lundi 15 juillet 2024

Soxhlet ?

 Une idée amusante, que je publie ici au cas où elle ne l'aurait pas été : habituellement, pour des tissus vivants ou des cellules (par exemple des levures) on extrait des lipides en utilisant un appareil de Soxhlet. Mais broyer et extraire par une méthode liquide liquide ? Ca irait plus vite. 

Reste à ce que je fasse la recherche bibiliographique pour savoir si quelqu'un n'a pas eu cette idée avant moi. 

Ensuite, il faudra valider.

Chercher les mécanismes des phénomènes


Il y a peu, je me suis étonné que nos étudiants de Master, visant des postes d'ingénieurs, se laissent si facilement transformer en techniciens, alors que nous nous décarcassons à leur enseigner les mécanismes des phénomènes. Être physico-chimiste, c'est pourtant cela : se questionner sur les mécanismes des phénomènes, tout autant du point de vue de la chimie que de la physique.

La question m'est revenue hier dans un colloque où un ingénieur que je connais depuis longtemps se plaignait à moi que sa société n'aille pas jusqu'à la compréhension des phénomènes.
Mais je me suis étonné que cette personne ne fasse pas cela d'elle-même et je propose de prendre un exemple pour bien montrer comment, même au cours de l'expérience la plus pratique qui soit, on peut faire de la physico-chimie...  à condition d'en être bien imprégné.
Cet exemple est venu juste après la discussion avec l'ingénieur que j'évoque précédemment, alors que l'on me montrait des résultats d'expérience : dans une verrerie de laboratoire, j'observais que du produit avait laissé une trace sur le verre. Comme il était question d'analyser le produit, je demandais si l'on avait évalué la quantité de produits qui était ainsi perdue, et de combien les mesures étaient faussées.

Un tel calcul  n'est pas difficile à condition d'aller voir plus loin que l'apparence : en l'occurrence, il s'agissait d'une mousse qui avait séché, il fallait donc comprendre qu'il y avait là initialement des bulles d'air dans le liquide.
En regardant bien, on avait des indices pour faciliter le calcul. Notamment, on pouvait voir que la couche de mousse déposée était d'une bulle d'épaisseur. On pouvait voir que ces bulles étaient visibles à l'œil nu, ce qui indique que leur taille était de l'ordre de 0,1 mm le diamètre,  et ainsi de suite : on pourrait faire un calcul à condition de comprendre la structure qui était envisagée, de l'interpréter.
Il n'y a pas besoin d'un grand programme industriel pour mettre en œuvre nos connaissances, pour chercher des mécanismes : il suffit d'observer d'avoir l'esprit tendu vers ses analyses physico-chimiques passionnantes

J'ajoute d'ailleurs que la terminologie physico-chimie mérite toujours d'être divisé en physique et en chimie. Précédemment, je discutais des questions de microstructure, et  il y avait également lieu de discuter des questions de chimie car des molécules tensioactives  qui nous intéressaient pouvait-elle coller au verre ? Ne fallait-il pas se souvenir que ce dernier est fait de silice que seules des molécules particulières peuvent facilement y adhérer pour des raisons qui restent à interpréter ?
Allons plus loin  : puisque la chimie est une science au même titre que la physique, tenant sur deux pieds que sont l'expérience et le calcul,  quel calcul de chimie pourrait-on mettre en œuvre dans un tel cas ? S'il est question d'adhérence, pourquoi ne pas chercher des valeurs d'énergie à propos de ce dernier phénomène ? Y aurait-il eu lieu de comparer cette énergie d'adhérence au support et les forces de gravité ? Notamment en sachant que les composants actifs sont partiellement solubles dans  l'eau, ce qui correspond à des interactions, donc des énergies d'interaction avec les molécules d'eau ?

On le voit, nous sommes lancés sur la piste infinie de l'exploration scientifique des phénomènes, et les plus simples ne peuvent manquer d'être des torchons rouges devant les taureaux de la science.

dimanche 14 juillet 2024

Selon



Dans des articles, dans des thèses, je vois écrit, à répétition,  des phrases du genre "Selon Machin et Truc (année de publication), la teneur en caféine et de 0,2 mg".

