dimanche 16 mai 2010

Vive les "Matériels et Méthodes"

L'examen d'un article d'Antoine Laurent de Lavoisier consacré aux bouillons de viande est troublant, parce que les données sont "ajustées" : Lavoisier a mesuré la densité des bouillons de viande, et il a cherché une relation entre ces densités et la quantité de matière sèche dans les bouillons. Jusque là, rien de particulier.
Sauf que Lavoisier donne des densités avec six chiffres décimaux, qu'un calcul d'incertitudes bien fait montre hors d'atteinte par la méthode qu'il avait utilisée, et que le quotient des densités par les matières sèches montre une relation exacte, absolument exacte, entre les deux séries de données, ce qui n'est pas possible.

Toutefois, je ne propose pas de démolir ici Lavoisier, dont l'article en question révèle en réalité le génie, mais plutôt de considérer pourquoi des imbéciles comme nous sont en mesure, aujourd'hui, de discuter l'article : nous sommes des nains perchés sur les épaules des géants.

La lecture de l'article, essentiellement, montre que la science a considérablement progressé en réclamant de ceux qui la pratiquent une partie intitulée "Matériels et Méthodes", où tout est décrit : les matériels, leurs caractéristiques, les raisons du choix de ces matériels, les produits, les méthodes, les raisons du choix des produits et des méthodes... Tout!

N'est-ce pas une garantie que l'on n'a pas fait les choses au hasard, et, donc, que l'on a fait du mieux que l'on pouvait? L'exercice est parfois fastidieux, mais si les "rapporteurs" des publications sont des gens bienveillants (il faudra un billet à ce sujet), alors nous sommes poussés à faire bien, ce qui est quand même une grande satisfaction : la vertu est sa propre récompense!

Chérissons donc les "Matériels et Méthodes", comprenons que c'est un acquis de la science moderne... et généralisons : dans nos activités, ne pourrions-nous pas nous comporter selon cette idée? Nos comportements s'en trouveraient un peu rationalisés, et des choix arbitraires apparaîtraient mieux. Après tout, on a le droit de dire "j'aime".

vendredi 30 avril 2010

Emerveillement

Pardon, je m'aperçois que j'ai omis d'ajouter ma voix au concert de ceux qui clament que le calcul différentiel et intégral est une base de la science.

Comment apprendre ces calculs? Il y a mille livres, mais ce serait quasi criminel de ne pas signaler l'existence du livre qui, sous ce titre de "Calcul différentiel et intégral", a été préparé par N. Piskounov.

Le livre était naguère publié par les éditions Mir (Moscou), en français, mais il reste disponible aujourd'hui, chez un éditeur français que vous trouverez facilement sur Google.

Ne manquons la lecture émerveillée (mais critique) de ce livre remarquable, qui a aidé quelques générations d'étudiants, et pourra encore rendre des services à des foules.

Le calcul différentiel et intégral? Mais c'est très simple, ainsi.

mercredi 28 avril 2010

Classements

Une revue britannique a la prétention de régir le monde culinaire en émettant chaque année un classement des cuisiniers. Permettez moi de vous inviter à ne même pas chercher quelle revue fait cela... car leur classement est idiot, d'année en année. Même, comment faire parler de soi quand on est malhonnête? En prétendant à l'honnêteté et en faisant un classement idiot.

Je propose ici de faire l'impasse absolue sur ce classement (j'ai même été trop loin en évoquant une revue britannique), et de cesser toute collaboration (au sens le plus terrible du terme : pensons à la Seconde Guerre mondiale) avec cette revue.

Au fait, qui est "mieux", en musique : Bach? Mozart? Debussy? Eric Clapton? U2? Et en peinture : Rembrandt? Delacroix? Shitao? Et en sculpture : Jeanclos? Rodin? Bartholdi?

Sans compter que la "compétence" des votants est en cause... et que la vérité n'est pas démocratique : un vote de un million de personnes contre moi ne pourra me faire penser que 2+2=5!

Cessons donc la collaboration ; ne dénonçons même plus les classements idiots, et faisons des listes de splendides artistes culinaires.

Dans mon cas, il est notoire que j'aime la cuisine de :
Pierre Gagnaire, Michel Bras, Michel Guérard, Paul Bocuse, Pascal Barbot, Pierre Dominique Cécillon, François Pasteau, Grant Achatz, Patrick Terrien, Emile Jung, Denis Martin, Daniel Boulud, Jean-Pierre Curtat, Wylie Dufresnes, Guy Martin, Koji Shimomura, Sang Hoon Degeimbre, Christian Conticini, Philippe Conticini, Paul Minchelli, Claude Peyrot, Bernard Pacaud, Joel Robuchon, Gérard Vié, Alain Passard, Benoit Guichard, Daniel Vézina, Alain Ducasse, Bernard Lonati, Jean-Pierre Lepeltier, Jean-Pierre Biffi, Jean Chauvel, Gael Orieux, Yannik Alleno, Michel Roth, Nicolas Bernardé, Patrick Martin, Alain Senderens, Michel Saran, Christian Le Squer, Alex Atala, Mara Salles, Yannick Anton, Michel Nave...

