lundi 30 octobre 2023

Science ou technologie ? Le "ou" n'est pas exclusif !

 
Dans The Analytical Chemist, le physico-chimiste George Whiteside discute la question de la science et de la technologie, avec un intérêt manifeste pour cette dernière. 

En substance, il dit qu'il a fait de la science, mais que la technologie est bien mieux. Il veut ainsi faire entendre un goût personnel, qui rejoint celui qu'avait le chimiste allemand Justus von Liebig, quand il programma l'enseignement de la chimie en Allemagne (ce qui est devenu une force nationale), au tournant du XIXe siècle. Liebig, alors, n'avait pas de mots assez durs contre la science, parce qu'il voulait promouvoir la technique et la technologie. Avait-il raison ? De promouvoir technique et technologie, sans doute, mais fallait-il rabaisser la science pour autant ? Politiquement, il fut habile, mais intellectuellement, l'usage de l'argument d'autorité était bien faible ! 

« Autorité », le mot est lâché : pour Whiteside comme pour Liebig, l'argument d'autorité est mis en avant : « puisque je suis si bon, écoutez ce que je vous dis ». 

Et, pour revenir à la question, puisque l'autorité ne doit être en rien dans nos choix, y a-t-il lieu de choisir entre science et technologie ? Certains peuvent faire de la science, parce que c'est la base de ce qui nous fait humain. Certains peuvent faire de la technologie, parce que c'est... la base de ce qui nous fait humain. Assez de pensée unique ! Assez d'alternatives inutiles, assez de mauvaise foi, arguments justifiant des choix personnels et qui voudraient imposer aux autres des chemins souvent décidés de façon très conjecturale. Je ne dis pas que Whiteside n'a pas réussi dans son domaine, au contraire, et j'ai souvenir de merveilleux travaux qu'il a faits, un des plus extraordinaire ayant consisté « à cracher dans la soupe ». 

J'explique. Les fullérènes sont des molécules faites uniquement d'atomes de carbone, en forme de ballon de football ou de tubes grillagés. Ces molécules sont insolubles dans l'eau, mais Whiteside a utilisé de l'amidon pour solubiliser les fullérènes. L'amylose mis avec les fullérènes dans un bac à ultrasons conduit à l'enroulement en hélice de l'amylose autour des fullérènes et à la mise en solution de l'ensemble, grâce aux nombreux groupes hydroxyle (-OH) de l'amylose. Ultérieurement, quand on crache dans la solution, la salive apporte des enzymes nommées amylases, qui, coupant progressivement les molécules d'amylose, libèrent progressivement les fullérènes. On imagine que l'on puisse faire ainsi avec des composés odorants. 

 

Concluons : j'ai beaucoup d'admiration pour certains travaux de G. Whiteside, mais je crois qu'il a tort d'opposer science et technologie : il faut les deux, pour que les deux se développent harmonieusement.

Vive la technologie !

dimanche 29 octobre 2023

The "International Journal of Molecular and Physical Gastronomy" ?

 It's here : https://icmpg.hub.inrae.fr/international-activities-of-the-international-centre-of-molecular-gastronomy/international-journal-of-molecular-and-physical-gastronomy

La loi n'est pas la fin de la science

 
L'avantage, quand on est « insuffisant », c'est que l'on a la possibilité de s'améliorer. L'avantage, quand on n'a pas de maître, c'est que, certes, on fait des erreurs qu'il nous aurait peut être évitées, mais que, si l'on traque le « symptôme », on peut progresser. 

 

Je me souviens ainsi d'un jour où je lisais un manuscrit d'article scientifique qu'une revue m'avait demandé de « rapporter ». Je lisais donc d'abord l'introduction, m'assurant que la question posée était claire, que la bibliographie avait été bien faite. Puis je regardais attentivement la partie « Matériels et méthodes », afin de m'assurer que les informations étaient suffisantes, que toutes les précautions méthodologiques avaient été bien prises par les auteurs. Je passais aux résultats, et m'assurais que rien d'exagéré n'était produit, que les résultats correspondaient donc bien aux méthodes mises en œuvre, que le traitement statistique était bien fait. Puis je lus la discussion, pour voir si tout était cohérent. Tout allait bien. Certes, il y avait des détails à corriger, mais rien de bien grave... sauf que je trouvais l'article médiocre. 

Logiquement, j'aurais dû dire à l'éditeur que l'article était acceptable, mais quelque chose me retenait. Quoi ? Je ne savais pas. De sorte que je décidais de lire une fois de plus, et je ne retrouvais que bien peu de choses supplémentaires à corriger. Je mis le manuscrit dans mon cartable, et décidai de laisser passer la nuit. Le lendemain matin, dans l'autobus, je le sortis de mon cartable, je le relus... et tout s'éclaira ! Les auteurs avaient caractérisé un phénomène, et ils n'avaient en réalité pas considéré les mécanismes compatibles avec les lois qu'ils avaient dégagées ! Ce n'était donc pas un travail scientifique, en quelque sorte, mais seulement une étape sur le chemin scientifique. 

