Tu lis trop vite : il y a dans cette déclaration une réminiscence d'une phrase de Jean-Anthelme Brillat-Savarin, l'auteur de ce merveilleux livre intitulé Physiologie du goût qui éblouit les gourmands tous les pays depuis sa publication en 1825. Toutefois, avec le "Tu lis trop vite", je pense à des questions d'enseignement plutôt que de gourmandise, comme on le verra plus loin.
Mais d'abord considérons la phrase de Brillat-Savarin, qui apparaît à la fin de l'avant-propos de la Physiologie du goût : l'auteur se met en scène avec un de ses amis qui veut le convaincre de publier ce livre qui est en réalité déjà publié, première coquetterie littéraire d'un livre qui n'est presque que cela. L'auteur était en réalité non point un "physiologiste", non pas un "docteur", comme il se présente à ses lecteurs, mais un avocat un juriste, conseiller à la Cour de cassation, et le dialogue qu'il nous livre dans cet avant-propos est une deuxième coquetterie d'auteur : il dit à son ami qu'il ne peut pas publier un livre si différent des affaires sérieuses dont il s'occupe d'habitude. Son ami le menace : "Si tu ne publies pas ton livre, je dirais au monde ton plus gros défaut. Et quel est-il, demande l'autre tremblant ? Tu manges trop vite !
Oui, manger trop vite, c'est un des un des gros défauts des gourmands, qui manquent ainsi d'humanité parce qu'ils ne savent pas prendre le temps d'apprécier les bonnes choses, d'en parler, de transformer de la matière en culture. On passe vite de la gourmandise à la goinfrerie à ce compte-là !
Et nous arrivons maintenant à la question des études. Dans de nombreux billets, j'ai discuté le fait que, pour apprendre quelque chose, et pour savoir quelque chose, il faut l'apprendre sept fois (environ), et je crois avoir bien compris, en analysant les échecs de mes jeunes amis et de moi-même, que ces échecs sont dus à un temps insuffisant passé sur les notions que nous étudions. Quand nous lisons, quand nous lisons trop vide, donc, nous sautons un mot de temps en temps, de sorte que les notions que ces phrases transportent nous échappent et notre apprentissage se fait mal.
Oui, c'est un fait que nous lisons trop vite. Souvent des cours que nous voulons apprendre nous paraissent compliqués, parce que nous les lisons trop vite, parce que nous ne prenons pas le temps d'analyser correctement leur contenu.
Bien sûr il existe de mauvais documents d'enseignement, qui compliquent notre apprentissage. On voit nombre de documents d'enseignement recopiés les uns sur les autres, éventuellement avec des erreurs introduites par ceux qui ont recopié. On voit des documents d'enseignements que l'on a du mal à comprendre... parce que ceux qui les ont produit ne les comprenaient pas... J'ai vu cela de nombreuses fois, à propos de mécanique quantique, à propos de spectrométrie de résonance magnétique nucléaire, à propos de chimie organique... et l'on n'y peut rien car il y aura toujours une proportion d'enseignants qui ne seront pas au niveau où on voudrait les voir, tout comme il y a une proportion d'étudiants qui ne sont pas au niveau où les professeurs voudraient les voir. Mais qu'importe. Ce qui compte, c'est d'apprendre et pour apprendre, il faut aller lentement.
Laurent Schwartz, mathématicien qui a reçu la médaille Field (l'équivalent du prix Nobel pour les mathématiques), a bien raconté que, dans sa jeunesse, il était très lent à comprendre et à apprendre, et il a expliqué qu'il lui fallait en effet mettre les notions nouvelles au milieu des précédentes, comme on place une pièce dans un puzzle en constitution. En revanche, a-t-il dit, une fois que la notion était insérée et solidement assujettie aux autres, alors il était extrêmement rapide et extrêmement efficace.
C'est bien là la question : il s'agit de lire lentement, afin d'appréhender tous les mots, de voir leurs relations, de voir le sens qu'ils recouvrent, de comprendre le sens qu'ils recouvrent, et cela ne se fait pas rapidement. On ne lit pas un manuel de physique ou de chimie "en passant", car il y a essentiellement du concept à bien intégrer, lentement. Il s'agit de lire, et certainement aussi de relire mais d'abord il faut lire lentement et relire lentement.
Oui, en général, on lit trop vite !