On le voit : la liste est désordonnée, parce que je récuse l'ordre. D'abord, il y a les circonstances, qui faussent tout (avais-je faim en entrant? avec qui étais-je? qui était à la table d'à côté? quel était le temps? de quel pied m'étais je levé?). Ensuite, il y a le niveau de culture culinaire : de même que l'amateur de jazz qui n'est pas passé par Coltrane ne peut sans doute pas apprécier Yussef Lateef, je vois mal un enfant comprendre grand chose aux cuisines les plus évoluées artistiquement. Ensuite...


Bref, vous aurez compris que ma liste n'est pas un brevet de qualité accordé, mais seulement... une liste.
Bien sûr, on pourrait ordonner un peu :
Cuisine classiques
Cuisines modernes
Cuisines moléculaires
Cuisine fusion
Cuisine...

Mais, à quoi bon, au fait?

Et puis, il faut quand même dire que ma liste est bien incomplète : dans ce billet, je n'ai pas mis tous les amis qui m'ont donné du bonheur. Pardon à ceux qui ne sont pas présents, mais l'objet était surtout de répéter que les classements sont idiots.

Refusons les, ne collaborons pas!
Emerveillons nous de ce qui est bien fait : il n'est pas nécessaire d'abaisser les uns pour réhausser les autres !


PS. N'hésitez pas à m'indiquer de nouveaux noms, que j'ajouterai.

mardi 27 avril 2010

Nécessaire, mais pas suffisant

Cette fois, je fais état de mes insuffisances (rassurons-nous, je me soigne... Par le travail) : je viens de comprendre pourquoi la réfutabilité de Carl Popper n'était pas satisfaisante. Du coup, j'en fais profiter des amis qui n'ont pas le temps ou le goût d'aller se plonger dans des oeuvres épistémologiques parfois bien absconses.

En réalité, je n'ai rien contre Carl Popper, bien au contraire, et la réfutabilité qu'il demande aux sciences me semble tout à fait bien... puisque la méthode scientifique, c'est :
- l'observation d'un phénomène
- la caractérisation quantitative de ce phénomène identifié et choisi comme objet d'études
- la synthèse de certaines des données en "lois"
- la recherche de mécanismes, c'est-à-dire d'explications associées à ces lois
- par déduction, la préparation de prévisions expérimentales, en vue de réfuter la théorie obtenue par réunion des lois
- le test expérimental de la prévision expérimentale
- et ainsi de suite.

Cette description est évidemment simple, voire simpliste... mais pas tant que cela. Et puis, elle est utile, pour commencer, non?
Elle aurait notamment éviter à certains des mes interlocuteurs récents d'opposer induction et déduction, en science : la description précédente montre qu'il faut évidemment les deux!
Elle montre que la réfutabilité est bien essentielle, en science, puisque nous ne sommes pas là pour croire à des théories, modèles réduits de la réalité qui ne peuvent se confondre avec elle (par définition), mais pour produire des théories fausses que nous affinons à l'infini.
Elle montre aussi que la science ne se résume pas à la réfutabilité : il y a notamment toute les étapes précédentes. La réfutabilité est nécessaire, pas suffisante.


Mais à nouveau, il y a la question de la "science" : laquelle? Pas la science politique, pas la science du maître d'hôtel (titre d'un livre de cuisine classique)... La science dite "dure", pour laquelle nous devons trouver un nom approprié.

Cherchons!

On ne fait pas de chimie quand on respire !

Régulièrement, j'ai droit, en introduction à des conférences que je fais, à des déclarations du style : "La chimie est partout", qui m'obligent à reprendre des collègues pourtant bienveillants.

Non, la chimie n'est pas partout : elle est même très peu présente, puisqu'elle n'est que dans les laboratoires, et, avec encore quelques efforts, elle ne sera même que dans les laboratoires universitaires.

Je m'explique. Historiquement, la chimie a été une activité un peu confuse, où se mêlaient la philosophie, l'empirisme, la technique, la technologie, la science... On cherchait la pierre philosophale en même temps que l'on testait des opérations de broyage et de distillation, on voulait fabriquer des bougies en même temps que l'on découvrait le phosphore...

Intellectuellement, on peut évidemment passer beaucoup de temps à essayer de dégager les divers courants, les diverses influences, mais il vaut mieux, je crois, penser à l'avenir. L'avenir se déduira du présent, lequel confond encore la science chimique et la technologie chimique, c'est-à-dire le travail de l'industrie.

Pourtant l'industrie dite encore chimique (j'espère pour peu de temps) se plaint d'avoir le mot "chimie" collé à la peau, alors que la science gagnerait, je crois, à se détacher de l'action, pour se confiner à la production de connaissance.

Ma proposition, c'est que demain la chimie soit dégagée de sa gangue, qu'il ne s'agisse plus que de science, et non plus d' "art chimique", d'activité technologique ou technique telles que la production de médicaments, de bougies, de matériaux, de cosmétiques, de peintures...

La chimie, ainsi, serait confinée aux laboratoires, et elle gagnerait en lisibilité, en clarté.

