
2. Faire blanchir les 3 jaunes d’œufs avec 60 g de sucre semoule et un sachet de sucre vanillé,  puis ajouter le zeste d'un demi citron.
3. Monter les 3 blancs d'œufs en neige, puis continuer de les battre avec 30 g de sucre semoule et 1 pincée sel.
4. Mélanger délicatement les blancs en neige aux jaunes blanchis.
5. Ajouter 100 g de farine et 50 g de fécule (ou maizena) et mélanger délicatement ; certains ajoutent de la poudre levante... mais est-ce bien nécessaire ?
6. Beurrer généreusement le moule, le saupoudrer de farine puis le fermer   avec le crochet
7. Y verser la pâte.
8. Enfourner le Lamala à 180°C pendant 35 à 40 minutes.
9. Une fois la cuisson finie, patienter 5 minutes avant de  démouler (ne pas attendre le refroidissement complet).
8. Saupoudrez le Lammala de sucre glace

lundi 26 mars 2018

La cuisine "traditionnelle" : un art populaire

La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique, ai-je dit. Et je ne me renie pas :
- il y a certainement une question technique : tailler des légumes en brunoise, faire gonfler un soufflé, mouler des quenelles, parer un poisson...
- mais il y a la question de faire "bon", c'est-à-dire "beau à manger" : c'est là une question artistique
- et l'on cuisine pour autrui : à défaut d' "amour", qui est une volonté personnelle, il y a en tout cas du lien social, car ce n'est pas rien d'accepter de mettre dans notre corps une préparation d'autrui.


Tout cela étant dit, je reviens au deuxième terme, à savoir  la question de l'"art" culinaire, et de ses relations avec l'artisanat. Cette question me taraude depuis longtemps, car si certains cuisiniers sont certainement des artistes, avec cette volonté de produire du nouveau, bien souvent les cuisinières et les cuisiniers, domestiques ou de restaurant, restent étonnamment collés à des préparations anciennes, de sorte que l'on pourrait penser à de l'artisanat. Et là, la limite est floue, car bien des artisans veulent faire "beau", tout comme des artistes.

Où se met la limite ? Pour l'artisanat, souvent le beau se limite à du  "bien fait", mais dans certains artisanats, il y a plus : ce tour de main personnel qui fait échapper à la reproduction selon des canons strictement professionnels. Notamment, en cuisine, on voit bien le cuisinier ou la cuisinière ajouter sa "patte" : une écorce d'orange ou de pamplemousse dans une blanquette, un croûton grillé dans une daube, quelques raisins secs dans un ragoût...
De quelle nature est cette activité, alors ? Comment se situe-t-elle par rapport à l'art ? Si le bon est le beau à manger, alors c'est bien de beau qu'il est question en cuisine. Mais le beau relève-t-il seulement de l'art ? Je crois qu'une piste est l'idée d'art populaire.

