vendredi 7 juin 2024

La retraite ? Pourquoi ?

Je m'étonne de voir mes amis de mon âge partir les uns après les autres en "retraite". 


L'un d'entre eux suit des cours d'histoire de l'art,  l'autre part en voyage, le troisième apprend le chinois... Je ne parviens pas à m'empêcher de penser qu'ils font des choses très inutiles pour meubler la vacuité de leur existence. 

Mais surtout, pourquoi partent-ils en retraite ? Ceux qui travaillaient dans l'industrie avait des contraintes dont on pouvait penser qu'elles pouvaient être pesantes : des réunions interminables, ennuyeuses, des horaires mangeant leur sommeil, des transports fatigants... 

 

Mais pour les scientifiques ? Pourquoi arrêter ? Pourquoi arrêter de faire quelque chose de si merveilleux ? Et puis s'arrêter pour faire quoi ? Bien sûr, on a le droit d'aimer plusieurs choses à la fois, par exemple la science et la musique, mais si la science nous plait plus que la musique, si l'on a conclu que c'était la science que l'on aimait le plus, pourquoi  ne plus en faire ? 

Pour moi, c'est clair : m'arrêter de faire de la recherche scientifique, ce serait me condamner à faire moins passionnant que ce que je fais. Bien impossible ! 

On ira mon texte sur le "château de la science", inspiré du texte d'Einstein sur le temple de la science, pour comprendre que nombre de mes amis qui partent en retraite étaient comme des marchands du temple, et l'on ne doit pas s'étonner que leur carrière scientifique ait été si mince. 

 A l'inverse, j'aime beaucoup Jean-Marie Lehn qui, à plus de 80 ans, va au laboratoire tous les matins, et continue de faire avec passion cette science si merveilleuse qu'est la chimie.

jeudi 6 juin 2024

A propos d'enseignement : sommes-nous condamnés à rabâcher ?

 Sommes-nous condamnés à rabâcher, quand nous parlons à nos jeunes amis ? D'abord, nous n'avons pas raison de vouloir parler, dire les choses, au lieu d'inviter nos amis à le découvrir dans des directions que nous pourrons leur indiquer. Mais, surtout, c'est à nous d'y mettre de l'intelligence, laquelle n'est pas la morne répétition. 

Alors qu'arrivenr le nouveau stagiaires au laboratoire, les 300 ou 400-ièmes, je suis en mesure de leur donner des documents rédigés sur les divers points qu'ils doivent apprendre, tels que  peser, d'utiliser un Soxhlet, tenir un journal, faire une présentation orale, et cetera. 

Grâce à ces documents, rédigés et améliorés au fil des années, je n'ai plus à me répéter, et je peux me limiter à les inviter à lire les documents et à m'en faire des commentaires pour que je puisse produire des améliorations. 

Pourtant, ce sont toujours les mêmes erreurs qui arrivent... ou presque. 

Par exemple, dans une recherche biographique, un de nos amis trouve une thèse faite dans un pays scientifiquement faible, un article en français également dans un journal très confidentiel, un article dans une revue prédatrice : la faute classique était de chercher de la bibliographie en français, langue où ne se font généralement pas les publications scientifiques de qualité sauf exception (par exemple pour les mathématiques).
 

Plus en détail, j'analyse pour mon ami plus jeune que moi que la thèse comporte des fautes d'orthographe dès la première page et  remercie dieu dans la seconde  : cela n'est pas "professionnel". Mais, surtout, dans cette thèse, c'est  l'absence de références correctes à de bonnes revues, en anglais, qui doit nous conduire à douter de la qualité du document. Là, je suis heureux de renvoyer mon ami plus jeune vers le cours que j'ai publié précisément pour aider à reconnaître les bons et les mauvais articles : https://hal.inrae.fr/hal-04393274/document. 


Pour la revue confidentielle, il était plus difficile de se méfier et c'est seulement par l'absence de comité de lecture et d'évaluation par les pairs que l'on peut avoir une indication de la médiocre qualité a priori les articles publiés dans cette revue.