Ce blog contient: - des réflexions scientifiques - des mécanismes, des phénomènes, à partir de la cuisine - des idées sur les "études" (ce qui est fautivement nommé "enseignement" - des idées "politiques" : pour une vie en collectivité plus rationnelle et plus harmonieuse ; des relents des Lumières ! Pour me joindre par email : herve.this@inrae.fr
mardi 9 janvier 2024
Tu lis trop vite
Mon invention des billets doux
Une ancienne invention, quand je proposais à Pierre Gagnaire de la réaliser :
Billets doux
Mon cher Pierre,
Tu te souviens de ces emballages de fondants, où le papier, précurseur des carambars, contenait une maxime, une morale… Ou de ces gaufrettes sur lesquelles il y avait quelques mots… Oui, les mets en eux-mêmes sont -pour le Véritable Art Culinaire tel que je sais qu'il t'habite- un acte de communication, mais il n'est pas interdit d'utiliser toutes les ressources de la Culture humaine pour faire des œuvres encore plus explicites.
Car on se souvient que la cuisine, c'est de la technique, certes, mais c'est surtout de l'art, et, en tout premier lieu, une façon de dire « Je t'aime ».
Est-ce inélégant de le dire ? Les mets ne doivent-ils pas seulement le suggérer ? Je te sais suffisamment fin, délicat, intelligent, sensible, pour savoir que même ce qui pourrait devenir une vulgarité deviendra entre tes mains la possibilité d'un petit joyau artistique.
Tout cela pour dire que des mots pourraient être posés sur des aliments… mais il y a mieux : je sais que ta manière de mettre des « chapeaux » sur les mets, des voiles qui couvrent, cachent, protègent t'est sans doute essentielle, et je vois aussi, dans cette affaire, une relation avec l'emballage. Un mot pas très élégant : empaquetage serait mieux ? Guère. Mais pensons à ces cadeaux que nos amis japonais ne manquent de nous faire, toujours dans des papiers merveilleusement pliés, qui sont déjà du « je t'aime ».
Bref, il y a lieu de penser à des papiers !
Oui, pour écrire, du papier ; pour emballer, du papier. Mais pas de ces papiers plein de colle, de charges pigmentaires minérales inmangeables. Non, nous voulons du papier comestible.
Il y a plusieurs solutions, et, par exemple, ces emballages à base d'amidon tels qu'ils ont été bien explorés -jusqu'à l'étape industrielle- par mes collègues de l'Inra de Montpellier.
Mais je fais ici une autre proposition. Pense à ces papiers artisanaux que l'on faisait enfant, en mettant du bois à tremper dans de l'eau ; après une longue macération, on écrasait pour produire une sorte de pâte que l'on étalait sur un linge ; l'eau s'écoulait, et l'on finissait par soulever une feuille d'un papier un peu rustique, avec des fibres apparentes.
La
version culinaire ? On évitera évidemment les bois, les
chiffons sales ou les papiers plein d'encre. Non, on produira plutôt
de la cellulose quasi pure en extrayant le jus de carottes (pelées,
bien sûr) : le résidu solide sera lavé et séché, et c'est lui
qui sera utilisé pour faire les feuilles souhaitées. D'ailleurs, je
dis « carottes », mais pourquoi pas poireau, chou,
persil, cerfeuil, oignon… Et puis, tu peux très bien modifier les
fibres si elles ne te conviennent pas, sil elles sont trop rustiques,
par exemple : mets les, une fois sèches, dans un petit mixer, pour
les avoir plus délicates, ce qui fera un papier plus lisse.
D'ailleurs, il y a bien d'autres utilisations pour la cellulose
: je t'avais proposé , il y a plusieurs années, de l'utiliser dans
des confitures, pour leur donner une mâche un peu originale
:
http://www.pierre-gagnaire.com/pierre_gagnaire/travaux_detail/89.
Tout cela étant dit, il y a bien des façons d'agrémenter ces papiers. Car on se souvient que l'amidon chauffé fait un empois, par exemple. Ou que des colorants alimentaires peuvent colorer ! Sans compter l'introduction de sucre, de sel, de composés odorants…
Car l'eau de la pâte n'a aucune raison d'être de l'eau pure : ce peut être un bouillon, un fonds, un fumets, un jus de fruit…
Ah, je rêve déjà des billets doux que tu écriras à tes amis !
dimanche 7 janvier 2024
Une question à propos de riz
Un correspondant m'écrit :
samedi 6 janvier 2024
Une de mes anciennes inventions : le beurre chantilly (après le chocolat chantilly, le fromage chantilly, le foie gras chantilly)
Le beurre Chantilly
Je prends les devants parce que je sais qu’il y a un risque de confusion : il n’y aura pas de crème, dans ce nouvel ingrédient. Seulement du beurre et de l’eau, plus des molécules odorantes.
