mercredi 28 mai 2025

Réfutation d'un commentaire ancien

A propos de la découverte du gluten, j'avais discuté le nom du chimiste strasbourgeois qui avait proposé la technique de lixiviation expliquant qu'il y avait eu des hésitations sur le nom. 

Or je reçois un commentaire : 

Il s'agit bien de Kessel-Meyer dont la thèse traduite en Français est disponible sur le site de la BNF https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bd6t5412435r/f36.item

Mais pardon, non :  ce texte est celui venu plus tard et il est fautif. Moi, j'ai eu entre les mains la thèse de Johannes Kesselmeyer, produite par lui-même, et lui-même signe Kesselmeyer, pas Kessel-Meyer ! 

Voir à ce sujet mon article Hervé This. Who discovered the gluten and who discovered its production by lixiviation?. Notes académiques de l'Académie d'agriculture de France, 2018, 3, pp.1-11. ⟨hal-01852558⟩ 

De la potasse dans les cendres ?

Lors d'une discussion récente avec des collègues, nous avons évoqué le fait que les cendres de bois contiennent des bases. 

Et j'ai souvent dit qu'il s'agissait que les cendres de bois contenaient de la potasse, d'hydroxyde de potassium. 

 

Pourtant, récemment, alors que mon attention n'était pas complètement fixée sur les paroles d'un intervenant, je suis allé en ligne faire une recherche bibliographique parce que je voulais savoir la quantité de potasse que l'on trouvait dans les cendres...  et c'est ainsi que j'ai découvert qu'il y avait des cendres de différents types :  certaines contiennent effectivement de l'hydroxyde de potassium, mais d'autres de l'hydroxyde de sodium, ou de calcium, par exemple. 

Plus généralement, la nature des cendres dépend de la nature des matières végétales que l'on brûle. 

mardi 27 mai 2025

À propos de liaisons vers l'arrière du plan de la feuille

Ce billet-ci est un peu ésotérique mais je fais part d'une idée que j'avais trouvée il y a quelques temps et que j'ai oublié de partager. 

Il s'agit de représenter les molécules quand elles ne sont pas planes. Classiquement, pour indiquer une liaison chimique qui irait au-dessus du plan de la feuille, on représente ce cette liaison sous la forme d'un triangle noir avec la partie élargie la plus proche de l'observateur, pour donner une sensation de perspective. 

Pour décrire maintenant une liaison qui serait à l'arrière de la feuille, on utilise encore un triangle, mais hachuré. 

Bien souvent, des chimistes représente ces dernières liaisons vers l'arrière avec la partie étroite vers l'atome du plan de la feuille, mais il y a un certain illogisme, car la perspective n'y trouve plus son compte. 

Dans le Journal of chemical education, un collègue a fait justement observer que l'on ferait mieux de le représenter la partie large sur l'atome du plan de la feuille avec le triangle s'amincissant vers l'arrière. C'est devenu ma pratique. 


 

Pourquoi les pommes dauphines gonflent-elles dans de l'huile alors que les gnocchis ne gonflent pas dans l'eau ?

Pourquoi les pommes dauphines gonflent-elles dans de l'huile alors que les gnocchis ne gonflent pas dans l'eau ?

Quand il y a un gonflement, en cuisine, c'est principalement parce que de l'eau s'évapore : on  conservera à l'idée qu'un petit gramme d'eau liquide (soit un volume égal à un cube de un centimètre de côté)  fait  un litre et demie de vapeur.  

Or les aliments sont fait essentiellement d'eau, et notamment la purée de pommes de terre éventuellement mêlée à de l'œuf pour un appareil de pommes de terre dauphines. 

Plongé dans l'huile à 170 degrés, ce appareil à pommes Dauphine est chauffé par l'extérieur, ce qui évapore son eau externe (on voit une abondance de bulles) et conduit à la formation d'une croûte. 

Mais bientôt l'intérieur de la croûte se trouve à 170 degrés, et l'eau de l'appareil qui n'a pas encore croûté s'évapore. Cette fois cette vapeur n'est plus libre de partir dans l'huile, puisqu'il y a la croûte, et elle repousse la croûte, avant que davantage de croûte ne soit formé. Le phénomène est le même qu'avec de petits choux : on doit le gonflement, puis le croûtage externe, puis la fissuration de la croûte formée, puis de nouveau la fissuration. 