Enfin, j'arrive au dernier point : il y a du nouveau avec les revues prédatrices,  qui n'existaient pas il y a quelques années. Ces publications sont nées à la faveur du mouvement de publication ouverte : des malhonnêtes ont cherché à gagner de l'argent sur le dos de la recherche scientifique en publiant des articles sans mettre en œuvre tout l'arsenal de contrôle qui s'impose. Progressivement, elles ont été dénoncées, et l'on en est arrivé à la situation actuelle où les institutions scientifiques ont  tout à fait légitimement interdit à leurs chercheurs de publier dans ces revues.
Mais que faire quand des articles de qualité ont échoué dans ces revues, alors qu'on n'avait pas encore identifié leurs agissements ? Il nous reste seulement à bien lire, et, sans doute, à éviter de les citer, sous peine d'être crédité d'un travail médiocre. 

Et cela est nouveau : décidément, pas question de rabâcher !

lundi 3 juin 2024

À propos de vignes et de vins

Je reviens de deux jours passionnants de colloques que je contribuais à  organiser à Colmar, d'abord avec l'Académie d'Agriculture de France, puis  avec l'Académie d'Alsace. Le thème était : la vigne et le vin demain

En effet, dans ces temps de changement climatique, on voit clairement les dates des vendanges avancées, notamment en Alsace, et aussi les différents stades de la vigne évoluer.
Cela conduit à des évolutions nécessaires de la conduite de la vigne et de la vinification. 

Mais d'autres contraintes se sont ajoutées,  à savoir le souhait des amateurs de vin d'avoir des breuvages un peu moins chargés en alcool, un peu moins chargés en sucres, et la volonté publique de réduire les intrants moléculaires, pesticide ou divers traitements de la vigne. 

Il y a de cela quelques temps, la station INRAE de Colmar avait étudié la modification génétique de la vigne pour la faire résister aux maladies mais un salaud, un malfrat les a arrachées, ruinant des dizaines d'années de travail du service public, anéantissant le travail de thèse de plusieurs doctorants, et je ne comprends pas pourquoi encore cet homme n'est pas en prison pour une longue durée. 

Mais les chercheurs INRAE se sont aussitôt remis au travail et ont cherché des croisements de vignes, pour  identifier des gènes de résistance aux principales maladies, que sont le mildiou, le court nué, par exemple, et c'est ainsi qu'ils ont réussi à identifier de tels gènes et que sont en cours des programmes de recherche et de sélections pour arriver à des vignes résistant aux maladies. 

D'autre part, les biologistes ont progressivement appris à mieux connaître les micro-organismes du sol, et leur symbiose avec la ligne, ce qui permet à cette dernière de croître dans de meilleures conditions. Se pose aujourd'hui la question d'inoculations dans le sol et en tout cas de meilleur conduite du sol pour des vignes en bonne santé, alors que celles-ci souffriront à la fois de grandes périodes d'humidité  et de grandes périodes de sécheresse. 

Avec des travaux sur l'effet de l'alcool sur la santé et des études sur les évolutions de la consommation, voilà un joli bouquet de conférences qui nous a été offert  le vendredi 31 mai, alors que l'Académie des agriculture de France était en "visite". 

Puis tout notre petit monde est parti en face, au centre INRAE de Colmar, où nous avions organisé une visite des serres et des vignes expérimentales, avant une dégustation des vins des nouveaux cépages résistant aux maladies. 

Le soir, en plein centre de Colmar, et sur l'invitation de la mairie, l'Académie d'Agriculture de France et l'Académie d'Alsace organisaient un débat entre Marion Guillou, ancienne présidente d'INRAE et actuel présidente de l'Académie d'Agriculture, et Jean Robert Pitte, président d'honneur de la Conférence nationale des académies. 

Le lendemain, l'Académie d'Alsace organisait une rencontre avec toutes les académies de l'est, toujours sur le thème de la vigne et du vin demain

 

Au total, deux jours parfaitement stimulants dont on espère qu'ils inspireront  les plus jeunes, notamment les étudiants de l'IUT de Colmar, mais aussi les jeunes en stage ou en thèse à l'INRAE. Il était extraordinaire de voir un groupe tellement en phase, qu'ils agisse des chercheurs, des enseignants, des étudiants, des politiques et des journalistes.

dimanche 2 juin 2024

Un chat est un mammifère, mais un mammifère n'est pas nécessairement un chat !