Oui, mais avant d’arriver à la recette proprement dite, je dois parler du lait et de la crème.
Le lait est blanc parce que c’est ce que l’on nomme une « émulsion » : il est majoritairement composé d’eau, mais, dans cette eau, sont dispersées des gouttelettes de matière grasse. Et le lait est blanc, quand il est éclairé par de la lumière blanche, parce que cette lumière vient se réfléchir sur les gouttelettes (l’eau, elle, laisse passer la lumière) : ce que nous voyons, ce sont les innombrables reflets sur les innombrables gouttelettes de matière grasse. En voulez-vous une preuve ? Eclairez du lait avec de la lumière rouge et vous le verrez rouge !
Donc le lait est fait de gouttelettes de matière grasse dispersées dans de l’eau (d’autres choses aussi, mais nous pouvons éviter de les évoquer). Quand on laisse le lait reposer, les gouttelettes de graisse viennent flotter en surface, ce qui engendre une émulsion concentrée en matière grasse, la crème, et laisse dans la partie inférieure du récipient une émulsion apauvrie : le lait écrémé.
Prenons cette crème, refroidissons-la et fouettons-la : le fouet introduit des bulles d’air, qui sont piégées par la matière grasse, laquelle vient former une sorte de coque autour de chaque bulle. On obtient ainsi la crème fouettée, ou crème Chantilly, quand on ajoute du sucre.
Nous sommes maintenant prêts pour décrire la nouvelle invention.
Réfléchissons à la production de la crème Chantilly : nous avons transformé une émulsion en une émulsion mousseuse. Pourrions-nous changer les ingrédients ? Pour le chimiste, l’eau, c’est l’eau, et même si du bouillon n’a pas le même goût que du jus d’orange, les deux liquides sont majoritairement composés d’eau. Dans cette eau, le procédé précédemment décrit disperse de la matière grasse : en 1995, j’ai proposé d’utiliser du chocolat en conservant le même procédé, et j’ai ainsi inventé le « chocolat Chantilly ». Puis, juste après, j’ai proposé d’utiliser du fromage pour faire du « fromage Chantilly ». Et, l’an passé, nous avons réalisé en pratique une invention faite naguère : le « foie gras Chantilly ».
La nouvelle invention était également prévue depuis quelques années : c’est de conserver le procédé mais de remplacer la matière grasse de la crème par du beurre, pour faire, donc, du « beurre Chantilly ». Et c’est toi, Pierre, qui m’a fait le plaisir de réaliser la recette pour la première fois, le 7 janvier 2003. L’année commence bien.
En pratique : comment faire ? D’abord, on réalise une émulsion, en plaçant, dans une casserole, de l’eau (qui peut avoir du goût) et du beurre. On chauffe doucement en agitant, et l’on obtient d’abord une émulsion de beurre dans de l’eau, une sorte de cousin du beurre blanc.
Puis on pose la casserole sur de la glace et l’on fouette : si les proportions sont appropriées (il faut retrouver celles de la crème), on voit le mélange mousser et prendre finalement une texture analogue à de la crème Chantilly : nous y sommes, c’est le « beurre Chantilly »
Qu’en feras-tu ?
Epinglons les malhonnêtes, qui laissent trop d'eau dans le beurre
Cela s'est toujours fait par les malhonnêtes : vendre du beurre où il y avait trop d'eau ! Car l'eau ne coûte guère, mais la matière grasse laitière oui !
Et les fabricants malhonnêtes de dire qu'ils ne contrôlent pas précisément, etc. Mais, en réalité, le beurre doit être du beurre, et du beurre avec trop d'eau ne doit pas être vendu sous le nombre de beurre.
Voila pourquoi le travail de la DGCCRF (la répression des fraudes) est si important.
Et là, une vaste enquête vient de montrer des anomalies chez plus de 15 pour cent des producteurs, artisan ou industriels : https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/anomalies-dans-la-composition-et-letiquetage-des-beurres-et-matieres-grasses-laitieres
Anomalies dans la composition et l’étiquetage des beurres et matières grasses laitières
Il faut des sanctions rapides, sans quoi les citoyens seront grugés.