Je crois qu'il y a là une erreur et que le "selon" n'est pas approprié. En effet, il introduit un doute sur l'information qui est donnée. Or quand on consulte les références qui sont données ensuite, on voit  que Machin et Truc ont effectivement mesuré une teneur en caféine précise, et ils l'ont mesurée avec des matériels et des méthodes bien particuliers, répertoriés, qui ont conduit à un résultat effectif. Ce n'est pas une imagination, ue illusion, et, mieux, si l'article de Machin et Truc a été publié, c'est que les rapporteurs ont jugé que la mesure était fiable.

Imaginons par exemple que l'on extraie des lipides d'une graine. La quantité mesurée est alors... la quantité qui a été mesurée, un point c'est tout. Certes, la quantité mesurée n'est pas peut-être la quantité effectivement présente dans la graine,  mais c'est bien celle qui était mesurée, et la formulation introduite par un "selon" est mauvaise parce qu'elle ne dit pas tout cela.

Oui, on a le droit de douter d'un résultat, surtout quand la partie des matériels et des méthodes est insuffisante, mais c'est à ce propos qu'il convient d'être précis et de dire ce que l'on peut reprocher éventuellement à cette partie, d'expliquer pourquoi. Bref,  je crois qu'il y a lieu d'utiliser une  formulation bien plus précise que ce "selon".

samedi 13 juillet 2024

A propos d'esprit critique : donnons-nous le temps de réfléchir, d'analyser ce que nous faisons, ce que nous pensons

Je viens d'analyser la présentation faite par un étudiant, à l'issue d'un stage, et la chose la plus intéressante que j'aie dépistée est  le manque d'esprit critique à la fois sur les méthodes mises en œuvre dans l'institution où il faisait son stage et,  aussi, à propos du contexte de ce stage.
Certes, notre étudiant est tombé dans une institution un peu médiocre, qui l'a conduit à se comporter en technicien amélioré, mais il faut quand même observer qu'il aurait pu faire ce qu'on lui demandait et, par ailleurs, avoir un esprit critique.

Car c'est que ça donc il était question dans toute cette aventure : le manque d'esprit critique.

Il y avait un manque d'esprit critique sur ce qu'il avait fait, sur ce qu'on lui demandait de faire, mais, aussi, sur les circonstances générales dans lesquelles il travaillait. Critique est un mot compliqué et souvent mal compris : il ne s'agit moins de faire des critiques que d'avoir un regard analytique, factuel sur ce que l'on pense, ce que l'on fait...

En l'occurrence, pour faire un bon stage, il y avait lieu de bien analyser d'abord :
- la question posée certainement
- mais aussi les méthodes mises en œuvre pour y répondre.

Par exemple, l'étudiant a été mis en situation d'utiliser un logiciel. Pourquoi pas... mais que valent les résultats donnés par ce programme ? Recopier le baratin commercial des fabricants du logiciel, c'est manquer d'esprit critique. En revanche,  il aurait  fallu s'interroger sur la validité des résultats donnés, les valider. Il n'était pas indispensable de conclure que des résultats donnés sont invalides, mais il y avait lieu de poser la question de la validité.
Car oui, on n'a pas toujours assez de temps pour déterminer la validité que l'on vient de discuter mais, en tout cas,  il y a lieu de poser soi-même la question de cette validité et d'envisager qu'elle puisse être testée.

 Plus généralement, il est donc question d'avoir de l'esprit critique. Bien sûr dans un stage, la demande formelle est de se transformer des connaissances en compétences mais puisque pourquoi ne pas analyser cette question, et, surtout, montrer qu'ils y ont répondu, avant de plonger dans la discussion particulière du sujet qu'ils ont traité ?

Très généralement, il faut donc considérer ce que nous faisons avec un esprit critique, analytique, factuel.
Il y a longtemps, dans ce blog, j'avais discuté cette phrase qui est : « Tenir le probable pour faux jusqu'à preuve du contraire ». J'avais alors cité Henri Poincaré, qui relativisait cette idée ("Douter de tout ou tout croire sont deux solutions également commodes, qui l'une et l'autre nous dispensent de réfléchir."), mais faisons simple pour commencer : examinons - sans tout gober naïvement- ce que le monde extérieur nous apporte.