 Phénols, oligophénols, polyphénols, tanins
C'est la grande confusion : les sommeliers parlent de "tanins" sans les avoir vus dans les vins, les chimistes imparfaitement rigoureux parlent indûment de polyphénols... et le public est perdu. Pourtant, ce n'est pas si compliqué !

Commençons par "le" phénol : c'est un composé qui se présente sous la forme d'un liquide transparent, dans les conditions ambiantes. Ses molécules sont faites de six atomes de carbone formant un cycle hexagonal, avec un des atomes de carbone lié à un atome d'oxygène, lui-même lié à un atome d'hydrogène. Le motif atome d'oxygène-atome d'hydrogène est nommé "groupe hydroxyle".

Quand le cycle hexagonal porte d'autres groupes hydroxyles, la molécule est un diphénol, triphénol, etc. Globalement, ce sont des "oligophénols", du mot grec "oligo" qui signifie "peu".

Et l'on peut compliquer la situation, comme dans les "anthocyanes", les composés qui font les couleurs des fruits et des fleurs : il y a au moins un motif à six atomes de carbone, et plus d'un groupe hydroxyles, de sorte que ce sont encore des oligophénols.

Et les "polyphénols" ? Il faut plus de 10 groupes hydroxyles, comme, par exemple, dans cette "lignine" qui durcit les bois.

Les tanins, enfin, sont des composés phénoliques particuliers, en cela qu'ils "tannent", à savoir qu'ils se lient aux protéines, notamment, pour faire des cuirs résistants. Il y en a plusieurs sortes, et ce sont souvent des oligophénols, parfois des polyphénols.

L'ensemble de ces composés : ce sont les composés phénoliques. Mais les diverses catégories ne sont interchangeables, et, si un chat est bien un mammifère, tous les mammifères ne sont pas des chats !

dimanche 26 mai 2024

Luttons pour donner des idées justes !


Certaines idées très fausses ne cessent de courir, polluant nos discussions, contaminant notre vie en collectivité, faussant les décisions de nos communautés. Il y a des fantasmes, des croyances, des opinions, des lubies…, mais les plus fausses de ces idées fausses sont celles sur lesquelles on érige des raisonnements. 

Par exemple, les « carrés ronds » : sont-ils rouges ? Bleus ? Graves ? Aigus ? Sucrés ? Salés ? Bien sûr, on a le droit de s'amuser à imaginer des choses, mais il semble essentiel de bien se rappeler alors que ce sont des imaginations, des fictions. La question, d'ailleurs, n'est pas neuve, puisque l'on se moque depuis le Moyen Âge de théologiens qui discutaient à l'infini pour savoir combien d'anges pouvaient tenir sur la pointe d'une épingle. Si les anges n'existent pas, ce n'est pas la peine de faire de tels calculs idiots, d'y passer tant de temps. 

En sciences de la nature, l'une de ces idées fausses est celle des « technosciences », selon laquelle il n'y aurait pas de différence entre les sciences de la nature et… on ne sais pas très bien (ça dépend des auteurs, qui agitent parfois leur plume de façon bien inconsidérée) si « techno » se rapporte à la technique ou à la technologie. En gros, l'idée est essentiellement politique (au mauvais sens du terme, celui de la politique politicienne, le pouvoir avant le bien collectif), et elle tend à faire croire (ce qui n'est pas juste, ni vrai) que les sciences de la nature se sont alliées à l'industrie, se détournant de leur objet qui est la découverte de connaissances « pures », pour se mettre à la solde de ladite industrie. 

Évidemment, dans un tel discours, l'industrie est toujours quelque chose d'affreux par principe, et la notion (je le redis : c'est un fantasme, pas un objet qui existe) de technoscience est une notion qui relève d'une pensée politicienne… mais je me reprends, car je ne suis pas sûr qu'il s'agisse d'une pensée, mais plutôt d'une compulsion insuffisamment questionnée. 

Tout cela étant dit, cette idée fausse de la prétendue technoscience (rien qu'écrire le mot m'arrache la plume) a des avatars, qui sont parfois portés par des amis qui n'y voient pas grand mal, puisque le déguisement qui habille alors ces erreurs (pour ne pas dire « des fautes ») ne permet plus de les reconnaître aussi facilement. 