On rappelle que le beurre doit contenir moins de 16 pour cent d'eau, et de 2 pour cent de matières non grasses autres que l'eau. Le texte réglementaire est ici, pour celles et ceux qui voudraient le consulter :
https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000867410
Des questions de protéines et d'acides aminés
Je reçois une question :
Qu'est-ce qu'une protéine ? Qu'est-ce qu'un acide aminé ? Souvent, on sait que les protéines sont faites de résidus d'acides aminés, et, parfois, on connaît le terme de "peptide", ou de "polypeptide", mais quand a-t-on une protéine ?
Et je reçois une question subsidiaire :
Les résidus d'acides aminés sont-ils différents, dans une protéines, ou bien un même résidu peut-il être présent plusieurs fois ?
Ma réponse est constante, pour les étudiants en science et technologie des aliments, comme pour tous : pour ces questions de définition des termes chimiques, le RÉFLEXE immédiat doit être de consulter le Gold Book de l'Union internationale de chimie et des applications de la chimie, soit IUPAC, en anglais : https://goldbook.iupac.org/terms/view/P04898.
Et, pour le mot "protéines", on trouve :
Naturally occurring and synthetic polypeptides having molecular weights greater than about 10000 (the limit is not precise).
PAC, 1995, 67, 1307. (Glossary of class names of organic compounds and reactivity intermediates based on structure (IUPAC Recommendations 1995)) on page 1361 [Terms] [Paper
White Book, 2nd ed., p. 48 [Terms] [Book]
C'est donc clair : il s'agit de composés "naturels" ou de synthèse. La catégorie comprend les protéines d'origine naturelle, mais aussi des protéines synthétisées, des "polypeptides".
Polypeptides ? Regardons l'IUPAC :
PAC, 1995, 67, 1307. (Glossary of class names of organic compounds and reactivity intermediates based on structure (IUPAC Recommendations 1995)) on page 1359 [Terms] [Paper]
White Book, 2nd ed., p. 48 [Terms] [Book]
Et cela doit nous conduire à "peptides", et à "résidus d'acides aminés".
Pour "peptide", tout d'abord :
Amides derived from two or more amino carboxylic acid molecules (the same or different) by formation of a covalent bond from the carbonyl carbon of one to the nitrogen atom of another with formal loss of water. The term is usually applied to structures formed from α-amino acids, but it includes those derived from any amino carboxylic acid.
Là, c'est un gros morceau, mais conservons, pour les besoin de notre discussion, qu'il y a des composés dont les molécules sont des résidus d'acides aminés, en petit nombre (moins que 10, sans quoi on tombe dans le polypeptide).
Et il nous reste les acides aminés, ainsi que les "résidus" d'acides aminés.
Pour les acides aminés, c'est tout simple, en quelque sorte, puisque ce sont des composés dont la molécule porte :
- un groupe amine : un des atomes de carbone C du squelette moléculaire est lié à un atome d'azote N, qui est lui-même lié à deux atomes d'hydrogène (je simplifie) ; on trouve un motif -NH2
- un groupe acide carboxylique : cette fois, un des atomes de carbone C du squelette moléculaire est lié à un atome d'oxygène O, d'un côté, et à un autre atome d'oxygène O qui est lié à un atome d'hydrogène H, soit le groupe -COOH
J'ajoute qu'un acide aminé a donc cette structure moléculaire, mais que, quand des acides aminés s'enchaînent en peptides, en polypeptides ou en protéines, alors ils sont modifiés, avec la perte de certains atomes, de sorte que cette structure n'est plus présente ; on n'a plus des "acides aminés", mais des objets que l'on peut identifier par la pensée, et qui sont des "résidus d'acides aminés".
J'ajoute aussi, pour revenir à la question initialement posée, que les acides aminés qui sont présents chez les êtres vivants, soit sous forme d'acide aminé, soit sous la forme de résidu d'acide aminé, sont au nombre de 20 (pour les plus courants)
[Kvenvolden KA. 1972. Criteria for distinguishing biogenic and abiogenic amino acids, Space Life Sciences, 4, 60-68]
Et, dans un enchaînement de résidus d'acides aminés, pour terminer, on peut trouver n'importe lequel en n'importe quelle position, de sorte que, oui, un même résidu peut se retrouver plusieurs fois présent dans une chaîne polypeptidique ou dans une protéine.