Être capable de trier sur la base d'une analyse critique. Voilà en tout cas un des conseils que je donnerais aux stagiaires, en les invitant également à chercher sans cesse les perfectionnement, ce qui, au fond, va bien avec la première idée.

Pour moi...



Je viens encore d'entendre un interlocuteur me répondre "Pour moi" et embrayer avec une assertion qui était manifestement fausse. Il y a une espèce de prétention paresseuse à ce "Pour moi" que j'entends bien souvent ces temps-ci. Que  signifie le mot "rutilant" ? Je ne veux pas entendre de "Pour moi cela signifie brillant"... car... le mot signifie rouge (comme le minéral nommé rutile), et nous perdons notre temps à entendre une acception aussi idiosyncratique qu’erronée. Que signifie "glauque" ? Il n'y a pas non plu de "Pour moi, c'est "boueux", car  le mot signifie vert.
Il y a des cas plus intéressant comme le "Pour moi, on apprend bien quand on écrit" : là, c'est  une façon paresseuse de ne pas s'être demandé comment bien apprendre, et, en tout cas, la personne qui le dit n'a jamais fait la comparaison raisonnable de méthodes différentes d'apprentissage ,de sorte qu'elle se réfugie dans une méthode idiosyncratique qui ne vaut peut-être rien.
En  cuisine, le "Pour moi est constant" :  il y a tous ces cas où l'on fait quelque chose dont l'efficacité n'est pas assurée : ajouter une pincée de sel à du blanc en neige pour le fait pour le faire tenir plus longtemps, dit-on, ajouter du vinaigre bouillant à une mayonnaise pour la faire tenir. A ce propos, il faut que je donne des statistiques sur 24 ans de séminaires de gastronomie moléculaire : 87 % des "pour moi" ont été réfutés.

Bref, je propose de répondre à ces "pour moi" par "prétention et paresse".


A propos de "chantillys"

On m'interroge à propos de foisonnement de matière grasse, et je comprends qu'il y a lieu de bien expliquer. Cela fait donc l'objet d'un cours que je dépose dans une partie "Applications technologiques et techniques" du Centre international de gastronomie moléculaire

- pour le site général du Centre : https://icmpg.hub.inrae.fr/

- pour la partie "Application technologiques et techniques" :  (lien à venir)

 

En rappelant que des discussions détaillées sont données : 

- en français, dans mon livre Mon histoire de cuisine (Belin)



- en anglais, dans le Handbook of molecular gastronomy (CRC Press)



mercredi 10 juillet 2024

Une phrase souvent citée... mais fautive !

 
Voici une phrase très fausse, hélas répétée sans critique : "La cuisine, sans cesser d’être un art, deviendra scientifique et devra soumettre ses formules à une méthode et une précision qui ne laisseront rien au hasard." 

Cette phrase fut écrite par un restaurateur célèbre... mais n'ai-je pas vu assez de phrase fausses sous la plume de chefs triplement étoilés ? On m'a dit que l'eau salée met plus longtemps à bouillir... et c'est faux. On m'a dit que les soufflés gonflent mieux quand les blancs en neige ne sont pas fermes... et c'est faux. On m'a dit que masser les viande avec du beurre fait entrer le gras dans les chairs... et c'est faux. On m'a dit que des navets glacés se gorgent de beurre... et c'est faux. 

Vraiment, je déteste les arguments d'autorité, surtout quand ils sont faux. Mais je déteste surtout être mis en position de réagir négativement, moi qui ne veux voir que du ciel bleu, qui veux toujours être positif. Je préfère discuter d'idées justes que d'idées fausses, mais à ce compte, on n'est jamais en position d'aider nos amis à bien voir les erreurs et les fautes. Je vais donc commencer par expliquer pourquoi la phrase précédente est fautive, puis je chercherai un moyen très positif de débattre de belles idées justes, histoire de me remettre le cœur d'aplomb. 