Un de ces avatars est le suivant : « la science est politique : on trouve ce que l'on cherche ». Il y a là deux phrases qui méritent d'être discutées, avant que nous fassions la synthèse. La science serait politique ? Bien sûr ! La science est politique ? Il y a deux mots essentiels : « science », « politique ». Précisons tout d'abord que nous ne considérerons ici que les sciences de la nature, et je renvoie vers de nombreux billets précédents pour voir ce que c'est, car l'expérience me prouve que beaucoup de ceux qui prononcent le mot « science », même dans l'acception sciences de la nature, ne savent souvent pas de quoi ils parlent. Pour faire simple, rappelons seulement que les sciences de la nature cherchent les mécanismes des phénomènes à l'aide d'une méthode très codifiée, que nous nommerons, pour faire court, méthode scientifique, ou méthode quantitative. 

Les sciences de la nature seraient politiques ? Il y a le mot « politique », qui est ambigu, puisqu'il s'applique aussi bien aux activités au sein de la cité, du grec polis, la communauté humaine, ou s'il s'agit de diriger ladite cité. On comprend que, dans la critique faite à la technoscience, une notion de pouvoir est considérée… ou plutôt déconsidérée, car il est supposé que la moindre tête qui dépasse soit à couper, idée bien naïve pour mille raisons, et qui conduit à des utopies idiotes, et surtout réfutées par les faits : dans un groupe d'êtres humains, mêmes éclairés, il est plus efficace que quelques uns d'entre eux puissent orchestrer. Il y a de la place pour tous, on doit le respect à tous, mais il est bon d'éviter les cacophonies, et d'instituer des règles (oui, des règles!) pour que le fonctionnement collectif soit harmonieux. Oui, la science est politique, au sens de son inscription dans la cité : les scientifiques n'oublient pas qu'ils sont payés par les citoyens pour aller agrandir le royaume du connu. C'est à ce titre qu'ils ne font pas n'importe quoi, et qu'ils ont l'obligation d'être très « efficaces », au point que certains sont même malheureux quand ils ne font pas de découverte. J'ai discuté la chose mille fois et je n'y reviens pas : oui, les scientifiques sont des gens responsables, dont l'activité est parfaitement politique, au sens de sa place dans la communauté humaine. 

On observera, pour terminer sur ce point, que je fais une différence entre la science et les scientifiques. La science est une activité que font les scientifique, de sorte que ce n'est pas la science qui est politique, mais les scientifiques eux-mêmes, et je crois que toute discussion qui partirait de mots fautifs serait condamnée, minée, sapée. Faisons donc bien la différence, soyons un peu précis, même si l'exposition semble compliquer un peu : en réalité, c'est de la clarté pour tous. La science trouverait ce qu'elle cherche ? Ce ne serait pas de la science ! 

 

Mais passons à la deuxième moitié de la phrase : on ne trouverait que ce que l'on cherche ? Cette fois, l'erreur est flagrante. Il y a tout d'abord cet a priori qu'il suffit de chercher pour trouver. Un exemple s'impose, outré, avant d'arriver à une exemple moins évident. 

L'exemple outré, donc : si un ou une scientifique cherche une clé sous un lampadaire où il n'y a pas de clé, il aura beau chercher, mais il ne trouvera pas. Autrement dit, ce n'est pas parce que la science cherche qu'elle trouve... ce qu'elle cherche. L'exemple plus élaboré, maintenant, m'a été donné par un ami, dans une discussion récente, et l'on ne peut donc pas le repousser d'un revers de main aussi rapidement que le premier. C'est celui de la « recherche de gènes de l'homosexualité ». Il y aurait des individus qui chercheraient les gènes de l'homosexualité ? Pourquoi pas. D'une part, pourquoi n'y aurait-il pas de tels individus, et, d'autre part, pourquoi n'y aurait-il pas de tels gènes ? Pour la première question, on trouve de tout dans le monde des êtres humains. Pour la seconde question, c'est plus épineux, car, même sans que je prenne parti, je sais que le simple fait d'envisager la possibilité de l'existence de gènes de l'homosexualité est quelque chose de terrible, que certains reprocheront. J'insiste : je n'ai pas dit, pourtant, que je crois à cette existence, mais surtout, il y a deux réponses à donner à cette critique. La première, c'est que la science n'est pas la morale. Bien sûr, les scientifiques doivent, eux, se livrer à une activité moralement digne, mais il n'est pas indigne de poser des questions, et, d'ailleurs, les scientifiques ne font que cela... ce qui a toujours gêné beaucoup de nos concitoyens. Que l'on pense au système copernicien, qui s'opposait à la Bible en mettant la Terre autour du Soleil plutôt que l'inverse : à l'époque, c'était considéré comme terrible, alors que nous le supportons facilement aujourd'hui. Que l'on pense à la mécanique quantique, dont une interprétation entièrement probabiliste suscitait la fureur de certains, qui auraient voulu plus de déterminisme. Que l'on pense à la possibilité du clonage humain (je n'ai pas dit que j'y étais favorable), qui fait trembler aujourd'hui. 