Ouf, est-ce assez répondu ?
vendredi 5 janvier 2024
Une longue réponse, pour un long (et intéressant) commentaire
Les commentaires que suscitent mes billets dans ce blog m'incitent à poursuivre... et à répondre à chacun, surtout quand mes amis se donnent la peine de présenter un beau tissu rouge au taureau !
Ici, c'est Mathieu Weber qui m'écrit. Je profite de sa gentillesse (avec son accord) pour poursuivre la discussion. Je mets son texte en italiques, et je réponds paragraphe par paragraphe.
D'abord, il répond à mon calcul rapide à propos de la quantité de beurre que l'on peut incorporer au maximum dans une purée de pomme de terre : <em>Pour incorporer 1,5kg de beurre dans 100g de pommes de terre écrasées, il faudrait (à mon avis d'amateur éclairé) que toute l'eau des pommes de terre soit disponible, comme c'est le cas dans la mayonnaise, en particulier lorsqu'on rajoute du vinaigre. Or, je soupçonne que les cellules de la pomme de terre, grossièrement écrasée, retiennent une bonne partie de l'eau, et je doute donc qu'on puisse réellement incorporer tant de beurre dans la purée. Me trompe-je ?</em> La réponse est : oui, ce calcul est tout théorique, et c'est seulement l'ordre de grandeur qui compte. Mais rien n'empêche, en revanche, d'ajouter un liquide : du lait par exemple !
Puis : <em>Dans un tout autre registre, auriez-vous des informations facilement accessibles sur le culottage des poêles en fonte ou en acier ? Quel est ce matériau noir et dur, apparemment antiadhésif que se forme au fond de ma poêle ? Il semblerait qu'il soit le produit de polymérisation des lipides qu'on y fait chauffer fortement. Mais une graisse chauffée fortement produit aussi nombre de composés, certains toxiques (par exemple l'acrylamide). Qu'en est-il de la toxicité du culottage au fil du temps ?</em>
Là, j'ai plus de difficultés... parce que je ne connais pas l'usage que notre ami a fait de ses poêles ! Cela étant, je sais que ce sont surtout les polymères qui adhèrent : protéines, polysaccharides. De sorte que les résidus de pyrolyse de ces produits semblent plus probables que des produits de dégradation des lipides... mais je n'ai aucune certitudes. Le chauffage des graisses fait des composés toxiques ? Oui... mais je suppose que la poêle, même culottée, est lavée ? Auquel cas les composés toxiques seraient éliminés. Et puis, une adhérence telle que décrite doit être plutôt polymérisée, que faite de petites molécules.
Finalement, pourquoi des poêles en fonte... alors qu'il existe de l'acier inoxydable ? Peut-être faut-il abandonner les ustensiles du Moyen Age, pour vivre avec notre temps, malgré notre nostalgie ! Poussons le raisonnement plus loin : et pourquoi des casseroles et des poêles ? Avec la cuisine note à note, cela pourrait être l'occasion d'apprendre à s'en passer.
Puis vient le "gros morceau" : <em>Un autre sujet me préoccupe, c'est celui que j'appelle « c'est jamais aussi simple qu'on croit ». Vous m'avez appris que l'estragole est cancérigène à toute dose et que le basilic en contient. Or les mangeurs de basilic n'ont (apparemment) pas plus de cancer que les autres, donc l'information « l'estragole est toxique » n'est pas une information utile en tant que telle au gourmand moyen car on ne peut pas en conclure qu'il vaut mieux pour la santé se priver de basilic: ce n'est pas si simple qu'on pourrait le croire. De la même manière, j'ai appris en vous lisant que lors de la digestion des lipides, les chaînes carbonées en position 1 et 3 sur le (résidu de) glycérol sont traitées différemment que celle en position 2 et que leur absorption est différente. On ne peut donc pas préjuger de l'apport en acides gras saturé (par exemple) d'un lipide qui en contient, puisqu'on ne connait que rarement la structure de ce dernier. Encore une fois, une personne qui n'est pas spécialiste du domaine ne peut pas tirer de conclusion utile de l'information reçue. Il en suit qu'éduquer les gens aux sciences afin qu'ils apprennent à raisonner et à tirer leurs propres conclusions est insuffisant. On ne peut cependant pas faire de chaque citoyen un spécialiste de tous les domaines. Comment alors trier la quantité d'information que nous transmettent les media et quels enseignements peut-on en tirer ? Peut-on seulement