vendredi 24 janvier 2020

Amusant : un interlocuteur qui lit une de mes recettes/inventions me répond qu'il faudrait absolument prévenir mes lecteurs que l'agar-agar provoquerait des diarrhées, a-t-il lu quelque part.


Provoquerait ? Quelque part ? Notre ami ferait bien de regarder des publications sérieuses avant de colporter des rumeurs.


Et comme il s'agit là de diététique, je ne donnerais pas le résultat de mes recherches, mais je peux rassurer mes amis, quand même ;-)

Et tout cela me fait penser à  la personne qui m'avait évoquée cette "liste pourrie de Villejuif" et les prétendus dangers de l'acide citrique.

Ne colportons pas des rumeurs, ne nous effrayons pas comme des gogos ! 


Abandonnons le Guide culinaire à ses erreurs et à ses prétentions !


Je me suis souvent étonné que le Guide culinaire soit un si mauvais livre, signé par le seul Auguste Escoffier, après la première édition, alors que l'homme avait fait écrire des tas de gens : Philéas Gilbert, Emile Fetu, et bien d'autres.

Je me suis souvent étonné d'y voir tant d'erreurs : de la moutarde dans la mayonnaise, des confusions entre mousses et mousselines, des précisions indues (95 °C sans thermomètre, 0,222 grammes de sel*).

Bref, je n'aime pas ce livre, et je viens de trouver une nouvelle occasion de proposer qu'on le mette aux oubliettes de l'histoire, avec un bien mauvaise note. C'est à propos d'oeuf sur le plat.

Je lis :

Œufs sur le plat
Les œufs traités par ce mode de cuisson représentent une espèce particulière d’œufs poché, dont le juste à point de cuisson fait tout le mérite et leur apprêt s’équilibre sur ces trois points :
1-cuisson du blanc jusqu’au moment où il prend une teinte laiteuse ;
2-miroitement du jaune ;
3-soins attentifs, pour éviter que les œufs ne s’attachent au fond du plat.
La proportion établie pour ce genre d’œufs ; le sont uniformément pour 2 œufs. La quantité normale de beurre est de 15 g, dont moitié dans l’ustensile et l’autre moitié versée, fondue sur les jaunes. L’assaisonnement est de 32 centigrammes pour 2 œufs.


Tout d'abord, non, cela n'a rien à voir avec un oeuf poché, et, d'autre part, c'est une évidence que l'à point de cuisson soit essentiel.
Le blanc doit-il être laiteux ? Si on le veut ainsi ! Et si on le veut différemment, faisons différemment.
Les oeufs qui attachent ? Mouais... Ils attachent en réalité rarement quand la poêle est bien beurrée ou huilée.
D'ailleurs, 15 grammes de beurre ? Il noircit. De l'huile, plutôt, avec du beurre en fin de cuisson ? L'assaisonnement : il n'est pas dit que c'est du sel, mais on peut le supposer. Et... 32 centigrammes ? Prétention ! Prétention !  Et menteurs : je suis bien sûr que ce n'est pas 32 centigrammes qui était mis, mais 30, ou 35, ou 40... Et puis, cela dépend de ce que l'on aime !

Décidément, je préfère de loin la bonne Madame Saint Ange, ou
Jules Gouffé, dont voici la recette :

Étalez dans un plat de fer rond 25 g de beurre, 1 demi-pincée de sel et une prise de poivre. Cassez dessus 6 œufs toujours de première fraîcheur. Saupoudrez avec une demi-pincée de sel et 2 prises de poivre. Mettez-les au fourneau à feu doux. Couvrez avec le couvercle de tôle et feu dessous. Laissez cuire 4 minutes. Dès que le blanc est pris, servez.

C'est quand même mieux, non ?


* On me demande pourquoi je critique ces 0.222, et je vais m'en expliquer dans un billet à suivre rapidement  :
https://hervethis.blogspot.com/2020/01/a-propos-de-precisions-indues.html

jeudi 23 janvier 2020

Le sel, c'est quoi, au juste ?


La grande question du sel  : c'est quoi, le sel ?

En discutant avec des collègues moins chimistes que moi, je m'aperçois que les rapports entre sel, sodium chlorure de sodium, gros sel, sel fin, et caetera, méritent d'être éclaircis. Et, me remémorant des échanges avec des amis cuisiniers, il y a déjà quelques années, je crois qu'il est indispensable de bien présenter les choses.