A la réflexion, ma réaction était injuste* : tout ce qui figure sur le chemin de la science (observation de phénomènes, caractérisation quantitative, réunion des mesures en lois synthétiques, recherche de mécanismes, prévision théorique, test expérimental de ces prévisions) est un bout de science, et mérite donc publication, parce que cela fait avancer le travail. 

 

 

* En réalité, pas complètement : ajuster des données par une fonction, comme les auteurs l'avaient fait, nécessite d'avoir une raison de choisir cette fonction particulière !

samedi 28 octobre 2023

Du sucre avec de la farine


C'était une expérience que je faisais en public, lors de mes conférences, il y a une vingtaine d'années : si l'on verse une cuillerée de farine dans de l'eau bouillante, alors se forment des grumeaux. Si l'on s'y prend bien, on peut obtenir, par exemple, un gros grumeau de un ou deux centimètres de diamètre. Si on le sort à l'aide d'une cuiller, on peut le poser sur le plan de travail et le couper par le milieu : on voit alors un cœur de farine sèche, entourée d'une « coque » gélifiée, de farine « empesée ».

 

Répétons l'expérience, en mêlant une bonne proportion (environ un tiers) de sucre en poudre à la farine, avant de laisser tomber d'un coup le contenu d'une cuiller dans de l'eau bouillante : cette fois, aucun grumeau n'apparaît. Pourquoi ? 

 

Je faisais cette expérience pour expliquer ce qu'est la théorie de la percolation, dont le physicien français Pierre-Gilles de Gennes (1932-2007, prix Nobel de physique en 1991) fut un des pionniers. Pour comprendre la chose, commençons par examiner le percolateur du bistrot d'à côté : on tasse de la poudre de café dans le porte filtre, puis on envoie de l'eau sous pression. L'eau chemine entre les grains, dans le porte filtre... puis, soudain, une première goutte tombe dans la tasse : c'est le « seuil de percolation ». 

Modélisons cela avec un grillage que l'on relie en série à une pile et à une ampoule. Le courant passe, et la lampe est allumée. Puis imaginons un petit diable qui coupe des brins du grillage au hasard. Le courant continue de passer... Puis viendra un moment où l'ampoule s'éteindra, parce qu'il n'y aura plus de chemin conducteur continu, entre le haut et le bas du grillage. Ce sera le seuil de percolation. 

La même idée s'applique à la description des épidémies. Supposons un marin qui arrive en Bretagne avec une maladie, et supposons que la probabilité de contagion soit élevée : la maladie se propagera d'un bout à l'autre de la France. En revanche, avec une probabilité de contagion inférieure, on pourra éviter l'épidémie. Là encore, il y a un « seuil de percolation » (sous entendu : de la maladie dans le pays). 

 

On le voit, cette description est très générale, et Pierre-Gilles fut un de ceux qui calculèrent les caractéristiques de réseaux variés. Revenons à notre farine et à notre sucre : la gélification de la farine, la formation d'un gel, peut se décrire par la théorie de la percolation. Pour faire un grumeau, il faut que les grains voisins se lient. En revanche, si l'on a ajouté suffisamment de sucre, alors les grains voisins seront séparés par le sucre, et ils s'empèseront de façon isolée, ce qui fera une suspension de micro-grumeaux, comme un « velouté ». Et c'est ainsi que la chimie physique est une science merveilleuse !

dimanche 22 octobre 2023

Vous croyez savoir ce qu'est un fumet de poisson ?

 
Hier, j'ai voulu savoir ce qu'est vraiment qu'un fumet de poisson, car si je sais ce que c'est pour certains cuisiniers modernes, je me méfie d'un détournement des terminologies. Après tout, n'entend-on pas des ignorants parler de "pâté en croûte" (un pléonasme que j'aurais honte de faire), désigner les terrines de campagne sous le nom de pâté de campagne, croire que les tartes à la Bourdaloue sont aux poires, alors qu'il s'agit simplement de mettre un ruban de pâte ?

Bref, je ne sors jamais plus ignorant de la consultation des livres de cuisine anciens et c'est la raison pour laquelle je fais mes billets terminologiques toutes les semaines dans les Nouvelles Gastronomiques, à la recherche de la première désignation d'un mets... car c'est celle-là qui doit faire jurisprudence.

Et c'est ainsi qu'à propos des fumets de poisson, j'ai fait une belle découverte. Commençons par des recettes de fumet de poisson qui datent de la première moitié du 20e siècle  :  on y trouve effectivement quasiment nos recettes actuelles, mais avec des indications qui peuvent déjà nous surprendre.
Par exemple, alors que certains cuisiniers modernes disent que le fumet de poisson ne doit jamais cuire plus de 20 minutes, de grands anciens proposent de cuire une heure et demie... et, de fait, un séminaire de gastronomie moléculaire que nous avions organisé à ce propos avait montré qu'on avait plus de goût après 40 minutes de cuisson, et pas cette amertume qui avait été prétendue.
D'autre part, alors qu'on nous dit qu'il ne faut pas broyer les arêtes de poisson sans quoi nous aurions de l'amertume, je trouve sous la plume de très grands cuisiniers du passé l'indication de broyer les arrêtes de poisson.