Je maintiens qu'une activité scientifique de bon aloi doit pouvoir poser des questions, discuter ! Je ne dis pas que nous pouvons faire n'importe quelle recherche, mais je dis que la discussion est possible, sans quoi on tombe dans le dogmatisme le plus étriqué. Bref, continuons la discussion sur ces gènes prétendus de l'homosexualité, en supposant pour les besoins de la discussion que l'homosexualité existe, soit un "phénomène" suffisamment circonscrit pour pouvoir être étudié ; je ne sais pas s'il y a de tels gènes, je ne sais pas s'il n'y en a pas, mais, de toute façon, la science n'est pas là pour espérer les trouver ou espérer ne pas les trouver (on a compris que le mot "espérer" ne s'applique pas à la science, mais aux scientifiques). Surtout, pour bien comprendre pourquoi, sur cet exemple, il y a une confusion entre science et technologie, ou une méconnais

ssance de la science, c'est maintenant le moment de rappeler la méthode des sciences de la nature. On identifie d'abord un phénomène, puis on le quantifie ; on réunit les mesures en lois quantitatives, c'est-à-dire en équations, puis on cherche des mécanismes nouveaux, assortis de notions nouvelles, quantitativement compatibles avec les équations, et l'on cherche ensuite à réfuter ce groupe de mécanismes et de notions, cette "théorie", par des expériences toujours quantitatives. Revenons donc aux différentes étapes à propos de ces prétendus gènes de l'homosexualité. La première étape consiste donc à identifier un phénomène. Comme dit précédemment, ce phénomène doit exister, sans quoi on tombe la mauvaise scolastiques des anges sur les épingles. Les gènes ? Ce sont des objets biologiques apparus anciennement (il y a plusieurs décennies), et la connaissance de la biologie moléculaire montre que les choses se sont considérablement compliqué depuis, de sorte que le mot « gènes » semble déjà un peu hâtif. L'homosexualité, d'autre part ? De quoi s'agit-il ? Entre l'effleurement et la pénétration, il y a une gamme de comportements sexuels considérables, et, sans être spécialiste de la chose, je vois que la notion est bien trop large pour être explorée simplement, et je sais aussi que les comportements humains ont une relation extraordinairement compliquée avec les gènes. De sorte qu'un bon scientifique ne posera pas la question initiale, mais une question bien plus réduite.. au point que l'on a critiqué la science pour son réductionnisme (mais les critiques contre "la science" sont comme les aboiements des chiens : la caravane passe). Passons rapidement sur la mesure quantitative du phénomène exploré, dans ce cas particulier, et arrivons à la modélisation. Supposons que les mesures effectuées aient conduit à un groupe d'équations. La vraie science ne se limite pas à une telle caractérisation (sinon, ce n'est que de la mesure, pas de la science), et elle cherche des notions nouvelles. Il ne s'agit pas de rester sur le phénomène initial, mais de trouver des mécanismes nouveaux, des notions nouvelles, et cela est quelque chose d'imprévu. Je le répète : la science n'est pas la vérification ! Elle est la découverte de « montagnes » complètement imprévues… Oui, imprévues, sans quoi il n'y aurait pas de "découverte", et l'on n'aurait pas agrandi le royaume du savoir ! Autrement dit, si l'on part de l'exploration d'un phénomène, on ne sait absolument pas ce que l'on va découvrir, et, à la limite, on pourrait dire que le phénomène initial n'est qu'une excuse pour arriver à quelque chose de nouveau. Dans nombre de discussions à propos de la science, et notamment dans les discussions à propos de cette prétendue technoscience (qui n'existe pas, je le répète de façon lancinante), il y a cette confusion néfaste, qu'il faut dénoncer entre la science et la technologie. Quand je dis "confusion", je ne dis pas que la science se confond avec la technologie, mais bien plutôt que des individus ne sont pas capables de voir la différence. C'est une confusion terrible, pour nos choix collectifs, parce qu'elle mine également bien des discussions à propos des sciences de la nature. On sait qu'il y a une volonté industrielle, politique, etc., que la science « serve à quelque chose », mais Louis Pasteur, qui fut pourtant l'un des plus remarquables scientifiques capables de trouver des applications, avait bien dit que l'arbre n'est pas le fruit. La science n'est pas la technologie, et il n'y a pas ce que certains "science appliquée" en raison d'une réflexion insuffisante : il y a la science, et les applications de la science. "Science appliquée" est aussi chimérique que "carré rond", et l'on ne doit pas s'étonner de retrouver ce type d'erreur dans cette discussion, car, une fois de plus, elle est fondée sur une méconnaissance de ce qu'est la science. Oui, la science n'est pas la recherche de solutions, d'applications, et il faut dire avec beaucoup de force que c'est seulement la recherche de découvertes : il s'agit d'agrandir le royaume du connu. 

