Lors d'une "dispute", à AgroParisTech, mon ami Bernard Chevassus-au-Louis citait le cas du charron, l'homme qui construit des roues de charrette, et il évoquait l'intelligence de ce charron qui sait laisser un doigt de jeu autour de la roue en bois, quand le métal est chaud, afin que, lors du refroidissement la bande métallique enserre parfaitement le bois.
Nous sommes bien d'accord : il y a de l'intelligence dans cet empirisme. Toutefois, y a-t-il "science", pour autant? Je ne le crois pas.
Je ne le crois pas... mais en réalité, la question est difficile, parce que les gens des sciences politiques disent faire de la science, et ils comprennent mal que les gens des "sciences dures" puissent confisquer le mot "science" pour leur activité. Science, savoir... En Suède, le festival des "sciences" réunissait aussi bien des scientifiques durs que des technologues du tricot, en passant par les économistes, les architectes urbains. On trouve de tout dans la science suédoise, tout comme dans la Wissenschaft allemande... ou dans la science française, puisque les sciences politiques se nomment science.
Alors, faut-il reprendre l'expresion "philosophie de la nature"? Ou "physique", puisque la physis, en grec, c'est la nature? Je pressens que mes amis chimistes, biologistes, etc. ne seront pas heureux d'aller sous cette bannière, de sorte que nous nous en sortirions mieux avec un nouveau mot. Lequel?
Depuis Galilée, par exemple, on sait que les "sciences dures" ont une méthode, qui se centre sur les phénomènes, avec une méthode spécifique qui consiste à réfuter les théories. Bien sûr, la réfutabilité de Carl Popper n'est pas le fin mot de l'affaire, pas plus que l'hypothèse et la déduction qui sont à la base de la méthode hypothético-déductive. Il manque des composantes, pour décrire cette activité des chimistes, physiciens, biologistes. "Philosphie naturelle" est tentant, mais également insuffisant, puisqu'il y a "science", et "science dure", quand un sociologue met en oeuvre la méthode dite "scientifique", avec observation de phénomène, détermination quantitative, regroupement des données en lois, d'où l'on extrait des mécanismes, à partir desquels ont fait une prévision qui est testée expérimentalement.
Cette méthode est caractéristique. Oui, le charron est "intelligent", et oui, il pratique l'expérimentation tout comme le physicien, mais il lui m anque, pour faire une activité analogue à la chimie, ce guide et ce garde-fou qu'est le calcul. Galilée disait que le monde est écrit en "mathématiques" ; il voulait dire "en calculs"... mais il se trompait, car en réalité, c'est seulement le monde de Galilée, des physiciens, chimistes, biologistes, etc. qui est écrit en langage de calcul.
Au total, notre activité devrait être nommée expérimentalo-calculatoire.
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