Partons donc de la mer, l'océan, où il y a de l'eau qui a un goût salé.

On sait que quand on fait évaporer l'eau, il reste des petits solides assez blancs, qui, si on les regarde à la loupe, ont des faces planes.



Ces petits objets ne sont pas sphériques, pas entièrement irréguliers : non, il ont des facettes planes, même si chaque cristal a une forme particulière. La raison en est que, contrairement à du verre, par exemple,  ou à du sucre tiré, le sel présent dans l'eau de mer "cristallise". Il va falloir se demander ce que cela signifie vraiment, mais pour l'instant, savourons ces premières informations : l'eau de mer est faite d'eau qui peut s'évaporer, et de ces solives blanc qui restent solides, ne s'évaporent pas,  et qui forment ce que l'on nomme le sel de mer. D'ailleurs, j'ai dit que ces cristaux étaient blancs, mais le sel de mer non raffiné est souvent gris,  et il faut des redissolutions et recristallisations pour arriver, par une opération qui est la même que celle qu'on fait en laboratoire, à obtenir les cristaux blancs, parfaitement purs... Mais là encore, je vais un peu trop vite.

Prenons un de ces solides à la pince, et regardons-le au microscope : nous voyons alors que c'est en réalité un objet de transparent. Il n'apparaît blanc, quand la lumière et blanche, que parce que la lumière se réfléchit sur les facettes. Si la lumière est blanche, alors les reflets sont blancs et le cristal apparaît blanc. Mais si la lumière était rouge, les reflets seraient évidemment rouges, et le sel, les cristaux de sel apparaîtrait rouge.
Le sel, donc, est  un matériau transparent.



Imaginons que nous coupions un de ces cristaux en deux  : nous obtiendrions deux cristaux plus petits que le cristal initial. Coupons encore chaque cristal en deux, et en deux... Nous avons toujours des cristaux.
Mais nous poussions l'opération, nous arriverions à un moment  où  nous n'obtiendrions plus des cristaux, mais des très petits objets de deux sortes, que les chimistes ont nommé des "atomes de sodium" et des "atomes de chlore". Et ces atomes sont comme des boules vertes  et rouges, dont l'empilement régulier fait les cristaux. Bref, le sel est fait d'atomes de sodium et d'atome de chlore. On dit parfois que le sel est fait de sodium et de chlore, mais c'est déjà une façon jargonnante de parler.



En réalité, je n'ai pas dit que les atomes de sodium et les atomes de chlore s'attirent tels des aimants, mais je le dis. Et je propose de ne pas expliquer la différence entre des atomes et des ions, car les ions, ce sont seulement des atomes qui ont perdu une petite partie : l'ion sodium, c'est un atome de sodium qui a perdu un "électron". Et, d'ailleurs, l'ion chlore (on dit en réalité "ion chlorure", mais vraiment on entre dans des détails) a gagné un électron. Et cet échange est à l'origine de l'attraction entre les deux sortes d'atomes : j'ai parlé d'aimants, mais ce n'est pas ici une question de magnétisme, mais d'électricité. Mais, je le répète, je crois que ce sont là des subtilités sans intérêt à ce niveau de description.

Imaginons maintenant que nous mettions un cristal de sel dans de l'eau : on voit que ce cristal disparaît, après un certain moment, et l'eau devient salée. 

 On dit que le sel s'est dissout dans l'eau. Et le phénomène est simple. L'eau, tout d'abord, est faite d'une myriade de très petits objets tous identiques, que l'on a décidé de nommer des "molécules d'eau". Ces molécules sont en mouvement; de sorte que, quand on met le cristal dans l'eau, les molécules d'eau viennent bousculer les atomes de sodium et de chlore du sel, qui se dispersent alors au milieu des molécules d'eau.
Pourquoi l'eau où le sel est dissout est-elle salée ? Sur la langue, nous avons ce que on a des papilles, des groupes de cellules spécialisées dans la détection des composés sapides.  Ces cellules sont de petits sacs vivants, à la surface desquels il y a ce que l'on nomme des "récepteurs ". Or les atomes de sodium qui sont dans l'eau peuvent aller interagir avec ces récepteurs, comme des clés et des serrures : et quand des atomes de sodium interagissent ainsi, cela déclenche un courant électrique qui part vert le cerveau : c'est la détection de la saveur salée.

J'espère que, le tableau étant plus clair,  et nous pouvons tirer les conséquences de ce qui a été dit précédemment.