Avec des échaudés (pâtes, gnocchis, etc.) placés dans l'eau chaude, il en va très différemment, parce que, en présence d'eau, il ne peut pas y avoir de croûtage : l'amidon présente se limite à s'empeser. Et des bulles de vapeur pourraient alors parfaitement s'échapper... si elles se formaient parce que en réalité, il s'établit une variation de température entre les 100 degrés de l'extérieur et les 20 degrés initiaux de l'intérieur. Avec des températures toujours inférieures à 100 degrés, donc, pas d'évaporation,  pas de gonflement.  

Cinq pour cent de phase continue dans les émulsions

Oui, il faut environ 5 de phase continue pour former une dispersion telle qu'une émulsion. 

Les dispersions colloïdales sont fréquences en cuisine : ce sont les mousses, les suspensions, les émulsions... Dans tous ces cas, il y a une phase dispersée dans une phase continue. Une phase continue, cela signifie que l'on peut aller du haut en bas, de droite à gauche et d'avant en arrière en restant toujours dans la même phase :  cette phase peut-être un gaz, un liquide, un solide. 

Les phases dispersées, elles, sont... dispersées, c'est-à-dire discontinue. Par exemple, dans une émulsion,  il y a des gouttelettes d'huile dispersées dans une solution aqueuse ou l'inverse. 

Pour commencer,  pensons que les structures dispersées sont comme  des sphères dans une boîte, ou des oranges sur un étal de marchand des quatre saisons. Avec des sphères qui seraient toutes de la même taille, la détermination de l'empilement le plus compact est un vieux problème mathématique et l'on sait calculer qu'il faut un minimum d'environ  30 pour cent de phase continue, entre les sphères. C'est ce que l'on nomle l'empilement compact. 

Mais pour des émulsions telles que la mayonnaise, par exemple, d'une part les gouttelettes d'huile ne sont pas des sphères, et, d'autre part elles ne sont pas toutes de la même taille. 

Or on comprend facilement que l'on puisse mettre plus de sphères s'il y en a de grosses et de petites : avec les grosses, faisons un empilement compact, puis plaçons les petites dans les espaces laissés par les grosses sphères. Mathématiquement, si l'on dispose de sphères de toutes les tailles voulues on peut emplir l'espace entièrement  : c'est le problème de la baderne d'Apollonius, du nom d'un mathématicien de la Grèce antique. 

De même, avec des objets dispersés qui peuvent se déformer on comprend, en caricaturant, que s'ils forment des cubes, l'empilement est complet. 

 

Toutefois en pratique, on comprend qu'il faille une certaine épaisseur de phase continue entre des sphères voisines ou même entre des sphères déformées. Par exemple, si deux gouttes d'huile venaient au contact, elles fusionneraient. Au minimum, il faut une couche de molécule qui sépare les gouttes d'huile. Ce serait très instable. Pensons à environ 5 pour cent de phase continue.

Cela a des conséquences culinaires, et notamment pour des sauces émulsionnées chaudes, pour lesquelles la solution aqueuse s'évapore progressivement, quand elles restent sur le coin du fourneau avant le service : une cause de ratage des hollandaises, béarnaises, par exemple (certes, ce sont plutôt des suspensions que des émulsions, mais il faut quand même que la matière grasse y soit émulsionnée).

De l'huile dans de l'eau ou de l'eau dans de l'huile : questions d'émulsions

On m'interroge : "Pourquoi les émulsions eau dans huile sont-elles moins stables que les émulsions huile dans eau  ?"

Avant de poser cette question, il faut s'assurer de se base : est-il vraiment certain que les émulsions eau dans huile sont moins stables que les émulsions huile dans eau ? 

Mais il faut commencer par expliquer ce que sont les unes et les autres. 

Les émulsions, tout d'abord, sont des dispersions de gouttelettes d'un liquide dans un autre liquide, sans qu'il y ait mélange. Par exemple, quand on fouette un peu d'huile avec beaucoup d'eau, on voit le fouet qui divise l'huile en gouttelettes (d'huile, donc), ces dernières étant dispersées dans l'eau. Si les gouttelettes sont suffisamment petites, on obtient un système dit "colloïdal" qui est une émulsion, puisque ces systèmes sont : 

A fluid colloidal system in which liquid droplets and/or liquid crystals are dispersed in a liquid. The droplets often exceed the usual limits for colloids in size. An emulsion is denoted by the symbol O/W if the continuous phase is an aqueous solution and by W/O if the continuous phase is an organic liquid (an 'oil'). More complicated emulsions such as O/W/O (i.e. oil droplets contained within aqueous droplets dispersed in a continuous oil phase) are also possible. Photographic emulsions, although colloidal systems, are not emulsions in the sense of this nomenclature.