J'avais donc bien raison de m'étonner et d'organiser ces séminaires vers lesquels je vous renvoie.
Mais le plus intéressant est à venir  : avant 1900, je ne trouve plus de fumet de poisson. Je vois des fumets de perdreaux, de faisan, et cetera, mais pas de poisson. Et quand je cherche la constitution de sauces pour poisson, alors je vois que c'est le liquide de cuisson des poissons qui était utilisé, et non pas les arêtes pour un fumet.

Je dois conclure que le fumet de poisson est une invention moderne de la cuisine. C'est une valorisation intéressante, utile puisqu'elle permet de produire des mets à partir de ce qui serait jeté. Manifestement, il y a lieu le dégorger les arêtes, de bien les débarrasser de toutes les parties sanguinolents, et certains proposent de retirer les yeux et les ouïes. A ce jour, j'ignore si cela fait le moindre changement, tout comme j'ignore s'il est utile de faire dégorger pendant une heure mais je me réserve le test de ces idées pour des séminaires ultérieurs.

samedi 21 octobre 2023

Pour avoir le goût de l'aïoli sans en avoir les inconvénients

Une soupe de poisson avec un bon aïoli, c'est quand même un bonheur extraordinaire, sans compter que c'est un plat vraiment très bon marché.

Hier, j'ai fait une soupe de poisson à partir d'un grondin, d'arêtes de truites qui me restaient,  d'une tomate, d'une carotte, d'un oignon et d'un peu d'eau.

Le tout a été cuit pendant une demi-heure à couvert et j'ai ensuite mixé finement avant de passer.

Avec un soupçon de paprika, du sel et du poivre, un peu de piment de Cayenne, le tour était joué.

Pas d'ail dans l'affaire ? Non car je voulais faire un aïoli, cette sauce émulsionnée qui se prépare à partir d'ail et d'huile d'olive.

La recette classique consiste à piler l'ail avec l'huile et on obtient effectivement une émulsion, mais cette dernière a une puissance gustative terrible et on la sent passer ! Aussi je procède maintenant différemment : j'ai cuit des gousses d'ail entières dans la soupe de poisson pendant 15 bonnes minutes et, après qu'elles avaient été ainsi "blanchie, qu'elles avaient donné leur goût à la soupe, un goût d'ailleurs que la poursuite de la cuisson avait acclimater, j'ai mixé mes gousses d'ail avec du concentré de tomate, un peu de piment et de l'huile d'olive. J'ai alors obtenu une émulsion très lisse, souple, absolument délicieuse, qui gardait ce côté fascinant des purées d'ail, mais en étant tiré du côté de la tomate. Déposée sur des tartines grillées consommées avec le potage, c'était le bonheur.

vendredi 20 octobre 2023

Il y a de la pâtisserie toute simple et délicieuse.


Vous avez des hésitations à propos de pâtisserie, et vous pensez que cela requiert de la précision ? Lancez-vous sans hésiter avec la recette qui suit.

Prenez 3 œufs et séparez le jaune et le blanc. Dans les jaunes, ajoutez un volume de sucre à peu près égal à celui des jaunes, et fouettez : vous observerez que le mélange blanchit. Continuez de fouetter jusqu'à ce que la préparation soit très lisse, tous les grains de sucre s'étant dissous dans l'eau des jaunes.  

Une fois que cela est fait, préoccupez-vous des blancs d'œufs :  fouettez-le avec un fouet bien propre, afin d'obtenir des blancs en neige que vous pourrez "serrer" en continuant de les battre après avoir ajouté une ou deux cuillerée à soupe de sucre.

Vous avez maintenant vos deux masses foisonnées :  les jaunes blanchis (on dit que ça cela fait le ruban) et les blancs montés.

Dans les jaunes, ajoutez une ou deux cuillerées à soupe de poudre d'amande, une cuillerée de farine, une goutte d'extrait d'amande amère, et mélangez juste ce qu'il faut pour que l'ensemble devienne un peu homogène.

Puis ajoutez cette préparation aux blancs battus en neige sans travailler trop. Cette fois, vous obtenez une masse un peu homogène qu'il vous suffit de mettre dans un moule et de cuire pendant 30 minutes à 180 degrés.

En fin de cuisson, laissez refroidir dans le moule avant de démouler, puis divisez le gâteau en deux par une découpe horizontale, mouillez le biscuit obtenu de quelques gouttes de calva et farcissez l'intérieur avec de la compote de pommes.

Refermez le gâteau et par-dessus, déposez de compote de pomme et de  la crème fouettée.

Le tour est joué et le temps de travail est véritablement réduit au minimum. La difficulté ? Il n'y en a pas. Les proportions ? On dit parfois que la pâtisserie doit être quasiment mathématique, mais je vous assure que quand je fais la recette, je n'ai aucun besoin d'une balance et que les indications que j'ai données précédemment suffisent amplement.