D'abord la différence entre gros sel et sel fin de. Tout simplement, il suffit d'observer que les cristaux obtenus par évaporation de l'eau de mer sont très variés : il y en a de gros, de petits, de moyens... Et il suffit de broyer les gros pour en obtenir de petits. Ou de tamiser avec des tamis aux trous de tailles décroissantes :on récupère d'abord les gros cristaux, puis les moyens, puis les petits... puis les très petits. On peut même, si l'on broie de petits cristaux, comme je l'ai proposé il y a quelque décennies, faire du "sel glace", comme du sucre glace, mais avec du sel : en pratique, il suffit de broyer longuement du sel dans une poêle, en l'écrasant avec une casserole  ! J'y pense : les gros cristaux c'est du gros sel, et les petits cristaux c'est du sel fin.
D'autre part, ajoutons aussi que la façon dont les cristaux se forment, lors de l'évaporation de l'eau (et de la cristallisation du sel) peut conduire à des cristaux différents : en pyramide creuse, en plaquette, en pyramide pleine à étages, etc. Par exemple, le sel de Maldon (en Angleterre), c'est du sel mais qui a cristallisé sous la forme de plaquettes et qui a un croustillant particulier, très appréciés de certains cuisiniers étoilés.
 Il y a aussi la question du sel iodé et du sel fluoré : pour des raisons sanitaires, on a considéré que le public manquait de ces éléments chimiques que sont l'iode et le fluor, et on les a ajoutés au sel, de sorte que, quand nous utilisons du sel, nous consommons ces deux éléments et nous n'en manquons pas.
D'ailleurs on peut ajouter bien d'autres éléments  tel le fer, pour faire de la couleur rose, le cuivre pour du bleu, et ainsi de suite... mais c'est toujours du sel, du chlorure de sodium,  avec quelques impuretés. Et c'est la raison pour laquelle il est vraiment extraordinaire,  exorbitant au sens littéral du terme,  de payer des fortunes pour du sel rose de l'Himalaya qui n'est autre autre chose que du sel ferrugineux.

Enfin, puisque nous sommes à des "impuretés, ajoutons que le "sel" de table, qu'il vienne de la mer ou de mines (d'anciens océans évaporés et recouverts", peut contenir d'autres atomes ou groupes d'atomes : du potassium, par exemple. Mais c'est toujours d'abord du sel.
Et puis, il faut terminer en ajoutant que l'on peut "fabriquer" du sel, en mélangeant de l'acide chlorhydrique et de la soude : oui, avec ceux produits extraordinairement corrosifs (qu'il ne faut surtout pas consommer !), on obtient du sel. Mais de l'acide sulfurique, on neutraliserait aussi la soude, pour former du sulfate de sodium. Ou avec de l'acide nitrique et de la potasse, on ferait ainsi, par "neutralisation", du nitrate de potassium. Et ainsi de suite : les produits finalement formés ont été nommés "des sels", par les chimistes. Et ces sels ne sont pas du chlorure de sodium. Le chlorure de sodium, ces cristaux formés de sodium et de chlore, ne sont qu'un sel parmi mille.

Parlons de la mousse de l'expresso, pas de la crème


 Il y a des confusions terribles, dans le monde alimentaire, et j'en identifie une, aux terrasses des bistrots, quand les clients et les servent discutent de café et prononcent  le mot "crème".

Nous sommes bien d'accord que la crème du lait, c'est la crème. Quand on fouette de la crème,  ce n'est plus de la crème, mais cela devient de la crème fouettée.
En cuisine, il y a bien d'autres crèmes : par exemple,  une crème de potiron  ne comporte pas nécessairement de crème de lait,  mais elle a une consistance crémeuse.
On  parle aussi de la crème anglaise, qui, ne contient pas non plus de crème de lait, mais a une consistance crémeuse.
Et ainsi de suite  :  le mot "crème" est très répandu, avec les crème au beurre, crème au citron... Quand on y regarde de plus près, on s'aperçoit que le mot "crème" désigne les préparations crémeuse, de la consistance de la crème du lait...  mais on n'oublie toutefois pas que la crème fouettée n'est plus la crème, mais la crème fouettée (vous allez voir bientôt pourquoi je me répète).

Arrivons donc maintenant au bistrot :  il y a plus particulièrement le mot "crème" à propos des cafés, ou bien des expressos. Par exemple, un café crème, c'est pour certains du café additionné de crème, mais, pour d'autres, c'est la partie supérieure,  foisonnée, mousseuse. Et l'on voit souvent la confusion produire des effets délétères, à savoir le garçon qui apporte un expresso  alors que le client voulait un café avec de la crème, ou bien le garçon apporter un café crème alors que le client avait demandé un expresso avec beaucoup de mousse.