Et voilà pourquoi je peux maintenant conclure à propos de la seconde idée énoncée, selon laquelle on trouverait ce que l'on cherche : non, mille fois non ! Les scientifiques "ne trouvent jamais ce qu'ils cherchent", parce qu'ils n'ont pas cet espoir ce "trouver ce qu'ils cherchent". Au contraire, ils ne cherchent que ce dont ils n'ont pas idée ! Leur espoir, c'est de faire des découvertes, c'est-à-dire de trouver des choses dont ils n'ont pas idée a priori, et qui bouleverseront nos connaissances. Un bon exemple est la découverte de la théorie de la relativité, où l'on s'interrogeait simplement sur la notion d'inertie : comment l'état de mouvement d'un objet peut-il changer ? Qu'est-ce que le "mouvement" ? Il n'y avait absolument aucune idée d'application, et il a fallu des décennies avant que l'on ne trouve ces applications… qui sont partout maintenant : par exemple, la géolocalisation par satellites ! Autrement dit, c'est une grande ignorance de la nature de la science que cette phrase dont nous sommes partis. J'ajoute, pour bien faire comprendre ce qu'est la science, que cette dernière veut "réfuter" les théories : il s'agit principalement de montrer en quoi les théories que l'on a sont fausses (disons "insuffisantes"), afin de les améliorer. Autrement dit, une "vérification", au sens d'une confirmation, serait exactement l'inverse du travail scientifique ! Vive la connaissance ! 

Concluons, en discutant sur les explications que l'on peut donner de la science. Pendant longtemps, j'ai eu la stratégie de donner les arguments précédents (et d'autres) en les assortissant d'hésitations (feintes), de questionnements, afin que mes amis ne reçoivent pas ces arguments de façon péremptoire, ce qui les aurait conduit à les rejeter. Aujourd'hui, j'ai le sentiment que ça suffit, et je crois qu'il est temps de dénoncer très vigoureusement, sans ménagement, les fantasmes, les lubies qui pénalisent notre bon fonctionnement collectif. Il faut combattre les idées fausses. Toutefois il ne faut pas être "défensif", mais bien plutôt très positif, enthousiastes, et c'est pourquoi je maintiens très énergétiquement l'idée suivante : les scientifiques sont politiquement très responsables ; il sont politiquement engagés, non pas dans la gestion des groupes humains, mais dans leur activité de recherche scientifique, et les découvertes, les vraies, sont toujours imprévues. Vive la connaissance !

samedi 25 mai 2024

Une idée dans un tiroir n'est pas une idée


On a évidemment compris ce dont il s'agit. Bien sûr, une idée, c'est une idée, mais ce que cette phrase signifie, c'est qu'une idée doit être partagée. Pourquoi ? 