 

Pourquoi cette phrase est idiote

Commençons par montrer pourquoi la phrase précédente est fausse. Si on parle d'art culinaire, c'est bien que l'on parle d'art. Et l'on sait assez combien je milite pour qu'une partie de l'activité culinaire soit bien reconnue comme artistique. D'ailleurs, je propose de faire bien la différence entre les artisans et les artistes, mais c'est là un autre débat que j'ai longuement présenté dans un de mes livres (La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique), et sur lequel je propose de ne pas revenir. Il y a donc l'art culinaire, qui est un art comme la peinture, la musique, la littérature... D'ailleurs, quand je dis "la peinture", je ne pense qu'à la peinture artistique, et non pas la peinture des murs et façades, qui relève de l'artisanat. Même chose pour la musique ou pour l'écriture. N'importe qui muni d'un stylo peut raconter une histoire, mais ce ne sera pas un artiste pour autant. 

Il y a donc l'art culinaire, qui est une activité artistique, à savoir qu'il est question de susciter, de partager des sentiments, des émotions... Bien sûr, on peut discuter à l'infini la notion d'art, mais ne jouons pas trop sur les mots quand il s'agit d'aider nos amis : soyons clairs et simples. C'est pour cette raison que je me résous à réduire l'art culinaire à la production d'aliments qui nourrissent plus l'esprit que le corps. Le second terme de la phrase fausse dénoncée ici est relatif à la science. 

Dans la phrase discutée, il ne s'agit pas simplement de savoir, mais de science de la nature. Nous mettons de côté les sciences de l'être humain et de la société, car, dans la phrase que nous critiquons, il est question de précision, de rigueur. Immédiatement j'ajoute que précision et rigueur ne sont pas l'apanage des sciences de la nature, toutefois : toute activité humaine peut être faite avec précision et rigueur, et l'art le plus grand (celui des Rembrandt, Bach, Mozart, Proust, Flaubert...) est tout fait de rigueur et de précision. Impossible de changer un mot dans une œuvre de Flaubert. Impossible de changer une note dans une œuvre de Bach. D'autre part, les sciences de la nature ne se réduisent pas à la rigueur et à la précision, mais ce sont plutôt des activités qui ont un objectif et une méthode bien déterminés, que l'auteur de la phrase discutée ignorait manifestement : l'objectif est de chercher les mécanismes des phénomènes, et la méthode a été discutée dans tant de mes billets précédents que je vous y renvoie. 

On voit donc mieux maintenant les deux termes de la phrase fautive que nous critiquons, à savoir l'art d'un côté, et les sciences de la nature de l'autre, ce qui revient à mettre d'un côté l'activité qui suscite des émotions, et de l'autre l'activité qui cherche les mécanismes des phénomènes. Rien à voir, ni hier, ni aujourd'hui, ni demain. Non, l'art culinaire ne sera jamais scientifique ! 

 

Quelques précisions

Cela étant posé, on peut ajouter quelques précisions. Par exemple, les phénomènes qui surviennent lors de l'activité culinaire peuvent être explorés par les sciences de la nature, et l'activité scientifique qui fait cela a pour nom "gastronomie moléculaire". D'autre part, on peut espérer que le praticiens, artisans ou artistes culinaires, aillent progressivement vers plus de rigueur et de précision, et c'était d'ailleurs l'un des objectifs de la réflexion technologique qui a présidé à la proposition de la "cuisine moléculaire", dont la définition est de rénover les techniques culinaires. 

Par exemple, avec des œufs à 67 degrés, on est bien plus précis que quand on met des œufs à l'eau froide, qui est ensuite portée à ébullition. Pour autant, les œufs à 67 degrés n'ont rien de scientifique ! Il sont issus d'une réflexion technologique fondée sur les progrès de la gastronomie moléculaire, mais la production d’œuf à 67 degrés est une activité entièrement technique, et non pas scientifique. A me relire, je vois que les plus idolâtres viendront critiquer mon discours, avec l'argument ad hominem qui consiste à dire que je chipote, que je pinaille. Puisque l'argument ad hominem est moralement condamnable, je vais me laisser aller à répondre par un argument également fautif... puisque ad hominem : ceux qui font un usage indistincts des mots en viennent vite à confondre les chats et les chiens, les tournevis et les marteaux ; aucun d'entre eux ne fera jamais de bon travail, parce que nos actes sont souvent accordés à nos mots (comme je l'ai récemment discuté à propos de crème fouettée). Quand nos mots sont erronés ou fautifs, alors il y a de fortes probabilités que nos actes conduisent à des résultats médiocres. Évidemment, il y a des génies intuitifs, des artistes qui ne savent pas les raisons de ce qu'il font, en termes de mots posés sur des actes, et qui font très bien. On peut même penser qu'il peut exister des personnes qui mettent des mots faux sur des actes qu'ils font très bien, mais imaginez qu'ils aient en outre les bons mots ! Et puis, l'enseignement consiste-t-il à dire des choses fausses ou bien plutôt à aider nos jeunes amis avec des idées justes décrites par des mots justes ? Finalement, non, mille fois non, un million de fois non ! L'art culinaire ne sera jamais scientifique ! 