Je propose de ne pas nommer crème la mousse de l'expresso. Oui, car cette mousse n'est pas crémeuse, comme de la crème, mais bien mousseuse, foisonnée. D'ailleurs, j'ajoute qu'elle ne contient pas de matière grasse, comme cela a été écrit par de mauvais professionnels, qui ont répété des erreurs. Et, surtout, cette mousse n'est pas plus le café que la crème fouettée n'est la crème.

Bref, luttons contre la confusion !

mercredi 22 janvier 2020

Le hachage des viandes ? C'est pour faire des viandes tendres !


Je sors de chez un boucher où une petite dame voulait acheter du steak haché. Le boucher avait pris du filet de boeuf, l'avait mis dans la machine et avait produit un steak haché, assurant que cette viande serait délicieuse.
Certes, mais c'est marcher sur la tête, car précisément le hachage a pour fonction d'attendrir des viandes qui sont saines mais dures, pas d'attendrir des viandes tendres !

Il y a deux sorte de viande de bœuf  : les viandes à griller, qui sont naturellement tendres, parce que les fibres musculaires sont "collées" par très peu de collagène ;  et les viande à braiser, qui sont dures parce qu'elles contiennent beaucoup de tissu collagénique.
Pour cuire les viandes tendres,  il suffit de faire un aller-retour dans une poêle chaude et le tour est joué  : on obtient un steak qui reste tendre, dont la surface a été assainie microbiologiquement et qui a pris du goût. La viande a durci un peu, mais est restée tendre si l'on n'a pas trop cuit !
Pour les viandes à braiser,  en revanche, la cuisson sautée comme précédemment donne de mauvais résultats, car la viande est dure. D'où la solution qui consiste à hacher la viande, pour en faire une masse tendre que la cuisson  durcit à peine, quand les protéines sorties des fibres lors du hachage viennent solidariser les morceaux produits par le même hachage.

Bref, hacher une viande tendre, c'est marcher sur la tête, et faire payer des sommes exagérées aux clients : une viande à braiser coûte environ 4 euros, contre plus de 20 pour une viande à griller  ! C'est donc du gâchis que de hacher du filet, et une petite malhonnêteté de la part de boucher qui abuse de l'ignorance de sa cliente.
Certes, stricto sensu, notre boucher n'a rien fait de malhonnête, mais il n'a pas été de bon conseil. Ce genre de personne nuit à la profession tout entière, et doit être dénoncé. Car, je le répète ici,  le hachage, comme d'ailleurs le carpaccio, visent à produire des viandes tendre à partir de matière dure, une bonne opération de valorisation de viande à braiser.

Tiens, tant que nous y sommes : avez-vous imaginé de faire un steak haché de poulet ? De porc ? D'agneau ? Ce n'est évidemment pas impossible, mais ce n'est pas très intéressant, car ces viandes sont souvent déjà tendres ;-)

mardi 21 janvier 2020

Un souvenir amusant.