Source:  PAC, 1972, 31, 577. (Manual of Symbols and Terminology for Physicochemical Quantities and Units, Appendix II: Definitions, Terminology and Symbols in Colloid and Surface Chemistry) on page 606 [Terms] [Paper]


Cela tant, un tel système n'est pas stable, parce que les gouttelettes d'huile viennent "crémer", et fusionner, reformant rapidement une couche continue à la surface de l'eau. 

Quand on produit une émulsion, on ajoute généralement un troisième élément, à savoir des molécules dites "tensioactives" qui :
1.  réduisent l'énergie nécessaire à la dispersion des gouttes d'huile dans l'eau, pour les émulsions de type huile dans eau,
2. tapissent la surface des gouttes dispersées, prévenant leur association, leur fusion, leur "coalescence". 

Ces molécules ont des parties "hydrophobes", qui vont dans l'huile, et des parties "hydrophiles", qui vont dans l'eau. Et elles agissent alors de diverses manières  :
- d'une part, il y a ce que l'on nomme l' "encombrement stérique", qui correspond à la place que prennent les atomes, les molécules,
- mais il y a surtout des forces de répulsion électrique entre des parties électriquement chargées des molécules (par exemple, des charges négatives pour des groupes phosphate de lécithines, ou des charges portées par les protéines).

Or les parties moléculaires électriquement chargées sont celles qui vont dans l'eau, alors que ce sont des parties moléculaires non chargées qui vont dans l'huile, et qui au contraire s'associent par des liaisons chimiques faibles nommées notamment forces de van der Waals. 

De sorte que, avec une émulsions de type eau dans huile, il y a peu de répulsion entre les gouttes d'eau, alors que pour une émulsion huile dans eau, les parties chargées des molécules tensioactives se font face et se repoussent. 

Ajoutons de surcroît que l'interface eau-huile se courbe naturellement de façon à mettre l'huile à l'intérieur, comme on le voit par le raisonnement suivant : supposons un interface plane, avec les molécules tensioactives placées comme des clous entre la phase huile, au dessus, et la phase eau par dessous : les parties chargées des molécules tensioactives seraient donc par dessous... mais, se repoussant elles incurveraient l'interface vers le haut, pour former des gouttelettes d'huile.
 

Des oeufs mollets au four ?

Une question m'arrive ce matin : est-il possible de faire des œufs mollets (blanc prix mais jaune coulant) par une cuisson au four ? 

 

On peut répondre de nombres façon à cette question mais je propose d'aller plus simple au plus compliqué. 

Le plus simple c'est oui... et non.

 

Un peu plus en détail : je réponds en évoquant les "œufs parfaits" que j'ai introduits il y a plusieurs décennies, et qui consistent  à cuire des oeufs à 65 degrés. On peut le faire dans de l'eau ou dans un four, mais aussi dans un lave-vaisselle, par exemple. 

Et j'ajoute que, dans la foulée, j'avais proposé des œufs à 62, 63, 64, 65, etc. degrés. L'oeuf  à 65 degrés a un blanc pris très délicatement, et un jaune coulant. A des températures inférieures (mais plus de 62 degrés), le blanc est plus laiteux, plus délicat, et le jaune est inchangé. 

A des températures supérieures, il y a des changements. Par exemple, à 67  degrés,   le blanc est pris, mais le jaune prend  une consistance de pommade. 

A quelle température serait produit l'oeuf mollet ? Je crois qu'il est particulier et qu'on ne l'obtient que dans l'eau, si l'on est un peu précis. L'oeuf mollet  ? Il lui faut 5 minutes et 15 secondes de cuisson dans l'eau bouillante. Dans un four on pourrait mettre un oeuf pendant 5 minutes et 15 secondes à 100 degrés, mais le résultat serait un peu différent. 

 

Enfin, plus compliqué encore, on s'interrogera sur ce que la question  signifie vraiment, on cherchera à comprendre les phénomènes. 
 

Le blanc et le jaune d'oeufs coagulent en raison des protéines qu'ils contiennent. Pour le blanc, il y en a environ 300 (je dis bien 300 c'est-à-dire 300 sortes de molécules différentes non pas 300 molécules différentes : il y a des milliards de milliards de chaque sorte), et chaque protéine coagule à une température particulière. 

Pour le blanc d'oeuf, la première coagulation d'une protéine s'effectue vers 62 degrés. Plus il y a de protéines coagulées et plus le blanc est pris, opaque et blanc. 

Pour le jaune, c'est un peu la même chose mais il y a ce phénomène étonnant que la première des protéines qui coagule le fait vers 61 degrés, étant toutefois en quantité trop faible pour faire prendre le jaune. Il faut donc attendre que d'autres protéines coagulent pour que la consistance se mette à changer