en tirer un enseignement utile pour la vie quotidienne ? Ou est-il plus sage de simplement ignorer toutes les informations scientifiques qui sont externes à nos domaines d'expertise, puisqu'on ne peut rien en conclure de substantiel ? À titre d'exemple, j'ai appris que la lumière bleue émise par les lampes à LED blanches (le blanc étant une illusion produite par une combinaison de lumière bleue et jaune) augmenterait le risque de dégénérescence maculaire liée à l'âge. Ce résultat a été obtenu à partir de modèles mathématiques des cellules de la rétine si j'ai bien compris. En appliquant le principe « c'est jamais aussi simple », je devrais ignorer ce résultat car il n'y a pas eu d'étude sur un être vivant (sans compter que Dominique Dupagne prétend que 90% des publications en médecine et biologie sont de mauvaise qualité et n'auraient jamais dû être publiées). Cependant, je passe ma journée face à un écran éclairé par des LED, et une partie de l'éclairage à la maison est à LED, donc ce résultat est inquiétant. Ni vous ni moi ne sommes biologistes et donc incapables de juger de la pertinence de cette information dans la vie quotidienne. Que doit-on donc faire de tels résultats selon vous ? L'éducation aux sciences et à la pensée critique est-elle suffisante ?</em>
Abordons l'écheveau par le fil de l'estragole, puisqu'il dépasse. Oui, j'ai dit, écrit que l'estragole est toxique même à des doses très petites (cancérogène, tératogène), et je l'ai dit parce que c'est vrai. Oui, j'ai dit à des amis d'éviter les infusions d'estragon (ou de basilic) dans l'alcool... parce que l'estragole est alors très efficacement extrait, et que l'eau-de-vie produite me semble d'une dangerosité excessive. Et, pendant un an, j'ai cessé d'utiliser basilic ou estragon pour ma famille, afin de ne pas les empoisonner. Cela dit, oui, aucune étude épidémiologique ne montre d'effet chez les mangeurs de basilic et d'estragon, et, surtout, un remarquable article montre que si l'estragole tue des hépatocytes in vitro, la même quantité dans de l'estragon n'a pas cet effet. Enfin, de l'estragole voit sa toxicité divisée par dix si de l'estragon (mais on suppose que du gazon ferait le même effet) est ajouté ! Il y a là un phénomène essentiel, incompris, que la science doit explorer. Dans le doute, nous avons besoin d'études. Surtout, pour répondre à notre ami, observons qu'il n'avait qu'une partie de la réponse, qu'une partie des informations, et je prépare un billet où j'explique que les experts sont notre meilleure chance de nous comporter raisonnablement. Un médecin spécialiste du cancer, par exemple, est quelqu'un qui sait la conduite à tenir, et s'il faut effectivement éviter le paternalisme, il faut bien lui faire confiance ! Le citoyen informé ne le sera jamais autant que le spécialiste, l'expert. Quant à l'éducation aux sciences, elle n'est pas à abandonner, parce que c'est surtout un entraînement à la rationalité, dont nos sociétés manquent parfois cruellement. Pour ce qui concerne la nutrition des lipides, les choses sont encore plus compliquées, parce que nous ne mangeons pas des aliments, mais une alimentation, raison pour laquelle l'Académie d'agriculture de France a pris parti contre les "codes couleurs" que l'on apposerait aux aliments. C'est de la stigmatisation qui donne mauvaise conscience, ce que je crois être une mauvaise méthode pédagogique. Cela étant, là encore, nous manquons cruellement de recherche scientifique de nutrition, avant de passer à l'application diététique ! Mon ami Gérard Pascal dit justement que, pour ce qui concerne la nutrition, la seule règle actuellement est : il faut manger de tout en petites quantités et faire de l'exercice. Mais nous voudrions bien du tout simple, n'est-ce pas ? Pas de chance, nous ne l'aurons pas, pas plus que nous ne pouvons savoir l'existence de Dieu avant de faire le grand saut. Enfin, il y a les LED... et ma réponse devient différente, puisque je n'ai aucune information à ce sujet... et que je ne savais même pas qu'il y avait un danger. Mais, là encore, je vous renvoie au billet à venir sur l'expertise, puisqu'il renvoie à cette question. Si je trouve une seconde pour le finir, je le mets sur ce blog avant la fin du week end. Merci de votre lecture attentive !