 Interviewé par une télévision coréenne, je me souviens soudain d'un épisode cocasse, lors d'un tournage pour la télévision française, vers Noël, il y a environ 30 ans : il s'agissait de faire un sorbet à l'azote liquide, ce qui était neuf pour l'époque, mais ce n'est pas là la question qui m'intéresse aujourd'hui. Ce qui m'intéresse, c'est que ce sorbet était au  jus de citron vert et au basilic.
Quoi, basilic et citron vert ? Et alors ? Aujourd'hui, cette association paraît parfaitement naturelle,  mais à l'époque, c'était véritablement révolutionnaire   : je me souviens d'ailleurs d'amis  cuisiniers qui m'avaient interpellé en me demandant si, avec une telle préparation, je n'allais pas empoisonner tout le monde.
Empoisonner tout le monde avec du basilic et du citron vert ? Oui, ajoutait-il : ce mélange n'avait jamais été fait, et on avait aucune certitude qu'il n'empoisonnerait pas, contrairement aux mélanges traditionnels, éprouvés.
Avec le recul, on a bien vu que je n'ai empoisonné personne, mais je continue de m'étonner d'une telle crainte :  pourquoi  du basilic et du citron vert auraient-ils empoisonné ? La question ne vaut pas pour ces deux ingrédients en particulier, mais pour toutes les combinaisons qui n'ont jamais été testées. D'ailleurs, si l'on avait été vraiment prudent, après la découverte de l'Amérique, nous n'aurions ni tomates, ni pomme de terre, ni aubergine... D'ailleurs, la question des pommes de terre est intéressante, car précisément leur peau contient des composés toxiques, et Parmentier avait bien vu que des bouillons de peau de pomme de terre avaient un goût brûlant,   dû précisément à la toxicité de ces composés de la peau. On a bien appris à peler les pommes de terre, surtout quand elles sont vertes mais pas seulement.
On a appris progressivement à identifier nombre de produits qui ont des toxicités comme certains composés de la muscade, et d'autres.
Mais je vois une vraie différence entre le danger et sa perception. Au fond, la nouveauté fait peur à beaucoup, et il faut leur reconnaître qu'ils ont raison d'être prudents... mais il ne faut pas tomber dans l'excès d'être timoré.
Et, rétrospectivement, il est quand même amusant que l'on ait eu peur d'un mélange de basilic et citron vert, alors que nos amis boivent de l'alcool (l'éthanol est un poison), fument, utilisent de la noix muscade, ne pèlent plus les pommes de terre... et vont, pour certains,  jusqu'à macérer des grappes de tomates grappes dans de l'huile pour en faire une huile qui a qui a beaucoup de goût... et de toxicité.

Décidément, les incohérences de l'être humain n'ont pas fini de m'étonner !

Les gens honnêtes n'ont rien à cacher.


Je retrouve un billet ancien, jamais publié :


Hier un journaliste aimable et amical me téléphone pour m'inviter à un « débat » qui serait consacré aux cas de désagréments alimentaires qui sont récemment survenus après des repas chez Heston Blumenthal, à Londres. Les services vétérinaires ont fait état d'intoxication par des huîtres, et non pas par des "additifs".
 
En effet, depuis quelques jours, quelques journalistes idéologiquement opposés à la cuisine moléculaire (pas le journaliste aimable dont je parlais ci dessus) ont publié des articles pour dire, comme une litanie, que la cuisine moléculaire est dangereuse pour la santé.
En réalité, ces journalistes idéologiques (et peu scrupuleux, donc) sont peu nombreux : un, deux, trois peut-être... Guère plus, mais c'est assez pour que l'on puisse s'interroger, d'autant que, rappelez-vous : une litanie. 
 
Quant aux additifs qui nous empoisonneraient, nos litanistes (une façon pour moi de parler par euphémisme, et d'éviter des procès qu'ils ne manqueraient pas de me faire si je disais la totalité de ma pensée) omettent de dire que le caramel en est un, comme le glucose (qui est dans tous les fruits et légumes, comme...
Bref, "les additifs", c'est une catégorie trop vaste pour qu'on puisse tous les fourrer dans le même sac, même s'ils relèvent tous d'une même réglementation, et s'ils ont tous été testés d'un point de vue toxicologique de la même façon. 

Passons, car là n'est pas la question. 

Il est sans doute inutile de discuter une fois de plus (cela fait des décennies que cette discussion a lieu) la question des additifs et d'une sorte de prétendu complot de l'industrie alimentaire. Si les additifs sont autorisés, c'est qu'ils ont fait l'objet de NOMBREUSES études de toxicologie.
Donc oublions la questions des additifs. 
La question de la cuisine moléculaire, et de désagréments ou d'intoxications alimentaires dans des restaurants de cuisine moléculaire ? Dans un billet précédent, j'ai expliqué qu'une hirondelle ne fait pas le printemps, que quelques cas dans un restaurant ne peuvent être érigés en lois, mais seulement en cas. J'ai dit aussi que le nombre d'intoxications alimentaires consécutives à des repas dans des restaurants traditionnels est bien supérieur au nombre de cas dans les restaurants qui servent de la cuisine moléculaire. En réalité, la quasi totalité des toxi-infections alimentaires résulte du non lavage des mains par les cuisiniers ! 

mais, je discute plutôt ici, du moins aujourd'hui, la question de cette invitation à débattre d'un problème survenu dans un restaurant. Les journalistes qui préparaient l'émission m'ont proposé de venir « débattre » contre un de ces litanistes. Débattre contre des malhonnêtes ? Je ne parle pas aux roquets qui aboient. Et puis, après tout, quand on y pense, est-ce bien utile ? La vraie question est d'abord d'établir les faits. Or les faits sont : quelques cas, dans un ou deux restaurants (et je répète qu'on ne parle pas des cas dans les restaurants de cuisine traditionnelle), plus des SOMMES d'articles qui étudient l'innocuité des additifs (d'accord, ma formulation est tendancieuse, tout comme l'aurait été celle qui aurait été « qui étudient la toxicité des additifs »). 
 