 

Soyons positifs 

Soyons maintenant positifs. Il y a l'art culinaire, d'un côté, et les sciences de la nature de l'autre. Il est exact que si Rembrandt n'avait pas su tenir un pinceau, que si Bach n'avait pas su le contrepoint, alors aucune œuvre d'art ne serait née ni de l'un ni de l'autre. L'artiste a une obligation technique terrible, supérieure ; non seulement il doit être un parfait technicien, mais il doit avoir en plus la capacité de parler à l'esprit des autres. Éviter des coulures sur un tableau, c'est bien, mais faire pleurer d'émotion c'est mieux. Même chose pour la musique, la littérature... et l'art culinaire. Que mes amis cuisiniers me pardonnent, mais je me satisfais mal d'une cuisine simplement techniquement satisfaisante. En revanche, je chéris encore le souvenir de ces rares plats où des larmes me sont venues aux yeux, où j'ai eu cet éblouissement intérieur devant la beauté (en goût !) des mets qui m'étaient servis. Cela, c'est quelque chose que nos jeunes amis méritent de connaître, et, à défaut qu'ils l'aient vécu eux-mêmes, nous avons une sorte d'obligation de leur en montrer l'existence. Oui, il y a des artistes culinaires, qui éblouissent, et pas seulement par l'usage de l'argument d'autorité, mais par l'exercice de leur art ! Maintenant, pour les sciences de la nature, il y a donc la gastronomie moléculaire, qui a été formellement créée en 1988, et qui se développe dans le monde entier, à la recherche des mécanismes des phénomènes : un soufflé gonfle, un viande brunit, une crêpe se perce de petits trous, un haricot vert jaunit un peu... Pour tous ces phénomènes, il y a des mécanismes, et, depuis quelques décennies maintenant, la gastronomie moléculaire explore ces phénomènes, à la recherche des mécanismes. Évidemment il faut commencer par établir les phénomènes. Par exemple, récemment, nous avons observé que des navets caramélisés à blanc perdaient 40 pour cent de leur masse, de leur eau : il y a lieu d'explorer ce phénomène, de l'établir pour des légumes de diverses sortes, et c'est quand cette première étape sera faite, laborieusement, que nous pourrons passer à la suite, à savoir l'établissement d'équations qui décriront le phénomène, avant de passer à la suite, laborieusement, à savoir la recherche de mécanismes quantitativement compatibles avec les équations. Puis viendra l'étape suivante, laborieuse encore, qui consistera à chercher des conséquences de notre théorie pour nous mettre nous-mêmes à en chercher une réfutation, et ainsi de suite. On voit bien, à cette description, que la gastronomie moléculaire n'a en réalité que faire de l'art culinaire ; elle a suffisamment à faire avec la composante technique de la cuisine, tant le nombre de phénomènes inexplorés reste considérable. On a vu, d'autre part, combien les explorations sont longues, laborieuses, de sorte qu'avant d'avoir terminé l'examen des phénomènes, de la technique culinaire, il se passera sans doute des siècles. Aurons-nous fait quelque chose d'inutile ? Certainement pas, car tout fait établi est un fait établi, et constitue un socle sur lequel peuvent s'ériger science, technologie et technique. La gastronomie moléculaire est une science merveilleuse, et les enjeux sont si grands (agrandir le territoire du connu) que cela vaut la peine que nous nous y consacrions sans relâche. Jamais cette activité ne se confondra pour autant avec l'art culinaire. 

Vive la Connaissance (bien) produite et (bien) partagée !