Une petite recherche montre que ce que l'on qualifie d'art populaire s'applique aux objets de la vie quotidienne soit fabriqués artisanalement, soit fabriqués par le public, le "peuple".
Dans un texte, j'ai vu que les fondateurs du Musée National des Arts et Traditions populaires de Paris (1937) avaient initalement voulu le nommer « Musée du Folklore » ; ils oeuvraient  dans la continuité des éditeurs et des auteurs de l'Encyclopédie, dont la véritable innovation fut de mêler des sujets parfaitement scientifiques à des sujets plus techniques, ce que Denis Diderot nommait les « arts mécaniques », dont il voulait une description ethnographique : avec d'Alembert, Diderot insista pour que des dessinateurs représentent en détail les machines et les gestes des ouvriers, interrogent les maîtres artisans.
Dans le même esprit, André Thouin (1747-1824), qui fut jardinier du roi et professeur d'agriculture, fit fabriquer des modèles réduits d'outillages et de machines agricoles. Puis, à la Révolution,  l'abbé Grégoire (Henri Grégoire, 1750-1831) explora les patois et mœurs des gens de la campagne », afin d'accélérer les échanges entre la ville et la province.
A la Révolution française, la fin de l'Académie royale marque la fin des premières études folkloriques institutionnelles en France, tandis que la vogue des voyages conduit à des accumulations de souvenirs, observations et témoignages. Le baron Isidore Taylor (1789-1879) publie, de 1820 à 1863, vingt-quatre volumes de Voyages pittoresques et romantiques de l'ancienne France, où il décrit les monuments, les mœurs des populations et les costumes régionaux. La vie paysanne est également attestée par des peintres et par des écrivains (Millet, Balzac, George Sand...).
D'autres pays ne souffrent pas du coup d'arrêt de la Révolution française. Par exemple, l'Allemagne élabore le concept de Volk (« peuple »), accompagné du Volkstum, « pensée et sentiment populaires », et du  Volkskunde, « culture populaire ». Ici, le terme « populaire » évoque le peuple non pas comme la partie de la population exclue de la culture dominante, mais dans une acception historique.
En Angleterre, on parle de « folklore » (de folk, « peuple », et de lore, « savoir ») : ici, le mot « peuple » désigne les classes populaires de la société. Le terme « folklore » ne sera adopté par la France qu'un demi siècle plus tard.
Et, à la fin du 19e siècle, les études folkloriques fleurissent, portées par les nationalismes :  littérature orale, musique, artefacts… En France, Paul Sébillot, Pierre Saintyves et Charles de Sivry,  niment la Revue des traditions populaires, publiant un Folklore de France.
Enfin la culture populaire est  vraiment reconnue en 1937, avec la création à Paris du Musée National des Arts et Traditions populaires. Les objets considérés comme œuvres de la culture populaire appartiennent à tous les domaines, et l'on distingue que les productions populaires ont deux sources : la fabrication domestique et le savoir-faire des artisans. Après plus de 70 ans d'existence, il a fermé en 2005, et ses collections ont été transférées au Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (MuCEM), qui a ouvert le 7 juin 2013 à Marseille.

Tout cela est éclairant : je propose de distinguer de l'art culinaire savant, et de l'art culinaire populaire, dont relèvent l'artisanat et le beau que nous produisons dans nos cuisines, à la maison. Et j'en reviens à des définitions que je donnait naguère : dans un cas, il y a l'oeuvre unique, alors que, dans l'autre cas, il y a la répétition avec des variations, mais selon des canons pas remis en cause (une blanquette, c'est du veau revenu, avec lait, crème, champignons de Paris ; du coq au vin, c'est du coq avec du vin, garniture aromatique...).

Mousses...

Ce matin, un groupe d'étudiants m'interroge, à propos d'un travail qu'ils font dans le cadre des TIPE (Travaux d’Initiatives Pratique Encadrés), à propos de mousses en cuisine.
Leur travail est louable : ils se préoccupent d'alimentation des personnes âgées, et veulent faire -je schématise- une mousse à paratir de viande et de d'une mousse de blanc en neige.
Amusant que cela m'arrive précisément alors que je viens de finir un texte (pour la revue Charcuterie et gastronomie) où je discute précisément le fait que les quenelles peuvent être des systèmes foisonnés comme les soufflés, comme je l'ai compris après notre avant dernier séminaire.

Bref, nos jeunes amis me disent  :

 
Après avoir réalisé de nombreux tests afin de trouver la composition idéale de la mousse, nous avons pu déterminer qu'il fallait 6 blancs d’œufs (pour un œuf d'un poids moyen de 60 grammes) et 30 g de blancs de poulets cuits préalablement afin d’avoir une mousse consistante.
Cependant, cette composition est très riche en œuf, et la tenue de notre mousse n'est pas idéale. C'est pourquoi nous voudrions vous poser les questions suivantes :
-  Quels nutriments artificiels seraient-ils judicieux d'ajouter à la composition de notre mousse afin de diminuer la teneur importante en blanc d’œuf ?
-  Est-il possible de diminuer la teneur en blanc d’œuf sans altérer l'aspect et le maintien de la mousse ?

-  Existe-il des agents stabilisants ou des techniques permettant de garder une tenue suffisante de la mousse afin de la conserver ?