Pour les faits, rien à débattre : il y a les faits.

Pour les articles, il faut quand même apprendre à les lire, et je maintiens que peu de personnes "savent" lire des articles scientifiques... parce qu'ils se limitent aux résultats. 
Un bon scientifique, au contraire, est quelqu'un qui a appris à se préoccuper des « Matériels et méthodes », cette partie essentielle pour bien comprendre les résultats, et, a fortiori, les interprétations des résultats. Un bon scientifique, c'est quelqu'un qui sait manier les incertitudes (le calcul différentiel s'impose ; je rappelle que quelqu'un qui sait, c'est quelqu'un qui a appris). Un bon scientifique, c'est quelqu'un qui sait qu'une expérience doit être répétée, qui sait ne pas confondre modèle et réalité, qui sait que la science réfute et ne démontre pas, qui sait... 
Tout cela s'apprend, et l'on ne s'improvise pas scientifique. On n'est donc que très exceptionnellement capable de lire une publication scientifique, quand on n'est pas scientifique. Pis : ayant travaillé à la revue Pour la Science pendant 20 ans, je sais combien l'examen des articles « de l'extérieur » est un exercice périlleux. Tout tient dans les calculs qui sont faits, dans la fiabilité de l'expérimentation, et c'est notamment pour cette raison que le travail de rapporteur est si long... Je ne dis pas que les journalistes sont incapables, mais je constate que ce n'est pas leur métier, et donc leur compétence, que de lire des publications scientifiques, surtout quand ils sont chroniqueurs culinaires !

Donc débattre avec des incompétents ? Il ne peut y avoir que de la pédagogie, pas du débat !
Et, pis encore, il ne peut rien en sortir, car nos litanistes, en réalité, ne veulent pas entendre : ils veulent simplement vendre du papier, du scandale. L'information est le cadet de leur souci. Je me souviens, ainsi, d'un de ces litanistes qui, sur une grande radio, enchaînait contre vérité sur contre vérité, complètement imperméable aux réfutations qu'on lui faisait. Quel manque de dignité : personnellement, j'ai honte quand on me reprend, si j'ai fait une erreur... et je m'empresse de rectifier !
Mais il faut relire Platon, qui montre bien que la rhétorique se pare impunément des plumes du paon tout en délivrant des messages fallacieux. En face, il est inutile d'essayer de proposer des faits, fondés sur des études, scientifiques ou technologiques. On ne dit pas assez que de telles études représentent des mois d'efforts pour obtenir des résultats... qui, finalement, ne pèsent rien dans un débat, ou, du moins, pas plus lourd que la parole bien dite.
Bref, débattre contre des journalistes d'une presse poubelle ? Je ne fais pas les poubelles !

Allons, soyons positifs, parce que c'est la moindre des politesses.

D'une part, je suis heureux de signaler que, finalement, les journalistes aimables qui m'invitaient à débattre ont changé d'idée, preuve que ceux-là sont fréquentables. D'autre part, agent de l'Etat, je sais qu'il y a un devoir d'information du public, afin de répondre à des inquiétudes, injustifiées, certes, mais qui existent (à cause de nos litanistes : les « marchands de peur » sont des dangers publics, à ne pas confondre avec de véritables lanceurs d'alerte). Je vais donc dire des faits, en indiquant au préalable que je n'ai rien à vendre : ni article, ni produit, ni idéologie, même. Certes, je pense que la Raison doit être promue, au même titre que la Connaissance, qui nous fait humain. Certes, je propose de voir le verre bien plus qu'à moitié plein... mais il y a quand même les faits : jamais les êtres humains n'ont vécu aussi longtemps en bonne santé. Cela est le fruit de l'hygiène, des additifs (les conservateurs qui évitent le botulisme!), des cosmétiques, des médicaments, de la technologie.
Je n'échange pas ma vie aujourd'hui contre celle d'il y a 100 ans. D'ailleurs, à l'âge que j'ai, je serais sans doute déjà mort depuis longtemps (n'oublions pas qu'il n'y avait pas d'antibiotiques, par exemple).