Pour de nombreuses raisons, mais tout d'abord parce que la présentation de nos idées à nos amis nous oblige à des formulations plus claires… pour nous mêmes et pour les autres. Cela force à satisfaire des conditions particulières de communication, à éviter les coqs à l'âne, à préparer l'exposition, à utiliser des mots parfaitement clairs... 

Mais tout cela est en réalité un atout et une garantie. Une garantie que l'idée est parfaitement valide, car il arrive que l'examen soigneux des idées vagues que nous avons conduit finalement à leur réfutation. Un atout, parce que, alors, les idées sont affinées, prennent plus de force. En sciences de la nature, cette phrase « une idée dans un tiroir n'est pas une idée » fait écho à cette règle que le physico-chimiste britannique Michael Faraday s'était donnée : travailler, publier. Nous devons effectivement publier les résultats que nous obtenons, qu'ils soient d'ailleurs négatifs ou positifs. Faire une expérience et obtenir un résultat négatif, c'est d'ailleurs en réalité très positif, puisque cela nous conduit observer que notre théorie est contredite par les faits. Ainsi, nous pouvons progresser, chercher en quoi notre théorie est fautive, proposer une théorie améliorée : tel est précisément l'objectif des sciences de la nature. 

Bien sûr, cette réfutation nous conduit à d'autres travaux, et il faut savoir où s'arrêter pour la publication, mais quand même, il y a quelque chose de sain dans l'affaire. Et, finalement, ce sera une question de travail que d'arriver à un manuscrit publiable. Une idée dans un tiroir n'est pas une idée : cela signifie aussi que, dans notre monde, nombre de personnes prétendent avoir beaucoup d'idées, mais ils les montrent peu. 

Je propose de considérer que ces idées cachées n'existent pas. Il y a notamment, avec l'industrie et son secret industriel, cette incertitude constante à propos de ce qui est su et de ce qui est ignoré : je déteste cette prétention qui consiste à dire que l'on aurait des idées qu'on n'a pas publiées. Disons que ces idées n'existent pas. 

Je me souviens ainsi d'un épisode amusant : alors que j'avais réussi à « décuire » des œufs, en 1997, un capitaine d'industrie à qui je racontais la chose m'avait dit que cela était connu depuis longtemps de ses services… mais qui, deux semaines après, alors que je faisais une conférence où je présentais le résultat, il avait envoyé des ingénieurs pour apprendre comment j'avais fait ! Ce cas n'est pas isolé : je l'ai rencontré souvent, et ma religion est maintenant faite : sauf à voir le fruit d'idées que ces gens prétendent avoir, je considère qu'ils n'ont pas les idées dont ils ont la prétention. 

A l'inverse, on voit parfois des résultats extraordinaires, qui correspondent à des idées qui n'ont pas été présentées. Par exemple, je me souviens de biscuit d'apéritifs apparemment anodins… qui étaient comme de petits ballons creux. Des petits ballons ? On peut obtenir de tels soufflement par « cuisson extrusion », avec la brusque détente d'une pâte (farine et eau) que l'on pousse dans un cylindre, à l'aide d'une vis d'Archimède. Mais des ballons percés ? Essayez donc de souffler dans un ballon de baudruche, et vous verrez que c'est très difficile ! Je ne sais absolument pas comment ces biscuits ont été produits, mais je propose d'admirer le tour ce force. Il y a de nombreuses façons de sortir une idée d'un tiroir, de la publication à la matérialisation, en passant par l'évocation orale, et, tout cela permet que nos idées ne restent pas dans les tiroirs.

vendredi 24 mai 2024

La vie est trop courte pour mettre les brouillons au net : faisons des brouillons nets


« La vie est trop courte pour mettre les brouillons au net : faisons des brouillons nets » : cette phrase m'a été confiée par le musicien/acousticien/musicologue français Jean-Claude Risset, un des pionniers de la musique électroacoustique, à qui l'on doit, avec James Shepard, un escalier d'Esher musical. 

Commençons par expliquer ce qu'est cet escalier : comme dans les gravures de l'artiste néerlandais Maurits Esher, où un escalier semble monter à l'infini en raison d'effets de perspectives, les escaliers infinis musicaux sont des sons qui ne cessent de monter, ou qui ne cessent de descendre. On obtient cet effet en changeant la hauteur totale du son en même temps que l'on change sa composition en « harmoniques », mais c'est là un autre sujet que je vous invite à découvrir tout seul. 