Quarante litre de blancs en neige à partir d'un oeuf

Dès le début de leur message, je butte sur le mot "idéale", parce que c'est un adjectif, et que l'objectif qui permettrait de mesurer cette idéalité n'est pas donné.
Bref, nos amis ont produit une préparation de 30 grammes de poulet broyé (je suppose) et de six blancs d'oeufs, sans doute battus en neige. J'imagine donc  une mousse très volumineuse (environ deux litres de mousse), dont nos amis me disent qu'elle est riche en oeuf... ce qui est une évidence, puisque l'oeuf, c'est de l'oeuf.
Mais pourquoi ne parlent-ils pas plutôt de protéines et d'eau ? La viande, c'est environ 25 pour cent de protéines et 75 pour cent d'eau, tandis que le blanc, c'est 10 pour cent de protéines et 90 pour cent d'eau.
D'autre part, veulent-il  réduire la proportion de protéines d'oeuf ? C'est alors facile, quand on prépare un "geoffroy", c'est-à-dire un oeuf très foisonné... et je rappelle que nous avons obtenu plus de 40 litres de mousse à partir d'un seul blanc d'oeuf, soit environ 3 grammes de protéines.
Comment ? En réfléchissant que de l'oeuf en neige, c'est une solution aqueuse de protéines que l'on a foisonné. Combien de mousse peut-on obtenir avec un blanc ? Puisque le blanc d'oeuf est fait de protéines et d'eau, et que, classiquement, l'ajout d'air ne procure qu'un petit tiers de litre de mousse, c'est que manquent soit l'eau, soit les protéines, soit l'air.
Or l'air ne manque pas... et l'expérience qui consiste à ajouter de l'eau montre que c'est l'eau qui manque... ce qui a constitué la base d'un "atelier" des "Ateliers expérimentaux du goût", à l'attention de l'Education nationale (école, collèges, lycées, lycées professionnels, centres de formation des apprentis) :
http://www2.agroparistech.fr/Les-Ateliers-experimentaux-du-gout.html
Bref, il est facile de réduire la quantité de protéines dans une mousse !

Mais il y a d'autres solutions à... foison ;-)

Cette question des oeufs n'est pas le fin mot de l'histoire, car nos amis pourraient faire foisonner le poulet sans ajouter des oeufs, mais ils pourraient également produire une de mes inventions que j'avis nommé "würtz" : l'idée est de dissoudre un peu de gélatine dans un liquide, puis de fouetter pour faire foisonner. Ensuite, on statilise la mousse en la mettant au froid. Evidemment, le liquide mérite d'avoir du goût, comme je le dis ici, notamment :
http://hervethis.blogspot.fr/2017/12/les-wurtz.html
Ou encore ici :
http://www.pierre-gagnaire.com/pierre_gagnaire/travaux_detail/48

Bref, plein de solution pour des mousses de protéines.
Mais, au fait, savez-vous qu'il y d'autres agents foisonnants que les protéines ? C'est une autre histoire, qui sera contée une autre fois.






jeudi 22 mars 2018

Des sablés à l'oeuf cuit

Un sablé, c'est... sablé

Certaines recettes de sablés peuvent se faire avec jaune d’œuf cuit, sucre, beurre et farine. Quelle différence par rapport à des recettes qui utilisent du  jaune d’œuf cru ?

 Un sablé, c'est un petit gâteau qui doit être sablé, c'est-à-dire friable. Si l'on n'utilisait que de la farine et de l'eau pour le faire, alors, en travaillant, on produirait un réseau protéique (de "gluten"), qui ferait un produit plus ou moin dur ou mou selon la quantité d'eau. Car, en présence d'eau, la farine chauffée s'empèse, puis l'empois qui sèche fait un matériau cohésif, dur.  Le sucre que l'on ajoute, lui, dégrade le réseau protéique du gluten, par l'effet sucre, que j'ai déjà expliqué ailleurs. Il contribue à faire une croûte, en même temps qu'il réagit.  L'oeuf ? Il apporte à la fois de la matière grasse, de l'eau, et des protéines qui coagulent, et font un second réseau, en plus du premier. Mais un réseau assez mou : pensons à un oeuf sur le plat.  Enfin le beurre se disperse sous la forme de gouttelettes, qui donnent du moelleux... mais, en outre, il forme une sorte de ciment entre les grains de farine, quand sa quantité est suffisante.

Il y a mille recettes différentes, et le système final dépend des proportions des divers ingrédients... mais connaissez vous ma recette de sablés à la farine torréfiée ? On fait griller de la farine, dans une poêle ou sous la salamandre, puis on ajoute oeuf, beurre, et sucre. C'est prêt... mais on peut aussi recuire un peu pour faire une croûte.

Au fait, et l'oeuf cuit ? Il libère un peu plus d'hydrogène sulfuré (goût), mais il ne forme mas ce réseau mou qui pourrait s'ajouter.