Et pour conclure, oui, quand nous vivons, quand nous respirons, des réarrangements atomiques ont lieu, mais ce n'est pas de la chimie, puisque la chimie est une science. Respirer, c'est respirer. Il n'y a chimie que si l'on explore les réarrangements atomiques, les transformations moléculaires qui ont lieu lors de la respiration, par exemple. Ne confondons pas une activité bestiale (respirer) et ce qui fait honneur à l'esprit humain!

Sciences "pures"? Sciences "fondamentales"? Sciences "appliquées"?

Sciences "pures"? Sciences "fondamentales"? Sciences "appliquées"?

C'est une question que j'ai déjà évoquée, mais il faut y revenir. Louis Pasteur a rappelé toute sa vie que les sciences appliquées n'existent pas. Pourtant, aujourd'hui, on trouve des "instituts des sciences appliquées", ou bien des cours d' "applied sciences". Bref, on n'a pas bien compris que s'il y a des applications de la science, il n'y a pas de sciences appliquées.
La nuance semble subtile, mais j'ai déjà expliqué dans des billets précédents combien elle me semblait essentielle.

Aujourd'hui, c'est l'adjectif "pur", ou l'adjectif "fondamental", sur lequel je voudrais revenir. Y a-t-il une science "pure"? Ce serait admettre qu'il y en aurait une "impure"... et je vois mal où elle se trouverait. De même, pour une science qui serait "fondamentale".

Dans ce second cas, je comprends comment l'adjectif s'est introduit : c'est probablement une scorie de ce détestable classement hiérarchique des sciences, que j'associe à Auguste Comte. Les sciences les plus "élevées" dans la prétendue hiérarchie (qui n'est un ordre que pour ceux qui le soutiennent) mettent effectivement certaines sciences comme plus fondamentales que d'autres.

Je crois avoir déjà écrit que je ne voyais pas de raison raisonnable, sensée, pour mettre la recherche du boson de Higgs plus haut que l'exploration des mécanismes du vivant, par exemple, de sorte que je réfute absolument la hiérarchie comtienne : les critères retenus sont idiots.

Finalement, je propose de lutter contre la possibilité même de sciences pures, ou de sciences fondamentales!


Vive la connaissance !

Le charron ne fait pas de science... mais le mot "science" pose un épineux problème.

Lors d'une "dispute", à AgroParisTech, mon ami Bernard Chevassus-au-Louis citait le cas du charron, l'homme qui construit des roues de charrette, et il évoquait l'intelligence de ce charron qui sait laisser un doigt de jeu autour de la roue en bois, quand le métal est chaud, afin que, lors du refroidissement la bande métallique enserre parfaitement le bois.
Nous sommes bien d'accord : il y a de l'intelligence dans cet empirisme. Toutefois, y a-t-il "science", pour autant? Je ne le crois pas.


Je ne le crois pas... mais en réalité, la question est difficile, parce que les gens des sciences politiques disent faire de la science, et ils comprennent mal que les gens des "sciences dures" puissent confisquer le mot "science" pour leur activité. Science, savoir... En Suède, le festival des "sciences" réunissait aussi bien des scientifiques durs que des technologues du tricot, en passant par les économistes, les architectes urbains. On trouve de tout dans la science suédoise, tout comme dans la Wissenschaft allemande... ou dans la science française, puisque les sciences politiques se nomment science.

Alors, faut-il reprendre l'expresion "philosophie de la nature"? Ou "physique", puisque la physis, en grec, c'est la nature? Je pressens que mes amis chimistes, biologistes, etc. ne seront pas heureux d'aller sous cette bannière, de sorte que nous nous en sortirions mieux avec un nouveau mot. Lequel?

Depuis Galilée, par exemple, on sait que les "sciences dures" ont une méthode, qui se centre sur les phénomènes, avec une méthode spécifique qui consiste à réfuter les théories. Bien sûr, la réfutabilité de Carl Popper n'est pas le fin mot de l'affaire, pas plus que l'hypothèse et la déduction qui sont à la base de la méthode hypothético-déductive. Il manque des composantes, pour décrire cette activité des chimistes, physiciens, biologistes. "Philosphie naturelle" est tentant, mais également insuffisant, puisqu'il y a "science", et "science dure", quand un sociologue met en oeuvre la méthode dite "scientifique", avec observation de phénomène, détermination quantitative, regroupement des données en lois, d'où l'on extrait des mécanismes, à partir desquels ont fait une prévision qui est testée expérimentalement.

Cette méthode est caractéristique. Oui, le charron est "intelligent", et oui, il pratique l'expérimentation tout comme le physicien, mais il lui m anque, pour faire une activité analogue à la chimie, ce guide et ce garde-fou qu'est le calcul. Galilée disait que le monde est écrit en "mathématiques" ; il voulait dire "en calculs"... mais il se trompait, car en réalité, c'est seulement le monde de Galilée, des physiciens, chimistes, biologistes, etc. qui est écrit en langage de calcul.

Au total, notre activité devrait être nommée expérimentalo-calculatoire.