Revenons donc à la phrase de Jean-Claude Risset : c'était une réponse à une question que je lui avais posée, à savoir comment devenir intelligent ? Je pars de l'hypothèse que l'intelligence, c'est d'abord du travail, mais pas du travail machinal ; non, du travail réfléchi. Je pars également de l'hypothèse selon laquelle nos études -et je ne parle pas du temps passé en classe, mais du temps passé à étudier- nous portent quand elles nous donnent des méthodes (et des notions), et je suppose de surcroît que chaque champ professionnel a sans doute des méthodes meilleures que d'autres. En physique, il faut des méthodes de physicien. En chimie, il faut des méthodes de chimiste. 

Et c'est ainsi que, depuis des années, je demande à tous ceux qui ont du succès dans leur profession, dans leur activité, dans leur travail, de me révéler leurs méthodes intimes. Généralement, nos amis sont partageurs, généreux même, et c'est ainsi que Jean-Claude Risset m'a confié cette phase que je trouve parfaitement juste. Au lieu de faire dix fois de suite la même chose très imparfaitement, il est sans doute bon d'essayer de faire immédiatement quelque chose de très bien. 

Cette idée rejoint celle que j'ai tirée de l'analyse du cahier de laboratoire du physicien français Pierre-Gilles de Gennes, prix Nobel de physique en 1991 : ce cahier de laboratoire était si merveilleusement écrit, si étonnamment calligraphié, que je ne crois pas que je parviendrais à quelque chose d'aussi propre, même en m'appliquant (sauf à utiliser un ordinateur). Manifestement Pierre-Gilles ne faisait pas mille brouillons successifs, et il allait immédiatement à quelque chose de propre et de bien fait. 

D'ailleurs, prononcer le mot « brouillon » suffit pour montrer pourquoi sont usage est disqualifié, et pourquoi il serait sans doute bon que l'on évite d'en promouvoir l'emploi à l'école. Si l'objectif est de faire des brouillons nets, alors un cahier de notes suffit. A ce propos, il faut également discuter la question des cahiers de laboratoire, qui sont des cahiers où l'on consigne résultats et opérations, en sciences de la nature. J'ai rencontré des étudiants perfectionnistes, qui utilisaient un cahier de brouillon pendant leurs expériences au laboratoire et qui le recopiaient le soir sur le cahier de laboratoire officiel. C'est la preuve d'une solide conscience professionnelle… mais ce n'est pas une bonne pratique, car le cahier de laboratoire est un document officiel, qui atteste de la priorité des travaux, des résultats. Il ne doit pas sortir du laboratoire, et il doit être signé et contresigné chaque soir. De sorte que nos étudiants qui recopiaient chez eux le soir, le cahier de laboratoire à partir d'un cahier de brouillon faisaient plusieurs fautes d'un coup. 

Certains m'ont fait valoir que, pendant l'expérience, on n'a pas le temps de prendre des notes. Je crois que l'explication n'est pas bonne, parce que si l'on manque de temps, c'est que l'organisation de l'expérience est insuffisante, conduisant à des expériences dans la presse. Et puis, ne vaut-il pas mieux préparer l'expérience, c'est-à-dire l'anticiper en introduisant des blancs là où nous aurons des choses à noter, en prévoyant les différentes annotations que nous aurons à faire, voire en ménageant des espaces pour cet inattendu que nous cherchons toujours ? Il faut être une tête brûlée pour se lancer dans l'expérience sans réflexion, et et l'on ne parvient jamais a posteriori à rattraper un coup foiré. 

Ce qui ne signifie que l'on ne doive pas penser à nos travaux après coup ! Au contraire, cela vaut la peine, comme pour la naissance d'un enfant, d'avoir une longue préparation, une naissance que l'on cherche à faire aussi paisible que possible, et une longue maturation, ensuite, avec des développements supplémentaires. 

Décidément, je crois que cette phrase de Jean-Claude Risset que je discute ici mérite de figurer dans un document qui décrit les bonnes pratiques scientifiques, et c'est la raison pour laquelle je n'hésite pas, finalement, à mettre ce billet dans le blog correspondant.